Points clefs
  • Avec un total d’environ 4,1 millions d’euros, l’Autriche a été à l’origine de quatre fois plus de dons que tous les Länder de l’Est de l’Allemagne réunis.
  • Depuis la fin de la coalition en « feux tricolores » en novembre dernier, l’AfD a reçu environ 4,8 millions d’euros.
  • Les trois donateurs les plus importants de l’AfD ont justifié leurs dons par le fait qu’ils partageaient les vues du parti d’Alice Weidel sur la guerre en Ukraine et qu’ils voulaient notamment empêcher la livraison de missiles de croisière Taurus.

En comparaison avec les autres pays européens, la loi allemande sur les partis politiques se caractérise par un cadre de financement très libéral, qui ne fixe pas de limite supérieure aux dons et autorise les contributions des entreprises et des particuliers de toute l’Union européenne. Pendant la campagne électorale du Bundestag de 2024-2025, plus de 20 millions d’euros de dons privés ont été versés jusqu’à présent aux principaux partis allemands. Au-delà d’un montant de 35 000 euros, on parle de « don important » (Großspende). 

Depuis 2024, les dons de cet ordre de grandeur doivent être immédiatement déclarés à la présidence du Bundestag — auparavant, le seuil était fixé à 50 000 euros.

L’analyse de ces dons révèle les grandes tendances dans le financement des partis politiques allemands.

1 — Les dons de plus de 500 000 euros représentent environ la moitié du volume total

Depuis novembre 2024, onze dons d’au moins 500 000 euros ont été versés. Additionnés, ils représentent environ 10,3 millions d’euros, soit presque la moitié de tous les dons de plus de 35 000 euros dont la somme totale s’établit au 16 février à 23 millions d’euros. Dans neuf des onze cas, les dons proviennent de personnes privées. Quatre d’entre elles proviennent d’Autriche.

Plus de 20 millions d’euros de dons privés ont été versés jusqu’à présent aux principaux partis allemands.

François Hublet et Charlotte Kleine

L’AfD a reçu les dons individuels les plus élevés de la campagne électorale et a bénéficié de trois des onze dons de plus de 500 000 euros. Parmi eux, un don en nature d’une valeur de 2,3 millions d’euros de la part d’un particulier autrichien pour des affiches électorales, ainsi que des dons monétaires de 1,5 million d’euros et environ 1 million d’euros. Au total, le parti a donc reçu 4,8 millions d’euros, soit près de la moitié du volume des onze plus grands dons et plus de 20 % de tous les dons importants.

Le SPD, qui reçoit habituellement moins de dons importants que les partis CDU/CSU et FDP, considérés comme proches des milieux économiques, a bénéficié de l’un des dons individuels les plus élevés de la campagne électorale : Media Force GmbH, une entreprise de communication rhénane, a soutenu le SPD en diffusant en ligne des spots publicitaires ciblés d’une valeur de 1,5 million d’euros 1. En outre, le parti a reçu — tout comme la CDU et le FDP un don d’un demi-million d’euros de la part de l’entreprise autrichienne de crypto-monnaies Bitpanda.

Le petit parti Volt n’a reçu que deux dons importants depuis novembre 2024, mais l’un d’entre eux est l’un des dons individuels les plus élevés de la campagne électorale. Le jeune musicien et héritier Thadaeus Friedemann Otto a fait don d’un million d’euros, ce qui a permis à Volt de financer une grande partie de sa campagne électorale.

L’AfD a reçu les dons individuels les plus élevés de la campagne électorale et a bénéficié de trois des onze dons de plus de 500 000 euros.

François Hublet et Charlotte Kleine

Outre le don de Bitpanda, le FDP a reçu à deux reprises un demi-million d’euros de l’ancien patron du fabricant de valises Rimowa, racheté en majorité par le groupe LVMH en 2016. La CDU a reçu — en plus du don de l’entreprise autrichienne de crypto-monnaies — un demi-million d’euros de la part d’un entrepreneur munichois.

2 — Seuls 2 % des dons importants ont été réalisés par des femmes

Le comportement en matière de dons montre un net déséquilibre entre les genres : depuis novembre 2024, seules cinq femmes ont effectué des dons importants, ce qui ne représente que 2 % de tous les dons importants. On ne dispose que de peu d’informations sur le contexte professionnel et l’origine de la fortune de certaines de ces donatrices.

Une donatrice de Rhénanie-du-Nord-Westphalie a versé 50 000 euros à la CDU et une résidente autrichienne a versé la même somme à la CSU bavaroise.

Dans deux cas, des couples mariés ont fait des dons séparés aux mêmes partis. En janvier, Brigitte Gotthardt, résidant en de Rhénanie-Palatinat, a fait un don de 80 020 euros à la CDU et de 100 000 euros au FDP. Le même jour, son mari a versé 100 000 euros à chacun de ces partis. Frank Gotthardt est connu pour être impliqué dans NiUS un portail d’information fondé en 2023, qui se veut le pendant allemand de Fox News et a attiré l’attention pour sa proximité avec le populisme de droite.

Petra et Stephen Orenstein, originaires de Hesse, ont chacun fait un don de 50 000 euros à la CDU. Alors que le couple est aujourd’hui actif dans l’immobilier, Stephen Orenstein a conclu dans les années 2000 des contrats d’une valeur de plusieurs milliards de dollars avec le ministère américain de la Défense pour fournir l’armée américaine en eau et en nourriture, notamment en Afghanistan.

Gisela Wendling-Lenz, cofondatrice de l’entreprise d’énergie éolienne Ostwind GmbH, a effectué deux dons d’une valeur totale de 150 000 euros à Bündnis 90/Die Grünen — son mari, également cofondateur de l’entreprise, a effectué un unique don de 50 000 euros.

3 — La CDU/CSU en tête, l’AfD en deuxième position, le FDP troisième

La répartition des dons importants entre les principaux partis politiques présente également un net déséquilibre. La CDU/CSU est clairement en tête avec plus d’un tiers de tous les dons importants — environ 8 millions d’euros —, ce qui correspond environ à la part de voix des conservateurs dans les sondages. Le FDP se distingue en recevant environ 20 % de tous les dons, malgré un score attendu en deçà de la barre des 5 %. Traditionnellement, la CDU/CSU et le FDP, considérés comme des partis proches des milieux économiques, occupent les premières places du classement des grands dons.

Pour la première fois, l’AfD a cependant occupé la deuxième place lors de la campagne électorale du Bundestag de 2025. Avec seulement trois dons d’un montant de 2,3 millions, 1,5 million et près d’un million d’euros respectivement, les sommes reçues par le parti d’extrême droite dépassent même celles obtenues par les libéraux. Cette évolution est d’autant plus remarquable que le parti ne reçoit toujours pas de dons publics des grands groupes et des principales familles d’entrepreneurs. Cependant, à la différence de la situation qui prévaut aux États-Unis, ces grandes familles ne consentent que rarement à des dons de plusieurs millions d’euros. C’est donc parfois quelques très gros dons individuels qui peuvent donner un avantage significatif à un parti.

Avec seulement trois dons d’un montant de 2,3 millions, 1,5 million et près d’un million d’euros respectivement, les sommes reçues par le parti d’extrême droite dépassent même celles obtenues par les libéraux.

François Hublet et Charlotte Kleine

Les partis situés à la gauche du centre reçoivent beaucoup moins de dons importants. Avec 2,6 millions d’euros, le SPD a reçu environ 11 % de tous les dons de plus de 35 000 euros depuis novembre 2024, ce qui est nettement inférieur à son score dans les sondages. Avec environ 1,3 million d’euros, l’Alliance 90/Les Verts n’a reçu que 5 % des grands dons. Le petit parti fédéraliste européen Volt a obtenu un montant à peu près équivalent grâce à un seul don d’un million d’euros, tandis que Linke et BSW ont dû se contenter d’un montant à six chiffres au cours de la campagne électorale.

4 — À peine 5 % des dons proviennent de l’est de l’Allemagne, trois Länder dominent

Trente-cinq ans après la chute du mur, on constate une nette différence dans le volume des dons entre l’Allemagne de l’Est et l’Allemagne de l’Ouest. Moins de 5 % des dons importants proviennent des Länder de l’Est. Cela peut s’expliquer par le fait que la répartition de la fortune en Allemagne reste très inégale. En 2021, les ménages est-allemands ne possédaient en moyenne que 43 % de la fortune nette d’un ménage ouest-allemand, et si l’on considère la valeur médiane, les ménages est-allemands possédaient même trois fois moins que les ménages ouest-allemands 2. En outre, les Länder de l’Est comptent moins de grandes entreprises susceptibles de faire des dons importants 3.

Deux des quatre grands donateurs est-allemands sont des entreprises de Saxe qui ont chacune donné 50 000 euros au FDP. Un entrepreneur de Saxe-Anhalt a fait deux dons de 50 000 euros à la CDU à titre individuel. Enfin, un don d’un montant de 999 990 euros à l’AfD a suscité des discussions : le donateur, un Thuringeois nommé Horst-Jan Winter, a déclaré avoir versé cette somme à titre individuel. Des doutes ont été formulés quant à la démarche de Winter, soupçonné d’être un homme de paille. Aucune personne ou entreprise issue des deux autres Länder est-allemands, le Mecklembourg-Poméranie occidentale et le Brandebourg, n’a effectué de don de plus de 35 000 euros.

Parmi les onze Länder de l’Allemagne de l’Ouest, les donateurs, qu’il s’agisse de personnes morales ou physiques, proviennent principalement de trois régions : la Bavière, la Rhénanie-du-Nord-Westphalie et la Hesse. La Rhénanie-du-Nord-Westphalie abrite la région industrielle de la Ruhr, tandis que la Hesse accueille de nombreuses entreprises pharmaceutiques et chimiques. En outre, les centres économiques de la Bavière et de la Hesse, Munich et Francfort-sur-le-Main, jouent un rôle économique de premier plan. Munich n’est pas seulement une place financière et technologique importante, mais aussi le siège de nombreux groupes du DAX, principal indice boursier allemand. Quant à Francfort-sur-le-Main, siège de la Banque centrale européenne et plus grande place boursière du pays, elle est un carrefour central de l’économie allemande et européenne. Cette concentration économique se reflète directement dans la répartition des dons.

5 — Près d’un cinquième de tous les dons proviennent d’Autriche

Contrairement à la plupart des autres États membres de l’Union, l’Allemagne autorise les dons directs en provenance de l’étranger à condition qu’ils proviennent de citoyens de l’Union — indépendamment de leur lieu de résidence — ou qu’ils ne dépassent pas 1 000 euros. Les entreprises dont la majorité des parts sont détenues par des citoyens européens peuvent également faire des dons sans limite de montant 4. Dans ce contexte, six dons importants en provenance d’Autriche se distinguent en 2024-2025. Le don le plus discuté par l’opinion publique est celui de l’ancien membre du FPÖ Gerhard Dingler, qui a versé 2,3 millions d’euros en nature (sous la forme d’affiches électorales) à l’AfD, soit le don le plus important jamais effectué dans une campagne électorale fédérale. Par ailleurs, l’entreprise de crypto-monnaies Bitpanda GmbH de Vienne a fait don de 500 000 euros à la CDU, au SPD et au FDP, et de 250 000 euros à la CSU. Une troisième personne privée résidant à Salzbourg a versé 50 000 euros à la CSU. Avec un total d’environ 4,1 millions d’euros, l’Autriche a été à l’origine de quatre fois plus de dons que tous les Länder de l’Est de l’Allemagne réunis.

Des personnes résidant en Italie, en Grande-Bretagne, en Thaïlande, en Suisse et en Afrique du Sud ont également effectué des dons importants. Il s’agit dans chacun de ces cas de ressortissants allemands résidant en dehors de la République fédérale.

Avec un total d’environ 4,1 millions d’euros, l’Autriche a été à l’origine de quatre fois plus de dons que tous les Länder de l’Est de l’Allemagne réunis.

François Hublet et Charlotte Kleine

6 — Le secteur financier est le plus représenté, suivi par l’industrie, les technologies de l’information et la gestion immobilière

En Allemagne, les particuliers comme les entreprises peuvent contribuer au financement des partis politiques. Cette année, environ 40 % des dons importants ont été effectués par des personnes morales. Cependant, une part difficile à quantifier des entreprises impliquées est contrôlée majoritairement ou exclusivement par une seule personne ou par des membres d’une famille — les sociétés civiles et les holdings ne sont pas rares parmi les entreprises donatrices. Il est donc probable qu’une part importante des dons importants résulte de la décision d’un petit nombre d’actionnaires. Les organisations patronales et les fédérations professionnelles constituent une exception importante. Elles sont responsables d’environ 5 % de tous les dons importants.

Si l’on classe chaque personne ou organisation donatrice dans son secteur économique principal, un petit nombre de branches économiques apparaissent dominantes. Les personnes et les entreprises issues du secteur des services financiers et des assurances constituent les donateurs les plus importants avec 19 % du total, dont plus de 80 % bénéficient aux partis de centre-droit. L’industrie arrive en deuxième position avec 17 % des dons importants et une distribution encore plus favorable au centre-droit. Le secteur de l’information et de la communication, qui comprend également l’industrie logicielle, et le secteur de l’immobilier et du logement occupent la 3e et la 4e place avec respectivement 14 % et 13 % des grands dons. Dans ces deux secteurs, le FDP et l’Union reçoivent une part plus faible des dons, tandis que le SPD et les Verts obtiennent davantage de fonds.

7 — Les trois grands donateurs de l’AfD

Depuis la fin de la coalition en « feux tricolores » en novembre dernier, l’AfD a reçu environ 4,8 millions d’euros sous la forme de trois donations. Le premier don, d’environ 1,5 million d’euros, a été effectué par le médecin Winfried Stöcker. Stöcker avait attiré l’attention pendant la pandémie de Coronavirus en développant son propre vaccin et en l’utilisant pour vacciner au moins 60 personnes en novembre 2021. Pour cette infraction à la loi sur les médicaments, il a été condamné en juin 2024 par le tribunal de Lübeck à une amende de 250 000 euros. Lors du procès, Stöcker a été représenté par l’avocat et vice-président du Bundestag Wolfgang Kubicki (FDP). Stöcker a lui-même été membre du FDP pendant une courte période (2018-2020). Par ailleurs, il s’est fait remarquer à plusieurs reprises pour des propos racistes. En 2015, il avait appelé sur son blog à « renverser » Angela Merkel 5 et, en 2017, avait demandé à ses collègues d’avoir plus d’enfants afin de « contrer » la migration 6.

Le 23 janvier, l’AfD a reçu un nouveau don important d’un montant de 999 990 euros. Le donateur est Horst-Jan Winter, qui était alors encore membre du conseil d’administration de Böttcher AG, une entreprise de fournitures de bureau. Après la publication du don, l’entreprise a cependant pris ses distances avec le donateur et le président de l’entreprise, Udo Böttcher, a demandé à Winter de démissionner de son mandat. Selon Winter, il s’agissait d’un don purement privé. Mais Horst-Jan Wintner a été accusé d’être un prête-nom, Udo Böttcher ayant versé ces dernières années plus de deux millions d’euros de sa fortune personnelle à Horst-Jan Winter, arguant d’une grave maladie. S’il s’agissait d’un don indirect, la manœuvre serait illégale, car pour les dons importants le donateur doit être identifiable. Böttcher conteste cette accusation et a exigé de Winter le remboursement de l’argent qu’il lui a versé dans un délai d’une semaine, menaçant de porter plainte à l’expiration de ce délai. On ne sait pas pour l’instant si l’argent a été remboursé. Deux particuliers ainsi que la députée (Die Linke) Martina Renner ont également porté plainte, raison pour laquelle le parquet de Mühlhausen enquête désormais pour savoir si Winter est intervenu comme homme de paille 7.

Depuis la fin de la coalition en « feux tricolores » en novembre dernier, l’AfD a reçu environ 4,8 millions d’euros sous la forme de trois donations.

François Hublet et Charlotte Kleine

Le don le plus récent et le plus important est venu d’Autriche sous la forme d’un don en nature : 2,35 millions d’euros pour 6 395 affiches électorales. Le donateur est l’ancien politicien du FPÖ Gerhard Dingler qui était jusqu’en 2016 le directeur régional du FPÖ du Vorarlberg. Dans ce cas également, des soupçons se sont portés sur Dingler, car le don était signé « Club des amis et promoteurs de la paix et de la sécurité ». S’il devait s’agir de plusieurs donateurs qui ne seraient plus reconnaissables du fait du seul don de Dingler, le don serait illégal 8.

Les trois donateurs ont justifié leurs dons par le fait qu’ils partageaient les vues de l’AfD sur la guerre en Ukraine et qu’ils voulaient notamment empêcher la livraison de missiles de croisière Taurus.

8 — L’énergie éolienne vote vert, la finance et l’industrie votent noir et jaune, les organisations patronales bavaroises votent CSU

En tant que partis historiquement proches de l’économie et du patronat, le FDP et la CDU/CSU sont généralement davantage soutenus par des dons importants de l’industrie et du secteur financier. Leur orientation favorable à l’économie se reflète également au sein de leurs programmes électoraux, dans lesquels les deux partis promettent de réduire les impôts sur les entreprises, de digitaliser le service public et de réduire la bureaucratie.

Des intérêts sectoriels plus étroits influencent aussi le comportement en matière de dons : Ainsi, sur un total de 16 dons importants aux Verts, quatre proviennent de personnes ou d’entreprises du secteur de l’énergie éolienne. Quant à la CSU bavaroise, elle a été soutenue par des représentants d’intérêts régionaux : le parti a reçu plus de 600 000 euros grâce à deux dons importants de l’association de l’industrie métallurgique et électrique bavaroise (vbm). La fédération patronale bavaroise a certes également fait des dons au FDP, aux Électeurs libres et au SPD, mais leurs montants, qui n’ont pas dépassé 117 000 euros, étaient nettement inférieurs à ceux versés à la CSU.

Une série de groupes d’intérêts et d’entreprises ont versé des sommes importantes aussi bien à l’Union et au FDP qu’au SPD. L’entreprise de crypto-monnaies viennoise Bitpanda, déjà mentionnée, le groupe Viessmann, l’Association de l’Industrie chimique et la Deutsche Vermögensberatung Aktiengesellschaft (DVAG) font partie de cette catégorie. L’entrepreneur et ancien politicien du SPD Harald Christ, devenu membre du FDP en 2020, a lui aussi fait quatre dons au total aux Verts, au SPD, au FDP et à la CDU.

9 — Les 500 Allemands les plus riches et leurs entreprises fournissent 30 % des dons importants

Si l’on compare la liste des donateurs avec la liste des 500 Allemands les plus riches publiée par le Manager Magazin en 2024, on constate des recoupements dans environ un tiers des cas. Alors que l’on peut supposer une décision individuelle directe dans le cas de dons directs de particuliers et de holdings connues, il n’est pas possible de déterminer le degré de participation des familles concernées dans le cas des plus grandes entreprises.

En raison du montant relativement modeste des dons par rapport à leur fortune totale, les familles allemandes les plus riches ne dominent pas massivement le financement des campagnes électorales.

François Hublet et Charlotte Kleine

Si l’on part du principe d’une participation au moins indirecte, on peut attribuer environ 30 % du volume total des dons importants (environ 6,7 millions d’euros) à des personnes figurant dans le classement du Manager Magazin — soit cinq fois plus que la somme des dons de toutes les associations patronales réunies. Il est toutefois frappant de constater que les familles en tête du classement ont dans ce domaine une activité proportionnellement moins importante que d’autres personnes dont la fortune est légèrement plus faible. Le donateur individuel le plus riche de la campagne électorale est sans doute Stefan Quandt, actionnaire de BMW et deuxième homme le plus riche d’Allemagne, qui a fait don de 200 000 euros à la CDU une dizaine de jours avant le scrutin. Selon le Manager Magazin, sa fortune totale se chiffre à environ 34 milliards d’euros. Rapporté au patrimoine moyen d’un ménage allemand (106 600 euros), son don correspond à un don de seulement 62 centimes d’euro. Comparativement, les deux dons de l’ancien patron de Rimowa, Dieter Morszeck, qui a versé au total un million d’euros au FDP, sont plus significatifs. Avec une fortune estimée à environ 500 millions d’euros, sa donation est l’équivalent d’un don de 213 euros pour un ménage moyen.

En raison du montant relativement modeste des dons par rapport à leur fortune totale, les familles allemandes les plus riches ne dominent pas massivement le financement des campagnes électorales. Les dons importants provenant d’un cercle d’entrepreneurs industriels et financiers multimillionnaires ainsi que de représentants d’intérêts et d’autres entreprises allemandes et étrangères continuent de dominer le classement. Dans ce contexte, il est toutefois théoriquement possible qu’à l’avenir, de très grands dons influencent de manière déterminante la campagne électorale. Elon Musk a fait un don total de 288 millions d’euros pendant la campagne électorale américaine, ce qui correspond à seulement 0,7 % de la fortune du citoyen allemand le plus fortuné.

10 — Des dons très généreux dans le contexte européen, mais sans commune mesure avec les États-Unis

Contrairement à de nombreux autres pays européens, l’Allemagne ne fixe pas de plafond pour les dons aux partis. Cette disposition conduit en particulier à des montants de dons nettement plus élevés durant les années électorales que durant les années non électorales. Entre novembre 2024 et février 2025, les dons importants ont totalisé 22,5 millions d’euros — à titre de comparaison, sur l’ensemble de l’année 2023, le montant n’était que de 8,8 millions d’euros.

Pour les montants inférieurs à 10 000 euros, le donateur peut rester anonyme s’il le souhaite. Ce montant a été abaissé de 35 000 euros à 10 000 euros par la coalition sortante. Il reste néanmoins possible de fractionner stratégiquement les dons : en effectuant plusieurs virements d’un montant de 9 999,99 euros, les donateurs peuvent préserver leur anonymat. Malgré l’abaissement du seuil à 10 000 euros, le financement des partis politiques en Allemagne reste opaque. En 2022, environ 100 millions d’euros de dons et de contributions de mandat ne pouvaient pas être clairement tracés jusqu’à leur donateur. Cette somme correspond à environ 77 % de l’ensemble des dons et contributions de l’année 9. Selon une étude internationale menée par Follow the Money en collaboration avec 24 autres médias et l’organisation non gouvernementale Lobbycontrol, l’Allemagne est ainsi l’un des États membres de l’Union européenne les moins transparents en matière de dons aux partis politiques 10.

En France, contrairement à l’Allemagne, les personnes morales n’ont pas le droit de faire des dons aux campagnes électorales et les particuliers ne peuvent pas donner plus de 4 600 euros par an à un candidat. Ces règles se reflètent dans le volume total des dons : les partis français ont reçu environ 50 millions d’euros de dons entre 2019 et 2022, alors que sur la même période, les partis allemands en ont reçu dix fois plus : 633 millions d’euros. Cela correspond à 67,5 % de toutes les donations aux partis politiques dans les 22 pays de l’Union étudiés par Follow the Money 11. L’Allemagne fait ainsi figure d’exception dans l’Union en ce qui concerne le financement des partis par des donateurs privés.

Elon Musk a fait un don total de 288 millions d’euros pendant la campagne électorale américaine, soit seulement 0,7 % de la fortune du citoyen allemand le plus fortuné.

François Hublet et Charlotte Kleine

Comparées aux élections du Congrès ou aux élections présidentielles américaines, pour lesquelles les dons dépassent largement la barre du milliard de dollars, les montants des dons aux partis allemands peuvent apparaître relativement modérés. On constate toutefois une nette augmentation du volume total des dons au fil des décennies. Au cours de l’année électorale 2009, les partis avaient reçu au total 6,5 millions d’euros de dons importants. En 2021, ce chiffre était déjà de 13,5 millions d’euros 12. Au cours de la campagne électorale actuelle, et même si le seuil de déclaration obligatoire a été entre-temps abaissé, le volume des dons a donc presque doublé.

Sources
  1. T-Online, Kölner spendet Millionensumme an SPD, 10 février 2025.
  2. Bundesagentur für politische Bildung, Sozialbericht 2024, p. 222.
  3. Si l’on exclut Berlin, aucun groupe du DAX n’est implanté en Allemagne de l’Est. Voir par exemple Statista, Anzahl der DAX, MDAX und SDAX-Unternehmen nach Bundesländern im Jahr 2025.
  4. C’est ce que prévoit l’article 25 de la loi sur les partis politiques.
  5. Wilfried Stöcker, Aufruf zum Sturz der Kanzlerin Merkel, billet de blog, 11 décembre 2015.
  6. Wilfried Stöcker, Weihnachtsansprache 2017, billet de blog, 21 décembre 2017.
  7. MDR Thüringen, Nach AfD-Spende aus Jena : Ex-Aufsichtsrat weist Strohmann-Vorwurf zurück, 6 février 2025.
  8. Der Spiegel, AfD ist unzufrieden mit Plakatkampagne von österreichischem Spender, 8 février 2025.
  9. J. Halbe, M. Heßlinger, T. Schober et S. Stahl, Parteigelder in Millionenhöhe ohne Nachweis, ZDF, 30 mai 2025.
  10. Follow the Money, The donors behind almost three quarters of political donations in the EU are hidden from the public. Germany’s to blame for most of it, 30 mai 2024.
  11. Timo Lange et Aurel Eschmann, Parteispenden : Deutschland ist das intransparenteste Land in Europa, Lobbycontrol, 29 mai 2024.
  12. Statista, Volumen der Großspenden an alle Parteien in Deutschland von 2008 bis 2024.