• Cette séquence s’annonçait tendue, à moins de trois mois de l’élection présidentielle française. Si le gouvernement a clairement affiché son souhait de se tenir éloigné des questions d’ordre national, son discours s’inscrit inévitablement dans une candidature encore officieuse. Les députés européens français opposants au président n’ont pas manqué l’occasion d’utiliser cette plateforme pour tenter de le mettre en difficulté.
  • En effet, le discours d’orientation générale d’une présidence tournante devant les députés est un exercice périlleux pour les chefs d’État français, auquel ils ne se soumettent que très exceptionnellement dans le cadre national. Plus politique que technique, ce discours n’aura pas été l’occasion d’annonces majeures sur le fond des dossiers, à l’exception de l’annonce de vouloir faire entrer dans la Charte des droits fondamentaux le droit à l’avortement. Le cadre de référence reste la conférence de presse du 9 décembre dernier.
  • Le président a commencé son discours en rendant hommage à Roberta Metsola, nouvelle présidente du Parlement et qui succède à David Sassoli, décédé la semaine dernière. Le président a ensuite structuré son discours autour de trois grandes promesses européennes : « la démocratie, le progrès et la paix » qu’il estime menacées par « le retour du tragique de l’histoire ». 
  • Sur la démocratie, le président a marqué sa volonté de défendre la démocratie libérale face « aux voix [qui] s’élèvent aujourd’hui pour revenir sur nos grands textes fondamentaux », mais aussi en s’attaquant aux ingérences étrangères. Il a également affiché son intention de faire des propositions sur le plan interne, évoquant une forte volonté franco-allemande d’octroyer le droit d’initiative pour le Parlement européen.
  • « Nous sommes cette génération qui redécouvre la précarité de l’état de droit et de la démocratie. » Le président s’est ensuite attaqué à la remise en cause de l’état de droit au sein de l’Union européenne, sans toutefois faire directement référence à la Hongrie ou la Pologne. « L’état de droit n’est pas une invention de Bruxelles comme on l’entend dans certaines de nos capitales » a-t-il déclaré. Ce passage du discours est à contraster avec l’intervention d’Alexander de Croo lors de la cérémonie d’ouverture du collège d’Europe.
  • « La fin de l’état de droit, c’est le règne de l’arbitraire. » Avec cette phrase, Emmanuel Macron s’inscrit dans les pas de François Mitterrand et de la formule célèbre “le nationalisme, c’est la guerre” prononcée lors de son discours de présentation du programme de la présidence française de 1995. À cette époque, Mitterrand dressait le bilan de son action européenne dans un contexte politique bien différent, dans la mesure où il achevait son dernier mandat et ne pouvait pas être candidat à sa succession.
  • Le président a également dit vouloir actualiser « la Charte des droits fondamentaux pour être plus explicite sur l’environnement ou la reconnaissance du droit à l’avortement ». Une tournure de phrase qui peut s’apparenter à une charge adressée à la présidente Metsola, notoirement opposée à l’avortement mais dont il a soutenu la candidature.
  • Sur l’agenda social, Emmanuel Macron a mentionné la réduction des inégalités salariales entre les hommes et les femmes, les droits pour les travailleurs des plateformes ou encore l’introduction de quotas de femmes dans les conseils d’administration des entreprises ». Il est toutefois resté relativement vague à propos des perspectives d’aboutissement des dossiers en cours.
  • L’Europe est « une manière d’être au monde de nos cafés à nos musées ». Le président évoque l’Europe de Steiner – en 2020, nous avions rencontré Clément Beaune lors d’une longue conversation dans laquelle il évoquait lui aussi les travaux du philosophe. 
  • Sur le volet climatique, le président affiche sa volonté de passer des « intentions aux actes » et souhaite accélérer la mise en œuvre du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, le déploiement de clauses miroirs et d’une loi contre la déforestation importée. Sur le plan technologique, le président souhaite approfondir le marché unique du numérique pour favoriser l’émergence de champions européens tout en encadrant les dérives du numérique. Il s’inscrit ici dans le calendrier du Digital Services Act et du Digital Market Act, les deux textes législatifs majeurs qu’il espère voir aboutir durant la présidence française.
  • En ce qui concerne les questions sécuritaires, Emmanuel Macron reprend là encore les grandes orientations de sa conférence de presse du 9 décembre 2022 en affichant l’ambition de renforcer Frontex, réformer l’espace Schengen et déployer une force gouvernementale d’intervention rapide pour protéger les frontières. Ce dernier dossier est toutefois très enlisé au niveau européen et offre peu de perspectives d’aboutir pendant la présidence française. Plus consensuel, sur la défense, le président a réaffirmé son ambition de faire aboutir la boussole stratégique, mais aussi de définir une doctrine de sécurité et une stratégie de défense et d’indépendance stratégique. 
  • Emmanuel Macron a affiché son intention de repenser les politiques de voisinage pour « faire de l’Europe une puissance d’équilibre ». à cet effet, il évoque une « nouvelle alliance avec le continent africain » dont les contours doivent être précisés lors du Sommet prévu en février. Il est notamment question d’un « New deal économique et financier », mais aussi d’un agenda de sécurité pour lutter contre la montée du terrorisme et les réseaux d’immigration illégaux. 
  • Sur les Balkans occidentaux, l’intervention du président était assez ambiguë, articulée autour d’une « volonté de donner des perspectives sincères d’adhésion dans un temps raisonnable », combinée à la nécessité de « repenser les règles de l’adhésion et d’être sincère sur le cadre dans lequel les pays des Balkans occidentaux ont leur place ». Les échanges autour de cette question doivent se poursuivre à l’issue de la conférence sur l’avenir de l’Europe. 
  • À propos du Royaume-Uni, Emmanuel Macron marque sa volonté d’apaiser les tensions en affirmant que « l’Europe et le Royaume-Uni doivent retrouver le chemin de la confiance ». Derrière ce signe d’ouverture, Emmanuel Macron s’en remet à « la bonne foi du gouvernement britannique » et au respect des engagements pris dans le cadre du Brexit. 
  • Concernant le dialogue avec la Russie et la situation en Ukraine, Macron souhaite bâtir un ordre de sécurité collective sur le continent qui doit permettre à la fois le réarmement stratégique de l’Europe et le dialogue avec la Russie. Le président rejette la notion de « sphère d’influence » et souhaite privilégier le format Normandie pour la recherche de solutions politiques.
  • Lors de la séance de débat avec les députés, Manfred Weber, le chef de file du PPE, s’est exprimé en premier en critiquant le président Macron sur son bilan européen. « L’Europe a-t-elle été vraiment plus souveraine que par le passé ? » a-t-il demandé au président, lui reprochant par là même un décalage entre paroles et actes. Il a notamment critiqué la notion d’une dichotomie entre populistes et progressistes, qu’il considère comme une stratégie de clivage, et s’est félicité de l’émergence d’une « concurrence saine au centre de l’échiquier politique avec Valérie Pécresse », indiquant sans détour sa volonté de la voir élue.
  • Iratxe Garcia Perez s’exprimait ensuite au nom du groupe socialiste. Celle-ci a critiqué le bilan social européen de ces dernières années, l’absence d’action mais aussi l’absence de fermeté du président français vis-à-vis de la Pologne et la Hongrie sur la question de l’État de droit. Elle a également mentionné l’importance de « ne pas faire de l’Europe une forteresse ». Sur le terrain de l’appartenance, un des grands axes de la présidence, Mme Perez a fait référence à la polémique autour du drapeau européen sous l’Arc de triomphe le 31 décembre et le 1er janvier, en qualifiant le retrait du drapeau de « mauvais signe ». Le président s’est ensuite expliqué sur ce point, dénonçant une erreur d’interprétation au sujet d’un acte purement protocolaire.
  • Stéphane Séjourné s’exprimait ensuite au nom du groupe RENEW. Il s’agissait pour lui d’un exercice délicat, du fait de sa proximité et de son implication dans la campagne présidentielle du président Macron. Séjourné a notamment fait l’objet de critiques au sein du groupe politique pour ses prises de position dans le débat national. En réaction au discours de Manfred Weber, il a vertement reproché au PPEde ne pas avoir agi pendant les cinq ans de présidence Juncker. Il a ensuite dressé un bilan positif de l’action européenne du président français, mentionnant le pacte vert ou encore le fonds de relance européen. Il a ensuite proposé deux initiatives de son groupe, sur l’égalité entre les femmes et les hommes, au travers d’un pacte Simone Veil, et sur l’Europe de la jeunesse, au travers de la création d’une plateforme pour aider les jeunes européens.
  • Yannick Jadot s’est ensuite exprimé au nom des Verts européens. Dépassant très largement le temps de parole qui lui était imparti, il a dénoncé le décalage entre les ambitions affichées et le bilan français et européen d’Emmanuel Macron. Il a ainsi condamné une « alliance climaticide » avec la Pologne et la Hongrie. « Vous resterez dans l’histoire comme le président de l’inaction climatique » a-t-il fini par déclarer en conclusion d’un discours de campagne, éminemment politique. Il a notamment évoqué la position française vis-à-vis de l’accord d’investissement avec la Chine, aujourd’hui au point mort. Deux rappels au règlement ont suivi cette intervention, lors desquels Stéphane Séjourné et Iratxe Garcia Perez se sont indignés de l’instrumentalisation de cet exercice à des fins électorales.
  • Jordan Bardela intervenait ensuite pour le groupe ID. « Votre Europe à 60 ans, la nôtre en a 3 000 » a-t-il dit en ouverture d’un discours très offensif et principalement axé sur la question migratoire. Alternant les références à une multitude de dossiers européens et français, son intervention s’inscrivait également dans une démarche de campagne. « Pour le bien de la France et de l’Europe il serait bien que votre mandat reste unique » a-t-il fini par conclure. « Vous avez très méthodiquement dit n’importe quoi. Ça n’est pas en disant méthodiquement n’importe quoi […] qu’on peut finir par dire des vérités » a rétorqué Emmanuel Macron à l’issue des premières prises de parole.
  • Enfin, pour le Groupe de la Gauche, Manon Aubry s’est exprimée en critiquant également le bilan européen et national d’Emmanuel Macron. « Votre bilan européen n’est qu’arrogance, impuissance et manigance » a-t-elle déclaré, reprochant notamment au président le fait d’avoir maintenu la présidence du conseil de l’Union européenne malgré l’échéance électorale nationale. « Vous avez dit quelque chose qui est très juste, à savoir que la présidence française du Conseil de l’Union européenne ne doit pas être un marchepied électoral […] à plusieurs ici, vous avez eu raison de ne pas le faire » a rétorqué Emmanuel Macron ironiquement.