Cet entretien est la transcription d’un échange entre Monika Herceg et Reinhard Kaiser-Mühlecker qui s’est tenu le 27 janvier 2022 dans le cadre de la Nuit des Idées et de la présidence française du Conseil de l’Union européenne. En partenariat avec l’Institut Français, le Grand Continent publie une série de textes et d’entretiens : ces « Grands Dialogues » forment un dispositif réunissant des personnalités intellectuelles de premier plan venues du monde des arts, des lettres, des sciences, du journalisme et de l’engagement et représentant l’ensemble des États membres de l’Union européenne.
Afin de constater quels sont les points communs entre deux vies distantes de quatre cents kilomètres, j’aimerais commencer en vous proposant de faire des associations d’idées à partir de mots clefs. Premier mot : les arbres.
Monika Herceg
La première chose qui me vient à l’esprit sont les derniers mots d’un essai dans lequel l’arbre ne meurt pas, il attend. J’ai grandi à côté des arbres car ma famille vient d’un tout petit village de six maisons situé sur une colline entourée de forêts. Pendant la guerre, nous avons dû fuir puis nous sommes revenus là-bas et j’y ai grandi. Je dirais que je suis revenu aux arbres car j’écris beaucoup sur la campagne et la relation avec la nature, pas seulement avec les Hommes. De manière générale, on pense assez peu à cette relation. Il a été constaté que les arbres prennent soin les uns des autres et je pense que nous pouvons beaucoup apprendre d’eux ; ils représentent quelque chose d’important. Je prends quant à moi le temps d’aller en forêt quand j’ai à cœur de faire le vide dans mes pensées.
Reinhard Kaiser-Mühlecker
Les arbres jouent un immense rôle dans la littérature : un motif, une métaphore, un symbole pour le temps, le développement, la vie, le progrès. Comme pour la montagne, les rivières, les fleuves, la nature, il suffit de se déplacer avec les yeux ouverts. Les arbres sont importants pour mon environnement et le caractérisent. En fonction de là où vous vivez, les arbres ne sont pas les mêmes – qu’on songe par exemple aux différences qu’il existe entre le Nord et le Sud de l’Europe. Je dirais que les arbres font vraiment partie de mon paysage.
Vous avez aussi en commun la vie entre différents mondes : le petit village et la grande ville.
Monika Herceg
En Croatie, Zagreb est la seule grande ville, le centre du pays, mais je ne m’y rends pas beaucoup car normalement je ne vais pas dans les grandes villes. Mon village est un lieu qui un jour disparaîtra, peut-être même d’ici dix ans. J’ai l’impression que là-bas, dans ce petit village, le temps passe plus lentement. Nous agissons tous différemment si nous n’avons pas à nous dépêcher tout le temps.
Mais là-bas, les plaies sont encore vives. Certains ont souffert des pertes dues à la guerre mais savent trouver en eux la chaleur. J’aime beaucoup ce pan de l’humanité qui continue de croître malgré les plaies qui cicatrisent. Il y a bien sûr beaucoup de tristesse. L’année dernière nous avons aussi eu un tremblement de terre qui a été catastrophique. Tous les villages autour ont été fortement endommagés mais les gens n’ont pas perdu espoir.
Le gouvernement n’a pas reconstruit. Des personnes ont tout simplement été oubliées mais elles continuaient à garder espoir ; je crois que c’est l’une des choses les plus importantes dans la vie. Se figurer le niveau de pauvreté là-bas est impossible pour des gens qui viennent de Zagreb et du reste de l’Europe. Les habitants vivent des fruits et des légumes de la campagne ; ils sont très pauvres. Je préfère ce petit village à la ville où je vis, et qui est davantage connectée au travail.
Reinhard Kaiser-Mühlecker, vous avez décidé de vivre à la campagne. Est-ce que vous naviguez entre les différents mondes ?
Reinhard Kaiser-Mühlecker
Non, je dirais davantage que c’est une vie dans le monde. Indépendamment de l’endroit où l’on se trouve, on ne peut se débarrasser de soi-même. Je ne trouve pas qu’il y ait une si grande différence entre la ville et la campagne. J’aime la solitude et je passe beaucoup de temps avec les livres, beaucoup de choses se passent à l’intérieur. Friedrich Dürrenmatt disait que la seule différence entre la ville et la campagne réside dans le peuplement qui caractérise les villes. C’est une définition que je trouve fort intéressante car quant à moi je préfère vivre là où il y a plus de place. À la campagne, j’ai l’impression qu’il y a beaucoup plus d’histoires que l’on peut raconter et je n’avais malheureusement pas ce sentiment là de la ville lorsque j’y vivais.
Afin de répondre à la nécessité de construire et de reconstruire l’Europe, les petits villages, les petites structures et les petites sociétés peuvent-ils être un recours ? Qu’est ce que l’on trouve à la campagne qui pourrait nous ouvrir de nouvelles perspectives pour une vie commune en Europe ?
Je ne saurais vous dire car ma vision de l’Europe est davantage celle d’un lecteur – mais pas d’un lecteur d’aujourd’hui. En voyant une carte, je ne regarde pas un atlas historique. Je me dis que c’est la maison ou quelqu’un écrit ses histoires et ses poèmes. C’est cela qui m’importe, c’est cela le monde, peu importe l’endroit, ville ou campagne. Là où j’habite, beaucoup de choses ont changé comme par exemple la construction de l’autoroute il y a une dizaine d’années. Cela n’a peut-être pas modifié l’ensemble de la société mais le trafic, le village certainement.
Jeune, je n’avais jamais vu de plaque d’immatriculation de véhicule étranger, ni même de ceux du département voisin. Avec la construction de l’autoroute, les plaques d’immatriculations étrangères ne sont plus rares. Tout cela est complètement irréel, les conséquences sur l’agriculture par exemple avec la bétonisation à outrance qui entraîne la perte et l’érosion des sols. Au fond, la région dans laquelle j’habite est celle où je me promène la plupart du temps. Et c’est là aussi que je réfléchis – que je le veuille ou non.
Le Covid-19 a entraîné une fuite de la ville vers le monde rural mais les mentalités, elles, perdurent. Il y a aussi le phénomène de mobilité induite par la migration. Comment gère-t-on ces situations de mobilité ?
Vous prenez tout ce qui est bon et vous rejetez ce qui n’est pas bon. Je crois que c’est tout à fait humain. Nous avons beaucoup de traits de caractères qui ne sont pas très beaux à voir. Je ne sais pas ce qu’on peut en penser en Croatie, peut-être que la vision est la même.
Monika Herceg
Je pense que la situation soit différente en Croatie parce qu’il n’y pas de voiture dans les villages. Il n’y a pas de route, tout tombe en ruine. Ces régions rurales sont un énorme enjeu parce qu’elles ne sont pas seulement très jolies, elles nourrissent le pays. Il y a une vraie interdépendance. Si vous n’avez pas de terres à cultiver vous devez acheter des produits qui ont été cultivés sur la terre. En Croatie, nous avons un avenir problématique car les villages n’arrivent pas à survivre. Sans travail et sans avenir les gens quittent les villages pour avoir trouver une ville meilleure. C’est la tendance de ces trente dernières années. Après le tremblement de terre, par exemple, les habitants des zones les plus touchées ont été forcés de partir, même s’ils ne le voulaient pas, car ils n’avaient plus de maison. Rien n’a été reconstruit et les personnes âgées commençaient à mourir dans ces maisons en ruine pendant que d’autres partaient. C’est très sombre mais c’est la réalité. Quand on parle de l’avenir de l’Europe, il faut englober ce problème là. Il n’y a pas de grandes idées du village ou de retour vers une nouvelle aube. Nous pensons toujours à ce qu’on a quitté derrière nous mais dans certaines parties de l’Europe on a surtout laissé beaucoup de personnes derrière nous. Nous essayons de traiter cela dans nos poèmes.
L’avenir de l’Europe doit être basé sur l’égalité sans qu’on laisse personne au bord de la route. Les villages peuvent être des endroits parfaits pour vivre mais nous devons leur donner un sens, repenser leur objectif. Pour remplir de vie et d’objectifs un village il faut cependant des actes concrets, cela ne peut être la seule prérogative de la puissance des mots et des poèmes.
En tant que poétesse, vous avez traité ce thème parmi un grand nombre d’autres comme la pauvreté. Vous regardez de manière très précise la réalité des choses. Est-ce vraiment une charge ? Est-ce l’une des opportunités – mais également peut-être une responsabilité – étant l’une des voix sinon la voix lyrique croate la plus importante aujourd’hui ?
Je pense que nous avons tous une responsabilité, notamment lorsque l’on écrit des textes qui peuvent toucher un grand nombre de personnes. On ne peut pas fermer les yeux, au risque que la situation empire. Une nouvelle ère a commencé en Europe. Il faut se rappeler du fascime qui est au coin de la rue. Ces tendances existent aussi en Croatie. En tant que poètes, auteurs et êtres humains nous devons en parler, il en va de notre responsabilité. C’est l’un des sujets importants de notre vie, si ce n’est le plus important. Les poèmes parlaient de violences, nous avons la responsabilité de nous battre contre la violence alors qu’elle existe.
En tant que femmes nous devons aussi nous battre contre la misogynie. J’espère un jour me réveiller et me retrouver dans une nouvelle ère qui ne soit pas cauchemardesque. Quel qu’en soit le coût, il faut faire cela car c’est le seul moyen pour que la littérature puisse fonctionner. En tant qu’être humain je dois absolument prendre cette responsabilité et l’assumer dans mes textes. Que les personnes qui lisent mes textes puissent sentir cette responsabilité. Cela semble être peu de choses mais c’est toujours une pierre à l’édifice.
Vous semblez partager ce point de vue. À savoir, je vous cite, « devoir parler de la réalité non pas comme une suite de faits mais en faire un roman ». Comment avez-vous développé ce sens de la responsabilité ?
Reinhard Kaiser-Mühlecker
Cette phrase bien sûr ne reflète que mon opinion et, à travers ce propos, il s’agit pour moi d’expliquer le point de départ de mon écriture qui vise à rendre perceptible le monde que je connais. Je vois aujourd’hui à quel point des agriculteurs, ainsi que des milliers d’autres, doivent se battre pour survivre. Les écrivains et écrivaines sont peu organisés et liés entre eux, et j’ai ressenti que personne n’écrivait sur ce monde. Je me suis donc senti obligé d’écrire sur celui-ci et de le rendre perceptible. Évidemment, même si j’écris à propos du monde agricole, les gens qui vivent sur place seraient les derniers à dire « on a besoin de lui ». Je ne me plains pas car je crois que c’est la tâche première de la littérature que de visiter ou du moins de faire connaissance avec un monde différent de celui duquel nous sommes issus. Si l’on regarde l’histoire de la littérature, ce sont les auteurs qui ont permis de s’immerger dans d’autres mondes, d’autres réalités.
Il peut être intéressant de s’interroger sur le partage de son monde à l’étranger à travers les traductions. Monika Herceg, vous qui êtes éditrice et qui avez des expériences avec des traducteurs. Qu’est ce que l’on pourrait mieux faire dans le domaine de la traduction en Europe ? La traduction est-elle une clef d’unité pour l’Europe ?
Monika Herceg
Sans traduction, on ne connaîtrait rien car on ne pourrait pas lire de littérature étrangère. En Croatie, nous traduisons beaucoup d’auteurs du monde entier et principalement d’Europe mais souvent les traductions ne sont pas bonnes. Vous voyez la différence entre les traductrices qui ont de l’expérience et les nouvelles traductrices. Il s’agit presque d’un écart générationnel illustré par un vrai manque de rigueur. J’ai lu des mauvaises traductions, celles où le texte n’était pas à la hauteur. Les traducteurs et les traductrices font leur propre interprétation du monde et doivent recréer ce monde grâce à la langue. Un traducteur m’a un jour dit qu’il vaut mieux connaître sa propre langue que la langue de laquelle on traduit car il faut trouver des solutions qui soient parfaites. J’espère aussi que les travaux de traductions et les auteurs seront plus mentionnés à l’avenir car, sans eux, il n’y aurait pas de littérature. Comme dans le cinéma, sans les traducteurs on ne pourrait pas apprendre de l’autre. Très souvent le traducteur ou la traductrice n’est pas mentionné dans le livre. Il est très important de remédier à cela, c’est une question d’estime et de valorisation pour le traducteur. En Amérique, on lit toujours « traduit par ».
En Croatie, il y a peu de moyens, financiers ou humains, pour la traduction. Il faut changer cela parce qu’il est important d’avoir de la littérature du monde entier et d’un monde entier. Je ne sais pas vraiment comment chaque maison d’édition travaille avec les traducteurs ou traductrices et surtout comment elles les trouvent étant donné que certains souhaitent traduire des ouvrages mais n’y arrivent pas. Il y a très certainement beaucoup de choses qui ne sont pas traduites et que nous aimerions lire. Il y a un réel manque de moyen financier dans le domaine.
On peut aussi penser qu’avec davantage de livres, on regarderait moins la télévision. En suivant ce raisonnement, il faut créer une certaine prise de conscience pour la littérature. Personne ne souhaite être « confronté au néant international » mais « nous voulons avoir de bons livres ». Très souvent les traducteurs traduisent des romans policiers parce qu’il est plus facile d’en vivre, contrairement à des traductions littéraires qui ne sont pas bien payées. Aussi, il n’y a très souvent, pour une raison quelconque, qu’une seule traduction ou bien des traductions qui ont été faites il y a longtemps. Cela n’empêche pas d’avoir de fantastiques traductions où l’on arrive à capter l’âme du livre. Je me demande à chaque fois ce qu’il en serait si on avait toujours eu de superbes traductions.
Est-ce que vous avez partagé cette expérience ? Ne serait-il pas consolant de se dire que même une mauvaise traduction ne détruit pas de la bonne littérature ?
Reinhard Kaiser-Mühlecker
Oui mais j’ai tout de même parfois du mal à commencer un livre traduit, j’arrête même de lire certaines fois. Je crois que c’est dû à la poésie. Le langage représente tout pour moi et lorsque dans un livre je ne réussis pas à sentir les os et la chair de l’écriture alors je ne peux pas le lire. Parfois je me garde la possibilité de lire la traduction anglaise.
Monika Herceg
Je suis d’accord, il est vrai, que la bonne littérature possède une certaine forme d’alchimie, comme quelque chose qui brille dans livre, de la magie. Ce n’est pas uniquement magique parce que vous l’écrivez comme de la littérature et que d’autres le ressentent comme des émotions car, parfois, même si de bons poèmes sont mal traduits, vous pouvez ressentir quelque chose derrière cette mauvaise traduction. Lorsque cela m’arrive, j’essaye de trouver d’autres traductions. Il y a peut-être une traduction serbe ou bosniaque même si la ressemblance des langues fait qu’il existe peu de traductions différentes. Dans la bonne littérature, il y a une sorte d’éclairage, une lumière qui est jetée par les écrits. Je reviens sur mon point précédent : si nous rémunérons mieux les traducteurs et traductrices nous pouvons attendre davantage d’eux. Avec de meilleurs salaires, les traducteurs feraient un meilleur travail car ils n’auraient pas besoin de travailler à côté.
Cela nous mène à la question du rythme dans la poésie et dans la prose. Est-ce que le rythme est quelque chose de régional ou d’international ? Est-ce que c’est une question de mentalité, de paysage, d’environnement ou est-ce que c’est une attitude intérieure ?
Reinhard Kaiser-Mühlecker
C’est quelque chose qui m’intéresse beaucoup. Il y a une expérience que vous faites en étant vous même traduit ou si vous lisez à l’étranger. Je me suis rendu au Japon et j’y ai lu mon propre texte en japonais, expérience étrange s’il en est. On comprend dans quelle mesure le monde est spécial, particulier. Dans le cadre d’une traduction, vous vous rendez compte du fait que vous êtes limités à votre propre monde notamment pour ce qui relève du vocabulaire. Par exemple, mon traducteur en France ne connaissait pas les machines agricoles. Cela illustre assez bien dans quelle mesure on est limité à son propre monde. Il y a des mots qu’on utilise qui ne sont peut-être même pas utilisés dans un autre pays. Je trouve que c’est intéressant d’utiliser le terme autrichien pour carotte et pas le terme allemand. Vous, en tant que lecteurs, vous êtes justement attirés par ce qui vous fait peur en tant qu’auteur : est-ce qu’on va me comprendre ? En tant que lecteur, vous avez envie de faire la connaissance d’autre chose. Peut-être fait-on la même chose et peut-on trouver un langage commun. On a pas l’impression que le monde devient alors plus coloré.
Monika Herceg
Je crois que les mots et le rythme sont connectés, liés les uns aux autres. Dans mon premier recueil de poésie, j’utilisais des mots seulement connus des habitants de mon village. Même des Croates se sont demandés ce que ces mots signifiaient. Chaque langue à des écarts et des divergences et il est parfois intéressant de trouver ces écarts, de trouver quelque chose dans cet écart. On peut toujours apprendre quelque chose d’intéressant par rapport à sa propre langue. En Croatie, nous avons trois dialectes qui sont très différents et donc parfois il peut-être étonnant d’entendre un dialecte d’une autre partie du pays. C’est intéressant de voir quelle est votre langue, quelle est votre langage et dans quelle mesure il est différent par rapport aux autres. Il y aussi des pays autour de nous avec des langues très proches, où l’on peut donc trouver des similarités et combler les lacunes.
En ce qui concerne le rythme, il y a des choses tout à fait spéciales dans certaines langues. En Croatie par exemple, on peut accélérer les choses en mettant les lettres dedans. C’est quelque chose à laquelle on peut toucher, ce principe n’existe pas d’autres langues. Si il y a beaucoup de syllabes et qu’on veut traduire en anglais il faut faire preuve de créativité, il faut trouver un autre rythme. Cela me fait penser à un livre de David Crossman. On peut se connecter à d’autres parties de la langue et cela vous donnera le même effet mais par un moyen différent.
Il y a donc parfois quelque chose qui brille dans cette traduction et il est intéressant de raconter l’Europe par les écrivains et écrivaines et pas seulement par des spécialistes. Vous en avez déjà parlé dans vos textes, surtout en tant qu’écrivain : vous avez un regard très direct sur les dangers, les violences, les cruautés autour de vous. Quels sont les points les plus urgents et qu’est ce que vous avez observés en écrivant ?
Reinhard Kaiser-Mühlecker
Personne ne m’oblige à écrire. J’ai l’impression que personne ne m’observe ; lorsque je faisais du sport j’étais meilleur si personne ne m’observait. Lorsque j’écris, je n’ai pas le sentiment, l’impression, que le monde attend mon nouveau livre ou attend ce que j’ai à dire par rapport à la crise en Ukraine. Il y a des auteurs qui prennent position sur le plan politique et de façon régulière. Ce n’est ni mon approche ni ma tâche. Je ne me considère pas comme cela comme ma tâche et cela me donne de la liberté. Je trouve cela assez beau. Mais quelle était la question ?
Dans cette liberté, dans cet état non observé, quel était le thème urgent ? Quels sont les thèmes qui ressortent ?
Pour moi, il est toujours question des conflits intérieurs que j’éprouve et qui sont retranscrits et développés dans un certain personnage. Ce personnage vit quelque part, est enraciné quelque part dans un monde où il y a l’autoroute qui passe à côté pour reprendre un de nos sujets précédents.
Il y a le monde et il y a l’histoire et cette autoroute a été construite par des travailleurs français. Ce n’est pourtant pas quelque chose qu’il faut raconter de manière explicite, je me souviens de cette citation : « il n’y a pas de province dans le monde, il y a uniquement le monde dans le monde ». Pour moi, c’est une consigne et une devise. Les thèmes qui m’occupent et dont je traite partent toujours des relations entre les êtres humains. Bien sûr il y a d’autres points, comme un article de journal sur la pandémie par exemple. Je traite du présent, que ce soit le coronavirus ou la Crimée, car nous savons toujours de quoi on parle. Je suis fasciné par d’anciens textes dans lesquelles, même si on ne mentionne que dans une seule phrase, « le frère est au front », on sait de quoi on parle. C’est le cas pour des bouleversements comme la Guerre civile en Espagne par exemple ou la Seconde Guerre mondiale. Il ne faut pas en parler de manière explicite mais partir des relations entre les êtres humains.
Monika Herceg, chez vous c’est beaucoup plus explicite. Vous partez aussi en guerre très souvent contre les différents obstacles de la vie.
Monika Herceg
En effet je suis tout à fait d’accord avec ce que vient de dire Reinhard Kaiser-Mühlacker. Il n’y a pas d’obligation pour nous. Nous avons cette très belle liberté et nous ne souhaitons être que nous-mêmes. Le livre que nous souhaitons écrire, nous l’écrivons à notre guise. La lecture est pour tout le monde et chacun lirait davantage s’il comprenait la liberté que procure la lecture. Je pense sincèrement que nous devons lire davantage.
En ce qui concerne mon écriture, je dois dire que par moment j’écris sur des choses qui me dérange dans notre société. J’écris sur ces sujets autant que j’ai besoin d’écrire et dans mes derniers textes je travaille encore sur la crise migratoire et les réfugiés. J’ai écrit un roman, quelque chose de totalement différent car j’écris sur les conflits et la famille ainsi qu’un autre qui est lié aux frontières, les choses qui se passent à l’intérieur et à l’extérieur des frontières Nous devons décider dans quel sens les poèmes et la poésie se dirigent. Ce peut-être très politique ou sur ma mère, parce que l’écriture c’est quelque chose où on sent l’essence même qui se dirige vers vous. Il est très important de travailler mais cela vous met à nu, c’est très important comme sensation. Cette histoire de rythme dont vous avez parlé, cela pour moi me donne la liberté d’écrire des choses qui me dérangent énormément. Il y par exemple des féminicides, une femme a été tuée sur un marché par son ex-compagnon et cela en présence de garde du corps. C’est quelque chose qui me rend furieuse, ça me fait mal, ça me fait mal physiquement. Je dois écrire dessus et donc je le fais. Je n’ai qu’une seule règle : lorsque j’ai besoin d’écrire, je le fais sur le thème en question. Certains thèmes sont très lourds, d’autres moins. Je dois dire que je travaille un peu plus lorsque ce sont des romans sur les conflits.