En début de semaine, le président Xi a tenu une réunion lors de laquelle il a insisté sur la nécessité de réformer le système de santé et de construire « un système de santé publique à même de protéger la vie des gens ». En particulier, Xi a souligné le besoin urgent de renforcer la capacité de surveillance et d’alerte précoce des épidémies et des urgences de santé publique, et d’arriver à un meilleur mécanisme de surveillance des maladies de causes inconnues et des incidents sanitaires anormaux. Les déclarations du président mettent également l’accent sur le besoin d’allier expertise scientifique et mobilisation de ressources pour lutter efficacement contre les épidémies, comme l’a montré l’expérience de la gestion de la crise du COVID. Notons que la Chine est censée avoir réformé son système d’alerte avancé en cas de menace épidémique après l’épidémie de SARS en 2003. Que va-t-il sortir de ces appels à réforme ?
Associated Press a publié cette semaine des révélations intéressantes sur les origines du dysfonctionnement de l’administration chinoise au début de l’épidémie. Selon les informations obtenues par l’agence américaine, l’OMS qui a chanté les louanges de la Chine sur la scène internationale était frustrée en privée du peu d’informations reçues et de la lenteur à laquelle les nouvelles données sur la maladie lui étaient transmises. La Chine aurait ainsi attendu plus d’une semaine avant de transmettre le génome décodé aux autorités sanitaire internationales. L’article pose plusieurs questions sur la stratégie risquée de l’OMS de cajoler la Chine pour accéder à davantage d’informations sur l’épidémie. Enfin, les révélations d’AP offrent des indices sur certaines raisons qui peuvent expliquer l’absence de partage d’informations et la censure de différents résultats de séquençage début janvier : la rivalité entre certains laboratoires et le Centre De Contrôle des maladies (CDC). En effet, les scientifiques de ce dernier sont en rivalité tant entre eux qu’avec les autres scientifiques, dans une course afin de publier les résultats au plus vite. Ainsi le CDC aurait voulu s’assurer que ses équipes (ou l’une d’entre elles) publient les résultats en premier.
L’illusion de la consommation
En mars, de nombreux économistes ou chefs d’entreprises anticipaient un rebond net de la consommation une fois l’épidémie passée. Cette consommation impulsive aurait alors permis de relancer l’économie. On se rend aujourd’hui compte que cette reprise massive était illusoire. Les chiffres des vacances du 1er mai (5 jours de vacances) sont un bon exemple : le nombre de touriste représentaittseulement 60 % de celui de l’année dernière, et le nombre de passager dans les transports seulement 45 % du chiffre de l’année précédente. Selon Huxiu, le problème est plus général : la demande chinoise montre des signes de fatigue. Depuis deux ans déjà, on observe que la croissance de la consommation ralentit depuis deux ans déjà. Cette faiblesse peut s’expliquer d’une part par la dette des ménages chinois, qui est parmi les plus élevée au monde. Elle atteint désormais des niveaux comparables à celle des ménages américains avant la crise financière de 2008. D’autre part, l’explosion du e-commerce a eu pour effet de capter une grande partie des dépenses de la population.
Ainsi, l’épidémie a porté un coup décisif à une consommation déjà amoindrie. Selon une étude d’un centre de recherche de l’université Renmin, 70 % des salariés chinois pensent que leur salaire va baisser à la suite de l’épidémie et la majorité d’entre eux pense pouvoir maintenir leur niveau de consommation pendant seulement 3 mois. Une chute de la consommation serait dommageable aux millions de TPE et micro-entreprises chinoises, qui représentent 85 % du total des entreprises. Pour cette raison, Pékin a fait le choix de distribuer les coupons de consommation dont nous avons déjà parlé dans d’anciens Passe Muraille. Selon Huxiu, cette stratégie est meilleure car elle permet de soutenir la consommation, là où des “subventions” à l’américaine ne garantissent pas une consommation accrue des ménages.
Ces coupons sont désormais utilisés dans la majorité des villes chinoises. Pékin a rejoint la danse le 6 juin avec des milliards de RMB distribués notamment aux particuliers, coupons devant être utilisés dans des magasins ou des restaurants participants à l’opération. Si Hangzhou fut la ville pionnière des coupons consommation, de nombreuses villes ont adopté cet outil pour booster la consommation en particulier lors de la crise financière de 2008-2009 – voir notamment le tableau dans l’article. Les résultats seraient probants : à Hangzhou, lors de la première vague de coupons lancés le 27 mars, une moyenne de 35 yuan investis a “provoqué” près de 130 yuan de dépensés par les particuliers, soit un effet d’entraînement de 3,5. Néanmoins le recours aux coupons consommation ne fait pas l’unanimité, ou plutôt suscite des interrogations.
En effet, certains chercheurs et économistes se posent des question sur l’utilité à long terme de ces outils. Pour certains, les coupons risquent simplement d’accroître la consommation à court terme, dans la mesure où les dépenses qui auraient pu être réparties sur l’année le sont désormais dans une période de temps plus courte. Ainsi, ces coupons ne seraient qu’un moyen pour les gouvernements locaux de stabiliser l’économie locale, de lutter contre le chômage. Dans tous les cas, Pékin mise une grande partie de sa relance de la consommation sur ces coupons.
Les relations Chine-Europe face aux commémorations du massacre de Tiananmen
Cette semaine est marquée par les commémorations du massacre de Tiananmen du 4 juin 1989, anniversaire choisi pour le lancement d’une alliance internationale pour la Chine, multipartisane et interparlementaire. Entendant protéger l’intégrité des démocraties et des droits humains, le groupe compte, entre autres, deux députés européens, deux suédois et deux allemands. Dans la même veine, le Musée national des droits humains de Taiwan s’est vu attribué une récompense spéciale dans le cadre du Prix Karl Wilhelm Fricke, une organisation parlementaire allemande.
Les revendications du 4 juin 1989 ont non seulement fait écho aux manifestations pro-démocratie à Hong Kong, mais ont également permis le parallèle avec les protestations aux États-Unis suivant l’assassinat de George Floyd par la police locale. En effet, les médias de propagande chinois ont d’une part abondamment couvert l’événement dans le but de discréditer les attaques contre la politique de sécurité hongkongaise en Occident (à la fois sur les réseaux sociaux et dans la presse chinoise), mais ceux-ci en ont d’autre part profité pour comparer la répression de 1989 avec les conflits populaires américains actuels dans un effort de (ce qui semble être une) justification.
Dans un contexte qui se tend toujours plus, le vice-ministre des Affaires Étrangères chinois Le Yucheng s’est entretenu avec la secrétaire générale du Service européen d’action extérieure Helga Schmidt. L’appel a été l’occasion pour le côté chinois de déplorer une nouvelle fois la politisation de la pandémie et de rappeler l’agenda chargé des relations sino-européennes pour les prochains mois. Toujours lors d’une conversation téléphonique, les affaires étrangères chinoises ont également réitéré leur soutien à la coopération internationale et à l’OMS, accueilli positivement l’engagement de l’Allemagne envers le maintien des relations diplomatiques avec la Chine, et fait la part belle aux questions économiques.
Toutefois, le sommet UE-Chine de Leipzig, dont l’Allemagne redoutait le report pendant sa présidence du Conseil de l’Union européenne, devra finalement bien se trouver une nouvelle date. Côté allemand, on justifie ce report par le manque de transparence dans la crise du COVID-19 et les tentatives de coercition de la Chine vis-à-vis de Hong Kong. Quoi qu’il en soit, l’excuse du virus est perçue comme fallacieuse par certains observateurs qui préfèrent accuser le climat politique particulièrement difficile en ce moment.
Le ton avec le Royaume-Uni l’illustre bien, le pays ayant été prié de se retirer et d’abandonner ses velléités colonialistes dignes de la « guerre froide » (ironique quand on sait que le terme a été utilisé récemment par la Chine pour qualifier son différend avec les États-Unis). Si Boris Johnson s’engage sur la mise en place d’un système de citoyenneté spécial pour les ressortissants hongkongais, la diplomatie chinoise a rappelé que les promesses d’autonomie de Hong Kong par la Chine relevaient plus du droit chinois et hongkongais que de la Déclaration conjointe sino-britannique. Un argument contesté par le Royaume-Uni.
L’Australie, qui a pris des risques politiques et économiques ces dernières semaines, profiterait tout aussi bien d’une position européenne plus ferme sur Hong Kong, mais ses relations avec l’UE sont teintées d’un désintérêt particulièrement criant dans le contexte de son conflit avec la Chine.
À l’inverse, le téléphone diplomatique (qui semble avoir repris du service cette semaine) a permis à la Chine de vendre « l’histoire touchante de deux pays [la Chine et l’Italie] ayant combattu la pandémie main dans la main » un « modèle de coopération » pour le monde. La Chine a de nouveau proposé son aide et salué le cinquantième anniversaire des relations sino-italiennes. Une occasion, selon elle, d’approfondir des liens soudés par les nouvelles routes de la soie.
Cette nouvelle publicité exacerbe encore le fossé communicationnel entre l’UE et la Chine. Selon la vice-présidente et commissaire chargée des valeurs et de la transparence Véra Jourová, l’UE a failli dans sa propre campagne de relations publiques, là où la Chine a non seulement fait l’apologie de son aide aux pays européens, mais a également produit de la désinformation, sur laquelle un rapport devrait être publié la semaine prochaine.
Mais déjà cette semaine, China Daily a publié sa propre vidéo dénonçant le sentiment anti-chinois qui a marqué le paysage audiovisuel hors de Chine depuis le début de la crise. Si les revendications sont légitimes, le document reste un produit de propagande pure porté par des « experts » occidentaux et un contenu lacunaire et biaisé.