La première édition du prix littéraire Grand Continent – qui reconnaît chaque année un grand récit européen – se déroulera au coeur du massif du Mont Blanc. Rendez-vous le 18 décembre pour la proclamation du prix sur la pointe Helbronner, à 3466 mètre d’altitude.
Dita Táborská, Černé Jazyky (Les Langues noires), Host
Un récit qui se déroule à Taïwan et aborde les thèmes de la recherche de la vérité et de la place de l’individu dans l’histoire.
Bao habite à Taïwan. Il fait tout pour avoir le contrôle de sa vie. Il a une carrière brillante, ses enfants fréquentent des écoles prestigieuses et même sa relation problématique avec son ex-femme Sedrika ne semble pas le déranger. Il faut dire que l’essentiel, à Taiwan, est de ne pas perdre la face quoi qu’il arrive.
Mais tout change soudain lorsque Sedrika tombe gravement malade et que son fils David décide de rencontrer son oncle Tao, avec qui Bao s’est brouillé sous le prétexte fallacieux d’un héritage. À partir de ce moment, toutes les couches de mensonges et de brouilles familiales passées sous silence s’effritent progressivement et changent radicalement la vie de tous ceux qui entourent Bao. Les apparences sont toujours trompeuses et rien ne se passe comme les personnages du roman le souhaiteraient.
Le personnage de Bao et l’histoire de sa famille reflètent le destin d’un pays durement éprouvé et les lointaines traumatismes de ses ancêtres. Les Langues noires montrent la fragilité de nos conceptions à propos de valeurs telles que la vérité, le devoir, l’honneur et l’amour, et l’immense difficulté qu’il y a à s’exprimer de manière authentique et sincère.
Paulina Chiziane, Balada de Amor ao Vento (Ballade de l’amour dans le vent), Editorial Caminho [1990]
L’attribution il y a quelques semaines du prestigieux prix Camões à la Mozambicaine Paulina Chiziane a incité sa maison d’édition à republier ses livres épuisés, pour le plus grand bonheur des lecteurs. Publié en 1990, La Ballade de l’amour dans le vent fut le premier roman d’une femme mozambicaine à paraître au Portugal. L’œuvre dresse le portrait sur une génération qui essaie de trouver l’amour dans un pays encore brisé par les plaies et les séquelles d’une indépendance fragile, économique et socialement. Sarnau et Mwando sont les protagonistes de cette histoire d’amour. De la jeunesse à la maturité, nous voyageons avec eux à travers les jours, les mois, les années, les rencontres et les inadéquations, les séparations douloureuses, le désespoir, la souffrance et la joie, les larmes et les sourires.
Cláudia Andrade, Um Pouco de Cinza e Glória (Un peu de gris, un peu de gloire), Edições Elsinore
Ariel veut imiter Oscar, son frère aîné, un « vrai brave » qui est mort quelques jours avant de pouvoir enfin prouver son courage à la guerre, où tous les hommes du village marchent. Il ne reste que les inaptes à la gloire : les femmes, les enfants, les trop vieux ou ceux qui portent secrètement en eux une peur invétérée. Au village, parmi ceux qui restent, se croisent des histoires de vengeance, d’amour, de douleur, de luxure, de violence et de crime, des histoires qui mettent face à face ce que nous sommes sous le poids de nos instincts les plus primitifs et la figure éthérée de nos désirs les plus cachés.
Après les succès de Quartos de Final e Outras Histórias et Caronte à Espera, Cláudia Andrade compose un roman choral dans lequel, à partir des lambeaux de la vie de Fredo et Cora, Balbina et Mateus, Vidal, Calisto et Muriel, est cousue l’image de notre propre humanité.
Josefine Klougart, Alt dette kunne du få (Tout cela tu pourrais l’avoir), Copenhague, Gladiator
C’est l’hiver et Barbara voyage à travers le pays avec son bébé pour rejoindre sa mère et sa sœur tandis que son père doit subir une chirurgie cardiaque majeure. L’opération se déroule comme prévu, mais lorsqu’il ouvre les yeux, le regard qui croise Barbara est vide et ne semble plus la reconnaître ; comme les yeux d’un être humain dont l’âme se serait enfuie. De cette chute initiale, Barbara revient sur l’histoire de sa famille, de l’enfance pauvre de sa mère à la réalisation de sa vision de la vie libre en harmonie avec la nature à Mols Bjerge, où grandissent les filles. Sa relation de dépendance et son conflit avec ses sœurs ; les désirs des parents, les traumatismes passés et les dissimulations.
Le roman est le portrait d’une famille et du passage du temps à travers nous. Il question ce que veut dire être femme et mère en 1980 et en 2020. Il questionne aussi l’ancrage de l’individu dans un temps et dans un lieu, dans la terre. C’est un roman sur les liens qui relient les êtres humains entre eux, mais l’être humain au non-humain ; à ce que nous appelions autrefois la « nature ».
Ce n’est pas par hasard si, parmi les auteurs cités, on trouve Annie Ernaux, connue pour avoir fusionné le récit familial et le récit social. Klougart cite le début des Années : « Toutes les images disparaîtront ». La lutte pour sauver les images de l’oubli est aussi celle de Klougart, qu’elle mène dans un langage poétique si précis qu’on se sent heureux d’être un être humain sur cette terre, doué de sensations, et qu’on se sent en même temps sent écorché par la finitude de l’existence, la vulnérabilité de la terre, la force et la fragilité des liens qui nous unissent.
Miklós Estherházy, Az Öreghegy meséi. Történetek egy elvarázsolt helyről (Contes de la Vieille Montagne. Histoires d’un lieu enchanté), Budapest, Magvető
Une tortue dans l’étang devient un dinosaure, un escargot qui monte sur un tas de bois fait le bruit d’une locomotive, un jeune olivier, maigre, portant une écharpe de l’AC Milan autour du cou, sonne à la porte du jardin, le ver du bois avale d’un trait une grammaire portugaise : voilà quelques-uns des événements les plus normaux qui arrivent à la Vieille Montagne.
Les histoires de Miklós Esterházy nous transportent dans ce lieu féerique, où nous rencontrons des gens qui y vivent dans les quatre saisons à la fois et apprenons ce qui se passe lorsque deux personnes font un vœu en même temps, en regardant la même étoile filante. Le caractère lyrique de l’histoire rappelle le monde magique d’Ervin Lázár (par exemple Le Dom do dom, traduit du hongrois par Joëlle Dufeuilly, La Joie de Lire, 2012) : des contes et des paraboles pour des adultes qui n’ont pas complètement oublié qu’ils étaient, et pouvaient être, des enfants. Le livre est complété par des dessins de l’auteur.
« Je sais depuis longtemps qu’un conteur a le pouvoir de changer le monde. Et depuis que j’ai lu ce livre, je sais que le monde est à nouveau un peu meilleur, car en Miklós Esterházy, un nouveau conteur est né. Ses récits poignants et contemplatifs, à la recherche des secrets de la Vieille Montagne, nous rapprochent des profondeurs de notre existence, afin que nous devenions nous-mêmes des êtres humains plus vrais. » (Ildikó Boldizsár, critique et historienne de la littérature)
« La Vieille Montagne est un lieu enchanté à tel point que l’on pourrait croire qu’elle est loin de toute grande ville. Pourtant, la première grande ville, Gîte du Roi, n’est qu’à vingt minutes de route des vaches. Nous avions l’habitude de venir ici tous les matins lorsque nous avions quelque chose à faire, or tous les matins nous avions à faire.
Gîte du Roi, est une immense ville qui compte des milliers d’habitants, mais il y a bien longtemps, elle ne comptait qu’une seule maison, dans laquelle vivait un seul homme : le roi. Ce roi était tellement fatigué au milieu d’un long voyage qu’il s’est arrêté et a dit qu’il ne bougerait plus d’ici. Il a donc construit une maison et il a vécu toute sa vie là. Tous ceux qui voulaient pouvaient lui rendre visite, mais il refusait de voyager une heure de plus.
Alors, un par un, tous ceux qui avaient des affaires avec le roi sont venus ici. Le conseiller, le greffier, le tailleur et le bouffon du roi. L’héritier du trône, mais aussi les parents éloignés qui voulaient monter sur le trône. Les prêtres ont attiré les mages et les mage ont attiré les charlatans. Avec le roi sont venus ses serviteurs et ceux qui recherchaient ses faveurs, ses sujets et mais aussi les assujettis. Ce petit lieu est rapidement devenue un haut lieu, une ville comme les autres. Mais la maison du roi et les riches bâtiments qui l’entourent restent magnifiquement préservés à ce jour. Celui qui s’y promène oublie facilement en quelle année on est. Et si vous vous y rendez, vous apercevrez tôt ou tard l’atelier de l’encadreur. »
Julia Franck, Welten auseinander, Fischer Verlage
Une enfance dans le milieu artistique ost-berlinois des années 1970, un départ pour l’Allemagne de l’Ouest, une existence chaotique et sans moyen dans une ferme du Schleswig-Holstein aux côtés d’une mère à jamais étrangère, une sœur jumelle et deux autres sœurs, un départ précipité pour Berlin-Ouest – seule cette fois – qui ressemble à une fuite alors qu’elle n’a que treize ans, tels sont quelques aspects abordés dans le dernier roman de Julia Franck : Welten auseinander (littéralement : « à des lieues les uns des autres »). Ses impressions et sentiments dans leurs nuances, la narratrice a commencé très tôt à les consigner dans un journal intime qu’elle écrit sans relâche, seule affirmation de soi et seule chance de salut. Julia Franck fait preuve d’une grande sensibilité et précision dans l’écriture, explorant à travers son histoire familiale – notamment celle de sa grand-mère, de sa mère et la sienne – l’expérience du deuil, de l’étrangeté et de la honte.
Mohamed Mbougar Sarr, La Plus Secrète Mémoire des hommes, Philippe Rey
Remis pour la première fois à un auteur sénégalais, le dernier Prix Goncourt a marqué l’actualité littéraire francophone.
En 2018, Diégane Latyr Faye, jeune écrivain sénégalais, découvre à Paris un livre mythique, paru en 1938 : Le labyrinthe de l’inhumain. On a perdu la trace de son auteur, qualifié en son temps de « Rimbaud nègre », depuis le scandale que déclencha la parution de son texte. Diégane s’engage alors, fasciné, sur la piste du mystérieux T.C. Elimane, se confrontant aux grandes tragédies que sont le colonialisme ou la Shoah. Du Sénégal à la France en passant par l’Argentine, quelle vérité l’attend au centre de ce labyrinthe ?
Sans jamais perdre le fil de cette quête qui l’accapare, Diégane, à Paris, fréquente un groupe de jeunes auteurs africains : tous s’observent, discutent, boivent, font beaucoup l’amour, et s’interrogent sur la nécessité de la création à partir de l’exil. Il va surtout s’attacher à deux femmes : la sulfureuse Siga, détentrice de secrets, et la fugace photojournaliste Aïda…
D’une perpétuelle inventivité, La plus secrète mémoire des hommes est un roman étourdissant, dominé par l’exigence du choix entre l’écriture et la vie, ou encore par le désir de dépasser la question du face-à-face entre Afrique et Occident. Il est surtout un chant d’amour à la littérature et à son pouvoir intemporel.
« La plus secrète mémoire des hommes relève de l’enquête, passionnant et déroutant cheminement à travers une mosaïque de témoignages, de récits et d’écrits, mais aussi du roman initiatique. » (Frédérique Roussel, Libération)
Lauréat du Prix Goncourt 2021
Liliane Giraudon, Polyphonie Penthésilée, P.O.L
Polyphonie Penthésilée, par son titre, poursuit une démarche d’écriture originale où les femmes sont au centre des textes et de leur production comme de leur détournement. Les textes de Polyphonie Penthésilée font état de cette « forme de guerre » dans le travail d’écriture poétique. Les moments de paix sont vécus comme si la guerre était fatiguée et se reposait pour mieux rebondir dans la langue. Ce long poème, entre divagation ou scénario, est le fruit d’un braconnage dans la vie de tout le monde. On y rencontre des morts plus vivants que les vivants, un homme y mord un chien, une femme aboie, partout la peur avec une pratique de vies jetables alliée à l’énigmatique beauté du monde. Tout le poème tente de répondre à la question : « Que fait le poème par ces temps de malheur ? » Penthésilée, reine des amazones, y chevauche dans sa petite armure peinte et dans la polyphonie des voix emmêlées. Elle tente de soulever une autre question : celle de savoir ce que les femmes font à la poésie quand après des siècles d’effacement, d’accès interdit, ce vide, cette non-mémoire pesant sur elles, corps et langue, il leur faut s’affronter au poème. Comment affronter le caractère redoutable de la littérature institutionnalisée. Comment inventer dans la langue des stratégies de pillages, détournements, inventions, découpages.
Parution en décembre 2021
Giacomo Leopardi, Disegni letterari (Desseins littéraires), Sous la direction de Franco D’Intino, Davide Pettinicchio, Lucia Abate, Quodlibet
L’ouvrage recueille pour la première fois dans une série organique tous les « desseins littéraires » de Giacomo Leopardi (Recanati 1798 – Naples 1837) : il s’agit de projets que Leopardi accumula tout au long d’une vie, bien que conscient de l’impossibilité de les mener à bout. Les quasi deux cents titres d’ouvrages – accompagnés presque systématiquement d’une présentation de thématiques, modèles, projets corrélés – que ces documents d’inestimable valeur nous transmettent sont le témoignage, précieux, de la pulsion vitale et créatrice d’un auteur qui trouva dans l’inachevé la dimension la plus profonde de son génie littéraire. Ils nous confirment aussi toute la stupéfiante actualité de son œuvre.
Sur la base de nouvelles études des manuscrits, les dix-sept desseins littéraires inédits qui composent ce recueil, notés sur cartes éparses et papiers de petite tailles jalousement conservés, sont accompagnés d’un appareil philologique rigoureux et riche de commentaires qui inscrivent savamment ces fragments d’une part au sein de l’œuvre léopardienne d’autre part dans un dialogue constant avec les autres voix de la modernité européenne.
Jukka Viikilä, Une réception divine (Taivaallinen vastaanotto), Helsinki, Otava Kirjat
Avec ce roman, Jukka Viikilä vient d’obtenir pour la seconde fois le prix Finlandia, le principal prix littéraire finlandais, ce qui a d’autant plus surpris la presse finlandaise qu’il ne s’agit que du second roman de l’auteur. Auparavant, Viikilä était surtout reconnu comme poète et dramaturge.
Dans Une réception divine, l’auteur évoque la figure de Jan Holm, son alter ego, un écrivain qui subit une opération chirurgicale à cœur ouvert, comme Viikilä lui-même. Holm entre ensuite en convalescence puis publie son nouveau roman, également intitulé Une réception divine, texte spéculaire et fragmentaire qui devient le sujet principal des conversations des nombreux autres personnages, habitants d’Helsinki, lecteurs avides, issus des milieux les plus divers. Ils font part de leurs idées sur le roman, spéculent sur la mort de Jan Holm, et forment un réseau d’individualités qui se croisent, méditatives ou exaltées, dans une sorte de fresque urbaine sur le succès, la culture et la solitude.
Kaspars Aleksandrs Irbe, Slēptā dzīve. Homoseksuāļa dienasgrāmata 1927-1949 (La vie cachée. Journal d’un homosexuel 1927-1949), Ascendum, édition et notes par Ineta Lipša
Kaspars Aleksandrs Irbe est un anonyme, un parfait inconnu. Né en 1906 dans une famille lettone modeste à Jūrmala, la plage de Riga — c’est là qu’il a vécu jusqu’à sa mort en 1996. Diplômé en gestion et administration commerciale, polyglotte, c’est un esprit sociable, curieux et cultivé, amoureux des livres, de la nature, du soleil, des corps — masculins. Jusqu’à sa retraite en 1968, il est employé de bureau dans diverses administrations (finances, impôts, justice). À partir de 1927, il tient son journal, avant tout à des fins domestiques, pour se remémorer et revivre en pensée ses plaisirs, et notamment ceux qu’il trouve dans sa pratique du cruising dans les parcs, les rues sombres du Vieux Riga, au « Temple de Vesta » (les toilettes publiques de la gare centrale), dans les interstices aveugles des régimes dictatoriaux — national-populiste, soviétique ou nazi — qui tous prétendent brider sa subjectivité et pénalisent l’amour entre hommes. Le premier volume (528 pages) qui vient d’être publié couvre la période 1927-1949, sachant que l’ensemble représente en tout 72 cahiers retraçant 56 ans : une mine, un trésor qui sera dévoilé pas à pas.
« 25.04.1937 — 10 heures du soir
Hier, splendide soirée à Riga. Le soleil. Les arbres et les buissons ont revêtu leurs nouvelles feuilles. Herbe verte. Rues noires de monde. Chaud. J’ai marché le long des boulevards, des jardins publics, la Motte-du-Bastion. Plus tard, nous nous sommes baladés avec Elcbergs et les deux de la rue Blaumanis. On a bien rigolé. On a fait les fous sur l’Esplanade. Il s’est mis à pleuvoir. Ils sont partis au Restaurant à lait. Moi, je suis allé au kiosque devant chez Schwartz. Plein de monde. Des connaissances. J’ai rencontré un étranger. Jeune gars très blond. Mignon. Arrivé il n’y a pas longtemps. Elcbergs est arrivé. Ils ont parlé ensemble de Berlin, etc. On s’est encore promenés avec Elcbergs. Il ne restait plus que cinq minutes avant mon train. Il m’a fallu deux minutes pour être sur le quai de la gare — l’Opéra, le canal, etc. Un sacré sprint. Il n’y avait personne. Aujourd’hui, je suis allé à pied jusqu’au bois de Dzintari. Belle journée. Plein de promeneurs. »
Dans sa lumineuse préface, l’historienne lettone Ineta Lipša, qui en est « l’inventeuse » au sens archéologique, explique l’apport exceptionnel du témoignage d’Irbe pour la compréhension du passé des homosexuels en Lettonie, et plus généralement dans l’espace soviétique, sachant qu’il n’y aurait à ce jour qu’un seul autre journal « gay » connu pour l’URSS.
Il ne s’agit pas d’un texte fixé et abouti, mais de notes, jetées le plus souvent « à chaud », au petit matin lorsque le premier train ramène Irbe à la maison ou quand, après une nuit sans sommeil, il part bronzer dans les dunes. L’édition proposée, avec son appareil critique foisonnant, permet de surmonter le caractère fragmentaire du propos, de décrypter les plus sibyllines allusions, les codes et les jargons. La thématique du désir et de la sexualité est certes centrale dans le journal, mais elle ne l’épuise pas. Conscient de l’impossibilité de vivre autrement qu’entre deux univers devant rester étanches l’un à l’autre, il est parvenu précocement à élaborer un équilibre entre un quotidien vécu au grand jour, d’une parfaite normalité, et une vie clandestine sans laquelle Irbe sait qu’il aurait tôt ou tard mis fin à ses jours. Toutefois, ce mur imposé par l’ordre extérieur n’est nullement redoublé par un discours moral ou religieux qui contaminerait l’espace intérieur. Irbe est indemne de toute confession, et un continuum semble s’établir entre son érotisme secret et son aspiration supérieure à la joie, sa capacité à se délecter du monde qui l’entoure — sa très vive sensibilité étant même l’évident ressort de son acuité d’observation et de la finesse de ses descriptions.
Certains livres brûlent durablement les doigts — longtemps après les faits relatés, après la disparition de leurs auteurs et protagonistes. Le journal intime de Kaspars Aleksandrs Irbe relève de cette catégorie. S’il ne prétend en aucune façon à « la littérature », il est parcouru de part en part d’un frémissement vital et d’une liberté joyeuse. Au-delà de son apport documentaire considérable sur un aspect méconnu de l’histoire sociale européenne, ce journal nous offre une rencontre avec un personnage singulier d’une grande densité humaine et d’une justesse morale exemplaire dans sa détermination à gagner envers et contre tout la « vie bonne » qui lui est due.
Simen B. Hagerup, Jordverv (Tour de Terre), Kolon Forlag
Des forces mystérieuses entraînent la retraitée Tatjana dans un monde étrange et étranger, où les humains vivent côte-à-côte avec des êtres spirituels imprévisibles. Tatjana arrive dans une société à l’ombre d’un empire déchu et s’allie avec un pêcheur local. Ensemble, ils entreprennent un voyage à travers les continents pour trouver le chemin du retour.
Jordverv est un livre de fantasy pour adultes et le premier roman de Simen B. Hagerup. Le livre est un conte d’origine aventureux et une histoire sur la perte – bien écrit, drôle et qui vole haut.
« Plus de gens devraient faire comme Hagerup […]. La gymnastique mentale de Jordverv est divertissante, au meilleur sens du terme. Ce roman tente de maintenir notre imagination en éveil. » (Carina Elisabeth Beddari, Morgenbladet)