Décès du poète estonien Jaan Kaplinski
Le grand poète, prosateur et essayiste estonien, Jaan Kaplinski, est décédé le 8 août à l’âge de 80 ans. Grand polyglotte et intellectuel européen, Kaplinski a placé la nature et la pensée écologique au cœur de son œuvre, opposant au capitalisme occidental une vision holistique de la vie et de l’univers.
Né le 22 janvier 1941 d’une mère estonienne et d’un père polonais mort au Goulag, Jaan Kaplinski avait fait des études de français et de linguistique à l’Université de Tartu. Dès son premier recueil de poèmes, Jäljed allikal (Les traces au bord de la source), publié en 1965 dans la fameuse collection « Noored autorid » (Jeunes auteurs), il avait joué un rôle central dans la renaissance poétique estonienne des années 1960. Après avoir exploré de multiples voies, hésitant entre les vers réguliers rimés, les vers libres profus ou laconiques et les longs versets de plusieurs lignes, sa poésie s’était stabilisée à partir de 1985 sous la forme de poèmes en vers libres non rimés qui faisaient entendre une voix poétique simple et apaisée, plaçant la recherche formelle au second plan pour se concentrer sur la transmission aussi directe que possible d’une expérience vécue et d’une pensée de l’existence. Sa poésie méditative, influencée par les sagesses orientales, puisait son inspiration dans la vie quotidienne et accordait une place importante à la nature qui était pour lui, dans une perspective bouddhiste, une voie d’accès à l’approbation du réel et à la compréhension de l’unité de l’être.
Parallèlement à son œuvre poétique, il avait commencé dans les années 1970 à publier des textes en prose dans des genres très divers : pièces de théâtre (Le jour des quatre rois, 1977), autobiographie ou autofiction (D’où vint la nuit, 1990 ; Le même fleuve, 2007), nouvelles fantastiques (L’Œil, Hektor, 2000), récits de voyage (Printemps sur les deux côtes, 2000), contes pour la jeunesse (Deux soleils, 2005). Ses nombreux essais politiques et philosophiques, publiés à partir des années 1990, l’avaient imposé comme un intellectuel de premier plan, sans conteste l’un des penseurs européens les plus originaux de notre temps, même si la situation périphérique de l’Estonie ne lui avait pas permis d’être pleinement reconnu au-delà des pays baltes, de la Finlande et de la Scandinavie. Inlassable critique de la société occidentale, de sa pensée dichotomique et de sa volonté de dominer la nature, il leur opposait une vision holistique de la vie et de l’univers, une pensée écologique attentive à l’ensemble du monde vivant et aux conditions de sa préservation, ou encore la quête d’une authenticité primordiale inscrite dans les structures profondes des langues finno-ougriennes.
Grand polyglotte, il avait traduit au fil des années de nombreux ouvrages du français (Alain-Fournier, André Gide), de l’espagnol (Carlos Fuentes), de l’allemand (Nelly Sachs), du polonais (Stanislaw Lem), du suédois (Tomas Tranströmer), du chinois (Lao Tseu). Dans sa dernière période, renonçant à l’estonien, il avait choisi d’écrire des poèmes directement en anglais, en russe, en finnois, mais aussi en võro, la langue régionale du sud de l’Estonie.
Il avait reçu de très nombreux prix littéraires, y compris hors des frontières de l’Estonie, et son nom avait été mentionné à plusieurs reprises pour le prix Nobel de littérature. Sa poésie a été traduite dans une vingtaine de langues. En français, seuls deux recueils ont été publiés et la majeure partie de son œuvre immense et capitale reste encore à découvrir 1.