Au terme du plus grand processus électoral de l’histoire du Mexique — étaient en jeu plus de 20 000 postes d’élus — c’est la candidate de Morena (gauche) Claudia Sheinbaum qui est devenue la première présidente du pays et la première personnalité d’origine juive.

Formation et études : une jeunesse engagée 

Bien que ce soit la candidate soutenue par le président sortant López Obrador, Claudia Sheinbaum a un profil différent de celui de son mentor.

  • Sheinbaum grandit dans une famille où s’entremêlent science et politique. Ses deux parents étaient professeurs d’université — son père, le chimiste Carlos Sheinbaum Yoselevitz et sa mère, la biologiste Annie Pardo Cemo — et ont tous deux soutenus les manifestations d’étudiants de 1968 au Mexique dont les leaders étaient régulièrement reçus chez les Sheinbaum. 
  • La nouvelle présidente a d’ailleurs pour habitude de dire qu’elle est “une fille de 68”, en faisant référence au mouvement de 1968 au Mexique formé par des étudiants, professeurs et intellectuels des principales universités du pays qui réclamaient la libération des prisonniers politiques et la fin de l’autoritarisme du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI) qui était au pouvoir depuis 30 ans. 
  • Elle a fait des études de physique et d’ingénierie énergétique à l’Universidad Nacional Autónoma de México. Elle a été même la première femme à soutenir une thèse en ’“ingénierie de l’énergie” à l’UNAM – la principale université au Mexique – intitulée “Tendances et perspectives de l’énergie résidentielle au Mexique”. 
  • Dans le cadre des travaux de recherche de son doctorat — et grâce à une bourse de l’UNAM — elle a travaillé pendant quatre ans au Lawrence Berkeley Laboratory en Californie aux États-Unis.
  • Elle devient membre du Système national des chercheurs et de l’Académie mexicaine des Sciences. En 2007, elle intègre le GIEC. 
  • Dès ses premières années à l’UNAM, Sheinbaum s’est engagé au sein du Conseil des étudiants universitaires pour lutter contre la privatisation de l’éducation publique que menait le recteur de l’époque, Jorge Carpizo. Ce Conseil des étudiants participe à la création du Parti de la Révolution Démocratique que Claudia Sheinbaum rejoint en 1988. 

La première maire de Mexico : une carrière politique dans le sillage d’AMLO

Claudia Sheinbaum gagne les élections municipales de Mexico en 2018 à son troisième essai et après avoir été mairie de Tlalpan, l’une des seize divisions territoriales, en s’inscrivant dans un double sillage d’AMLO. 

  • D’une part, elle profite de l’élan populaire qui a mené López Obrador à la présidence du pays le premier décembre 2018. D’autre part, elle suit les traces de son mentor qui a aussi été maire de la capitale de 2000 à 2005. 
  • Dès 2019, elle annonce une de ses mesures phares après avoir déclaré “l’alerte de genre” en créant le numéro vert “SOS *765” et les chemins « Camina libre, camina segura » (“Marche libre, marche sûre”) — un programme qui vise à contribuer à l’éradication de la violence de genre sur la voie publique.  
  • Au niveau de l’éducation, elle a mis en place un programme de bourses scolaires pour plus d’un million d’étudiants — une mesure qui est devenue en 2022 un droit constitutionnel à l’échelle de tout le pays. 
  • Pendant l’épidémie de Covid-19, Sheinbaum décide rapidement d’instaurer l’usage des masques ; en l’utilisant elle-même en permanence. Dans cette séquence, une claire divergence se dessine entre la maire et le président qui mettait en cause les données sur le virus, ne cessait de répéter qu’il ne fallait pas s’inquiéter et qui n’a jamais utilisé le masque. À noter : même lors des réunions avec AMLO, Sheinbaum gardait scrupuleusement son masque. 
  • En termes de mobilités, la maire a promu la pratique du vélo dans la capitale en construisant 200 km de pistes cyclables et des stations de vélo. Elle a baissé les prix des billets de transports publics, a restauré et agrandi les lignes de métro de la capitale. 
  • L’affaire de la ligne 12. Le 3 mai 2021, un très grave accident s’est produit sur la ligne 12 du métro qui a vu une de ses rames tomber dans le vide faisant 27 morts et des centaines de blessés. Une grande polémique éclate dans la capitale car de nombreuses alertes avaient été passées concernant l’état défaillant de ce métro. Un rapport indépendant a déterminé qu’il y avait bien eu des failles dans l’entretien du métro en question sous le gouvernement de Sheinbaum dont l’image a été très ternie par l’accident. Face à la polémique, la maire n’a pas accepté les conclusions du rapport qu’elle a qualifié de “tendancieux”. 
  • Juste avant son arrivée à la mairie en 2018, alors qu’elle était maire de Tlalpan, une polémique similaire avait éclaté après l’effondrement de l’école Rébsamen lors du tremblement de terre de 2017, en causant la mort de 26 personnes, dont un grand nombre d’enfants. L’opposition a accusé l’administration Sheinbaum de négligence face à des irrégularités dans la construction du bâtiment. 

L’héritière d’AMLO : continuité et ruptures 

Après son séjour de recherche aux États-Unis, Sheinbaum devient docteure et intègre son poste de chercheuse dans l’Institut d’ingénierie de l’UNAM. Alors qu’elle est en train de devenir une des pionnières dans les études sur le changement climatique au Mexique, López Obrador devient maire de la capitale et cherche un profil technique pour le poste de secrétaire à l’Environnement au sein de son gouvernement. 

  • C’est le physicien José Barberán, conseiller d’AMLO, qui aurait parlé le premier de Sheinbaum à ce dernier qui s’était déjà rendu à plusieurs reprises au domicile du couple Imaz-Sheinbaum pour des réunions du parti. Certains biographes affirment même que ce serait surtout grâce au travail de militantisme de son mari, Carlos Imaz, que Sheinbaum se serait faite connaître dans les cercles de López Obrador. 
  • Claudia Sheinbaum devient donc la secrétaire pour l’Environnement à la mairie de México de 2000 à 2006, date à laquelle elle démissionne de son poste pour intégrer l’équipe de campagne de López Obrador qui est alors candidat à l’élection présidentielle. 
  • Le 6 septembre 2023, elle gagne les primaires de Morena contre Marcelo Ebrard — qui était ministre des Affaires étrangères du gouvernement AMLO, et devient officiellement la candidate présidentielle soutenue par López Obrador. 
  • Durant toute la campagne présidentielle Sheinbaum est présentée comme l’héritière d’AMLO, ce qui lui permet de s’assurer du soutien populaire dont jouit le président sortant (approuvé par 60 % de l’opinion publique). Elle a affirmé lors de son discours de clôture de campagne qu’elle s’engageait “à respecter l’héritage du président Andrés Manuel López Obrador”. 
  • Cependant, il est intéressant de remarquer qu’elle parle de “respecter” l’héritage d’AMLO mais peut-être pas de le faire perdurer. Les points de désaccords existent entre les deux ; Sheinbaum s’en est jamais cachée bien qu’elle ait moins insisté sur cela pendant la campagne. 
  • La formation et le profil de Sheinbaum peuvent expliquer les divergences qui peuvent exister. Elle a d’ailleurs pour habitude de privilégier les qualités techniques dans son entourage plutôt que de récompenser la loyauté comme l’a toujours fait López Obrador. 
  • Si la gestion de part et d’autre du Covid-19 a été un exemple éloquent des différences, la place centrale que la nouvelle présidente accorde à l’écologie, au genre, à la diversité sexuelle et aux droits humains en est un autre. En cela, dans un contexte où le Mexique est frappé à la fois par une chaleur et une sécheresse extrêmes et face à un très fort taux de féminicides (10 femmes sont tuées tous les jours), Sheinbaum semble incarner une gauche plus en prise avec des problèmes profonds us pays. 
  • Si Claudia Sheinbaum est présentée comme l’héritière d’AMLO, la question qui se pose est de savoir jusqu’où et jusqu’à quand elle continuera à jouer ce rôle. 

Les coordonnés d’une doctrine Sheinbaum ? 

Sheinbaum s’est peu exprimée sur la politique étrangère — un silence qui laisse penser à un alignement, pour le moment du moins, de ses positions avec celles d’AMLO. 

  • Si le président sortant a condamné l’invasion russe de l’Ukraine ainsi que l’attaque du 7 octobre du Hamas contre Israël, il s’est depuis tenu à une sorte d’ambiguïté stratégique en évitant de prendre parti et en appelant plutôt à “un cessez-le-feu” en Ukraine comme à Gaza car le Mexique est “pour la paix et le dialogue”. 
  • Dans son programme, Claudia Sheinbaum indique que sa “politique étrangère suivra les principes constitutionnels d’autodétermination des peuples, de non-intervention et de fraternité avec tous les peuples du monde.”
  • Elle insiste aussi sur le leadership que veut retrouver le Mexique à la fois sur la scène régionale comme internationale — un domaine que López Obrador a quelque peu délaissé pendant son mandat. Sheinbaum a notamment fait une tournée des principales ambassades à Mexico pour les rassurer sur le fait que les relations seront plus simples qu’avec l’administration précédente. 
  • Le programme insiste également sur l’importance croissante des relations économiques du Mexique avec les États-Unis. Avec autour de 800 milliards de dollars d’échanges en 2023, il est devenu le principal partenaire commercial, “en détrônant la Chine de cette position historique” et en soulignant combien cela est bénéfique pour les Mexicains. 
  • La nouvelle présidente aura notamment à négocier la révision de l’accord commercial  États-Unis-Mexique-Canada signé en 2020, qui a remplacé l’Accord de libre-échange nord-américain, et qui  devrait être revu en 2026. 
  • Depuis l’arrivée au pouvoir de Morena, un net rapprochement s’est opéré entre le Mexique et la Chine. En termes d’exportations, la Chine est le quatrième partenaire commercial du Mexique ; le deuxième pour les importations.