L’an dernier, plus de 80 000 migrants ont été expulsés de force de Russie pour avoir « violé les règles migratoires », soit deux fois plus qu’en 2023 (44 200 personnes) et trois fois plus qu’en 2022 (26 600) 1. Entre 2017 et 2022, environ 33 000 migrants par an étaient expulsés de Russie.

Qu’est-ce qui explique cette soudaine augmentation ?

  • L’attentat du Crocus City Hall de mars 2024, qui a provoqué la mort de près de 150 personnes et plus de 550 blessés, a conduit à une augmentation significative du nombre de « descentes » visant à détenir puis expulser des travailleurs étrangers. Ces raids ont lieu la plupart du temps dans des dortoirs et usines.
  • Les ressortissants d’Asie centrale, et notamment du Tadjikistan, figurent parmi les plus ciblés par ces déportations, bien que le Service fédéral des huissiers de justice (FSSP) n’ait pas publié le détail des nationalités concernées. Les enquêteurs russes affirment que l’attaque a été perpétrée par quatre hommes de nationalité tadjike.
  • Afin de lutter « contre l’immigration clandestine et notamment de réprimer les activités des groupes criminels organisés », la Russie mène chaque année une grande opération de déportation, appelée l’an dernier « Opération Illégal – 2024 » (Oперации Нелегал – 2024) 2. Plusieurs milliers de migrants, pour la plupart des travailleurs, y sont déportés par vague.

Le durcissement de la politique migratoire russe va franchir une nouvelle étape en février 2025, lorsqu’une nouvelle loi signée par Vladimir Poutine en août 2024 entrera en vigueur. Celle-ci permettra aux agents de police d’expulser eux-mêmes des migrants clandestins, court-circuitant les gardes-frontières ainsi que les tribunaux qui sont, pour l’heure, les seuls habilités à expulser des personnes du pays 3.

Au-delà d’un enjeu sécuritaire fixé par le pouvoir, la lutte contre la migration s’adresse principalement à la population russe.

  • Selon des sources proches du Kremlin qui se sont confiées à la Deutsche Welle, les autorités russes « se concentrent délibérément sur la lutte contre les migrants afin de détourner l’attention de la société russe d’autres problèmes, notamment de la hausse des prix et de la guerre d’agression en Ukraine » 4.
  • Les données officielles russes indiquent que les prix alimentaires ont explosé en 2024 : + 73 % pour les pommes de terre, + 30 % pour le beurre, + 12,5 % pour le pain… Dans certaines enseignes du groupe Kirovsky (Кировский), la plus grande chaîne de supermarché d’Ekaterinbourg, dans l’oblast de Sverdlovsk, le beurre est vendu depuis plus d’un an dans des « étuis de protection » afin de dissuader les voleurs.
  • La guerre en Ukraine à grande échelle, qui dure depuis bientôt trois ans, alimente quant à elle une « bombe à retardement démographique » en Russie : l’état-major ukrainien estime que plus de 800 000 combattants russes ont été tués ou blessés en Ukraine depuis février 2022 5.

Afin de tenter de compenser les pertes colossales subies par l’armée en Ukraine, Poutine encourage les familles russes à faire plus d’enfants pour « assurer la survie ethnique de la nation » 6. Depuis 2022, la Russie se vide progressivement de sa population étrangère : 6,1 millions d’étrangers y vivaient en septembre 2024, contre 8,5 millions en 2023, selon le ministère de l’Intérieur russe.