Key Points
- Le Système de Combat Aérien du Futur, ou SCAF, est le plus ambitieux projet de défense en collaboration entre la France et l’Allemagne et, depuis 2019, l’Espagne.
- Pour les Verts, grands gagnants des élections du 14 mars au Bade-Wurtemberg et dont l’importance dans la future coalition devient de plus en plus crédible, plusieurs arguments sont toutefois en défaveur de ce programme.
- La politique intérieure de l’Allemagne cette année pèsera immanquablement sur ce véhicule stratégique, pilier d’une Europe de la défense.
Les Verts allemands aiment se penser comme les plus ardents défenseurs de l’Europe de tout leur pays. Ils voient en la France leur plus important partenaire vers une plus grande intégration européenne et pour avancer vers la transformation verte et socialement juste de l’Union européenne. La vision du président français Emmanuel Macron pour une Europe souveraine est également entièrement partagée par les Verts. Pourtant, leur rôle dans la prochaine coalition gouvernementale allemande, résultat probable des élections de septembre d’après les sondages, pourrait signer la fin du prestigieux projet franco-allemand (et maintenant également espagnol) de défense industrielle, le Système de Combat Aérien du Futur (SCAF).
Pour les Verts, il y a deux arguments en défaveur du SCAF : les drones armés et les armes nucléaires.
La France et l’Allemagne ont dans un premier temps exprimé leur intention de collaborer pour développer un nouvel avion de combat européen lors d’une rencontre entre cabinets ministériels en 2017. Des déclarations ultérieures sont venues préciser les exigences militaires que le SCAF est supposé atteindre, ainsi que la répartition du travail entre les parties impliquées. L’Espagne s’est jointe au projet en 2019.
Le SCAF prévoit un « système de systèmes » : un jet de combat de sixième génération, accompagné de drones inhabités, incorporé dans un cloud de combat pour une communication homogène entre les différentes plateformes et les autres parties des forces armées intégrées dans tous les domaines. D’ici 2040, le SCAF est supposé remplacer et renforcer les types d’avions plus anciens dans les flottes aériennes militaires françaises, allemandes et espagnoles, et leur fournir de nouvelles capacités en réseau afin de projeter leur puissance aérienne et de naviguer dans un environnement de plus en plus contesté. Jusqu’ici, Berlin a investi environ 110 millions d’euros dans le projet, ce qui représente seulement un peu plus de 0,1 % du coût total estimé à 100 milliards. Les premiers investissements conséquents attendent une approbation prochaine.
Pourtant, après seulement quatre ans d’existence, le projet SCAF rencontre déjà des difficultés. Les différences culturelles et structurelles entre la France et l’Allemagne dans leurs politiques et leurs processus d’approvisionnement militaires ont créé de la frustration des deux côtés. Un des contentieux concerne l’importance relative des différents piliers du projet ainsi que l’importance du SCAF en comparaison des autres projets sur lesquels la France et l’Allemagne se sont accordées en 2017. L’Allemagne s’inquiète que la direction française sur le projet d’avion ne supplante les autres piliers du SCAF et le nouveau projet commun de char de combat mené par l’Allemagne. Il y a également eu des désaccords quant aux régulations de l’exportation déterminant à qui les technologies émergeant du SCAF pourraient être vendues dans le futur, Berlin souhaitant des restrictions plus strictes que Paris.
Si les Verts allemands « sont d’accord avec le principe » selon lequel la prochaine génération de technologies militaires doit être codéveloppée avec la France pour renforcer la souveraineté européenne, eux aussi sont en désaccord avec Paris concernant les restrictions aux exportations, et fustigent l’actuel gouvernement allemand pour avoir cédé sous les pressions françaises. Plus encore que les régulations, le principe de l’autonomie de la machine et son rôle nucléaire pourrait amener les Verts à signer l’arrêt du projet SCAF s’ils entraient au prochain gouvernement allemand.
Les Verts, comme les Sociaux-Démocrates (SPD), opposent un grand non aux armes autonomes. Les deux considèrent les actuels drones armés pilotés à distance comme l’unique étape avant les systèmes armés entièrement autonomes de demain. En décembre, le SPD, en tant que membre de l’actuelle coalition gouvernementale, est revenu sur son soutien à ce que l’armée nationale allemande, la Bundeswehr, reçoivent de nouveaux drones armés, avançant que presque une décennie à débattre des pours et des contres de tels systèmes ne suffisait toujours pas pour prendre une décision. Les Verts font face à dilemme : s’ils rejoignent le prochain gouvernement aux côtés des Chrétiens Démocrates (CDU), qui soutiennent l’acquisition des drones armées, une opposition persistante à cet équipement pourrait entacher leur image d’acteur politique responsable, alors qu’une approbation leur mettrait à dos leurs électeurs pacifistes. Dans les deux cas, le SPD a « refilé la patate chaude » et peut critiquer les Verts depuis les lignes de touche.
Cet épisode pourrait laisser présager des difficultés pour le SCAF. Jusqu’ici, les processus et les procédures étaient au cœur des contentieux. Cependant, à mesure que le projet progresse, des questions beaucoup plus sensibles sur les capacités militaires seront mises en lumière. Les drones sont une partie intégrante du SCAF, comme capteurs de mouvement et comme armes de plateforme avec différents degrés d’autonomie. Comme tels, ils servent de multiplicateurs de force et de « bras droit » pour l’aviation, au cœur du SCAF.
Pour explorer les problèmes éthiques et légaux de l’autonomie qui sont liés au SCAF et guident le projet, Airbus et l’institut allemand Fraunhofer, ont créé un panel d’experts. Coïncidence, Ellen Ueberschär, la co-présidente de la fondation Heinrich Böll, associée au parti Vert, est une des experts. Elle a également récemment publié une tribune sur le partenariat transatlantique, dans lequel elle a appelé l’Allemagne à se réengager pour le partage nucléaire à l’OTAN, ce qui lui a valu une volée de bois venue des principaux politiciens verts. Bien que sans rapport avec le SCAF, cet épisode montre leur autre refus catégorique : celui de l’armement nucléaire.
Le SCAF a toujours eu un rôle nucléaire, au moins implicitement. Le chasseur de la prochaine génération est supposé remplacer les Rafales français et les Tornados allemands, les deux ayant la capacité de transporter des armes nucléaires – respectivement les missiles de croisière français et les bombes américaines. Pour la France, la transition du Rafale au SCAF sera homogène ; l’Allemagne cherche actuellement une solution intérimaire pour assurer sa contribution au partage nucléaire de l’OTAN pour les années 2030 jusqu’à ce que la prochaine génération de chasseurs soit disponible. Si l’Allemagne abandonnait le partage nucléaire dans cet intervalle, comme le souhaitent les Verts et le redoute la CDU, elle n’aurait plus besoin d’un nouveau modèle d’avion pour assurer ce rôle particulier. Cependant, contribuer et financer le développement d’un système à capacité nucléaire, même si l’Allemagne ne voulait faire usage que des parties non-nucléaires, serait incohérent, au moins dans l’esprit, avec le nouvellement effectif Traité sur l’interdiction des armes nucléaires. Ce sont les Verts qui ont enjoint l’actuel gouvernement à le ratifier.
Comme avec les drones, le rôle nucléaire du SCAF va attirer une attention croissante et une opposition grandissante. Si une certaine compartimentalisation, comme la création de deux démonstrateurs de technologies parallèles, pourrait réduire une certaine pression à abandonner le projet, cela ajouterait également encore davantage de parties mobiles à un système déjà complexe et accroîtrait les coûts de développement dans le temps. Couplé aux frictions bureautiques dans le processus d’approvisionnement et aux préoccupations sur l’autonomie et les armes nucléaires, des coûts accrus pourraient rapidement éroder le soutien politique au SCAF en Allemagne. Le fait que le système d’armement autonome et la dissuasion nucléaire ne représentent pas seulement des détails techniques du projet, mais aussi des lignes de fracture centrales au débat contemporain sur la défense européenne, en rajoute au casse-tête.
S’ils entrent au gouvernement, les Verts auront à approuver une dépense de plusieurs milliards d’euros d’ici 2025 pour faire avancer le SCAF – ou voter son abandon.