Key Points
  • Les événements de 2021 semblent avoir reflété une population jordanienne de plus en plus lasse de la corruption endémique et de la désorganisation au sommet de l’État.
  • Le pays souffre d’une situation économique complexe qui vient handicaper l’équilibre politique et empêche, par sa dépendance aux aides internationales, la mise en place d’une politique internationale totalement indépendante.
  • Dans les plus hautes sphères de l’État, l’effort de modernisation semble souffrir des réformes constitutionnelles déjà engagées.

Le 3 avril 2021, à quelques jours du centième anniversaire de la création du royaume jordanien, les services de sécurité arrêtèrent une vingtaine de personnes suspectées d’avoir fomenté un obscur coup d’État contre le régime et la famille royale. Parmi elles se trouvaient Bassem Awadallah (ancien conseiller au sein de la Cour royale de Jordanie1 devenu conseiller du prince héritier saoudien Mohammed Ben Salman et possédant la triple nationalité jordanienne-saoudienne-américaine) et Sharif Hassan bin Zaid, membre de la famille royale et représentant spécial du royaume hachémite auprès du gouvernement saoudien. La personnalité la plus en vue dans la tentative alléguée de coup d’État était toutefois le prince Hamzah bin Hussein, demi-frère de l’actuel monarque Abdallah II ibn al Hussein, qui fut assigné à résidence et publiquement désavoué. L’affaire fit grand bruit tant au sein de la presse nationale – dont toute couverture à ce propos fut interdite dès le 6 avril par le procureur d’Amman – que dans les circuits diplomatiques régionaux et internationaux, qui s’empressèrent d’apporter leur soutien au monarque2. Plus largement, l’épisode fut immédiatement interprété comme une tâche dans l’image de ce pays réputé comme l’un des plus stables du Moyen-Orient.

Les deux premiers protagonistes furent condamnés à 15 ans de prison par la Cour de sûreté de l’État3 statuant à huis clos pour « incitation à s’opposer au régime politique existant dans le Royaume » et « réalisation d’actes qui mettent en danger la sécurité de la société et provoquent la sédition », décision confirmée par la Cour de cassation en septembre. Leurs liens avec le royaume voisin d’Arabie Saoudite furent rapidement mis en évidence par les autorités jordaniennes, qui suspectèrent fortement son appui, ou du moins sa connaissance du complot  ; jusqu’à la très récente administration Trump, la Jordanie était en effet considérée comme un obstacle aux accords d’Abraham, en raison notamment des revendications saoudiennes sur les lieux saints de Jérusalem directement administrés par la Jordanie depuis le traité de paix israélo-jordanien signé en 1994. Ces supputations n’exacerbèrent toutefois pas la tension entre les deux pays, les échanges commerciaux demeurant stables, la frontière et les ambassades restant ouvertes.

Le troisième protagoniste de l’affaire, le prince Hamzah, bénéficia relativement rapidement d’un pardon royal sous l’impulsion en coulisse du prince Hassan ben Talal, oncle d’Abdallah II, qui visait à contenir le conflit – pourtant historique – au sein de la famille royale jordanienne. Abdallah n’était en effet pas destiné à devenir roi, le prince héritier étant depuis 1965 Hassan, frère du roi Hussein. Le 24 janvier 1999, treize jours avant son décès, le roi Hussein désigna toutefois Abdallah pour lui succéder, en exigeant qu’il choisisse à son tour comme successeur son autre fils Hamzah, alors âgé de dix-huit ans. Devenu Abdallah II, il ne tint pas sa promesse  : en 2004, il évinça de la succession le prince Hamzah et désigna son propre fils ainé, Hussein, comme héritier du royaume. Cette désignation contraire au souhait du défunt roi Hussein Ier mit à jour un conflit latent au sein de la famille royale, résultant en l’acmé sans précédent d’avril 20214. Aux dires du roi, cette crise constitua «  la plus douloureuse de ses 22 années de gouvernement  ».

Un peu plus d’une semaine après les évènements du 3 avril, les demi-frères Abdallah et Hamzah se sont publiquement et symboliquement affichés ensemble à l’occasion de la célébration du centenaire du royaume, en déposant de façon remarquée une gerbe sur la tombe de leur père Hussein Ier. À cette occasion, le monarque jordanien émit une déclaration dans laquelle il affirma que la révolte «  [avait] pris fin  » et que «  le pays [était] sûr et stable  », annonçant dans la foulée une réforme constitutionnelle pour démocratiser le pays et faire face aux défis auxquels il est confronté.

Selon certains analystes, les évènements d’avril 2021 ne constituaient pas une tentative de coup d’État, mais plutôt la face émergée d’un mouvement de contestation croissant au sein de la société jordanienne de la corruption endémique et de l’incurie de ses dirigeants.

Lucas Gourlet

Selon certains analystes, les évènements d’avril 2021 ne constituaient pas une tentative de coup d’État, mais plutôt la face émergée d’un mouvement de contestation croissant au sein de la société jordanienne de la corruption endémique et de l’incurie de ses dirigeants5. Afin de comprendre les implications nationales, régionales et internationales de cet évènement au sein du petit royaume jordanien, il convient de revenir sur l’histoire complexe de ce pays érigé comme un havre de stabilité au sein d’une région placée historiquement sous influence occidentale.

Entre dépendance politique et dépendance économique

Dès sa création, l’État jordanien fut caractérisé par un double rôle pivot  : celui d’une terre d’accueil des réfugiés régionaux provenant des cinq frontières qu’elle possède avec la Syrie, Israël, l’Irak, l’Arabie saoudite et la Palestine6, et celui d’un pays largement dépendant politiquement et économiquement d’une zone d’influence occidentale au Moyen-Orient.

Aux origines du royaume jordanien, Abdallah Ier de la tribu hachémite7 conclut en 1915 un pacte avec les Alliés visant à précipiter la chute de l’Empire ottoman et garantir la création d’un royaume arabe. Après les accords Sykes-Picot de 1916, le royaume est à la fois sous contrôle militaire des Hachémites et dans la zone d’influence britannique. La première forme de Constitution transjordanienne remonte ainsi à la répartition des pouvoirs entre les autorités mandataires et Abdallah Ier par la loi organique du 16 avril 1928, en l’absence de toute participation du peuple jordanien à son élaboration ou sa ratification du fait de sa forme supra-législative et infra-constitutionnelle8.

Cette proximité politique induit deux conséquences majeures pour le royaume hachémite sur la scène internationale : une importante dépendance économique d’une part, et une relative dépendance politique d’autre part.

La situation de l’économie jordanienne s’est fortement dégradée depuis une dizaine d’années. Alors que la dette publique moyenne des pays de la zone Afrique du Nord/Moyen-Orient était de 54 % du PIB en 20219, celle de la Jordanie s’élevait à 88,4 % à la fin de l’exercice 202010. De la même manière, le pays connaît un taux de chômage de 24 % au troisième trimestre 2021. Le budget de cette même année consacre 65 % de la somme totale aux salaires et retraites de la fonction publique – part s’expliquant en grande partie par l’architecture politique du royaume, où le contrat social s’articule autour d’un vaste système de patronage par lequel les tribus jordaniennes soutiennent la famille royale et reçoivent en retour des salaires dans le secteur public – et 17 % au remboursement de la dette, faisant peser une grande charge sur les finances publiques et très peu de marge de manœuvre pour le gouvernement.

Similairement à une partie des pays de la région, les transferts d’argent de sa diaspora établie dans les pays du Golfe constituent la principale source de ressources extérieures, y compris devant l’aide publique au développement et les investissements directs étrangers  ; or ces transferts ont diminué de 6,9 % en 2021 du fait de la pandémie. De façon concomitante, le secteur touristique qui représente 20 % du PIB s’est effondré, bien que les activités manufacturières, agricoles, minières et de construction ont contribué de manière significative à l’économie du pays ces dernières années.

Pour faire face à ces défis économiques, la Jordanie est dépendante des pays étrangers  : le pays est inscrit sur la liste des bénéficiaires de l’aide publique au développement – selon la définition du Comité d’aide au développement de l’OCDE – et a reçu en 2018-2019 plus de 2 750 milliards de dollars d’aide internationale (ce qui en fait le 9e pays au monde le plus récipiendaire de ces aides, et le 3e de la région Afrique du Nord-Moyen Orient derrière la Syrie et l’Égypte).

La répartition de ces aides est évidemment géopolitique, en tant qu’instrument d’influence et de présence dans ce pays relativement stable à la croisée du Moyen-Orient. Au niveau international, le Fonds monétaire international a approuvé le 1er juillet 2021 le versement d’une seconde tranche de 206 millions de dollars, dans le cadre d’un plan pluriannuel approuvé en mars 2020 d’un montant total de 1,3 milliard de dollars d’une durée de quatre ans  ; cela fait suite au constat du FMI selon lequel «  la Jordanie a affiché de solides performances dans la mise en œuvre de son programme de réformes, qui vise à stimuler une croissance riche en emplois et inclusive, tout en maintenant la stabilité macroéconomique et financière  »11, le liant de façon implicite à la stabilité politique du pays. Viennent ensuite les contributions nationales  : les États-Unis ont versé 1,5 milliard d’aides au développement en 2020, ce qui en fait relativement le premier receveur de l’aide américaine dans la région MENA (à égalité avec Égypte, dont la population est pourtant 10 fois supérieure). De la même manière, la Jordanie était le premier récipiendaire de l’aide au développement des Émirats arabes unis, à 476 millions de dollars – influence économique à rajouter à celle des 250.000 à 300.000 Jordaniens vivant aux EAU, renvoyant chaque année des sommes importantes au pays. Enfin, la Commission européenne a soutenu la Jordanie à hauteur de 5.9 milliards de dollars entre 2007 et 2021, bien qu’elle se soit largement tarie en 2020 et 2021 (respectivement 96 millions et 51 millions de dollars). Sur l’ensemble de cette somme, il est à noter que 1 milliard de dollars était entièrement dédié à la construction et la maintenance d’installations aquifères, vitales pour un pays largement soumis aux aléas climatiques et un climat très aride  ; enfin, il faut rajouter l’ensemble des projets financés par la Banque européenne d’investissement (BEI)12.

La conjoncture politique jordanienne est donc très largement calibrée par sa situation économique, et sa posture géopolitique par rapport aux aides étrangères dont elle dépend, tant et si bien que les Jordaniens ont parfois une perception bien différente des pays avec qui les relations se sont normalisées.

Lucas Gourlet

La conjoncture politique jordanienne est donc très largement calibrée par sa situation économique, et sa posture géopolitique par rapport aux aides étrangères dont elle dépend, tant et si bien que les Jordaniens ont parfois une perception bien différente des pays avec qui les relations se sont normalisées. L’exemple d’Israël est à cet égard très parlant : les deux pays entretiennent de bonnes relations au niveau étatique depuis le traité de paix en 1994 entre le Roi Hussein et le Premier ministre Rabbin, alors que les Jordaniens perçoivent très négativement ce rapprochement  ; selon une enquête de l’Arab Barometer portant sur la période 2018-2019, environ 80 % des Jordaniens interrogés étaient opposés à la coordination des politiques étrangères des États arabes avec Israël. Pourtant, la normalisation de ces relations est vitale du côté jordanien, tant pour ses relations et l’aide économique qu’elle perçoit que pour son approvisionnement en eau. En juillet 2021, le roi Abdallah II et le Premier ministre Naftali Bennet se sont rencontrés à Amman et ont conclu un accord portant sur l’augmentation de la vente d’eau à la Jordanie, opérant de facto un rapprochement judicieux et à moindre coût avec les pays du Golfe après la signature des Accords d’Abraham13. Cet épisode a toutefois provoqué des épisodes de protestation de la part des mouvements islamistes et nationalistes jordaniens14. De ce fait, le roi Abdallah II prend grand soin à continuer d’opérer un numéro d’équilibriste sur la scène régionale  : dans le même mois de juillet 2021, il rencontra ses homologues égyptiens et irakiens à Bagdad pour approfondir leur coopération sur les questions économiques et de sécurité.

Une réorientation stratégique vitale

Au-delà du cadre régional, l’intérêt stratégique des aides américaines et européennes dans le maintien d’une présence militaire et non militaire à long terme au Moyen-Orient est en miroir d’une politique plus tranchée de la part du royaume hachémite. La Jordanie est un des plus grands alliés américains dans la région, particulièrement du point de vue militaire  : outre la Vème flotte américaine protégeant la stabilité en Mer rouge à laquelle la Jordanie possède un accès, la base navale royale d’Aqaba héberge depuis peu la Task Force 59 de la Vème flotte, chargée de la conduite de tests de technologies sans assistance humaine (telles que des drones sous-marins). Cette proximité de longue date est entre autres entretenue par le très fort sentiment antirusse – le plus élevé du Moyen Orient – des Jordaniens, résultant du soutien de Moscou au pouvoir gouvernemental de Bachar El-Assad en Syrie15. De façon notable, la première visite au Moyen-Orient de Josep Borrell (Haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité) fut par ailleurs réservée à la Jordanie, en février 202016.

Déjà évoqué à deux reprises, la conclusion des Accords d’Abraham en septembre et décembre 2020 par Donald Trump avec Israël, les Émirats arabes unis et le Bahreïn ouvrirent pour le royaume hachémite une séquence troublée, en ce qu’ils rayèrent pratiquement la Jordanie de la carte géopolitique régionale, jusqu’à présent – et avec l’Égypte – interlocuteur privilégié et incontournable sur le sujet israélien. La tentative alléguée de coup d’État d’avril 2021 fut alors l’occasion pour les pays occidentaux de redonner des couleurs à leurs relations avec la Jordanie, en soulignant de nouveau son rôle de premier plan dans la stabilité de la région. Tout juste un mois après, le 19 mai, le président de la République Emmanuel Macron recevait le roi Abdallah II à l’Élysée, qui se fendit d’une déclaration conjointe avec le président égyptien al-Sissi dans lequel les trois chefs d’État soulignèrent «  qu’il était urgent de traiter les causes structurelles du conflit israélo-palestinien, en reprenant des négociations effectives pour parvenir à une paix juste et durable  »17. Il est à noter qu’Emmanuel Macron a semblé vouloir marquer, à cette occasion, la formation d’un nouveau format diplomatique tripartite18. Dans la foulée, le roi Abdallah II allait à la rencontre du président américain Joe Biden le 19 juillet. Résonnant du même son de cloche, le communiqué de la Maison-Blanche cite pêle-mêle le «  soutien indéfectible des États-Unis  », «  le rôle important que la Jordanie joue dans la stabilité globale de la région  », le «  renforcement de la coopération bilatérale dans de multiples domaines […], y compris la promotion des opportunités économiques qui seront vitales pour un avenir radieux en Jordanie  »19 et saluait le récent sommet tripartite de Bagdad aux côtés de l’Irak et de l’Égypte. Selon Randa Slim, directrice de programme au Middle East Institute, cette alliance ouvrirait la voie au royaume hachémite à une «  infrastructure de dialogue régional qui fonctionne, là où le Conseil de coopération du Golfe ou la Ligue arabe ont échoué  », marquant ainsi une recalibration – sous les auspices américains – de la diplomatie jordanienne au Moyen-Orient.

La réorientation de la focale américaine vers l’Indo-pacifique et l’Europe de l’est n’est pas sans rapport avec cet effort diplomatique, le ministre des affaires étrangères jordanien Ayman Safadi ayant récemment souligné lors d’une visite officielle aux Etats-Unis que « nous ne pouvons pas compter uniquement sur les États-Unis pour faire tout à notre place. »

Lucas gourlet

La réorientation de la focale américaine vers l’Indo-pacifique et l’Europe de l’est n’est pas sans rapport avec cet effort diplomatique, le ministre des affaires étrangères jordanien Ayman Safadi ayant récemment souligné lors d’une visite officielle aux Etats-Unis que « nous ne pouvons pas compter uniquement sur les États-Unis pour faire tout à notre place. […] Nous devons nous engager dans un schéma bilatéral dans lequel nous faisons ce que nous devons faire, tandis que les États-Unis sont là pour nous soutenir et proposer des idées »20.

Enfin, ce redéploiement s’appuie très largement vers la lutte contre le terrorisme21, alors que le pays est relativement épargné par les attentats qui gangrènent la région et rejette dans son discours officiel le salafisme. Après le triple attentat d’Amman de 2005 revendiqué par Al-Qaida en Irak22, le Parlement vota l’année suivante la loi antiterroriste n°55 révisant le Code pénal de 1960, qui fixa un large périmètre de définition du terrorisme  : même dans le cas de délits liés au terrorisme n’entraînant pas la mort, le crime est passible de la peine capitale23. Les associations de défense des droits humains ont pointé les multiples violations aux principes constitutionnels de la loi de 2006, donnant les pleins pouvoirs aux forces de l’ordre et aux services de renseignement, notamment le General Intelligence Directorate (GID) placé sous l’autorité directe du roi24. Cette dynamique intérieure a toutefois placé de facto l’État jordanien en avant-garde de la lutte régionale contre le terrorisme.

Déjà membre fondateur du Forum mondial de lutte contre le terrorisme (GCTF) en 2011, le roi Abdallah II a lancé en 2015 le processus d’Aqaba, qui vise à améliorer la coopération globale contre le terrorisme et promouvoir la stabilité politique dans la région. Quelques jours après la signature du premier accord d’Abraham d’août 2020 entre Israël et les Émirats arabes unis, le secrétaire général de l’OTAN Mircea Geoană participait au sommet d’Aqaba (tenu virtuellement) et félicitait la Jordanie pour son rôle dans la lutte contre l’extrémisme violent, en tant que «  précieux partenaire  » de l’alliance transatlantique – tout particulièrement contre l’État islamique. 

Nous l’avons vu, une très grande partie de la politique intérieure jordanienne vise donc à donner des gages de stabilité à ses pays contributeurs. L’état géopolitique de la Jordanie est donc avant tout celui de la géopolitique d’État, et comprendre la structure institutionnelle de celui-ci et ses relations avec la famille royale (ou inversement) est, à cet égard, un élément crucial de compréhension de la dynamique jordanienne au Moyen-Orient et dans le monde. Autrement dit, les relations internationales définissent la situation politique jordanienne plus que sa situation politique ne définit ses orientations internationales.

De la géopolitique aux dynamiques politiques internes

La Jordanie est, formellement, une monarchie constitutionnelle de type parlementaire  : le Roi y est puissant, le Parlement inexistant et le Gouvernement (un cabinet) est politiquement et juridiquement responsable devant ce dernier. L’histoire politico-constitutionnelle de la Jordanie est turbulente, marquée par le mandat britannique et la figure tutélaire du roi Hussein Ier. Après la loi organique originelle du royaume de Transjordanie de 1928, une première constitution est établie quelques jours après l’indépendance du pays de 1947, devenu Royaume hachémite de Jordanie  ; une seconde constitution est adoptée par le pouvoir constituant en 1952, afin d’adapter les institutions à l’annexion des territoires arabes de la Cisjordanie25 et introduire des dispositions d’exception pour garantir la sûreté de l’État. Cette constitution est toujours en vigueur aujourd’hui.

En 1956 fut formé le premier – et le seul encore à ce jour – cabinet issu d’une coalition de députés de gauche élus lors des élections générales de la même année ; celui-ci ne dura que 6 mois. Le Roi Hussein le congédia rapidement en avril 1957 après plusieurs épisodes de désaccord avec la politique royale, déclara la loi martiale trois jours plus tard après une tentative de coup d’État par des nationalistes arabes nassériens (s’opposant aux tribus bédouines fidèles à la famille royale), et interdit tout parti politique jusqu’en 198926. À la suite d’émeutes visant la politique d’austérité imposée par le FMI, le roi Hussein y dévoila en effet un programme national de libéralisation politique et économique27, dont la restauration officielle de la compétition électorale. Convaincu – probablement à juste titre – que la plupart des électeurs jordaniens étaient d’abord loyaux envers leur famille et leurs proches plus que de leur idéologique politique, il décida de maintenir les circonscriptions plurinominales tout en modifiant la loi de manière à ce que les électeurs ne puissent choisir qu’un seul candidat dans leur circonscription. De ce fait la Jordanie reste un des deux seuls pays au monde28 à utiliser le vote unique non transférable (SNTV), système très critiqué car réputé pas ou peu représentatif de la distribution globale des votes. Le droit électoral est donc particulièrement injuste, notamment vis-à-vis des Jordaniens-Palestiniens et des grandes villes, qui seraient sous-représentés par rapport aux Jordaniens originaires de l’Est du Jourdan, habitant les périphéries et favorisés par le régime.

Unique dans son fonctionnement, l’élection par les urnes l’est aussi relativement dans son utilité. La gouvernance politique du royaume hachémite se répartit entre quatre pouvoirs propres à une monarchie constitutionnelle : le Roi, le Cabinet des ministres, le Parlement bicaméral et le pouvoir judiciaire. La séparation des pouvoirs est par ailleurs souple  ; à sa majorité des deux tiers, le parlement peut respectivement censurer le cabinet et renverser le droit de véto aux lois que détient le Roi. Dans le détail, celui-ci est composé de la chambre basse des députés (Majlis al-Nuwwab / مجلس النواب)29 et de la chambre haute du sénat (Majlis al-Ayan / مجلس الأعيان)30. Seuls les députés étant élus, les dernières élections législatives du 10 novembre 2020 ont connu un taux de participation inférieur à 30 %, alors que la situation sanitaire du pays était précaire et qu’un confinement fut déclenché le soir même de l’élection. Selon le Washington Post, le vote a majoritairement abouti à l’élection d’hommes d’affaires influents et de candidats indépendants issus des tribus de Transjordanie, tandis que les députés favorables à un ensemble de réformes ont perdu leurs sièges31. En plus de son importance dans le jeu politique jordanien, négociant avec les tribus la stabilité du régime en échangeant influence contre emplois publics, le Roi est constitué comme un pouvoir institutionnel à part et exonéré de toute responsabilité et obligation  : il peut nommer et congédier le Premier ministre, le cabinet, les présidents de chambre et les sénateurs à tout moment, en plus de pouvoir librement dissoudre le Parlement et convoquer de nouvelles élections législatives32. En tant que seuls arbitres de l’équilibre institutionnel, les rois Hussein et Abdallah II ont pu nommer, en conséquence et de façon constante, des premiers ministres fidèles issus de leurs cercles rapprochés, civils comme militaires.

D’un côté, critiquer la famille royale constitue un délit pénal. Après la déclaration par le Roi d’un état d’urgence sanitaire sur le fondement de la loi n° 13 sur la défense, les services généraux de renseignement contactèrent plusieurs journalistes, les interrogeant à propos de leur travail et les dissuadant de couvrir certains sujets ou leur retirant parfois leurs accréditations33 dans ce qui apparaît comme typique des dérives politiques d’un état d’exception juridique. Par ailleurs, la loi sur la cybercriminalité n°27 de 2015 visant une série de délits caractérisés d’infractions terroristes ou de cybercriminalité a été largement contestée au sein de la société jordanienne, la loi ayant été utilisée à des fins de limitation à la liberté d’expression ; le vote par le Parlement en 2019 d’une version amendée du texte (sans consultation préalable de la société civile) a déclenché un second mouvement de protestation, dénonçant sa violation des droits fondamentaux et de la Constitution jordanienne34.

De l’autre, l’utilisation du droit – essentiellement – pénal permet au régime de protéger ses relations extérieures. Emad Hajjaj, le plus populaire des dessinateurs caricaturistes jordaniens, a ainsi été arrêté et détenu 4 jours en 2020 pour avoir critiqué le rapprochement entre les Émirats arabes unis et Israël par les Accords d’Abraham35. La Cour de sûreté de l’État, à l’origine une juridiction militaire pour juger des affaires regardant la sécurité nationale, est aussi très critiquée par les organisations de défense des droits de l’homme en ce qu’elle a servi à la poursuite de civils, manifestants et opposants au régime de façon croissante au cours de la dernière décennie, autant que pour son manque d’indépendance relatif à la nomination de ses juges par le Premier ministre36. Très récemment, celle-ci a condamné le député et chef tribal Osama al-Ajarmeh à douze ans de travaux forcés après avoir publiquement insulté le Roi – et critiqué vertement la politique pro-israélienne du royaume au détriment de la partie palestinienne – et été suspendu par le Parlement jordanien37. Il est à noter que cette condamnation risque de susciter des tensions entre la royauté et les tribus sur lesquelles elle s’appuie pour se légitimer et diriger le pays, après avoir déjà provoqué des émeutes à Naur, au sud-est d’Amman, ville de laquelle est originaire Osama al-Ajarmeh.

Mécaniquement, l’utilisation croissante du droit à des fins politiques va de pair avec le ressentiment sourd et pourtant de plus en plus audible des citoyens jordaniens envers la corruption, accusée d’alimenter les difficultés matérielles de la vie au quotidien.

Lucas Gourlet

Mécaniquement, l’utilisation croissante du droit à des fins politiques va de pair avec le ressentiment sourd et pourtant de plus en plus audible des citoyens jordaniens envers la corruption (le pays occupant la 60e place sur 179 dans l’index de la perception de la corruption de Transparency International), accusée d’alimenter les difficultés matérielles de la vie au quotidien. Les visites séparées du roi Abdallah II et de son demi-frère Hamzah à l’hôpital de Salt – qui ont symboliquement déclenché la crise royale d’avril – ont été précédées d’importantes manifestations, à la suite du décès par manque d’oxygène de sept personnes hospitalisées dans une unité dédiées aux patients du Covid38. De manière plus globale, le Roi Abdallah II est beaucoup moins populaire que son père Hussein depuis sa mise sur le trône en 1999  : fils d’une Anglaise (Antoinette Avril Gardiner de son nom de jeune fille), il passe une grande partie de son temps en Europe. Le prince Hamzah, à l’inverse, est populaire auprès de la population, car considéré comme plus proche des tribus bédouines jordaniennes39, et apparaît critique des errements du pouvoir en place. Jean-Paul Ghoneim, chercheur associé à l’IRIS, relève par ailleurs que le mariage du roi Abdallah II avec Rania al-Yassin, une Palestinienne de Toulkarm considérée comme trop glamour et occidentalisée40, rebute une large frange des conservateurs qui lui préfèrent son demi-frère41. Le Roi est par ailleurs cité dans les Pandora Papers d’octobre 2021 pour un vaste ensemble de propriétés détenues dans le monde, bien que la couverture médiatique nationale fût maigre à ce sujet42.

Pour faire face aux défis qui se présentent tant pour le régime que le roi lui-même, plusieurs révisions constitutionnelles ont étendu au fur et à mesure le pouvoir royal sous les oripeaux de divers comités visant à la démocratisation du pays  : en février 2005, Abdallah II mis en place un Comité royal pour l’agenda National, vite enterré à la suite attentats à la bombe du 9 novembre 2005 revendiqués par Al-Qaïda en Irak (engendrant dès 2006 une loi antiterroriste très restrictive43), les recommandations sur le secteur public jordanien n’ayant de facto jamais été implémentées. En 2011, le Comité de dialogue national pour la réforme fut installé après les Printemps arabes44, le monarque dévoilant par la même occasion un ensemble de «  papiers  » programmatiques sur l’objectif de parlementarisation croissante du régime45.

La dernière révision constitutionnelle en date est celle du 4 mai 2016, votée aux deux tiers par le Parlement et ratifiée par le roi sur proposition de son cabinet. À l’art. 40 qui imposait la contresignature des décrets royaux – notamment de nomination – par le Premier ministre, un alinéa a été rajouté lui permettant de déroger à cette règle pour un certain nombre de postes-clés  : ainsi en est-il entre autres du prince héritier, du président du conseil judiciaire et des membres de la Cour constitutionnelle, du chef d’état-major des armées et des services secrets, renforçant de ce fait la mainmise totale de la fonction du roi sur le schéma institutionnel jordanien. Pourtant, le pouvoir avança une série de justifications démocratiques à cet amendement  : respectivement consolider la séparation des pouvoirs, renforcer l’indépendance des institutions judiciaires et la neutralité des forces de l’ordre, et enfin faire advenir un véritable régime parlementaire en retirant dans un premier temps d’importants pouvoirs de nomination au parlement (plus particulièrement aux députés dans leur individualité) et à l’exécutif, avant de permettre à termes aux députés élus constitués en partis politiques de choisir le chef du gouvernement. Officieusement, la possibilité de contourner le Premier ministre visait à empêcher qu’un élu islamiste ou radical mène une politique non-conforme aux desirata du Roi. Cette révision constitutionnelle marquait déjà un certain retour à une monarchie constitutionnelle de type présidentiel46,déséquilibrant considérablement la balance des pouvoirs et tuant dans l’œuf les espoirs suscités par le Printemps arabe de 2011.

Vers une emprise constitutionnelle croissante : le cas de la « modernisation » de 2021-2022

Qu’en est-il alors de l’état institutionnel après la tentative alléguée de sédition d’avril dernier  ? Force est de constater que les épisodes constitutionnels se succèdent et se répètent, leur régularité marquante ne semblant qu’égaler leur caractère vain.

Force est de constater que les épisodes constitutionnels se succèdent et se répètent, leur régularité marquante ne semblant qu’égaler leur caractère vain.

lucas gourlet

Quelques jours après l’arrestation des différents protagonistes, le roi Abdallah II nomma un «  Comité royal pour la modernisation47 du système politique  » (preuve par ailleurs de la racine politique profonde et non momentanée de cet épisode) composé de 92 membres issus de divers horizons, présidé par l’ancien Premier ministre et consensuel Samir Rifai  ; charge lui était donnée d’élaborer une nouvelle loi qui relancerait le jeu des partis politiques et l’interaction avec les citoyens, mais son mandat limité à la loi électorale plutôt qu’au texte fondamental donna rapidement l’impression d’un déjà-vu des épisodes de 2005 et 2006. Le rapport final soumis au roi en octobre 202148 contient 22 recommandations suggérant notamment deux nouvelles lois portant respectivement sur les élections et les partis politiques, ainsi que diverses propositions sur le travail parlementaire et l’autonomisation des femmes et des jeunes. Il est toutefois à noter que les réactions publiques sur ce rapport furent très minimes en raison de l’importance des préoccupations économiques au sein du petit royaume hachémite49. Tout en soumettant au Parlement les 22 recommandations du Comité royal sous la forme de deux lois distinctes, le gouvernement en a profité pour y joindre 8 amendements constitutionnels. Lors des discussions parlementaires de novembre, le roi Abdallah II a de nouveau affiché sa volonté de tendre vers une monarchie parlementaire, conscient des projecteurs internationaux braqués sur la Jordanie depuis les évènements d’avril  : selon ses dires, «  le modèle démocratique recherché par les Jordaniens est l’incarnation de la volonté politique et de l’intérêt national. Le système politique entame une nouvelle phase critique en accord avec les efforts de modernisation de l’État dans son deuxième centenaire […]. La réforme politique est mise en œuvre parallèlement aux réformes économiques et administratives du gouvernement ». Oraib Rantawi, directeur général du Centre d’études politiques Al-Quds et ancien membre du Comité royal, écrit de la même manière qu’«  un parti politique ne se construit pas à travers la loi sur les partis politiques […] Un parti politique se construit à travers la loi sur les élections  »50.

D’un côté, en effet, la réforme constitutionnelle contenant 25 articles et désormais publiée51 commande la mise en place incrémentale d’un système électoral à deux niveaux (comme cela a été brièvement mis en place en 2013, et avec des quotas réservés aux femmes et aux jeunes jordaniens) pour les représentants de districts et les députés au niveau national, en commençant par 30 % des membres du Parlement élus au suffrage de parti pour aboutir à la totalité à terme52  ; tel système participerait ainsi de la constitution d’un gouvernement (et donc un Premier ministre) approuvé et responsable devant le Parlement, promesse ancienne du pouvoir en place et réitérée par le Premier ministre en poste Bisher Al-Khasawneh.

De l’autre côté, cependant, la réforme constitutionnelle promulguée permet au roi de nommer lui-même les Présidents des cours civiles, de la Cour royale, de la Cour islamique et le Mufti général – la plus haute autorité religieuse du pays53 –, dans le droit prolongement de la réforme constitutionnelle de 2016.

Toutefois, la disposition la plus fondamentale de la loi constitutionnelle est de nature différente : son art. 24 prévoit la création « Conseil de sécurité national », institution ad hoc composée du Premier ministre, du chef des Armées, des directeurs des Forces de sécurité, des ministres de l’Intérieur et des Affaires étrangères et de deux autres membres que le Roi désigne, et qui est constitutionnellement compétent pour connaître des affaires relatives à la défense et la sécurité, aux affaires étrangères et au budget. Si les amendements présentés par le Gouvernement disposaient à l’origine que le Roi devait présider ce Conseil de sécurité nationale, les discussions au Parlement ont supprimé cette présidence de fait ; son pouvoir reste toutefois important en ce que cet organe – devenu agence gouvernementale à part entière après amendements parlementaires – ne pourra être convoqué qu’à la demande du Roi, et qu’il sera par ailleurs présent au cours de ses réunions.

Le ministre des Affaires politiques Musa Maaytah a défendu le projet devant le Parlement en présentant le Conseil de sécurité nationale comme une institution qui « permet de répondre aux défis particulièrement graves de notre époque, en particulier en matière sécuritaire, en assurant une coordination et une coopération entre les institutions civiles et militaires du pays » – ainsi cite-t-il les conflits armés, les guerres, le commerce de drogues, ou encore le terrorisme54. Ce Conseil de sécurité nationale ne constitue cependant pas un nouveau pouvoir en soi dans le schéma institutionnel jordanien, mais plutôt un pouvoir pour soi, c’est-à-dire pour le pouvoir royal. L’édification d’un socle permanent au 4e pouvoir – qui précède alors tous les autres, avec force constitution – apparaît donc comme un obstacle à toute divergence idéologique d’un éventuel gouvernement issu d’une majorité parlementaire55.

Saleh Armouti, membre du Parlement jordanien et ancien bâtonnier de l’Ordre des avocats, dans son commentaire de la réforme, parle d’une « création inconstitutionnelle d’un nouveau pouvoir » qui va affaiblir institutions traditionnelles de l’État : le Parlement, le cabinet et l’autorité judiciaire ; d’une violation des principes fondamentaux de la démocratie, par « la création d’un pouvoir parallèle, incarné par le Conseil de sécurité nationale, qui contourne les pouvoirs du Parlement et du Gouvernement ». Il évoque l’article 45 de la Constitution, qui dispose expressément que « le Gouvernement dirige l’ensemble des affaires du pays » et parle d’une « Constitution en service de réanimation ». Il insiste particulièrement sur la question de l’absence de responsabilité politique du Conseil, de l’impossibilité des parlementaires de contrôler son activité, le roi jouissant d’une immunité totale, ce qui ne peut aboutir qu’à l’autoritarisme56. À l’inverse, d’autres redoutent la fragilisation de l’institution royale, censée incarner la sagesse et l’unité de la Nation et éviter d’intervenir dans les affaires administratives.

La réforme constitutionnelle dont a accouché le Comité royal pour la modernisation politique est ainsi largement controversé, certains voyant une avancée pour la démocratisation de la Jordanie quand la majorité critique la fausse bonne volonté d’un pouvoir se suffisant encore à lui-même, et préparant la constitution d’une nouvelle caste politique loyale à celui-ci.

lucas gourlet

La réforme constitutionnelle dont a accouché le Comité royal pour la modernisation politique est ainsi largement controversé, certains voyant une avancée pour la démocratisation de la Jordanie quand la majorité critique la fausse bonne volonté d’un pouvoir se suffisant encore à lui-même, et préparant la constitution d’une nouvelle caste politique loyale à celui-ci. L’adoption de certains amendements controversés a en effet suscité la colère et le rejet des membres des plus grandes tribus, craignant qu’ils puissent ouvrir la voie à l’adoption d’un accord de paix historique avec Israël, aux dépens des Jordaniens.

Dans tous les cas, la politique intérieure jordanienne – et son roi – devrait en toute hypothèse continuer à se calibrer en fonction de la situation et des aides internationales, cathéters nécessaires à la survie du régime. En fonction depuis le 12 octobre 2020, le Premier ministre Bisher Al-Khasawneh est ainsi un diplomate de carrière ayant été ministre des Affaires étrangères, ainsi qu’ambassadeur dans plusieurs pays et à l’UNESCO. Il faudra au moins cela pour faire face aux défis locaux et régionaux qui lui sont posés  : avec un taux de vaccination de 38 % de la population mi-décembre, la Jordanie reste insuffisamment vaccinée pour un pays politiquement stable du Moyen-Orient, là où l’Arabie Saoudite et Israël sont respectivement à 65 % et 62 %, contre 12.5 % pour l’Irak et seulement 4,2 % pour la Syrie. Outre le volet sécuritaire, l’autre préoccupation qui accapare désormais la diplomatie jordanienne est celle de l’environnement.

En ce qui concerne d’une part l’approvisionnement en énergie, une réunion quadripartite entre officiels égyptiens, jordaniens, syriens et libanais eu lieu le 8 septembre 2021 afin de relancer le projet de «  Gazoduc arabe  » entre ces pays, projet de 1200 kilomètres de long interrompu pendant dix ans en raison du conflit syrien. Les États-Unis ont d’ores et déjà donné leur accord au contournement des sanctions visant la Syrie, et donc à l’acheminement à la fois du gaz égyptien et de l’électricité jordanienne, au grand dam des intérêts russes dans la région57. Le plan actuel du gazoduc prévoit une section d’environ 400 kilomètres sur le territoire jordanien, essentiellement via Aqaba et Amman.

Sur le plan purement environnemental enfin, le pays est, d’autre part, un de ceux manquant le plus d’eau au monde : environ un tiers de sa demande en eau ne serait pas pourvue en raison de l’aridité58 d’un climat de plus en plus soumis au réchauffement climatique, et d’une population en rapide augmentation. Le royaume hachémite a conclu, en décembre 2021, un accord avec Israël et les Émirats arabes unis prévoyant la construction d’un parc solaire sur son territoire en contrepartie de la construction d’une usine de dessalement en Israël. L’accord a très essentiellement été conclu à des fins diplomatiques pour continuer de rapprocher les deux pays, en ce que l’électricité jordanienne ne représentera que 2 à 3 % des besoins israéliens. Afin d’assurer son indépendance énergétique, la Jordanie s’appuie de plus sur son projet d’immense usine de dessalement à Aqaba, au sud du pays, qui permettrait de combler le volume d’eau nécessaire à son plein approvisionnement et de diminuer sa dépendance vis-à-vis de l’extérieur. D’une durée de construction estimée à 5 ans pour un coût budgété de 1 milliard de dollars, l’usine devrait toutefois être édifiée par un des cinq consortiums retenus à ce stade : un saoudien, un hispano-saoudien, un japonais, un franco-égyptien ou un franco-saoudien. 

Sources
  1. Lien institutionnel entre le Roi et le régime politique jordanien (exécutif, législatif, judiciaire).
  2. Parmi elles, le président Biden et la Présidente de la Commission européenne Ursula van der Leyen.
  3.  محكمة أمن الدولة , tribunal militaire présidé par Lieutenant-colonel Muwafaq al-Masaeed.
  4. La reine Noor, mère du prince Hamzah et belle-mère du roi Abdallah II, déclarait sur Twitter qu’« il y a aujourd’hui bien plus de preuves d’une mauvaise gouvernance du roi que d’une conspiration étrangère contre lui », peu après l’arrestation des différents protagonistes. L’origine du conflit ouvert tirerait ses sources symboliques au mois précédent de mars 2021, lorsque le prince Hamzah est allé – après son demi-frère de roi – recueillir à l’hôpital public d’Al-Salt les doléances des familles de victimes emportées par une coupure d’oxygène au sein d’un service dédié aux patients atteints de Covid-19.
  5. T. Nusairat, Jordan was never ‘boring.’ A vibrant protest movement has been ignored for too long, Atlantic council, 9 avril 2021 (https://www.atlanticcouncil.org/blogs/menasource/jordan-was-never-boring-a-vibrant-protest-movement-has-been-ignored-for-too-long/).
  6. La Jordanie est historiquement un pays d’accueil, de réfugiés provenant d’Irak et du Koweït pendant la première guerre du Golfe, mais aussi des Palestiniens à partir de 1948. Selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, la Jordanie accueillait en 2020 plus de 750 000 réfugiés officiellement enregistrés – Syriens pour l’énorme majorité – pour une population totale de 10.2 millions de personnes  ; en comptant les cas officieux, les estimations font état de 1.3 millions de réfugiés (soit, pour un ordre de grandeur, environ 10 % de la population totale du pays).
  7. Tribu arabe descendante de l’arrière-grand-père du prophète Mahomet et historiquement gardienne de la ville sainte de la Mecque.
  8. Ce processus mandataire constitutionnel fut relativement accepté de la population jordanienne, en partie parce que les Britanniques mirent en place une politique de répartition foncière équitable contrairement aux autres pays de la région  : accompagnant la transition d’un système de propriété collectif à un système individuel, ils recoururent à un financement extérieur des commerçants afin d’éviter l’accaparement des terres par une élite foncière et politique (P. Blanc, Terres, pouvoirs et conflits : Une agro-histoire du monde, Presses de Sciences Po, 2018, pp. 221-287).
  9. Communiqué de presse de la Banque mondiale, 2 avril 2021  : https://www.banquemondiale.org/fr/news/press-release/2021/04/02/strong-institutions-will-be-key-to-mena-recovery-amid-rapid-accumulation-of-public-debt.
  10. Indicateurs et conjonctures, document de la direction du Trésor, Ministère de l’Economie, des Finances, et de la Relance, 28 décembre 2020 : https://www.tresor.economie.gouv.fr/Pays/JO/indicateurs-et-conjoncture.
  11. Communiqué de presse de la Banque mondiale, 17 novembre 2021  : https://www.banquemondiale.org/fr/news/press-release/2021/11/17/remittance-flows-register-robust-7-3-percent-growth-in-2021.
  12. Projets financés en Jordanie, site de la Banque européenne d’investissement : https://www.eib.org/fr/projects/loans/index.htm?q=&sortColumn=loanParts.loanPartStatus.statusDate&sortDir=desc&pageNumber=0&itemPerPage=9&pageable=false&language=FR&defaultLanguage=FR&loanPartYearFrom=1959&loanPartYearTo=2021&orCountries.region=true&countries=JO&orCountries=true&orSectors=true.
  13. Le canal de la mer Rouge à la mer Morte (RSDSWC, ou « canal de la paix »), un projet de collaboration entre Israël, la Jordanie et l’Autorité palestinienne, était auparavant déjà prévu, mais a été abandonné en juin 2021.
  14. D Kuttab, Jordanian public unhappy with Israeli water deal, Al-monitor, 25 novembre 2021 : https://www.al-monitor.com/originals/2021/11/jordanian-public-unhappy-israeli-water-deal.
  15. Publics Worldwide Unfavorable Toward Putin, Russia, Pew Research Center, août 2017  : https://www.pewresearch.org/global/2017/08/16/publics-worldwide-unfavorable-toward-putin-russia/.
  16. Remarques conclusives de Josep Borrel après sa rencontre avec Adballah II de Jordanie, Commission Européenne, 3 février 2020  : https://ec.europa.eu/neighbourhood-enlargement/news/jordan-remarks-high-representative-vice-president-josep-borrell-following-his-meeting_de?2nd-language=it.
  17. Déclaration conjointe des chefs d’État de la France, de l’Égypte et de la Jordanie , Élysée, 19 mai 2021  : https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2021/05/19/joint-statement-of-the-leaders-of-france-egypt-and-jordan.
  18. Le communiqué mentionne qu’« ils [se] sont convenus de se réunir à nouveau dans le même format au cours des prochains jours  » (ibid).
  19. Compte-rendu de la rencontre entre le président Joe Biden et le roi Abdallah II de Jordanie, Maison-Blanche, 19 juillet 2021  : https://www.whitehouse.gov/briefing-room/statements-releases/2021/07/19/readout-of-president-joseph-r-biden-jr-meeting-with-king-abdullah-ii-of-jordan/.
  20. S. Mathews, Arab states must do ‘heavy lifting’ in the region as US pulls back, says Jordan’s foreign minister, Middle East Eyes, 13 janvier 2022 (https://www.middleeasteye.net/news/jordan-arab-states-must-do-heavy-lifting-region-us-focus-china-russia).
  21. Rapport de Refworld sur le terrorisme en Jordanie, 19 septembre 2018  : https://www.refworld.org/docid/5bcf1f9ea.html.
  22. Précédé de la promotion royale du «  Message d’Amman  » de 2004, appelant à la tolérance et à la paix au sein de la communauté islamique et rejetant «  l’agression gratuite et le terrorisme  ».
  23. Cette loi a par ailleurs été modifiée par le Parlement jordanien en 2014 pour élargir la définition d’un «  acte terroriste  ».
  24. Amman Center for Human Rights Studies, The negative effects of terrorism on the enjoyment of human rights and fundamental freedoms : The case of Jordan, 2018  : https://www.ohchr.org/Documents/HRBodies/HRCouncil/AdvisoryCom/Terrorism/AmmanCenterHumanRightsStudies.pdf.
  25. Officiellement consacrée par le décret d’unification adopté par le Parlement jordanien le 24 avril 1950.
  26. La Jordanie comptait une vie politique florissante dans les années 1950, notamment des partis communistes, nationalistes, islamistes et socialistes. Aujourd’hui, et bien que plus de 50 partis politiques soient officiellement enregistrés, un seul grand parti a pu continuellement présenter des candidats à la Chambre basse des députés  : le Front d’action islamique (IAF).
  27. C. Ryan, A new cycle of reform in Jordan, Arabe Center (Washington DC), 21 octobre 2021 (https://arabcenterdc.org/resource/a-new-cycle-of-reform-in-jordan/).
  28. Avec la petite nation du Vanuatu.
  29. 115 membres élus au scrutin proportionnel à liste ouverte dans 23 circonscriptions  ; 15 sièges sont par ailleurs réservés aux femmes (majoritaires dans le pays), 9 à la minorité chrétienne, et 3 autres aux minorités tchétchène et circassienne.
  30. Littéralement « la chambre des notables » dont les compétences législatives sont égales à celles de la Chambre des députés. Celle-ci est composée 65 membres tous nommés par le roi, essentiellement issus du secteur public, gouvernemental et diplomatique  ; le dernier renouvellement en date a eu lieu peu avant les élections législatives, le 27 septembre 2020, Faisal Al-Fayez étant reconduit à sa présidence.
  31. K. Kao et E.J. Karmel, The pandemic compromised Jordan’s parliamentary elections , The Washington Post, 20 novembre 2020 (https://www.washingtonpost.com/politics/2020/11/20/pandemic-compromised-jordans-parliamentary-elections/).
  32. Ce qu’Abdallah II fit le 4 octobre 2012.
  33. Rapport annuel d’Amnesty International, 2020  : https://www.amnesty.org/en/location/middle-east-and-north-africa/jordan/report-jordan/.
  34. Notamment des garanties de l’article 6 (liberté personnelle), l’article 15 (liberté d’expression), l’article 18 (secret de la correspondance) de la Constitution du 1er janvier 1952. Il est toutefois à noter que le même article 15 connaît une exception principale : «  en cas de déclaration de la loi martiale ou de l’état d’urgence, une censure limitée aux journaux, publications, livres et émissions en ce qui concerne la sécurité publique et la défense nationale peut être imposée par la loi  »
  35. La critique de ces deux pays a déjà mené par le passé à l’arrestation de Zaki Bani Irsheid, n°2 des Frères musulmans en Jordanie, et du professeur de pharmacologie Eyad Qunaibi pour une publication sur Facebook.
  36. Jordan : End Protester Trials in State Security Courts, Human Rights Watch, 30 novembre 2012 : https://www.hrw.org/news/2012/11/30/jordan-end-protester-trials-state-security-courts.
  37. Jordan : Protests after Osama al-Ajarmeh jailed for insulting king, Middle East Eye, 27 janvier 2022 : https://www.middleeasteye.net/news/jordan-protests-after-politician-jailed-insulting-king.
  38. Entraînant la démission du ministre de la Santé et la poursuite en justice des responsables de l’hôpital.
  39. Le grand reporter François d’Alançon relève à juste titre que plusieurs membres de l’influente tribu Majali (dont firent partie trois anciens Premiers ministres, un ministre d’État et deux commandants en chef des forces de sécurité jordaniennes) sont comprises parmi les personnes arrêtées en avril 2021 après les allégations de coup d’État. (https://www.la-croix.com/Monde/Pourquoi-famille-royale-dechire-Jordanie-2021-04-05-1201149376).
  40. Héritant souvent dans son pays du surnom de «  Reine aux sacs à main  » aux 6.6 millions d’abonnés Instagram, la reine Rania exercerait toutefois une relative influence politique en privé  ; elle est notamment citée dans les documents de Wikileaks en ce qu’elle a échangé en 2008 avec des hauts fonctionnaires du Sénat américain pour «  contrer l’influence de l’Iran  » (https://wikileaks.org/plusd/cables/08AMMAN869_a.html), et a déjà rencontré plusieurs dirigeants sans son mari.
  41. J-P. Ghoneim, Jordanie : que révèle la tentative de putsch sur l’état du Royaume ?, IRIS, 23 avril 2021 (https://www.iris-france.org/156704-jordanie-que-revele-la-tentative-de-putsch-sur-letat-du-royaume/).
  42. La Cour royale hachémite (organe de liaison entre le pouvoir royal et les pouvoirs politiques – gouvernement, parlement, autorité judiciaire –, de l’armée et des services de sécurité) émit néanmoins un communiqué rejetant les allégations d’achat par le Roi de ces propriétés par l’utilisation de fonds publics, déclarant que «  ces allégations sont diffamatoires et conçues pour viser la réputation de la Jordanie, la crédibilité de Sa Majesté et le rôle essentiel qu’elle joue au niveau régional et international  ».
  43. La loi antiterroriste n°55 de 2006 révisant le Code pénal de 1960 fixe un large périmètre de définition du terrorisme  ; même dans le cas de délits liés au terrorisme n’entraînant pas la mort, le crime est passible de la peine de mort. Cette loi a par ailleurs été modifiée par le Parlement jordanien en 2014 pour élargir la définition d’un «  acte terroriste  ». Les associations de défense des droits humains ont pointé les multiples violations aux principes constitutionnels de la loi de 2006, donnant plein pouvoirs aux forces de l’ordre et aux services de renseignement, notamment le General Intelligence Directorate (GID) placé sous l’autorité directe du Roi Abdallah II (https://www.ohchr.org/Documents/HRBodies/HRCouncil/AdvisoryCom/Terrorism/AmmanCenterHumanRightsStudies.pdf).
  44. C. R. Ryan, Jordanian Foreign Policy And The Arab Spring, Middle East Policy, 21 : 144-153 (https://core.ac.uk/download/pdf/345094697.pdf).
  45. Discussions Papers, King Abdullah II, https://kingabdullah.jo/en/vision/discussion-papers.
  46. S. Obeidat, Jordan’s 2016 constitutional amendments : A return to absolute monarchy ?, Constitutionnet, 27 mai 2016 : https://constitutionnet.org/news/jordans-2016-constitutional-amendments-return-absolute-monarchy.
  47. Depuis les printemps arabes de 2011, les principaux partis d’opposition revendiquent l’usage du terme « moderniser » à la place de celui de « réforme ».
  48. King receives report of Royal Committee to Modernise Political System, The Jordan Times, 4 octobre 2021 : http://jordantimes.com/news/local/king-receives-report-royal-committee-modernise-political-system.
  49. Osama Al Sharif, Jordanians lukewarm on government reform proposal, Al-monitor, 13 octobre 2021 : https://www.al-monitor.com/originals/2021/10/jordanians-lukewarm-government-reform-proposal.
  50. Hala Abu Ghazaleh, The ongoing debate on political parties in Jordan, Konrad Adenauer Foundation, 5 octobre 2021 (https://www.kas.de/en/web/jordanien/single-title/-/content/the-ongoing-debate-on-political-parties).
  51.  Journal officiel du Royaume hachémite de Jordanie, 31 janvier 2022 : https://doc.pm.gov.jo/DocuWare/PlatformRO/FileCabinets/7e6f119f-71f4-4ed3-8023-b6a6db8bcb15/Documents/57461/FileDownload?_auth=7E11224AC2E2C4167F213467AA623E1AE12823CC670F1B5C2A0081619A2F73F48E8394D82F409CD4CC8EF58469FDFE4EAF939FD757966EA050993644DF3291A3B81CF5ED3F3C1A0140119D69D3B96D32873202366819D2D3E1F72BA0A31DA72F0733E3791804D4036EC0659AD045063DABCC7FCD0C230139F8D8124664D7E4F68916C6CA0F676BEF0803BAD64A5A59837218B634F610B5B48F4F041A37B97C7466DEC28870A10CE27CBB26636939BC1E78F06BC545F0F8A6D3F457FB08950F5CD7911B15C92AB31519E5091A1F2CE2D36F21508080CA869B03976D0C2EAB9513F49A85D0ADB6A2D40CB567AC80DBD5A8&targetFileType=PDF&keepAnnotations=true&downloadFile=false&autoPrint=true&layers=1%2C2%2C3%2C4%2C5.
  52. C. Ryan, op. cit.
  53. Celui-ci préside notamment le Conseil de la fatwa, de la recherche et des études islamiques, qui supervise les orientations juridiques de la loi islamique au sein du Royaume. Ce poste est donc d’une importance vitale pour le Roi, face aux partis islamiques d’opposition.
  54. D. Kuttab, Mixed reaction in Jordan over amendment to expand king’s power, Arab news, 28 novembre 2021 : https://www.arabnews.com/node/1976541/middle-east.
  55. Même si cette hypothèse reste, au surplus, très improbable en l’état  : aux dernières élections de novembre 2020, le Front d’action islamique (IAF) et le Parti du Centre Islamique – plus importants partis d’opposition – ont tous deux acquis 5 députés à la chambre des députés, sur 130 députés au total.
  56. M. Ersan, Jordan’s king accused of expanding powers through constitutional amendments, Middle East Eye, 3 décembre 2021 : https://www.middleeasteye.net/news/jordan-king-abdullah-accused-expanding-powers-constitutional-amendments.
  57. Contrairement aux américains et aux européens, la Russie a toujours été défavorable à l’implantation de gazoducs au Moyen-Orient, car contraires à ses intérêts économiques et politiques liés au prix du gaz.
  58. 80 % du pays est déjà classifié en zone désertique ou semi-désertique.