L’élection présidentielle turque fera l’objet d’un Mardi du Grand Continent à l’Ecole Normale Supérieure le 16 mai de 19h30 à 20h30. Informations et inscriptions ici.
Jenny White, Turkish Kaleidoscope : Fractured Lives in a Time of Violence. Illustré par Ergün Gündüz. Princeton University Press
En retraçant le parcours de quatre protagonistes originaires de divers segments de la société turque et de différents pôles de son territoire, ce roman graphique fait revivre la vive agitation sociale et les clivages politiques parfois violents propres à la Turquie du milieu des années 1970.
Il offre ainsi une plongée aux origines des profondes mutations qu’a connues le pays au cours des dernières décennies et permet de mieux saisir certaines des spécificités de sa scène politique.
Soner Cagaptay, Erdogan’s Empire. Turkey and the Politics of the Middle East, Bloomsbury
Une étude informée sur la politique étrangère turque depuis la prise du pouvoir par Recep Tayyip Erdogan en 2003. Soner Cagaptay montre comment le “nouveau sultan” a remis en cause certaines des alliances traditionnelles du pays et tenté d’en initier de nouvelles. Il évalue ensuite le résultat de ce tournant, qu’il juge peu probants. La Turquie s’est en effet brouillé avec ses plus fidèles alliés au risque de ne plus pouvoir compter sur eux en cas de coup dur, sans pour autant nouer avec ses nouveaux amis des alliances suffisamment solides pour pouvoir en tirer réellement profit. C’est donc le portrait d’un pays en voie d’isolement qui est ici tracé.
Orhan Pamuk, Neige, Gallimard, 2005
Kars, à la frontière arménienne. C’est dans cette ville que Ka, un poète, passe quatre jours, coupé du reste du pays par la neige.
Dans cette scène délimitée par les intempéries, il se retrouve englué dans une intrigue qui met aux prises les défenseurs d’une Turquie fidèle à son héritage kemaliste et celles et ceux qui veulent y garantir la place de l’Islam. Entre le polar et la méditation mystique, ce roman paru il y a vingt ans ne cesse de tromper Ka, et le lecteur, jusqu’à la conclusion qui tombe comme un couperet, sans aucune explication. Du centre à l’une de ses marches — l’une de ses marges, même — les plus reculées, Pamuk raconte sa vision d’un pays, irrémédiablement divisé par son passé et son présent, jusqu’à l’absurde.
Maurus Reinkowski, Geschichte der Türkei. Von Atatürk bis zur Gegenwart, C.H. Beck, 2019
Une histoire de la Turquie contemporaine qui met l’accent sur les ruptures que cachent les apparentes continuités. Si la République instaurée par Atatürk s’est en effet maintenue depuis maintenant plus d’un siècle, son contenu idéologique et ses ambitions ont en effet beaucoup varié. Entre rêve d’intégration européenne et fantasme néo-ottoman, pouvoir des civils et ingérence des militaires, laïcité et islamisme, c’est un portrait tout en nuance, voire en contradictions, qui ressort de cette vaste fresque historique.
Jean-Sylvestre Mongrenier, Le monde vu d’Istanbul. Géopolitique de la Turquie et du monde altaïque, PUF, 2023
Reprenant la recette qu’il avait adopté pour son Le monde vu de Moscou (2020), Jean-Sylvestre Mongrenier propose dans Le monde vu d’Istanbul un volumineux dictionnaire consacrant des entrées détaillées aux acteurs, aux enjeux, aux espaces ou encore aux événements dont la connaissance permet de comprendre la situation géopolitique de la Turquie contemporaine. En croisant les apports de l’histoire, de la géographie, de la science politique ou encore des études stratégiques, il livre un état des lieux informé du pays, de ses forces et de ses faiblesses.
Turchia, Iperborea, « The Passenger« , 2020
Réputée pour sa superbe mise en page, la qualité de ses reportages ainsi que pour la richesse de son iconographie, la collection The Passenger a récemment consacré un numéro à la Turquie.
Il offre une plongée dans la richesse et la diversité du pays, s’intéressant aussi bien à la guerre entre Erdogan et ses anciens alliés conservateurs du mouvement güleniste qu’aux séries télévisées turques et à leur pouvoir d’influence ou au sort de la communauté LGBT.
Il était une fois en Anatolie, Nuri Bilge Ceylan, 2011
Plus que Winter Sleep (2015) — sa réécriture de trois nouvelles de Tchekhov, récompensée par la palme d’or —, Il était une fois en Anatolie est le grand film de Nuri Bilge Ceylan sur sa vision de la Turquie contemporaine : plusieurs personnes — des officiers de police, un procureur, un médecin, des fossoyeurs — accompagnent deux hommes accusés d’un meurtre pour qu’ils leur indiquent l’endroit où ils ont enterré leur victime ; au fur et à mesure de la nuit, cette quête devient l’occasion de conversations qui, par petites touches, soulèvent de nouveaux secrets. En toile de fond, c’est aussi l’histoire des territoires isolés de l’arrière-pays turc qui se dessine : ceux-ci sont dévastés par l’émigration des plus jeunes vers les grandes villes et laissés à eux-mêmes. S’il est nourri par les œuvres de Sergio Leone et, à nouveau, de Tchekhov, ce film est surtout inspiré par l’expérience de Nuri Bilge Ceylan, qui a grandi dans une petite ville d’Anatolie, et de son co-scénariste, Ercan Kesal, qui a travaillé comme médecin pendant deux ans dans un centre de santé au centre de la Turquie.
Fetih 1453, Faruk Aksoy, 2012
Au moment de sa sortie, ce film fut présenté comme le plus cher de l’histoire du cinéma turc, quand bien même les estimations de son coût varieraient du simple au double — de 8 à 18 millions d’euros. Très inspiré par les superproductions historiques américaines des années 2000, Fetih 1453 raconte la prise de Constantinople par Mehmet II. Ce dernier est présenté comme le conquérant capable d’accomplir un vœu fait par un compagnon du Prophète, Abu Ayyub al-Ansari, qui aurait promis, huit siècles plus tôt, que la capitale byzantine deviendrait un jour musulmane après sa conquête par un général et une armée bénis : cette scène constitue du reste le prologue du film. Les effets spéciaux assez vieillis de ce film servent à encadrer une représentation parfaitement manichéenne de l’affrontement entre Ottomans et Byzantins : d’un côté, des guerriers héroïques et pieux menés par un chef charismatique ; de l’autre, un peuple décadent et cruel. À l’époque, cette production incarnait le soft power néo-ottoman tel qu’il était encouragé par le pouvoir turc : il s’agissait d’exalter l’histoire longue de la Turquie en refermant le moment kemaliste, présenté comme une parenthèse, pour mieux exalter son rôle dans le monde musulman. Quoique très bien accueilli en Turquie, ce film suscita des réactions hostiles à l’étranger, notamment en Grèce.
Mustang, Deniz Gamze Ergüven, 2015
Le dernier jour de cours, cinq sœurs, enfants ou jeunes adolescentes, jouent avec des garçons, dans un village isolé de la Turquie provinciale. La rumeur court très rapidement et leurs jeux sont très vite présentés comme un acte d’une grande obscénité : un oncle, qui s’avère progressivement être un personnage infect, décide de reprendre en main la moralité de ses nièces, jusque-là éduquées par leur grand-mère. Progressivement, leur foyer va se transformer en prison et chacune des sœurs tente d’affronter cette réalité comme elle le peut. Cette chronique magnifique tord les boyaux ; on en sort pas indemne. C’était le projet de la réalisatrice qui entendait faire le portrait kaléidoscopique de la condition féminine dans la société turque, tout en soulignant sa dégradation progressive depuis l’arrivée au pouvoir d’Erdogan.
Burning days, Emin Alper, 2023
Un jeune procureur arrive dans une petite ville de province. Là, il se heurte aux résistances des notables locaux. Progressivement, l’atmosphère poisseuse effrite toutes les certitudes initiales du scénario. Présenté en 2022 à Cannes, Burning Days a connu un certain succès critique, remportant plusieurs prix, mais en présentant une vision très sombre de la corruption endémique dans la Turquie d’Erdogan, il a aussi suscité la colère des autorités turques : au mois de décembre, le ministère de la Culture turc demandait le remboursement des aides qu’avait reçu le film en argumentant que celui-ci présentait une intrigue homoérotique. Malgré certaines lourdeurs de mise en scène, Burning days parvient à faire ressentir ce que c’est de vivre dans un état où l’autoritarisme croissant et la collusion entre les élites tombent comme des chapes de plomb sur la population.