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Cela faisait plus d’un an que Jean-Marie Le Pen se taisait. Retranché dans sa résidence de Rueil-Malmaison, il continuait de recevoir quelques visiteurs  : sa famille et ses derniers fidèles. Cependant, il avait cessé de prendre la parole publiquement. Le dernier épisode de son journal de bord — ces vidéos qu’il publiait en ligne pour livrer ses analyses de l’actualité, souvent émaillées de propos aux relents racistes ou antisémites — remontait au 28 juin 2023 1.

Affaibli et vieillissant, le président historique du Front national s’était réconcilié avec sa fille Marine, elle qui l’avait exclu du parti en 2015 après une nouvelle sortie négationniste. Ce rapprochement laissait penser qu’il avait choisi de ne plus se mettre en travers des ambitions de son héritière en rappelant crûment quel avait été le creuset idéologique du Rassemblement national. 

Pourtant, le 28 septembre 2024, un peu plus de trois mois avant sa mort, il était filmé en compagnie de membres de Blood and Honour, un réseau européen de promotion de musique néo-nazi. Vêtu d’un col-roulé rouge, le vieil homme chante une chanson paillarde, hilare, avant d’écouter une ode à sa gloire composée par certains des skinheads. Et qu’importe que ses avocats l’aient dit trop malade pour comparaître au procès qui lui était intenté, ainsi qu’à un grand nombre de cadres du RN, dans l’affaire des assistants parlementaires du Front national au Parlement européen  ! Quels que soient les risques pour lui, sa famille ou sa formation politique, Jean-Marie Le Pen était incapable de garder le silence. Jusqu’au bout, il a voulu faire entendre sa voix et montrer qu’il était le grand homme de l’extrême droite — de toutes les extrêmes droites. 

Au moment de sa mort, cette constance militante, qui couvre presque trois quarts de siècle, est saillante. Elle est l’essence de Jean-Marie Le Pen. Si l’homme a toujours été d’extrême droite, il n’a jamais été un doctrinaire. Il ne laisse pas derrière lui un legs théorique cohérent ou structuré. Loin d’être une faiblesse, sa plasticité idéologique lui a permis de durer, et, progressivement, de dominer sa famille politique : il a su, tout au long de sa carrière, naviguer parmi les nombreuses tendances qui ont constitué, des années 1950 à aujourd’hui, la nébuleuse de l’extrême droite. Identitaires, nationalistes, catholiques traditionalistes, néopaïens, nostalgiques de l’Algérie française, ou fascistes, Jean-Marie Le Pen s’est adressé à tous ces courants, sans jamais se laisser enfermer par l’un d’entre eux — convaincu qu’il était la seule incarnation de ce qu’il appelait le « camp national ». De ce point de vue, il est un véritable carrefour des anti-Lumières, qui n’ont pas désarmé au XXe siècle 2. Mais l’histoire d’un mouvement politique ne se réduit jamais à un seul homme. Pourtant, sa figure n’en demeure pas moins incontournable pour comprendre le phénomène, tant il a marqué de son empreinte l’évolution de l’extrême droite en France.

La constance définit sa vie politique, tout comme sa violence. Qu’elle soit verbale ou physique, celle-ci fut omniprésente dans la carrière d’un homme qui la considérait comme un outil légitime pour s’imposer, marquer les esprits ou jeter ses adversaires à la vindicte. Au moment de sa mort, il faudra prendre garde à ne pas se laisser avoir par le folklore du « Menhir », le surnom que lui donnent ses soutiens, ses adversaires et certains commentateurs. Le souvenir de sa gouaille ou de sa manière de transformer la politique en spectacle pourraient finir par construire une image rétrospective qui occulterait la brutalité de ses idées et de ses méthodes. Au moment où le Rassemblement national est aux portes du pouvoir, certains seront peut-être tentés de dédiaboliser la mémoire de celui qui a dirigé le parti pendant près de quarante ans. Il ne faudra jamais oublier que, chez lui, la violence n’était pas seulement un effet de style mais un principe d’action. 

Mais Jean-Marie Le Pen ne fut pas seulement une brute. Il était aussi un stratège redoutable, un ambitieux impitoyable qui a su devenir le chef du premier parti d’extrême droite à s’imposer durablement en France, après la Seconde Guerre mondiale. 

Avec lui meurt le dernier député de la IVe République. Mais c’est surtout un antimonument de la Ve République qui s’éteint. Antimonument, car sa longévité lui donne une place à part dans l’histoire d’un régime où il s’est toujours défini par ses refus et par ses haines. Refus du général de Gaulle, qu’il voyait comme un traître à tous les idéaux qu’il prétendait défendre. Refus de toute idée de progrès démocratique ou social. Refus du libéralisme politique, auquel il préférait un populisme charismatique qui aurait fait de lui la seule voix de la nation. Haine des étrangers, des juifs, des élites, des gauches, toujours ramenées au spectre communiste, mais aussi de la construction européenne. Autour de ces refus et de ces haines s’est fédéré un militantisme nostalgique — celui de l’Empire colonial, dont il n’a jamais accepté la fin  ; de Vichy qu’il n’a jamais cessé de réhabiliter, tout en ne cessant de s’entourer d’hommes qui avaient dédié leur vie à ce régime et à sa mémoire  ; enfin, d’une France au passé idéalisé, blanche, catholique, et patriarcale. 

Il a aussi été l’homme d’une conviction obsessionnelle  : l’union des extrêmes droites n’était que le préalable à une union large des droites, qui passerait nécessairement par la liquidation de l’héritage gaulliste. Pour y parvenir, il a multiplié les provocations brutales, les revirements, nombreux en matière économique notamment. Mais si le Front national a connu une immense progression sous sa houlette — des marges absolues de la vie politique française au second tour de l’élection présidentielle — il n’avait pas atteint cet objectif au moment de passer la main à sa fille Marine. 

Au moment de sa disparition se pose la question de son héritage politique. Alors que le parti a obtenu plus de dix millions de voix lors des deux tours des élections législatives de 2024. En saisir les contours, c’est raconter une part importante de l’histoire de l’extrême droite en France, mais aussi en Europe de l’Ouest. Mais après sa mort, Jean-Marie Le Pen est-il toujours une part de son avenir  ?

De la Bretagne à Assas  : mythes et réalités d’une éducation nationaliste

« Mon père était marin-pêcheur et mon grand-père aussi, qui avait fait, à vingt ans, dans l’océan Indien, la campagne de Madagascar. Quand je fus assez grand pour attraper un livre sur la plus haute étagère du buffet qui servait à mon père de bibliothèque, je lus Pêcheur d’Islande. Loti y voisinait avec Hugo et Alexandre Dumas, les romanciers du peuple. » 3

Dans tous ses textes autobiographiques, mais aussi dans ses entretiens, Jean-Marie Le Pen rappelle inlassablement cette ascendance. Il s’agissait, bien sûr, de se présenter comme un fils du peuple, un héritier des traditions populaires et des métiers rudes. Le titre du premier tome de ses mémoires, Fils de la nation, en est une illustration directe, insistant sur la dureté des conditions de vie des marins-pêcheurs et, par extension, sur sa filiation avec la France laborieuse. 

En vérité, Jean Le Pen (1901-1942) était un petit patron, propriétaire de son chalutier. Il était également conseiller municipal, et président de la section locale de l’UNC, une association d’anciens combattants plutôt ancrée à droite. La famille appartient à la petite classe moyenne et Jean-Marie Le Pen se voit encourager à poursuivre son parcours académique jusqu’au baccalauréat. 

Mais l’évocation de cette ascendance a aussi une fonction politique, enraciner son histoire personnelle dans un territoire : la Bretagne. Dans ses mémoires, son enfance est indissociable de cette région, de l’océan, où son père a trouvé la mort en 1942, lorsqu’il remonte une mine allemande dans l’un de ses filets de pêche, mais aussi d’une éducation encadrée par deux pôles  : l’église et l’école 4. La Bretagne qu’il décrit n’est pas seulement un lieu, mais un symbole : celui d’un monde ancien, préservé de ce que la modernité peut avoir de délétère, où la hiérarchie sociale, le labeur, et les valeurs conservatrices tenaient encore leur place. 

Jean-Marie Le Pen a quatorze ans à la disparition de son père. Les circonstances de sa mort font de lui un « pupille de la nation ». Si la situation économique de la famille est dégradée, ce statut garantit que les frais de base de ses études seront payés. En matière d’éducation, et quoique la famille soit catholique, il n’y a pas de ligne claire entre enseignement laïc et religieux  : Jean-Marie Le Pen a fréquenté l’école communale, le collège (jésuite) Saint-François-Xavier de Vannes, puis plusieurs lycées en Bretagne et à Saint-Germain-en-Laye où il passe son baccalauréat en 1947. Il a plusieurs fois décrit les lectures qui avaient été les siennes pendant ces années d’enfance et d’adolescence. Ce sont les classiques qui, sous la Troisième République, sont largement diffusés auprès du lectorat bourgeois  : les poètes romantiques, des romanciers comme Balzac et Stendhal et « surtout Alexandre Dumas » 5. Il dit aussi avoir aimé les récits qui mettent en scène l’aventure coloniale ou aéronautique  : Mermoz ou Brazza font partie de son panthéon, et l’idée d’un empire français semble l’avoir séduit très tôt. De ces lectures de jeunesse, il paraît donc avoir été marqué par les ouvrages qui mettent en scène l’archétype du héros charismatique né dans la littérature populaire du milieu du XIXe siècle  : c’est parce que le lecteur ne ressemble pas aux protagonistes dont il découvre les péripéties qu’il est enthousiasmé 6. Finalement, il ne fait pas de référence à la littérature contre-révolutionnaire, abondante dans les bibliothèques paroissiales et celles des écoles libres à l’époque, ou à l’historiographie capétienne, ce courant proche de l’Action française qui triomphe aux éditions Fayard dans l’entre-deux-guerres. Si l’on excepte une remarque sur le débarquement de l’armée des émigrés à Quiberon, en 1795, qui se solda par l’exécution des prisonniers, Le Pen n’a pas vraiment été marqué par la culture contre-révolutionnaire de l’Ouest.

À la fin de la guerre, Jean-Marie Le Pen semble avoir voulu s’engager dans les Forces françaises de l’intérieur, mais il en est écarté en raison de son jeune âge. S’il est difficile de savoir comment il a réellement vécu la fin du conflit, ce moment devient dans ses mémoires l’occasion d’une longue digression. Il y dénonce avec véhémence l’épuration, selon lui uniquement menée par les communistes, avec la complicité des gaullistes, et il se livre à un vibrant apologue de la politique du maréchal Pétain. Selon lui, le régime de Vichy, légal et légitime, aurait agi comme un « bouclier » pour protéger la communauté nationale. Il accuse de Gaulle d’avoir orchestré l’humiliation de Pétain après la guerre pour mieux asseoir sa propre grandeur. Ce révisionnisme pétainiste, combiné à un antigaullisme obsessionnel, illustre comment Le Pen, en mémorialiste, reste fidèle aux combats idéologiques de toute sa vie. Pourtant, il est peu probable que ses positions politiques aient été aussi claires à l’époque, à seulement 16 ans. Il admet d’ailleurs lui-même avoir brièvement envisagé d’adhérer au Parti communiste.. 

En 1948, il s’inscrit à la faculté de droit à Paris. Pour compléter sa bourse, il doit faire de petits boulots, qui nourriront sa légende d’authentique tribun du peuple — le titre du second tome de ses Mémoires. Jean-Marie Le Pen trouve surtout un exutoire et une véritable vocation dans les activités para-universitaires 7. En 1949, il devient président de l’Association corporative des étudiants en droit (la « Corpo » de droit), destinée à soutenir et représenter les étudiants de la discipline. Politiquement, cette organisation n’est pas neutre. Elle a été fondée en 1909 après une importante mobilisation des étudiants de droit contre Charles Lyon-Caen, doyen de la Faculté. Très vite, ce mouvement avait été capté et animé par l’Action française, qui hait le « doyen juif » 8. La Corpo est marquée par cet engagement initial et reste proche du mouvement royaliste jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Quelques années après la fin du conflit, cet héritage y reste bien vivant. C’est là que s’affirme l’anticommunisme de Jean-Marie Le Pen, l’un des traits les plus marqués de son profil politique. C’est aussi par ce groupe qu’il commence à fréquenter des étudiants maurrassiens — sans jamais adhérer au royalisme 9. Deux choses sont néanmoins marquantes dans ses premières sociabilités politiques. D’une part, alors même que la droite est très affaiblie dans la jeune Quatrième République, Jean-Marie Le Pen s’oriente très tôt vers ses marges les plus radicales. D’autre part, il comprend tôt que l’anticommunisme est un point d’accord idéologique pour toutes les droites — un moyen possible de sortir ses franges les plus extrêmes de l’isolement où l’ont plongé l’effondrement du régime de Vichy et l’épuration.

Mais la Corpo n’est pas seulement un lieu de formation politique. À travers cet engagement, il se découvre et développe des forces. Si Le Pen échoue à devenir avocat, la Corpo lui offre une première scène pour affirmer son goût pour la prise de parole publique et de la provocation. Dans cet environnement, il apprend à réunir, contrôler et mobiliser des groupes, à se poser en porte-parole, et à donner une portée collective à ses ambitions personnelles. En somme, la Corpo est la première expérience militante de Jean-Marie Le Pen. C’est aussi pour cela qu’elle a acquis une telle importance rétrospective dans ses récits autobiographiques. 

En 1953, il obtient finalement sa licence en droit, après avoir redoublé plusieurs années. Quelques semaines plus tard, il s’engage dans les parachutistes. 

Une entrée dans le monde  : l’Empire et la politique

Toute sa carrière, Jean-Marie Le Pen s’est posé en défenseur acharné de l’Empire français, exaltant sa prétendue mission civilisatrice et dénonçant avec virulence ceux qu’il considérait comme responsables de son abandon : les communistes, les socialistes et les gaullistes. Ce discours, omniprésent dans sa rhétorique, trouve ses racines dans une fascination profonde pour la grandeur passée de la France coloniale. Après ses études, alors que la guerre d’Indochine est présentée comme un rempart contre l’expansion du communisme, il décide de s’engager dans les parachutistes, un choix qui mêle patriotisme revendiqué et goût pour l’aventure militaire. En 1954, il s’embarque pour l’Asie mais arrive trop tard pour participer aux combats décisifs, notamment à Dien Bien Phû. Jean-Marie Le Pen en Indochine, c’est un peu Fabrice à Waterloo  : il est le spectateur impuissant d’un Empire vacillant. 

Pourtant, ces quelques mois en contact avec l’Indochine et ce qu’il reste de l’Empire français le fascinent. Il y découvre un monde qui incarne pour lui la grandeur et l’ordre colonial qu’il vénère, tout en étant convaincu d’avoir saisi les causes de son effondrement qu’il attribue à la contagion des idées communistes et aux renoncements d’une métropole indifférente. La chute de l’Indochine, qu’il vit comme une humiliation personnelle, le marque durablement. Elle renforce sa conviction que toute nouvelle reculade, où qu’elle soit, doit être combattue avec la dernière énergie. Préserver ce qu’il reste de l’Empire passera autant par la guerre que par la politique. 

De retour en France, il se rapproche d’abord du Centre national des indépendants et paysans (CNIP) — le point de rencontre des droites non-gaullistes sous la Quatrième République — avant de rejoindre le mouvement poujadiste, alors en pleine expansion. Ce courant politique a émergé en juillet 1953 à Saint-Céré, dans le Lot, à partir de la révolte de commerçants et artisans contre les contrôles fiscaux. Initié par Pierre Poujade, un papetier-libraire, le mouvement s’organise rapidement autour de l’Union de défense des commerçants et artisans (UDCA), un syndicat créé en novembre 1953. D’abord circonscrit au Sud-Ouest, il s’étend progressivement à une vingtaine de départements en 1954, puis à l’ensemble du territoire français en 1955. À travers des oppositions spectaculaires à des contrôles fiscaux et une organisation méthodique par comités locaux, cantonaux et départementaux, l’UDCA fédère un large réseau militant, atteignant près de 360 000 adhérents en 1955 10. Le poujadisme s’appuie sur un programme antifiscal et corporatiste, qui mobilise principalement les petits commerçants et artisans ressentant un déclassement économique et social dans l’après-guerre. S’inscrivant dans la continuité des droites contestataires de la Troisième République, il exprime la nostalgie pour une France traditionnelle et rurale, ainsi que le rejet des élites corrompues. 

Poujade est devenu une figure nationale lorsque Le Pen, alors âgé de 27 ans, le rencontre. Son profil d’ancien parachutiste apporte une caution nationaliste et patriote au mouvement, en lui permettant d’élargir sa plateforme politique à la défense de l’Empire. Les élections législatives de janvier 1956, convoquées après la dissolution de l’Assemblée, donnent un débouché inattendu à cette rencontre. Lors de sa campagne, Le Pen adopte un ton martial, et se présente en nationaliste enragé, comme en témoigne le plus vieil enregistrement disponible de sa carrière politique : « Français et Françaises de moins de 30 ans, c’est à vous que je m’adresse. (…) Par l’union, nous pouvons chasser tous les dirigeants corrompus et incapables. Fraternellement unis, votez tous, Français, le 2 janvier, pour les listes présentées par le mouvement Poujade. » 11 En janvier 1956, Jean-Marie Le Pen est élu député, l’un des plus jeunes de la législature. Il s’est aussi imposé comme l’une des personnalités du mouvement, ayant soutenu nombre de candidats en province. 

Quelques semaines après son élection, le 6 février, Guy Mollet, le nouveau Président du Conseil, est très mal accueilli par la population européenne d’Alger. Alors que le conflit algérien s’intensifie, il continue d’éprouver ses capacités d’orateur en défendant inlassablement la cause de l’empire. Il reprend à son compte la rhétorique antisémite et complotiste de Poujade, qui, depuis ses débuts, dénonce des élites politiques soumises à la finance internationale et aux intérêts apatrides. Celles-ci sont désormais aussi accusées de brader les colonies 12. Pierre Mendès France, qui a mis fin à la guerre d’Indochine, est, par exemple, sans cesse ramené à ses origines juives  :  à Marseille, le 26 juin 1956, Le Pen proclame : « Le mot empire a encore une signification pour les braves gens et je dis à Mendès France qu’il ne faut pas brader un pays comme on vend des tapis. » Ce discours, qui associe l’abandon de l’Empire à une trahison nationale orchestrée par des élites cosmopolites, devient l’un des piliers de son discours. 

Cependant le passage de Jean-Marie Le Pen au sein du mouvement poujadiste est de courte durée. Il commence rapidement à s’éloigner du fondateur, jusqu’à rompre en 1957 pour se rapprocher à nouveau du CNIP. Et surtout, en octobre 1956, Le Pen obtient l’autorisation de quitter l’Assemblée pour six mois afin de rejoindre son unité en Algérie  : le premier régiment étranger de parachutistes (REP) où il sert en tant que lieutenant. Avec son unité, il participe à l’intervention conjointe de la France, de la Grande-Bretagne et d’Israël à Suez. La décision des dirigeants franco-britanniques d’abandonner leurs positions sous la pression des États-Unis et de l’Union soviétique lui apparaît comme un nouveau renoncement. Il arrive ensuite à Alger où son régiment est déployé dans le cadre de l’immense opération de répression qu’y dirige le général Massu. Cette période marque un véritable basculement dans l’usage de la torture en Algérie. Si le phénomène avait toujours été une composante de l’ordre colonial, l’intensification de la lutte contre le FLN et l’extension croissante des pouvoirs de l’armée font qu’il est désormais érigé en système 13

Officier de renseignements, Jean-Marie Le Pen a torturé en Algérie. Dès 1962, l’historien Pierre Vidal-Naquet, qui s’appuie sur des rapports de police, établit que Le Pen a personnellement participé à des actes de torture 14. Ces accusations sont initialement confirmées par Le Pen lui-même. Dans un entretien à Combat, en novembre 1962, il déclare ouvertement  : « Nous avons torturé parce qu’il fallait le faire ». Il accuse même ceux qui s’y refusent d’être responsables des morts qu’ils auraient pu empêcher. Toutefois, avec le temps, il revient sur ses propos, niant que les méthodes utilisées dans les unités qu’il dirigeait puissent être assimilées à de la torture et prétendant avoir dit « nous » pour s’exprimer au nom de l’armée française. Au fil des années, alors que des témoignages de victimes et de témoins s’accumulent, Le Pen change de stratégie et dénonce un complot politique, qualifiant ces accusations de manœuvres orchestrées par ses adversaires 15

À son retour en métropole, Jean-Marie Le Pen retrouve son siège à l’Assemblée nationale où il soutient absolument la répression en Algérie. En 1957, il cofonde le Front national des combattants (FNC) — imposant ce nom de « Front national » — et adopte un emblème inspiré du premier REP. Il acquiert une certaine notoriété grâce à son retour dans l’armée, son intransigeance nationaliste et son sens de l’insulte et de la provocation. Le 11 février 1958, au cours d’un débat sur le bombardement de Sakiet Sidi Youssef, un village tunisien présenté comme un camp d’entraînement du FLN, il s’en prend à nouveau Pierre Mendès-France  : « Monsieur Mendès France, vous cristallisez sur votre personnage un certain nombre de répulsions patriotiques, presque physiques ». Depuis la campagne législative de 1956, Jean-Marie Le Pen maîtrise parfaitement les codes de la rhétorique antisémite. 

Alors que la guerre d’Algérie menace de s’étendre en métropole, la Quatrième République s’effondre 16. Initialement prudent, il s’abstient de voter les pleins pouvoirs à de Gaulle et adopte une position attentiste. Le poujadisme s’étant effondré, il est réélu député de Paris en 1958, en tant qu’apparenté au CNIP. L’évolution du général de Gaulle vers la politique d’autodétermination pour l’Algérie provoque son basculement. Jean-Marie Le Pen est alors l’un des plus ardents défenseurs de l’Algérie française à l’Assemblée nationale. Il prend publiquement parti pour l’OAS, et soutient des figures comme Pierre Lagaillarde, instigateur de la « semaine des barricades ». Il ne bascule pas lui-même dans l’illégalité — une singularité de son parcours à une époque où nombre de groupuscules d’extrême droite finissent par favoriser la lutte violente et clandestine. 

La défense radicale de l’Algérie française et son corollaire, l’antigaullisme, laissent une trace indélébile dans les engagements politiques ultérieurs de Jean-Marie Le Pen, constituant l’une de ses principales boussoles — auxquelles s’ajoute bientôt l’apologie du pétainisme. Cette stratégie lui coûte électoralement. En 1962, après la dissolution décidée par de Gaulle, il est battu à Paris, par un gaulliste, René Capitant. Plus généralement, le combat pour l’Algérie française, marqué par la stratégie de terreur déployée par l’OAS, marginalise les mouvements et les figures d’extrême droite qui se sont engagés à plein dans ce combat. Chez les gaullistes, elle réactive la mémoire de la Seconde Guerre mondiale pour isoler politiquement les nostalgiques de Vichy et de l’Empire. Ce sont eux que Jean-Marie Le Pen s’emploiera à réunir à partir des années 1970.

Dans l’immediat, s’il ne renonce en rien à la politique, il diversifie ses activités et fonde la Société d’études et de relations publiques (Serp), présentée comme « une maison d’édition de disques pédagogiques ». Parmi ses associés, on trouve notamment l’ancien Waffen SS Léon Gaultier. Le catalogue, qui contient notamment des chants du Troisième Reich, lui vaut quelques condamnations, notamment pour la publication de disques reproduisant une déclaration de Jean-Marie Bastien-Thiry, exécuté en 1963 pour avoir tenté d’assassiner de Gaulle au Petit Clamart, ou faisant l’éloge du maréchal Pétain. En 1962 paraît aussi un enregistrement de la plaidoirie pour la défense du général Salan 17 qu’avait prononcée Jean-Louis Tixier-Vignancour 18

Député sous la Troisième République, ce dernier avait voté les pleins pouvoirs au maréchal Pétain, avant de devenir secrétaire général adjoint à l’Information de l’État français de son gouvernement jusqu’au printemps 1941. Après avoir été arrêté par les autorités de Vichy, puis par les Allemands, il rejoint Alger et s’engage dans le corps expéditionnaire français en Italie, d’où il est rappelé par le Comité français de la Libération nationale avant d’être incarcéré. Après la guerre, il est frappé d’inéligibilité pour ses actions au début de l’Occupation. Avocat, il défend Céline, dont il obtient l’amnistie en 1951, avant de revenir en politique. Comme Jean-Marie Le Pen, il est élu en 1956, mais siège parmi les non-inscrits. Battu en 1958, il fonde deux ans plus tard le Front national pour l’Algérie française avec Jean-Marie Le Pen — un mouvement dissous par le Conseil des ministres en décembre 1960. 

Le combat acharné pour la défense de l’Empire rapproche donc les deux hommes et, en 1964, Jean-Marie Le Pen prend la tête des Comités Tixier-Vignancour dont l’ambition est de fédérer toutes les droites antigaullistes. Les anciens poujadistes et les partisans de l’Algérie française forment les gros bataillons de ce mouvement dans lequel il occupe une position centrale. En mars 1965, les listes parrainées par Tixier-Vignancour obtiennent près de 9 % des voix à Paris, ce qui est interprété comme le signe d’une demande politique. À l’automne, Le Pen devient son directeur de campagne pendant l’élection présidentielle. C’est une expérience marquante, mais frustrante car sa candidature n’obtient qu’une quatrième place et un score décevant au regard des ambitions qu’il affichait  : 5,2 % des suffrages exprimés. Il est particulièrement performant à Paris, où existe une tradition nationaliste qui remonte à la crise boulangiste et à l’affaire Dreyfus, et surtout dans le Sud-Est de la France où vivent une grande majorité des rapatriés d’Algérie 19. Si la capitale cesse d’être un territoire important dans les années 1980, lorsque commence à décliner la part du vote bourgeois pour le FN, le Sud est resté un bastion qui s’adapte aux évolutions du parti, tout en permettant de mesurer la persistance des motivations xénophobes dans les déterminants du vote des électeurs du parti d’extrême droite 20

Le choix de Jean-Louis Tixier-Vignancour d’appeler à voter François Mitterrand au second tour de l’élection de 1965 est vécu comme une trahison par Jean-Marie Le Pen, par ailleurs convaincu qu’il aurait fait un meilleur score s’il avait été le candidat. Cette première expérience nationale reste néanmoins marquante dans sa carrière. En plus de lui avoir permis d’éprouver ses compétences d’organisateur à grande échelle, elle lui a aussi permis de réunir un important fichier de 100 000 à 200 000 noms, constitué de sympathisants des Comités Tixier. 

Au lendemain de la campagne, Jean-Marie Le Pen est plus que jamais convaincu qu’il faut fonder un grand mouvement capable d’unifier toutes les tendances de l’extrême droite, et dont il prendrait la tête. Paradoxalement, ce n’est pas lui qui initie le projet qui, en 1972, aboutit à la fondation d’un petit parti  : le Front national. 

Jean-Marie Le Pen lors d’un meeting du Front National le 7 novembre 1972 à la Maison de la Mutualité à Paris. © Cotte/SIPA

Fonder un parti

Depuis la Troisième République, aucun mouvement ou parti n’avait réussi à s’inscrire durablement à l’extrême droite du champ politique français. Les légitimistes, qui représentaient près d’un tiers des députés à l’Assemblée nationale de 1871, s’étiolèrent rapidement, incapables de maintenir une influence significative. Les ligues des années 1930, bien que spectaculaires, s’effondrèrent sous le poids de leurs divisions et des répressions gouvernementales. Même l’Action française, qui demeure l’un des principaux repères idéologiques de l’extrême droite, a presque toujours refusé de briguer les suffrages, à l’exception des élections de 1920 et 1924, et se cantonne à un rôle doctrinaire. En revanche, avec le Front national, Jean-Marie Le Pen réalise un exploit inédit dans l’histoire de l’extrême droite française : durer. 

Cela n’avait rien d’une évidence. Dans les années 1950, tandis que Jean-Marie Le Pen commence sa carrière politique au Parlement, évoluant aux confins de la droite et de l’extrême droite, plusieurs groupuscules d’extrême droite se tiennent éloignés de l’arène parlementaire. Ces nationalistes révolutionnaires défendent l’héritage du fascisme, mais la violence de ces groupes et les querelles idéologiques entre ces membres rend cette nébuleuse extrêmement instable. 

En 1969 est fondé le plus important de ces groupes néofascistes, Ordre nouveau (ON) qui amorce une importante mue stratégique  : sans abandonner les principes du nationalisme révolutionnaire, il s’agit désormais de trouver une large audience dans la société française en faisant notamment fond sur l’anticommunisme et la lutte contre les organisations « gauchistes » 21. Soucieux de se doter d’une vitrine électorale respectable, les cadres d’ON décident de créer une organisation distincte, destinée à porter leurs revendications dans les urnes. Pour présider ce nouveau parti, leur choix se porte sur Jean-Marie Le Pen, non sans hésitations ni tensions. Initialement, la présidence est proposée à Dominique Venner, qui décline l’offre. C’est François Brigneau, ancien milicien proche de Le Pen, qui avance son nom, convaincu que son expérience politique et son image modérée pourraient être des atouts. Pourtant, les cadres d’Ordre nouveau, sceptiques, jugent Le Pen dépassé, trop réactionnaire et enfermé dans la nostalgie de l’Algérie française. Mais finalement, les arguments de Brigneau font mouche  : son profil et son expérience politiques, combinés à son respect des institutions et sa méfiance envers l’illégalité, pourraient servir la stratégie d’un parti « attrape-tout », capable de ratisser large parmi les électeurs désabusés des droites traditionnelles 22

Dès sa fondation, le Front national est marqué par de fortes tensions internes. Les membres d’ON, bien qu’intégrés en nombre dans la nouvelle structure, ne parviennent pas à imposer leurs idées révolutionnaires face à la ligne de Le Pen, qui veut orienter le parti vers un programme populiste et nationaliste, qui mêlerait conservatisme social, anticommunisme et anti-élitisme. Le Front national s’engage aussi prudemment sur le terrain de l’immigration, un thème cher à ON mais encore marginal dans le débat politique de l’époque. Les élections législatives de 1973 constituent un premier test électoral. Malgré la mobilisation de ses militants, le parti ne parvient qu’à des résultats dérisoires, avec seulement 1,32 % des voix au niveau national. Cette déroute électorale exacerbe les divisions internes. Les militants d’ON, frustrés par l’échec et le contrôle exercé par Le Pen, organisent un meeting virulent contre l’immigration en juin 1973. Cet événement, marqué par des affrontements violents avec l’extrême gauche, entraîne la dissolution d’Ordre nouveau par le gouvernement. Jean-Marie Le Pen émerge comme l’unique tête de proue du Front national, mais cette victoire a coûté cher  : il est à la tête d’un parti qui a tout d’une coquille vide. Une fois de plus, les forces d’extrême droite ont échoué à s’unir. 

Tandis que les anciens d’ON, réunis dans le Parti des forces nouvelles, apportent leur soutien militant à la campagne de Valéry Giscard d’Estaing, ce qui, dans l’immédiat, leur apporte des subsides importants, Jean-Marie Le Pen s’emploie à reconstruire le Front national, une phase décisive dans l’imaginaire du parti et la constitution d’une identité presque totale entre celui-ci et son président. À l’échelon national, le Front national pose les bases de son organisation future. Victor Barthélemy, ancien lieutenant de Jacques Doriot et homme d’appareil chevronné, joue un rôle central dans cette transformation. Apportant son expérience tirée de ses engagements antérieurs au sein du Parti communiste (PCF) et du Parti populaire français — un parti fasciste dirigé par Jacques Doriot actif à la fin des années 1930 et pendant la Seconde Guerre mondiale — il conçoit une structure pyramidale et hiérarchisée, inspirée des méthodes du PCF. Il met en place des fédérations départementales, des sections locales, et des commissions, tout en initiant des associations qui préfigurent des cercles professionnels et renforcent le maillage territorial du FN. Malgré le faible nombre de participants aux réunions locales au printemps 1974, ce travail de fond permet d’attirer des sympathisants et de poser les bases d’une implantation durable. Dans le même temps, Jean-Marie Le Pen cherche à nouer des relations avec des partis nationalistes étrangers, notamment le MSI en Italie et des mouvements en Belgique, renforçant l’ambition internationale du parti 23.

Dans ce contexte de réorganisation interne, la candidature de Jean-Marie Le Pen à l’élection présidentielle de 1974 représente un défi de taille. Le parti, encore fragile, n’est pas prêt pour un scrutin d’une telle envergure, mais Le Pen perçoit dans cette échéance une opportunité capitale pour accroître la visibilité de son parti. Malgré des moyens financiers limités, une équipe réduite et le soutien militant d’organisations extérieures comme Militant, Le Pen lance sa campagne avec une double priorité : se faire connaître et récolter des fonds. C’est à cette époque qu’il commence à marquer l’opinion avec un objet qu’il arbore jusque dans les années 1980  : son bandeau sur l’œil gauche 24. Alors qu’il l’avait perdu à cause d’une cataracte traumatique, cet artefact est l’objet de nombreuses légendes frontistes  : Jean-Marie Le Pen prétend l’avoir perdu dans une bagarre à la fin des années 1950, accréditant l’image du chef dur, toujours prêt à faire le coup de poing — écho des chahuts étudiants constitutifs de l’imaginaire militant à l’extrême droite. 

L’élection présidentielle se solde par un échec cuisant. Avec seulement 0,74 % des suffrages exprimés, il termine en septième position, loin derrière les principaux candidats, mais aussi des figures émergentes comme Arlette Laguiller ou René Dumont. Le contexte électoral, marqué par une forte polarisation entre François Mitterrand et les représentants de la majorité sortante, a marginalisé les « petits candidats ». Le Pen, malgré une campagne menée avec des moyens financiers limités et un réseau militant réduit, espérait toutefois dépasser le seuil des 5 %, nécessaire pour assurer le remboursement des frais de campagne et donner de la visibilité à son parti. Mais sa stratégie, basée sur la dénonciation du système et une rhétorique populiste, échoue à mobiliser un électorat de droite dispersé entre Valéry Giscard d’Estaing, Jacques Chaban-Delmas et Jean Royer, qui capte la majeure partie des voix conservatrices et catholiques traditionalistes. Malgré tout, cette campagne marque un jalon important dans l’évolution politique de Jean-Marie Le Pen. Elle lui permet d’acquérir une première visibilité sur la scène nationale et de poser les bases d’une stratégie de long terme pour ancrer son parti dans le paysage politique. Malgré l’échec immédiat, il s’affirme comme le visage de l’extrême droite française, alors que le PFN paye très vite son défaut d’incarnation 25

Avec cette première expérience à la présidentielle, Jean-Marie Le Pen est devenu incontournable au sein du parti, mais il est loin d’être seuls. Dans la longue histoire des « numéros deux » qui ont fait l’histoire du mouvement, Victor Barthélemy, François Duprat, et Jean-François Chiappe, parfois surnommés les « mousquetaires » du FN, jouent un rôle essentiel 26. Le premier continue son travail d’organisation, tandis que Duprat, un idéologue graphomane qui fait partie des premiers à diffuser les théories négationnistes, élabore la synthèse entre les différentes sensibilités nationalistes, qui devient la caractéristique du parti 27. Enfin, Jean-François Chiappe, monarchiste et proche des milieux conservateurs, s’efforce de donner une façade respectable au parti, en insistant notamment sur son anticommunisme. Parallèlement, le Front national s’efforce d’intégrer divers courants d’extrême droite, y compris des éléments controversés comme les nationalistes-révolutionnaires ou les solidaristes — qui disent rejeter autant le communisme que le capitalisme —, pour pallier la faiblesse numérique et financière du parti. Parmi eux se trouve notamment Jean-Pierre Stirbois, passé par le solidarisme, qui devient secrétaire-général du parti en 1981, dont il accompagne les premiers succès électoraux. 

Alors même que les caisses du parti sont vides, Jean-Marie Le Pen reçoit un important héritage en 1976  : Hubert Lambert, un militant d’extrême droite d’une famille d’industriels, fait de lui son légataire universel. Il reçoit une fortune estimée à 30 millions de francs, ainsi que des biens immobiliers prestigieux, dont un hôtel particulier à Saint-Cloud, le domaine de Montretout, qui deviendra à la fois sa résidence familiale et le quartier général du parti.

L’héritage Lambert devient rapidement un sujet de tensions au sein du Front national. Certains militants estiment que ce legs, considérable, aurait dû bénéficier directement au parti. Jean-Marie Le Pen, au contraire, affirme que cet héritage était personnel, le résultat d’un lien de confiance et d’amitié entre Lambert et lui. C’est aussi le signe que, pour Le Pen, le parti est une extension de sa personne. Quoi qu’il en soit, celui-ci est désormais un homme riche, ce qui lui confère une liberté nouvelle dans ses activités politiques. 

Quelques mois après ce legs, l’attentat à la bombe qui souffle l’appartement de Le Pen dans la nuit du 30 octobre 1976 est probablement lié à cet héritage. Bien qu’un comité antifasciste inconnu ait revendiqué l’acte, il est probable qu’un cousin d’Hubert Lambert l’ait organisé. Survenu le soir même du quatrième congrès du Front national, cet événement provoque une onde de choc médiatique qui place pour la première fois le parti et son président sous les projecteurs. Bien que l’attentat ne fasse aucune victime, il attire l’attention sur Jean-Marie Le Pen et son mouvement qui exploitent ce coup de projecteur pour renforcer leur légitimité, en dénonçant un climat de violence politique et cherchant à rallier une droite conservatrice inquiète des débordements gauchistes. Deux ans plus tard, François Duprat meurt dans l’explosion de sa voiture.  Cette affaire encore irrésolue donne un premier martyr au parti d’extrême droite  : chaque année, Jean-Marie Le Pen vient rendre hommage le 18 mars à cette figure du Front national des débuts. 

Avec la disparition de Duprat, c’est Jean-Pierre Stirbois qui va progressivement s’imposer comme numéro deux du parti, déterminé à donner au Front national une véritable assise populaire.

Des « détails » qui n’en sont pas

Les années 1980 sont paradoxales pour Jean-Marie Le Pen. D’un côté, le Front national connaît ses premiers succès électoraux, validant les choix stratégiques opérés depuis les années 1970. De l’autre, la radicalité du parti et de son dirigeant éclate au grand jour. Autrement dit, la résurrection médiatique et politique de l’extrême droite en France s’accompagne d’un isolement politique total. 

Le contexte politique des années 1980 joue un rôle décisif dans l’ascension du parti d’extrême droite. L’élection de François Mitterrand en 1981, suivie de la formation d’un gouvernement incluant des ministres communistes, polarise fortement le débat public. En réaction, Jean-Marie Le Pen positionne le Front national comme un parti de « résistance » face à la gauche. En plus de l’anticommunisme, il exploite des thématiques comme l’immigration, présentée comme une menace pour l’identité nationale, et l’insécurité, qui devient un cheval de bataille électoral.

Les divisions au sein de la droite classique, exacerbées par la rivalité entre Valéry Giscard d’Estaing et Jacques Chirac, ouvrent également un espace politique pour le FN. Ces tensions empêchent la formation d’un front uni contre l’extrême droite et offrent à Le Pen l’opportunité de capter une partie de l’électorat déçu par la droite traditionnelle. Au début de la décennie, le président du Front national et son entourage estiment également que la présidence de François Mitterrand est une occasion de lancer une dynamique commune aux oppositions, prélude à une forme d’union des droites. En juillet 1982, il écrit ainsi à Jacques Chirac et Jean Lecanuet pour leur proposer une alliance. 

Cette tentative de dédiabolisation — une stratégie consubstantielle à la création d’un parti d’extrême droite, dont l’objectif est d’exister électoralement 28 — a été rendue possible par l’activité de Jean-Pierre Stirbois, devenu « numéro deux » du parti après la mort de François Duprat en 1978. Avec lui, le Front national amorce une transformation cruciale. Il entreprend notamment d’écarter les éléments les plus radicaux, les nationalistes-révolutionnaires et les néo-nazis, qu’il considère nuisibles à la crédibilité du parti 29. Cette purge, réalisée entre 1981 et 1988, permet au mouvement de se repositionner comme une organisation politique capable de concourir sérieusement à des élections. 

Alors qu’après avoir échoué à obtenir les cinq cents parrainages nécessaires, Jean-Marie Le Pen n’avait pas réussi à se présenter à l’élection présidentielle de 1981, et que le parti avait obtenu des résultats très faibles aux élections législatives qui avaient suivi, les cantonales de l’année suivante sont l’occasion de présenter de nombreuses candidatures et de renforcer les fédérations locales à un moment où le parti ne dispose que de 1500 militants 30. Mais ce sont les municipales de Dreux en 1983 qui constituent le véritable tournant politique, tout en donnant une première exposition médiatique importante au Front national : avec plus de 16 % des voix, la liste menée par Jean-Pierre Stirbois fusionne avec celle du RPR et de l’UDF, obtenant ainsi une victoire symbolique. Cette alliance est bien accueillie par les dirigeants des deux grands partis de droite qui y voient un moyen d’arracher la ville à la gauche. 

Ce succès participe de l’émergence publique du parti et de son président. En 1982, Jean-Marie Le Pen, qui s’était plaint dans une lettre à François Mitterrand que le Front national ne recevait aucune couverture médiatique, est plus suivi par les journalistes 31. Pour accompagner ce mouvement, il s’emploie à transformer son apparence. L’une des premières étapes de cette métamorphose est l’abandon de son emblématique bandeau noir, qui, bien que médiatiquement identifiable, entretenait l’image d’un politicien marginal et nostalgique de la vieille droite factieuse. Symbole de cette mue, il commande une hagiographie intitulée Le Pen sans bandeau, écrite par Jean Marcilly, pour renforcer cette nouvelle image. À partir de 1984, il est rejoint par Lorrain de Saint-Affrique, un ancien membre du service de presse de Valéry Giscard d’Estaing lorsqu’il était à l’Élysée, qui devient son conseiller en communication. 

Le 13 février 1984, Jean-Marie Le Pen connaît son premier triomphe médiatique. Après un long débat interne, l’émission politique L’Heure de vérité, diffusée sur Antenne 2, s’est résolue à inviter le président du Front national 32. Malgré l’hostilité manifeste des journalistes, il exploite parfaitement le format de l’émission pour se positionner comme le meilleur rempart contre un gouvernement qu’il qualifie de « destructeur de la nation ». Face aux critiques des journalistes sur ses positions radicales, il se présente en défenseur du « bon sens » avec une phrase restée célèbre  : « J’aime mieux ma fille que ma nièce, ma nièce que ma cousine, ma cousine que ma voisine. ». Face à la dérive marxiste de la gauche, il revendique un attachement aux valeurs traditionnelles. Surtout, il se présente comme le seul homme politique assumant une politique réellement de droite, accusant notamment Valéry Giscard d’Estaing d’avoir conduit une politique socialiste. Il n’hésite pas à recourir à des provocations maîtrisées pour polariser l’audience, en parlant par exemple de la dénatalité comme conséquence de « l’immigration de remplacement ». 

Ce soir-là, Le Pen réussit un coup de maître : il transforme les critiques et les attaques en un argument de légitimité, tout en se présentant comme le représentant de toutes les traditions d’extrême droite — c’est-à-dire la droite authentique à ses yeux —, de Vichy à l’OAS en passant par les collaborationnistes. Lorsqu’on lui reproche la présence d’anciens SS ou collaborateurs parmi les rangs du FN, il défend la liberté intellectuelle qu’il laisse aux militants de son parti tout en se déclarant partisan de la « réconciliation nationale ». Accusé d’avoir torturé en Algérie, il ne nie rien et dit en substance avoir obéi aux ordres. Le point culminant de l’émission intervient lorsqu’il se lève pour observer une minute de silence « en mémoire des millions de morts du Goulag », un geste préparé à l’avance avec ses conseillers en communication. Cette provocation sert à consolider son image de seul véritable opposant de la gauche.  

Cette émission change tout. Dès le lendemain, les permanences du Front national sont submergées par des sympathisants souhaitant adhérer au parti. Cette vague d’enthousiasme, amplifiée par la couverture médiatique massive qui suit l’émission, marque un tournant dans l’histoire du Front national. L’opération médiatique contribue à structurer le parti, attirant non seulement des militants mais aussi des cadres issus de la droite classique, déçus par leurs propres formations politiques et séduits par le style de Jean-Marie Le Pen, qui conjugue revendications anti-élitistes, provocations et intransigeance anticommuniste. 

Cette percée est confirmée lors des élections européennes de 1984, où le FN recueille 11 % des suffrages sous l’intitulé de « Front d’opposition nationale pour l’Europe des patries ». Ce succès valide une stratégie consistant à ratisser large tout en brouillant la marque FN, perçue comme trop sulfureuse, pour attirer un électorat plus diversifié. Aux élections législatives de 1986, le Front national réalise une avancée spectaculaire avec l’élection de 35 députés, en profitant de l’introduction du scrutin proportionnel par départements. Jean-Marie Le Pen est élu à Paris. Autour de lui l’immense majorité du groupe, qui ne compte qu’une femme, Yann Piat, est composée de députés d’Île-de-France et du Sud-Est. La liste des élus confirme la stratégie d’ouverture du parti, puisqu’un tiers d’entre eux sont des recrues très récentes, souvent issues de la droite traditionnelle, ce qui n’est pas sans susciter des tensions à l’intérieur du Front national, certains militants historiques estimant que le parti a manqué de reconnaissance 33. Pendant la législature, le groupe va être pris entre des aspirations contraires. D’un côté, il faut marquer la singularité du parti par des provocations et profiter de la cohabitation pour dénoncer une collusion entre la gauche et la droite de gouvernement : c’est ce que fait Jean-Marie Le Pen lorsqu’il défend l’isolement des séropositifs, qu’il qualifie de « sidaïques ». De l’autre, il s’agit de continuer la dédiabolisation du parti. 

Les succès du Front national et la surface médiatique nouvelle de Jean-Marie Le Pen favorise aussi un rapprochement avec le club de l’Horloge, fondé en 1974. D’abord partie prenante de la nébuleuse de la Nouvelle Droite, qui entend refonder les droites radicales européennes sur des notions comme l’ethno-différentialisme ou la critique de l’universalisme, il s’en est progressivement éloigné pour se rapprocher des droites de gouvernement auprès desquelles il défend une forme de nationalisme-libéral, marqué par un anticommunisme virulent et l’affirmation de la supériorité culturelle de l’Occident. Longtemps convaincus que le Front national n’était qu’un « feu de paille électoral », les membres du Club se rapprochent du parti à partir de 1984. Ce sont eux qui, dès 1985, contribuent à introduire l’un des principaux axes programmatiques du Front national : la préférence nationale 34. C’est aussi le Club de l’Horloge qui contribue à faire émerger un pôle national-libéral au sein du parti 35. Celui-ci pousse Jean-Marie Le Pen à se présenter comme le « Reagan français », faisant converger l’anticommunisme qui le définit depuis les années 1950 avec une ligne favorable aux entreprises et aux classes moyennes. 

Le Front national échoue néanmoins à complètement se normaliser. En premier lieu, la vie privée de Jean-Marie Le Pen constitue un obstacle à l’image de respectabilité qu’il cherche à projeter. En 1984, sa femme, Pierrette Le Pen, le quitte pour Jean Marcilly, son propre biographe. Trois ans plus tard, au terme d’un conflit sur sa pension alimentaire — que Le Pen avait refusé de payer avant de conseiller à son ex-femme de « faire des ménages » —, celle-ci provoque un scandale retentissant en posant dans Playboy déguisée en soubrette tout en l’accusant dans d’autres entretiens de détenir des comptes en Suisse… 36

Mais ce vaudeville n’est rien comparé à la tempête que Jean-Marie Le Pen soulève lorsque le 13 septembre 1987, il qualifie les chambres à gaz de la Seconde Guerre mondiale de « point de détail de l’histoire » lors d’une interview au Grand Jury RTL-Le Monde. Quelques mois après la conclusion du procès de Klaus Barbie, cette sortie provoque immédiatement un tollé. Dans l’immédiat, elle obère toute possibilité d’union des droites. Mais surtout elle expose au grand public l’enracinement de l’antisémitisme dans la culture du Front national. De fait, à la fin des années 1980, le négationnisme est devenu un des piliers idéologiques du parti 37. Dans les années 1970, François Duprat avait joué un rôle essentiel dans la diffusion de ces idées au sein d’un parti où l’antisémitisme était monnaie courante. Une décennie avant l’affaire du « détail » les obsèques de Duprat, véritable hommage idéologique organisé sous la houlette de Jean-Marie Le Pen, révèlent la profondeur de l’orientation négationniste du parti. Dans Le National, le journal officiel du parti, un hommage anonyme magnifie son rôle de « passeur de vérité historique », dénonçant les « mensonges nourriciers » de l’histoire officielle et fustigeant un « lobby » accusé de chercher à étouffer cette « Vérité » 38.

Dans les années 1980, l’antisémitisme s’inscrit également dans la stratégie de communication du parti et ses thématiques de campagne. Des figures comme l’essayiste Bernard Antony, qui incarne la ligne catholique traditionaliste, amplifient le thème du « complot juif » dans des médias d’extrême droite comme Présent. Il accuse les Juifs de contrôler les institutions médiatiques et politiques françaises, tout en réhabilitant le régime de Vichy et Xavier Vallat, qui occupa le poste de commissaire général aux questions juives entre 1941 et 1942. Et comme ce dernier, l’antisémitisme du parti ne l’empêche pas de se présenter en défenseur des droits de l’État d’Israël, notamment au Parlement européen où le Front national est entré en 1984 39

La réhabilitation de Vallat s’accompagne d’une rhétorique inversant les rôles entre victimes et bourreaux : ainsi, Simone Veil, ancienne déportée et ministre à l’origine de la loi sur l’IVG, est présentée comme l’instigatrice d’un « génocide » contre le peuple français, comparé à la Solution finale. La banalisation de la Collaboration se manifeste également dans des événements publics organisés par le parti. En 1982, dès la deuxième édition de la fête des Bleu-Blanc-Rouge, créée en 1981 pour faire pièce à la fête de l’Humanité, l’allée centrale est nommée en l’honneur du maréchal Pétain, tandis que des ouvrages négationnistes sont proposés à la vente 40 : antigaullisme, antisémitisme et nostalgie vichyste sont plus que jamais au cœur de la culture frontiste. Loin de s’en distancier, Jean-Marie Le Pen, interrogé sur ces pratiques, se contente de déclarer qu’il n’est « ni fasciste, ni raciste, ni d’extrême droite », tout en s’abstenant de condamner ces manifestations explicites de l’idéologie antisémite. En somme, l’épisode du « détail » n’est pas une erreur de communication — un « dérapage » —, mais bien le signe que l’antisémitisme est un marqueur identitaire du Front national et de son président. Il est parfois suggéré que cette déclaration sur le « détail » aurait été un acte délibéré de Jean-Marie Le Pen qui souhaitait conforter l’image diabolisée du Front national — l’idée sous-jacente étant qu’il ne désirait pas le pouvoir. C’est absurde. 

Le propos sur le « détail » n’est pas un sabordage volontaire, mais bien le révélateur d’une contradiction profonde chez Jean-Marie Le Pen. D’un côté, son ascension repose sur des alliances tactiques avec les droites traditionnelles ; de l’autre, il demeure attaché à une identité politique fondée sur la radicalité de ses idées, héritières des extrêmes droites françaises, et sur une inclination assumée pour la provocation.

Discours de Jean-Marie Le Pen au Congrès national du Front National à Tours en 2011. © Chamussy/SIPA

Du troisième homme au second tour

Dans les années 1990, le Front national de Jean-Marie Le Pen s’impose comme la troisième force du paysage politique français, malgré un isolement persistant sur la scène institutionnelle. Ce succès repose sur une stratégie habile de radicalisation idéologique et de modernisation organisationnelle, qui permet au parti de capter un électorat croissant. Tout en consolidant une base militante fidèle grâce à des thématiques identitaires et souverainistes, Jean-Marie Le Pen module son discours pour séduire des segments plus larges de la population dans le but de s’imposer comme le troisième homme de la vie politique française. Mais cet anticommuniste de toujours doit aussi composer avec la chute de l’Union soviétique qui l’oblige à adapter un certain nombre d’axes programmatiques — transformant en partie la vision du monde et de l’Europe que projette le Front national. L’antisémitisme et le nationalisme intransigeant demeurent néanmoins des piliers idéologiques du mouvement. 

De fait, la déclaration sur le détail est loin d’être un épisode isolé. Dans les mois qui suivent, Jean-Marie Le Pen et son entourage multiplient les déclarations antisémites, au point de dénoncer une « internationale juive » en 1989. Le but poursuivi par le Front national est clair  : « bouleverser la mémoire collective et réhabiliter le nationalisme français et ses valeurs » 41

Cette stratégie isole le parti, mais elle n’empêche pas Jean-Marie Le Pen d’atteindre une quatrième position à l’élection présidentielle de 1988 en obtenant 14,39 % des voix — loin devant le PCF, cinquième, dont le déclin électoral est un fait marquant de l’élection. Quelques jours après le premier tour, le 1er mai, il organise un rassemblement place de l’Opéra à Paris pour fêter Jeanne d’Arc, qui réunit près de trente mille personnes 42. La mémoire johannique, qui fait notamment partie de la culture politique des royalistes et des catholiques intégristes, a été récupérée par le Front national depuis 1979, c’est en 1988 qu’est fixé le rendez-vous du 1er mai qui devient une célébration annuelle pour le parti — une manière de refuser la fête du Travail. 

Avant que Jean-Marie Le Pen ne s’exprime le 1er mai, l’entre-deux-tours avait été marqué par sa rencontre secrète avec Jacques Chirac. L’entourage de ce dernier, conscient qu’il n’avait aucune chance de l’emporter face à Mitterrand sans un report massif des votes du Front national sur sa candidature, avait accepté le principe de ce rendez-vous, proposé par Charles Pasqua. Cette entrevue aurait vu un Chirac nerveux demander à Le Pen un soutien implicite, sans toutefois accorder la moindre concession politique — ce qui complique toute discussion. La question du soutien divise les dirigeants du parti  : Jean-Pierre Stirbois et un certain nombre de solidaristes sont en effet favorables à un appel au vote Mitterrand. C’est un véritable revirement de la part de l’homme qui avait toujours défendu des alliances avec l’UDF et le RPR, reçu comme un signe de contestation de la part du numéro deux du parti 43

Finalement, le 1er mai, Jean-Marie Le Pen lance un appel à ses électeurs : « Non, non, non, pas une voix pour François Mitterrand », tout en invitant ceux qui voulaient éviter le socialisme à soutenir le « candidat résiduel » si celui-ci faisait un geste vers eux. Cette déclaration n’empêcha pas la défaite de Jacques Chirac. Les législatives qui suivent les présidentielles de 1988 marquent un retour au scrutin majoritaire, mettant fin à la proportionnelle. Face aux triangulaires impliquant des candidats du Front national, les droites traditionnelles adoptent des attitudes divergentes. L’UDF se divise : d’un côté, Jean-Claude Gaudin conclut des accords de désistement locaux avec le FN, tandis que Simone Veil affirme sans ambiguïté qu’« entre un Front national et un socialiste, [elle votera] pour un socialiste ». Au RPR, Charles Pasqua justifie ces rapprochements en soulignant des « préoccupations » et des « valeurs » communes entre la droite et l’extrême droite. Le second tour ne représente pas moins une débâcle pour le Front national, réduisant sa représentation parlementaire à un seul député, inaugurant une longue tradition d’échec aux élections législatives. 

Les tentatives de Jean-Pierre Stirbois de rallier le bureau politique à un soutien à la candidature Mitterrand marquaient une dégradation de ses relations avec Le Pen. De fait, sa position était menacée depuis quelque temps par l’ascension de Bruno Mégret. Venu du Club de l’Horloge, celui-ci avait été élu député de l’Isère en 1986 avec le soutien du Front national où il s’impose vite comme un organisateur hors pair. En octobre 1988, il est nommé délégué général du parti où il est chargé de la formation, de la communication, des études, et des manifestations. Le mois suivant, la mort accidentelle de Stirbois, qui se tue en voiture, lui ouvre la voie pour devenir numéro deux du parti. 

Bruno Mégret engage une professionnalisation du mouvement tout en lançant une rénovation doctrinale ambitieuse. Son objectif est de transformer le Front national en un mouvement structuré et idéologiquement modernisé, capable de séduire un électorat plus large tout en préparant le terrain à une possible participation au pouvoir. Il s’entoure notamment de cadres et d’intellectuels proches de la Nouvelle droite, tels que Jean-Yves Le Gallou, Yvan Blot ou Pierre Vial, confirmant la montée en puissance de cette tendance depuis le milieu des années 1980. Ces figures, issues d’une mouvance élitiste articulée autour de l’ethno-différentialisme, apportent une expertise et un vocabulaire technocratique. Sous leur impulsion, des publications comme Identité, lancée par Mégret un mois après la chute du mur de Berlin, diffusent un discours rénové où les concepts de la Nouvelle droite trouvent une place importante. Désormais, la ligne idéologique frontiste oppose les partisans de « l’identité » à ceux du « nouvel ordre mondial », un « mondialisme » vu comme synonyme de « cosmopolitisme » 44. La « préférence nationale », théorisée par Le Gallou en 1985, devient une pierre angulaire du programme, bien qu’elle soit euphémisée pour gagner en acceptabilité politique 45.

La fin de la Guerre froide joue ici un rôle central. L’anticommunisme, qui avait structuré une grande partie des discours du FN et de ses prédécesseurs, perd de sa pertinence après la chute du mur de Berlin. Dans ce contexte, Mégret et ses alliés cherchent à redéfinir une ligne de fracture plus actuelle : celle entre les défenseurs de l’« identité » et les promoteurs d’un « mondialisme » qu’ils associent au capitalisme globalisé et au cosmopolitisme. Cette nouvelle division donne au Front national un vocabulaire idéologique renouvelé, qui serait adapté à un monde unipolaire où l’affrontement Est-Ouest entre mondes communiste et capitaliste laisserait place à une opposition Nord-Sud et à des fractures civilisationnelles. Elle justifie certains retournements idéologiques  : en 1990, Jean-Marie Le Pen dénonce l’intervention de la coalition menée par les États-Unis pour défendre le Koweït attaqué par l’Irak, défendant une solution arabe, qui exclurait toute intervention occidentale. Ce faisant, il rompt consciemment avec l’atlantisme qui était celui du parti pendant la Guerre froide, mais aussi avec la logique de défense absolue d’Israël qui avait notamment prévalu au Parlement européen dans les années 1980. Les États-Unis et l’État hébreu sont désormais présentés comme des agents du mondialisme qui menace les identités nationales. 

Justement, aux élections européennes de 1989, le Front national confirme ses bons résultats de 1984 en se classant en troisième position. Et, de fait, avec la présidentielle, les scrutins continentaux deviennent ceux où Jean-Marie Le Pen et son parti obtiennent les meilleurs scores. C’est tout à fait paradoxal si l’on considère l’évolution de la doctrine européenne du parti. D’une posture initialement favorable à une intégration européenne modérée et confédérale dans les années 1980, le FN opère un tournant radical pour devenir l’un des principaux adversaires du projet européen dans les années 1990.

Lors de sa première participation aux élections européennes en 1984, le Front national adopte une position encore largement favorable à une certaine forme de construction européenne. Les discours mettent en avant le besoin de solidarité entre les nations européennes face aux menaces extérieures, notamment soviétiques, et évoquent des projets d’une défense commune, d’une monnaie unique et d’un contrôle renforcé des frontières. L’Europe est alors conçue comme un espace de civilisation unie par son identité chrétienne et son opposition au communisme, dans une vision atlantiste et confédérale.

Cependant, cette vision se transforme rapidement. Entre 1984 et 1989, le FN amorce une inflexion doctrinale majeure, passant d’un soutien prudent à une opposition croissante à l’intégration européenne. Cette évolution est liée à plusieurs facteurs : l’approfondissement du processus d’intégration, notamment avec l’Acte unique européen et les prémices du traité de Maastricht, ainsi que l’arrivée de cadres, qui poussent une critique souverainiste et anti-bruxelloise. Dans cette nouvelle phase, la critique frontiste de l’Europe prend appui sur des thématiques souverainistes et identitaires. Les institutions européennes, perçues comme bureaucratiques et technocratiques, sont comparées à l’URSS, dans un écho aux dénonciations de la centralisation autoritaire soviétique — annonçant la rhétorique de Viktor Orbán dans les années 2010. Ce parallèle est amplifié dans le contexte de la lutte contre le traité de Maastricht pendant la campagne du référendum de 1992, qualifié de « suicide organisé » des États-nations. Jean-Marie Le Pen utilise alors un langage provocateur, dénonçant une Europe des « fédérastes » et des « Maastricheurs », tout en insistant sur le rôle des « banquiers apatrides » dans la promotion de cette intégration 46. En dénonçant l’Union européenne comme un agent de la destruction économique — le marché unique faisant augmenter le chômage — et identitaire — elle favoriserait l’immigration de masse — de la France, Jean-Marie Le Pen cherche aussi à se positionner dans l’espace politique national comme une alternative au consensus pro-européen dominant au sein des grandes formations, notamment le RPR et le PS 47.

Cette stratégie n’est néanmoins pas suffisante. En premier lieu, le Front national n’est pas le seul parti à porter un discours europhobe : aux élections européennes de 1994, la liste menée par Philippe de Villiers se place par exemple en troisième position, devant celle que conduisait Jean-Marie Le Pen. Surtout, le Front national ne profite pas de la progression continentale de l’extrême droite : en Italie en 1994 ou en Autriche en 2000 des partis appartenant à cette nébuleuse participent à des coalitions de gouvernement. À l’inverse, le Front national reste un « important paria politique » 48 : il pèse lourd, mais reste complètement marginalisé par les autres formations. C’est ce à quoi ne se résout pas Bruno Mégret — jusqu’à contester directement l’autorité de Jean-Marie Le Pen. 

Lors de l’élection présidentielle, Jean-Marie Le Pen obtient 15,3 % des suffrages, un score en légère progression par rapport à 1988 mais bien en deçà de ses attentes. Pour la première fois, il arrive en tête parmi les ouvriers et les chômeurs, alors que Robert Hue, candidat du parti communiste n’atteint pas 9 % des suffrages. Ce vote ouvriéro-lepéniste, selon l’expression de Nonna Mayer, traduit une rupture sociale et un rejet croissant des partis traditionnels au sein des franges les plus fragilisées économiquement de la classe ouvrière 49. Par contre, Jean-Marie Le Pen ne parvient pas à attirer une portion suffisante de l’électorat de droite pour franchir un nouveau palier. En somme, en dépit d’une campagne de grande ampleur, marquée par une caravane impressionnante et des meetings spectaculaires, Jean-Marie Le Pen plafonne, d’autant qu’il paraît s’éloigner des militants d’un parti qui a été considérablement réorganisé par Bruno Mégret. 

Ce hiatus entre le Front national et son président se manifeste pendant les élections municipales de 1995 qui sont un véritable succès. Avec plus de 2000 élus locaux, le parti triple ses résultats de 1989 et conquiert trois villes majeures : Toulon, Orange et Marignane. Ces victoires symboliques permettent au FN d’asseoir son image d’un parti capable de gouverner et de mettre en œuvre ses idées à l’échelle locale. La gestion des municipalités devient alors une vitrine de la doctrine frontiste, mêlant baisses d’impôts, sécurisation accrue et promotion de la « préférence nationale ». Ce premier « frontisme municipal » 50, qui annonce celui des années 2010, est marqué par plusieurs scandales, notamment à Vitrolles où Catherine Mégret remporte la mairie en 1997. 

Ces succès locaux soulignent un décalage entre les aspirations du parti et la stratégie de Jean-Marie Le Pen. Alors que les cadres et les élus municipaux voient dans ces victoires une étape décisive pour la « conquête des responsabilités gouvernementales », le président du parti semble minimiser leur importance. Certains témoins évoquent même son hostilité à l’égard des réussites locales, perçues comme un pouvoir qui lui échappe 51. Les tensions entre Jean-Marie Le Pen et Bruno Mégret s’exacerbent. Ce dernier défend une logique d’appareil visant à consolider l’implantation locale et à élargir les alliances, y compris au prix d’une certaine autonomie pour les élus et cadres locaux. En revanche, Jean-Marie Le Pen, fidèle à sa vision centralisatrice et charismatique du pouvoir, craint de perdre le contrôle face à la montée en puissance des notables du parti. La nomination de Bruno Gollnisch comme secrétaire général en octobre 1995, doit faire contrepoids à l’influence de Mégret, mais l’influence de Jean-Marie Le Pen vacille. 

Celui-ci paraît s’opposer à toute la stratégie conduite par Bruno Mégret depuis la fin des années 1980. Il refuse notamment toute forme d’euphémisation, assumant une ligne et une rhétorique radicales, comme pour mieux rappeler les racines idéologiques du Front national, en réaffirmant qu’il était le seul à en fixer l’orientation politique. Le 1er mai 1996, il prophétise une « guerre civile » provoquée par « l’immigration massive » en France. En septembre de la même année, à l’université d’été du Front national, on lui demande de réagir à une déclaration de Bruno Mégret parlant de la « supériorité de la civilisation française et européenne ». Jean-Marie Le Pen dit alors  : « Je crois à l’inégalité des races, oui bien sûr, toute l’histoire le démontre, elles n’ont pas la même capacité ni le même niveau d’évolution historique. » 52 Cette sortie, digne des groupuscules d’extrême droite les plus radicaux, déclenche un scandale, tandis que Le Pen reçoit un satisfecit de Pierre Sidos, ancien milicien et fondateur de l’Œuvre française, un mouvement néofasciste connu pour sa violence. 

L’année suivante, la brutalité de Jean-Marie Le Pen offre un prétexte à Bruno Mégret pour précipiter l’épreuve de force. Alors que le président du parti vient soutenir sa fille Marie-Caroline, en campagne à Mantes-la-Jolie, va affronter physiquement les membres d’un rassemblement anti-FN, dans lequel se trouve notamment la mairesse de Mantes-la-Ville. S’il se montre enchanté — la vidéo de la bagarre le montre s’exclamant  : « Ah  ! Ça me rajeunit  ! » 53 —, les autres cadres du parti sont atterrés. Alors que le Front national cherche à se normaliser depuis presque une décennie, son président se comporte toujours comme s’il participait à un chahut à la tête de la Corpo de droit… Mais ce sont les suites de l’événement qui mettent le feu aux poudres. Alors que la violence de Jean-Marie Le Pen le menace d’inéligibilité, ce qui l’empêcherait de conduire la liste Front national aux élections européennes, il propose que son épouse, Jany Le Pen, le remplace, ce qui est logiquement perçu par Bruno Mégret comme une humiliation publique. 

Les deux hommes sont à couteaux tirés en 1998. En septembre, un bureau politique confirme à Jean-Marie Le Pen qu’une grande partie des responsables du Front national sont favorables à Bruno Mégret lorsqu’il se rend compte qu’il n’a pas la majorité pour l’exclure. L’automne est marqué par un affrontement interne qui débouche le 11 décembre sur la suspension du délégué général et de ses proches, Jean-Yves Le Gallou, Philippe Olivier, Franck Timmermans et Serge Martinez, comparés à une « poignée de lieutenants et de quartiers-maîtres félons » dans une allocution restée célèbre à Metz. En précipitant l’affrontement, Jean-Marie Le Pen pousse ses adversaires à répliquer : ils organisent un conseil national extraordinaire, réunissant plus de la moitié des délégués, qui décident l’organisation d’un congrès extraordinaire. Cette décision est soutenue par 62 fédérations sur 95, 150 conseillers régionaux sur 280 et plus de 17 300 adhérents. Plus d’un tiers des militants et deux tiers des cadres rejoignent les partisans de Bruno Mégret 54. À tous les échelons, le parti est désorganisé : les sections locales se divisent, tandis que la famille Le Pen se déchire, Marie-Caroline, l’aînée des filles, soutenant les adversaires de son père. Et puis la scission constitue une véritable catastrophe financière pour le parti. Nombre de militants ne choisissent pas entre les deux camps et abandonnent les deux partis : Valérie Igounet donne ainsi l’exemple de la section de la 15e circonscription des Bouches-du-Rhône qui comptait 203 adhérents avant la scission, 112 quelques mois plus tard et seulement 35 en 2000 55

La justice reconnaît néanmoins la propriété du titre, du logo et du sigle du Front national à Jean-Marie Le Pen, qui conserve donc la main sur les symboles du parti d’extrême droite qui a le plus durablement marqué la vie politique française après 1945. L’heure n’en est pas moins grave. Les élections européennes du printemps 1999 sont un désastre  : la liste conduite par Jean-Marie Le Pen se classe en huitième position. Deux listes souverainistes se classent devant lui  : celles de Charles Pasqua et de Jean Saint-Josse, qui dirige Chasse, pêche, nature et traditions. Une seule consolation pour Jean-Marie Le Pen, il arrive devant Bruno Mégret, qui ne passe pas le seuil des 5 % nécessaire pour obtenir des députés. 

La route vers la présidentielle de 2002 agit comme un moteur essentiel pour la reconstruction d’un Front national désormais indissociable de la figure de son leader. La préparation à la présidentielle, avec sa quête éprouvante pour réunir les parrainages nécessaires, permet de mobiliser les militants et de recréer une dynamique interne. Ce processus met en lumière l’importance de la « démégrétisation » du FN, visible à travers la centralité de Marine Le Pen et de ses proches dans la communication et l’image de campagne. Après la radicalisation rhétorique et idéologique de Le Pen au milieu des années 1990, qui visait à contrer Mégret, il s’emploie désormais à présenter une image modérée, rappelant par exemple ses engagements de jeunesse au CNIP, ironisant sur « le dangereux terroriste » qu’était Antoine Pinay 56. Ces initiatives ne visent pas seulement à attirer de nouveaux électeurs, mais également à réaffirmer l’existence du FN sur l’échiquier politique après la marginalisation politique qui a suivi la crise. 

Le 21 avril 2002 au soir, Jean-Marie Le Pen accède au second tour, provoquant l’un des plus gros séismes de l’histoire de la Ve République. Grâce à une bonne campagne, le président du Front national obtient trois cent mille voix de plus qu’en 1995, mais il profite surtout de l’abstention très élevée et du grand nombre de candidats (seize au total) et, notamment, de la division des voix de gauche entre huit candidats. À l’exception de Bruno Mégret, qui se rallie à son ancien ennemi, et d’Arlette Laguiller, qui refuse de donner des consignes, tous les candidats battus appellent très vite à voter Jacques Chirac au second tour, cette qualification ébranle la société française. Les manifestations contre l’extrême droite se multiplient dans l’entre-deux-tours pendant que nombre de personnalités médiatiques prennent publiquement position contre Jean-Marie Le Pen. Contre les usages, Jacques Chirac refuse de débattre avec son adversaire. Et puis, alors que sa campagne du premier tour avait tenté de projeter une image de modération, celle du second tour le voit revenir aux grandes lignes programmatiques du Front national  : il promet cinq référendums sur l’immigration, la peine de mort, la fiscalité, le statut de la famille et la défense de la vie. Il veut aussi inscrire la préférence nationale dans la Constitution. 

Le 5 mai 2002, Jean-Marie Le Pen augmente légèrement son score du premier tour, passant le cap des cinq millions de voix, mais il est écrasé par Jacques Chirac. Ce résultat se lit à trois niveaux. D’abord, il marque la marginalisation persistante du Front national, signe que le parti d’extrême droite et son président se heurtent encore à la mémoire de Vichy qui s’est construite à partir des années 1970 57. Malgré tout, pour la première fois, les militants frontistes prennent conscience qu’ils pourraient un jour accéder au pouvoir  : ce n’est pas sans importance dans l’histoire du Front national au XXIe siècle. Finalement, la campagne d’entre-deux-tours de Le Pen est jugée calamiteuse par ses fidèles. Au sein du parti, c’est sa fille, Marine, qui a impressionné par sa pugnacité sur les plateaux télévisés 58.

Le crépuscule du diable

L’arrivée au second tour de Jean-Marie Le Pen a longtemps pu passer pour un triomphe sans lendemain. Les années 2000 sont d’autant plus difficiles pour le Front national que la question de la succession de Jean-Marie Le Pen commence à se poser, faisant apparaître de véritables désaccords stratégiques.

Aux élections législatives qui suivent l’élection présidentielle de 2002, le Front National ne réunit qu’un peu moins de 3 millions de voix au premier tour. Ce résultat illustre les limites persistantes du Front national, qui ne parvient à obtenir des résultats importants que dans quelques élections. Dans les années qui suivent, Jean-Marie Le Pen a du mal à adopter une stratégie claire alors que Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur, investit des thématiques qui séduisent l’électorat frontiste : la lutte contre la délinquance, l’affirmation d’une identité nationale forte, le respect de l’autorité de l’État. En novembre 2023, le débat qui oppose les deux hommes lors de l’émission 100 minutes pour convaincre est symptomatique des difficultés nouvelles de Jean-Marie Le Pen qui peine face au style offensif de Nicolas Sarkozy. 

Les élections régionales de 2004 illustrent ces difficultés nouvelles. Avec 14,7 % des voix au premier tour, le FN améliore ses scores dans certaines régions, mais recule dans d’autres bastions comme la région PACA. À Paris, Marine Le Pen, à la tête d’une liste en Île-de-France, obtient un score modeste, en recul par rapport aux élections de 1998. Sur le plan européen, le FN parvient à maintenir une représentation avec 7 parlementaires élus, mais son ancrage local reste fragile : aucune mairie de plus de 3500 habitants n’est conquise, et les conseillers généraux se font rares.

Quelques semaines après le second tour de l’élection présidentielle de 2002, Jean-Marie Le Pen fête son soixante-quatorzième anniversaire. La question de la succession devient de plus en plus pressante. Deux figures émergent : Marine Le Pen et Bruno Gollnisch. Les divergences internes se cristallisent à partir de 2005, notamment autour de la mémoire de la Seconde Guerre mondiale, et du négationnisme des cadres historiques. En janvier, Jean-Marie Le Pen déclenche un scandale avec une interview accordée à l’hebdomadaire Rivarol, bastion négationniste et pétainiste, dans laquelle il minimise les horreurs de l’Occupation allemande — des propos pour lesquels il est condamné, en 2009, à trois mois d’emprisonnement avec sursis et à 10 000 € d’amende pour contestation de crime contre l’humanité. Quelques mois plus tôt, Bruno Gollnisch avait tenu des propos négationnistes, ce qui avait conduit à sa suspension universitaire. Ces deux affaires provoquent une crise au sein du parti. Marine Le Pen et son entourage considèrent ces prises de position comme un camouflet, qui vient ruiner ses efforts de normalisation du parti. La mémoire de la collaboration et l’antirépublicanisme de l’extrême droite traditionnelle lui apparaissent comme des freins à la progression électorale du Front national.

En 2006, le congrès du FN, initialement attendu pour désigner un successeur, est reporté — un échec pour Bruno Gollnisch qui s’attendait à être présenté comme le successeur de Jean-Marie Le Pen. À la surprise générale, ce dernier annonce sa candidature pour l’élection présidentielle de 2007, avec Marine Le Pen comme directrice de campagne. Bruno Gollnisch devient le dernier en date des « numéros deux » du parti à être marginalisé par Jean-Marie Le Pen. Celui-ci écarte d’autres historiques du parti, comme Jacques Bompard, exclu du bureau politique en 2005, qui quitte le Front national en décembre. 

La campagne présidentielle de 2007 s’ouvre par un discours inattendu : Jean-Marie Le Pen choisit Valmy pour lancer sa candidature, le 20 septembre 2006, jour anniversaire de la bataille. Sous l’œil des caméras, il se réclame des valeurs républicaines et tend la main aux Français d’origine étrangère. Cette posture, inédite pour le Front national, porte la marque de Marine Le Pen. C’est le symptôme d’un nouvel effort de dédiabolisation, axé sur l’assimilation et le patriotisme républicain. Ce choix suscite immédiatement des tensions internes : les cadres historiques, comme Carl Lang ou Bruno Gollnisch, considèrent qu’exalter une bataille symbolique de la mémoire républicaine est contraire à toute l’histoire du parti, qui est notamment l’héritier de tous les mouvements qui, au XIXe et au XXe siècles, ont combattu la Révolution française et ses héritiers. 

La suite de la campagne accentue ces tensions. Marine Le Pen fait évoluer le programme sur des marqueurs historiques du parti comme l’avortement. Cependant, ces tentatives de modernisation s’accompagnent d’initiatives chaotiques et souvent contradictoires, qui illustrent l’absence de stratégie cohérente. L’arrivée d’Alain Soral au comité central, et son influence sur le discours social et républicain, brouillent davantage les lignes. Celui-ci pousse notamment à un rapprochement avec les jeunes issus de l’immigration, une orientation clivante pour l’électorat traditionnel du FN. 

Deux épisodes marquent la campagne. La visite de Dieudonné à la fête des Bleu-Blanc-Rouge en novembre 2006 provoque une controverse retentissante. L’humoriste, qui, en 2005, avait notamment qualifié la Shoah de « pornographie mémorielle », est salué par Le Pen devant les caméras. Marine Le Pen, fervente opposante à cette visite, se cache pour éviter d’être associée à l’événement. Mais le moment le plus déroutant de la campagne, au regard de l’histoire de Jean-Marie Le Pen, survient début avril 2007, lorsque celui-ci visite la dalle d’Argenteuil, un quartier symbolique des banlieues françaises où il prononce un discours assimilationniste inattendu, qualifiant les enfants d’immigrés de « branches de l’arbre France ». Cette initiative, orchestrée sans consultation de Marine Le Pen, scandalise les militants traditionnels. Comme l’invitation de Dieudonné, elle donne aussi l’impression que cette dernière a complètement perdu la main sur la campagne de son père. 

La confusion apparente de Jean-Marie Le Pen ouvre un boulevard à Nicolas Sarkozy. Le candidat de l’UMP est conseillé par Patrick Buisson, qui est convaincu que l’union des droites — qui irait jusqu’à l’extrême droite — ne peut être portée que par la droite traditionnelle. Sarkozy capte les thèmes qui, depuis les années 1980, ont été incarnés par Jean-Marie Le Pen : l’ordre, l’identité nationale, le travail. Tandis que Le Pen tente un recentrage maladroit, Sarkozy incarne une droite ferme mais respectable. Cette stratégie, doublée d’une campagne efficace, réduit considérablement l’espace politique du FN. Le 22 avril 2007, Jean-Marie Le Pen obtient 10,44 % des voix, soit près d’un million de suffrages de moins qu’en 2002. Les législatives qui suivent, avec un résultat de 4,3 % au premier tour, aggravent la crise en privant le parti de ressources financières vitales.

Au milieu de ce désastre, Marine Le Pen parvient à limiter la casse. Dans le Pas-de-Calais, à Hénin-Beaumont, elle est la seule candidate du parti à se qualifier pour le second tour des législatives. Bien que battue, elle attire l’attention des médias. En 2009, aux élections européennes, c’est à nouveau elle qui obtient le meilleur résultat du Front national dans la circonscription du Nord-Ouest. 

Deux ans plus tard, Marine Le Pen succède à son père au XIVe congrès du Front national à Tours. Celui-ci est nommé président d’honneur. Ce passage de relais intervient après des années de rivalité avec Bruno Gollnisch, partisan de la ligne historique, qui prônait un retour aux fondamentaux idéologiques du mouvement. Si Marine Le Pen se positionne comme l’incarnation du renouvellement et de la dédiabolisation, sa victoire résulte d’une préparation méthodique. Depuis le congrès de Bordeaux en 2007, où elle avait consolidé son emprise sur l’appareil du parti, Marine n’a cessé d’accroître son influence, évinçant progressivement ses adversaires internes. Lors de ce congrès de Tours, elle s’impose largement, bénéficiant du soutien d’une majorité d’adhérents et de l’appareil réorganisé à son avantage. Alors même que la victoire de sa fille est interprétée comme le signe d’une rupture avec l’antisémitisme du parti, Jean-Marie Le Pen ne peut s’empêcher une ultime provocation. La veille, un journaliste a été expulsé d’une soirée réservée aux délégués, une péripétie sur laquelle le nouveau président d’honneur ironise devant la presse  : « Le personnage en question a cru pouvoir dire que c’est parce qu’il était juif qu’il avait été expulsé, sourit Le Pen. Ça ne se voyait pas ni sur sa carte, ni sur son nez, si j’ose dire. »

Le renouveau que Marine Le Pen entend incarner est avant tout une question d’affichage. Si elle reste entourée de figures controversées venues de la droite radicale, comme Frédéric Chatillon ou Philippe Péninque, la nouvelle présidente impose désormais la discrétion à ses troupes. Quelques mois après sa nomination, Alexandre Gabriac, un conseiller régional de Rhône-Alpes, également membre de l’Œuvre française, est exclu du parti après qu’une photo de lui faisant un salut hitlérien devant un drapeau à croix gammée est diffusée dans la presse. Au moment de son passage devant la commission de discipline, Jean-Marie Le Pen prône l’indulgence. 

La réalité est que la stratégie de dédiabolisation prônée par Marine Le Pen — qui consiste avant tout à éviter le scandale — se heurte bientôt aux obsessions de son père. Le 2 avril 2015, après une série de sorties polémiques, Jean-Marie Le Pen réaffirme que les chambres à gaz sont un « détail de l’histoire » et refuse de condamner le maréchal Pétain. Ces déclarations poussent Marine Le Pen à engager une procédure disciplinaire. Suspendu de sa qualité d’adhérent en mai 2015, Jean-Marie Le Pen est convoqué en août devant le bureau exécutif du parti, qui acte son exclusion à la majorité. En 2018, la présidence d’honneur est supprimée. La même année, le parti change de nom et devient le Rassemblement national. En 2019, il quitte le Parlement européen — non sans avoir laissé quelques affaires judiciaires derrière lui. C’est la fin de la carrière politique de Jean-Marie Le Pen, les Comités Jeanne, le parti créé en 2016 n’ayant aucune influence réelle. 

Difficile de ne pas se sentir épuisé, au terme de cette odyssée dans l’histoire de l’extrême droite française, des années 1950 à nos jours. Autour de Jean-Marie Le Pen se déploie une galerie de portraits — miliciens, SS, nostalgiques de l’ordre colonial — qui racontent la litanie des défaites de l’extrême droite au XXe siècle. Mais cette histoire est aussi celle de la conviction fermement enracinée que ses combats ont toujours un avenir s’ils savent s’adapter aux inquiétudes de l’époque, comme l’illustrent les nombreux revirements et les changements de tendance qui ont marqué sa vie publique. 

Au moment de la mort de Jean-Marie Le Pen se pose forcément la question de ce qu’il reste de cette très longue carrière politique. Avec l’avènement de Marine Le Pen et, avec cette dernière, de Jordan Bardella, son style belliqueux et ses références obsessionnelles à la Collaboration et à la guerre d’Algérie paraissent désormais dépassées, même si leur empreinte se fait toujours sentir dans la culture contemporaine des extrêmes droites : en 2022, Éric Zemmour n’a eu de cesse de réhabiliter la politique du gouvernement de Vichy ; en 2024, certains candidats investis par le Rassemblement national pour la campagne des élections législatives se sont illustrés par des déclarations antisémites. 

L’héritage de Jean-Marie Le Pen est double. D’un côté, il pèse lourd dans l’incapacité du Rassemblement national à accéder au pouvoir, alors même que l’extrême droite est arrivée au gouvernement, seule ou en coalition, dans de très nombreux pays d’Europe. Qu’il soit en progression constante ne change rien à l’affaire : le parti peine à tisser de véritables alliances et, surtout, il suscite encore le rejet d’une part importante de la population, comme l’illustre le second tour des élections législatives de 2024. Mais Jean-Marie Le Pen a aussi trouvé de véritables successeurs politiques en Marine Le Pen et Jordan Bardella. On retrouve chez eux la même souplesse idéologique, qui les rend capables de naviguer entre toutes les tendances de l’extrême droite. Toutefois, s’ils ont hérité d’un ancrage et d’une étiquette politique — auxquels il faut ajouter un nom de famille qui pèse lourd à l’extrême droite pour Marine Le Pen —, leur vacuité les distingue du premier président du Front national. La force de Jordan Bardella vient précisément de ce défaut qui lui a valu d’être raillé lors de la parution de son autobiographie 59. Là où Jean-Marie Le Pen incarnait une extrême droite saturée de mythes et de haines — des rêves impériaux aux chimères vichystes, en passant par une fixation morbide sur la Seconde Guerre mondiale —, Marine Le Pen et son bras droit s’en délestent, consciemment ou non. À l’exception d’une xénophobie qu’ils reconfigurent au gré des campagnes, ils sont vides de toutes références. C’est sans doute pour cette raison qu’ils sont devenus un écran sur lequel une majorité de Français pourrait finir par projeter ses aspirations — mais aussi ses rejets.

C’est ce jour-là que les héritiers de Jean-Marie Le Pen parviendront au pouvoir.  

Sources
  1. Jean-Marie Le Pen annonce se mettre en retrait de la vie publique https://www.valeursactuelles.com/no_rubrique/jean-marie-le-pen-annonce-se-mettre-en-retrait-de-la-vie-publique
  2. Zeev Sternhell, Les anti-Lumières :  une tradition du XVIIIe siècle à la guerre froide, Paris, Gallimard, (2006) 2010.
  3. Jean-Marie Le Pen, Les Français d’abord, Paris, Carrère-Lafon, 1984, p. 32.
  4. Jean-Marie Le Pen, Fils du peuple, Paris, Éditions Muller, 2018, p. 43-50.
  5. Jean-Marie Le Pen, idem, p. 55.
  6. Umberto Eco, De superman au surhomme, traduit de l’italien par Myriem Bouzaher, Paris, Grasset, 1993, p. 23.
  7. Jacques Le Bohec, Sociologie du phénomène Le Pen, Paris, La Découverte, 2005, p. 40.
  8. Antonin Dubois, Organiser les étudiants Socio-histoire d’un groupe social (Allemagne et France, 1880-1914), Paris, Éditions du Croquant, 2021, p. 344-346.
  9. Humberto Cucchetti, « “L’Action française contre l’Europe” : Militantisme royaliste, circulations politico-intellectuelles et fabrique du souverainisme français », Politique européenne, 2014, n° 43, p. 176-180.
  10. Romain Souillac, Le mouvement Poujade. De la défense professionnelle au populisme nationaliste (1953-1962), Paris, Presses de Sciences Po, 2007. p.31-48.
  11. Guillaume Perrault, « Jean-Marie Le Pen, la première victoire du para » Le Figaro, 5 août 2014.
  12. Romain Souillac, Le mouvement Poujade… op. cit. p. 215-228.
  13. Raphaëlle Branche, La torture et l’armée pendant la guerre d’Algérie, 1954-1962, Paris, Gallimard, 2001.
  14. Pierre Vidal-Naquet, « Le Pen : député tortionnaire », Vérité Liberté, n° 20,‎ juin-juillet 1962.
  15. Cf. Fabrice Riceputi, Le Pen et la torture  : Alger, 1957, l’histoire contre l’oubli, Paris, Le Passager clandestin, 2024.
  16. Grey Anderson, La guerre civile en France, 1958-1962. Du coup d’État gaulliste à la fin de l’OAS, Paris, La Fabrique, 2018.
  17. Raoul Salan (1899-1984) est un militaire français. C’est lui qui dirige les troupes françaises en Algérie de 1956 et 1958. En 1961, il prend la tête du putsch des généraux qui vise à empêcher de Gaulle d’accorder l’autodétermination à l’Algérie. Après l’échec de cette tentative, il dirige l’Organisation armée secrète. En 1962, il est condamné à la prison à vie. Il est gracié en 1968.
  18. Jonathan Thomas, « Jean-Marie Le Pen et la SERP : le disque de musique au service d’une pratique politique », Volume !, 2017, 14/1, p. 2017, p. 85-101.
  19. Emmanuelle Comtat, Les pieds-noirs et la politique. Quarante ans après le retour, Paris, Presses de Sciences Po, 2009, p. 248-249.
  20. Félicien Faury, Des électeurs ordinaires, Paris, Le Seuil, 2024.
  21. Nicolas Lebourg, « Ordre Nouveau, fin des illusions droitières et matrice activiste du premier Front National. », Studia Historica. Historia Contemporánea, n° 30, 2013, p. 205–230.
  22. Nicolas Lebourg, Jonathan Preda, Joseph Beauregard, Aux Racines du FN. L’Histoire du mouvement Ordre Nouveau, Paris, Fondation Jean Jaurès, Paris, 2014, p. 87-88.
  23. Valérie Igounet, Pauline Picco, « Histoire du logo de deux “partis frères” entre France et Italie (1972-2016) », Histoire@Politique, n° 29, 2016. p.220-235.
  24. Jean-Michel Normand, « Le bandeau de Jean-Marie Le Pen, poudre aux yeux pour campagne électorale », Le Monde, 16 août 2022.
  25. Jean-Étienne Dubois, « Jean-Marie Le Pen en 1974 ou les déboires électoraux du Front national à ses débuts », Histoire Politique [En ligne], n°44, 2021. (Consulté le 20 juillet 2023).
  26. Valérie Igounet, Le Front national de 1972 à nos jours : le parti, les hommes, les idées, Paris, Le Seuil, 2014, p. 78-82. Cf. également : Joseph Beauregard, Nicolas Lebourg, Dans l’ombre des Le Pen. Une histoire des numéros 2 du FN, Paris, Nouveau Monde Éditions, 2012.
  27. Nicolas Lebourg, Joseph Beauregard, François Duprat : L’Homme qui inventa le Front national, Paris, Éditions Denoël, 2012.
  28. Alexandre Dézé, « La “dédiabolisation” . Une nouvelle stratégie ? », in Sylvain Crépon, Alexandre Dézé, Nonna Mayer, Les faux-semblants du Front national, Paris, Presses de Sciences Po, 2015. p. 25-50.
  29. Jean-Yves Camus, « Le Front national, Israël et les juifs », Fragments sur les Temps présents, 16 juillet 2014.
  30. Mathias Bernard, Les années Mitterrand, Paris, Belin, 2015, p. 259.
  31. Valérie Igounet, Le Front national… op. cit… p. 132.
  32. L’Heure de vérité, 13 février 1984.
  33. Guy Birenbaum, « Le Front national à l’Assemblée (1986-1988). Respect et subversion de la règle du jeu parlementaire. », Politix, vol. 5, n°20, 1992, p. 106.
  34. Philippe Lamy, « Le Club de l’Horloge (1974 -2002). Évolution et mutation d’un laboratoire idéologique. » Thèse de doctorat soutenue à l’Université Paris VIII, 2016, p. 379-412.
  35. Pierre-André Taguieff, Sur la Nouvelle droite :  jalons d’une analyse critique, Paris, Descartes et Cie, 1994, p. 53.
  36. Marine Turchi, « L’argent du Front national et des le Pen : une famille aux affaires », Pouvoirs, n° 157, 2016, p. 31-47.
  37. Valérie Igounet, Le Négationnisme en France, Paris, Presses universitaires de France, 2024, p. 72.
  38. Valérie Igounet, « Le Front national et le Rassemblement national face à l’antisémitisme », in Alexandre Bande, Pierre-Jérôme Biscarat, Rudy Reichstadt, Histoire politique de l’antisémitisme en France, Paris, Robert Laffont, 2024, p. 56.
  39. Laurent Joly, Xavier Vallat (1891-1972) : du nationalisme chrétien à l’antisémitisme d’État, Paris, Grasset, 2001.
  40. Gilles Richard, Histoire des droites en France, Paris, Perrin, 2023 (2017), p. 549.
  41. Valérie Igounet, Le Négationnisme… op. cit. p. 74.
  42. Arthur Berdah, « De Jean-Marie à Marine Le Pen, ces 1er Mai qui ont fait l’histoire du FN », Le Figaro, 30 avril 2015.
  43. Valérie Igounet, Le Front national… op. cit… p. 201.
  44. Nicolas Lebourg, « Les dimensions internationales du Front national », Pouvoirs, 2016, n° 157, 2016, p.106.
  45. Jean-Yves Camus, « Le Front National et la nouvelle droite », in Sylvain Crépon, Alexandre Dézé, Nonna Mayer, Les faux-semblants… op. cit. p. 105-111.
  46. Emmanuelle Reungoat, « Le Front National et l’Union européenne : La radicalisation comme continuité », in Sylvain Crépon, Alexandre Dézé, Nonna Mayer, Les faux-semblants… op. cit. p. 230.
  47. Emmanuelle Reungoat, « Mobiliser l’Europe dans la compétition nationale : la fabrique de l’européanisation du Front national », Politique européenne, 2014, n° 43, 2014, p.120-162.
  48. Cas Mudde, The ideology of the extreme right, Manchester, Manchester University Press, 2002, p. 6.
  49. Nonna Mayer, Ces Français qui votent FN, Paris, Flammarion, 2002 (1999).
  50. Félicien Faury, « Extrême droite partisane et rôles municipaux : Le travail de représentation d’élus municipaux du Front National », Pôle Sud, 2021, n° 54, 2021, p.139-153.
  51. Valérie Igounet, Le Front national… op. cit… p. 269-271.
  52. Dominique Albertini, David Doucet, Histoire du Front national, Paris, Tallandier, 2014, p. 198.
  53. Martin Fort, « “Rouquin ! Pédé !” : les conséquences inattendues de la bagarre de Jean-Marie Le Pen filmée en 1997 », La revue des médias, 24 septembre 2023.
  54. Valérie Igounet, Le Front national… op. cit… p. 323.
  55. Valérie Igounet, Le Front national… op. cit… p. 353.
  56. Mathias Bernard, « Le Pen, un provocateur en politique (1984-2002) », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 2007, n° 93, 2007. p. 44.
  57. Henry Rousso, Le syndrome de Vichy  : de 1944 à nos jours, Paris, Seuil, 1990 (1987).
  58. Dominique Albertini, David Doucet, Histoire du Front national… op. cit. p. 252-259.
  59. Jordan Bardella, Ce que je cherche, Paris, Fayard, 2024.