• La guerre a eu un effet dévastateur sur les relations UE-Russie à tous les niveaux, et la situation en Europe du Nord-Est restera tendue pendant longtemps. De plus, des questions émergent concernant l’impact de la guerre sur l’avenir des relations sino-européennes. Malgré la soi-disant « neutralité » de Pékin, le 4 février, les présidents Vladimir Poutine et Xi Jinping ont signé un communiqué commun déclarant une « amitié sans limites » entre leurs deux États1.
  • Deux mois plus tard, le 1er avril, le président Xi Jinping a tenu un autre sommet, cette fois-ci avec la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et le président du Conseil européen Charles Michel2. Pour la première fois depuis plusieurs années, les dirigeants chinois ont fait face à une prise de partie européenne sévère, peu disposée à aborder des sujets autres que la guerre en Ukraine. Dans de telles circonstances, « il ne peut pas y avoir de business as usual », a déclaré von der Leyen. Bien que la capacité de la Chine à influencer Poutine soit limitée, l’UE a toujours soutenu que la Chine disposait de canaux uniques avec la Russie.
  • La Chine, cependant, a une vision très différente. Le président Xi Jinping a appelé l’Europe à avoir une vision « autonome » de la Chine (vraisemblablement autonome par rapport aux États-Unis), et Pékin insiste sur le fait que la solution au conflit consiste à tenir compte des « préoccupations raisonnables de sécurité de toutes les parties concernées ». Pourtant, la Chine n’a pas, dans l’ensemble, tenté de contourner les sanctions économiques occidentales envers la Russie.
  • Pékin n’apprécie certes pas l’instabilité et les turbulences économiques, mais l’image de la Chine s’est déjà considérablement dégradée en Europe. Depuis 2020, le Covid-19 et la façon dont certains diplomates chinois se sont livrés à la propagande sur la « diplomatie masquée » (via les réseaux sociaux et les sites Web des ambassades) ont laissé de vifs souvenirs. De plus, la volonté de Pékin d’embrasser et d’amplifier les divisions de l’UE aux premiers stades de la pandémie a provoqué une réaction violente à la fois de l’opinion publique européenne et des élites gouvernementales, qui ont été irritées par le discours agressif de la Chine. L’UE a réagi en lançant une action devant l’OMC.
  • Au niveau macro-économique, les investissements directs à l’étranger (IDE) chinois ont chuté de façon significative selon un récent rapport MERICS/Rhodium Group3. L’année 2021 a ainsi été la deuxième année la plus faible pour les investissements chinois en Europe depuis 2013. Après les sanctions contre la Lituanie, la guerre en Ukraine et les blocages en Chine, le tableau pour 2022 semble incertain.
  • La majorité des États d’Europe centrale et orientale ont eu des échanges relativement faibles avec la Chine et accusent un déficit commercial d’une valeur de 75 milliards de dollars4. Les cinq pays non membres de l’UE — la Serbie, l’Albanie, la Macédoine, le Monténégro et la Bosnie-Herzégovine — ont, quant à eux, accueilli les bras ouverts les projets financés par la Chine d’une valeur d’environ 6,3 milliards de dollars dans des secteurs tels que les autoroutes, les stations énergétiques et les chemins de fer dans les Balkans occidentaux.
  • Mais, comme le souligne un récent rapport de l’Observer Research Foundation, aucun des projets d’infrastructure annoncés pour les 11 pays restants — membres de l’UE — n’est allé au-delà des déclarations politiques5. Les projets signés dès 2013 n’ont même pas commencé, la voie ferrée Belgrade-Budapest étant la seule exception6. Pour l’instant, l’avenir des Nouvelles routes de la Soie reste incertain. La Chine peut maintenant se recentrer sur le corridor Asie centrale – Asie occidentale, déplaçant davantage d’exportations chinoises vers les pays d’Asie centrale, l’Iran et la Turquie — cette logistique est toutefois difficile car elle implique un transport via la mer Caspienne. Le moyen le moins cher et le plus simple reste la voie maritime, depuis les ports chinois jusqu’à la mer Méditerranée, mais les voies maritimes ont également été affectées par de sérieux retards.
  • Globalement, les relations sino-européennes atteignent un point de basculement. Suite à la pandémie et aux échanges acrimonieux sur les droits de l’homme au Xinjiang et à Hong Kong, ainsi que sur les questions économiques et commerciales — les Européens se plaignent toujours de l’accès au marché de leurs entreprises en Chine —, la guerre en Ukraine et la position de Pékin risquent de profondément affecter la relation à long terme. Mais avec les relations sino-américaines au plus bas, il serait surprenant que la Chine ne veuille pas essayer d’améliorer ses relations avec Berlin et Paris notamment, offrant à l’Allemagne et à la France une fenêtre d’opportunité une fois que la situation en Ukraine sera moins tendue.