D’après plusieurs sources diplomatiques consultées par la revue, Donald Trump et son équipe seraient en train de mettre en œuvre une stratégie de consolidation du pouvoir présidentiel en ouvrant trois fronts simultanés.
L’objectif : obtenir un changement de l’équilibre du pouvoir et du fonctionnement de l’État de droit.
L’affaire TikTok met en scène une puissance exécutive techno-césariste puisant dans la légitimité populaire la force de contourner les pouvoirs législatif et judiciaire.
- Le Congrès et la Cour suprême ont voté pour l’interdiction de la plateforme, mais Donald Trump a déjà réussi à mettre en scène la suspension de cette décision en illustrant une dérive vers un exercice unilatéral du pouvoir de matrice hypnocratique : la plateforme a remercié le président pendant la cérémonie d’investiture pour avoir permis le contournement de l’interdiction, et le soutien pour le président Trump a nettement augmenté auprès des Américains âgés de moins de 30 ans.
- La loi prévoit en effet la possibilité de suspendre sa mise en œuvre pour une période allant jusqu’à 90 jours, mais uniquement si le président peut démontrer que des « progrès significatifs » ont été réalisés en vue d’une vente potentielle ou de la rupture du lien entre TikTok et ByteDance, ce qui n’est pas le cas pour le moment.
Le contournement de la Constitution sur le droit du sol repose sur une prise en tenaille de l’administration américaine et la mise en avant d’une pratique matérielle fondée sur le rapport de force plutôt que sur la loi.
- Malgré le blocage du décret présidentiel du 20 janvier changeant le droit du sol par un juge fédéral, l’administration serait en train d’intensifier la pression sur les institutions et notamment sur les fonctionnaires délivrant des passeports pour qu’ils respectent à la lettre le décret.
- Redéfinir l’accès matériel à la citoyenneté permet au président de jouer sa puissance politique contre l’inertie constitutionnelle, en suivant la théorie de Carl Schmitt.
Dans la continuité du Projet 2025, le président a fait appel à des pouvoirs d’urgence, engagé le limogeage de fonctionnaires et opère une suppression méticuleuse des gardes-fous à l’intérieur de l’administration.
- La Maison-Blanche explore de nouvelles voies pour mobiliser les pouvoirs d’urgence, cherchant à asseoir une présidence de plus en plus centralisée.
- Au cours du week-end précédent Trump a tenté de limoger au moins 17 inspecteurs généraux — une initiative recommandée par le Projet 2025 de la Heritage Foundation —, chargés de mener des audits et d’enquêter sur les actions prises par l’exécutif, sans en avoir informé le Congrès (comme requis par la loi) ni précisé les raisons.
Cette démarche s’inscrit dans une logique de changement matériel du fonctionnement de l’État.
- Selon une source diplomatique ayant une connaissance directe du dossier, les équipes de Donald Trump mobilisent un précédent historique marquant. En 1832, la Cour suprême avait statué que les lois de la Géorgie visant à s’emparer des terres Cherokees riches en or violaient les traités fédéraux.
- Le juge John Marshall, auteur de cette décision, avait suscité la colère du président Andrew Jackson, qui aurait répondu d’une manière dédaigneuse, en sous-entendant la primauté du pouvoir exécutif et militaire sur le judiciaire : « John Marshall a rendu sa décision, qu’il la fasse appliquer. »
- Le constitutionnaliste de Harvard, Adrian Vermeule, est l’un des principaux théoriciens de cette transformation. Il explique : « Compte tenu de la situation politique aux États-Unis, le moment est particulièrement opportun pour réfléchir à la manière dont l’infrastructure de l’administration présidentielle peut être orientée vers le bien commun » 1. Il continue : « Notre ordre constitutionnel non écrit et réellement opérationnel est désormais centré sur la gouvernance exécutive et l’administration présidentielle. Pour reprendre les termes de Bagehot, le Congrès est la partie “digne” de l’ordre constitutionnel restreint, le président (et dans une moindre mesure le pouvoir judiciaire) la partie “efficace” » 2.
Cette manœuvre complexe qui présente des éléments visibles et d’autres encore cachés a pour objectif de renforcer de manière radicale le pouvoir matériel du président, au détriment des contre-pouvoirs institutionnels garantis par la Constitution.
Afin de garantir à Trump une liberté d’action quasi-totale sur toutes les affaires ayant trait à l’exécutif et à l’État fédéral, ses conseillers poussent en faveur d’une application de la théorie dite de l’exécutif unitaire, qui repose sur une lecture maximaliste de l’Article II de la Constitution.
- Cette théorie a resurgi au cours des années Nixon, notamment sous l’impulsion des juristes de la Federalist Society, avant d’être mise en pratique par Ronald Reagan dans les années 1980. Afin d’exercer un contrôle plus important sur les activités des agences fédérales, ce dernier a utilisé son pouvoir exécutif (via des décrets) pour exiger que ces agences fédérales, comme l’EPA, soumettent leurs propositions de réglementations à la Maison-Blanche pour examen.
- Durant son premier mandat, Trump avait affirmé que l’Article II lui donnait le droit de « faire tout ce que je veux en tant que président ». Il pourrait aller plus loin que Reagan au cours de son second mandat, notamment en se débarrassant de certaines agences jugées « encombrantes », comme la FEMA, chargée de la gestion des situations d’urgence.
Afin de contourner davantage le Congrès, l’entourage du président explore par ailleurs des voies pour supprimer le Congressional Budget and Impoundment Control Act de 1974. Cette loi renforce le rôle du Congrès dans le processus visant à dépenser les crédits alloués dans le cadre de législations et établit des procédures destinées à empêcher le président de bloquer ou de retarder l’allocation de financements.
- Suite à l’élection de Trump, le contributeur au Projet 2025 et directeur du Bureau de la gestion et du budget de Trump, Russell Vought, écrivait : « Forte de cette victoire, la nouvelle administration doit agir rapidement et de manière décisive pour renverser la vapeur face à la gauche. Pour ce faire, nous devons armer le président de tous les pouvoirs constitutionnels à sa disposition. Ces pouvoirs comprennent la saisie, que nous avons défendue, qui rétablirait l’autorité du président pour « saisir » les fonds inutiles du Congrès ».
- En décembre, soit avant le début du nouveau Congrès, deux républicains (le sénateur Mike Lee et le représentant Andrew Clyde) ont soumis des propositions visant à abroger la loi de 1974 afin « d’aider le président Trump dans sa lutte pour réduire les dépenses et améliorer l’efficacité du gouvernement » 3.
- L’abrogation de cette loi — toutefois peu probable en raison de la forte opposition démocrate — renverserait radicalement l’équilibre des pouvoirs à Washington, octroyant de facto à Trump un droit de veto sur toutes les dépenses du gouvernement fédéral.
Les élus fidèles souhaitent donner les moyens à Trump de faire de sa présidence l’une des plus transformatrices de l’histoire des États-Unis, notamment en le faisant rejoindre Franklin Delano Roosevelt parmi les présidents ayant exercé plus de deux mandats. Jeudi 23 janvier, Andy Ogles, élu trumpiste à la Chambre des représentants, a annoncé avoir introduit une résolution commune visant à modifier le 22ᵉ amendement de la Constitution, ratifié en 1951, qui impose une limite de deux mandats aux présidents américains.
Sources
- Adrian Vermeule et Conor Casey, Common Good Presidential Administration. The Public Interest State Beyond Technocracy, The New Digest, 7 janvier 2025.
- Publication d’Adrian Vermeule sur X, 22 janvier 2025.
- Lee Introduces Bill to Repeal the Impoundment Control Act, 16 décembre 2024.