Quito. Alors en pleine  pandémie de Covid-19, l’Équateur a été confronté à une triple crise à la fois sanitaire, économique et politique1. Comme d’autres pays d’Amérique latine, le pays a dû faire face à une crise sanitaire d’ampleur en raison d’une capacité hospitalière limitée2 et d’une économie fragile, conséquence notamment de la baisse des prix de matières premières depuis 20153. Quant à la crise politique que traverse le gouvernement de Lenín Moreno, elle a commencé bien avant l’arrivée de la pandémie, et ses effets se sont accentués pendant l’actuelle crise sanitaire. 

En effet, en octobre 2019, l’Équateur a connu les plus fortes manifestations de son histoire démocratique contemporaine à la suite de l’annonce du gouvernement de supprimer les subventions à l’essence4. Au cours des dix journées de protestations, 10 personnes ont été tuées, 1507 blessées et 1330 ont été mises en détention56. Les manifestations ont été dirigées par le Mouvement Indigène (Conaie), mais un grand nombre de mouvements féministes, de militants de gauche et d’étudiants se sont unis autour d’un discours anti-FMI et anti-néolibéral. 

Afin de retrouver le calme,  le gouvernement a décidé de reculer le 13 octobre 2019 en abandonnant la suppression des subventions à l’essence. Néanmoins, la trêve entre les secteurs sociaux et le gouvernement n’a été que temporaire. De fait, les problèmes économiques – accélérés par la crise sanitaire –  ont débouché sur de nouvelles scènes de confrontation. Lorsque les recettes fiscales sont affectées, les principaux mécanismes de réponse de ce petit pays andin – fortement dépendant de l’exportation de pétrole et n’ayant pas de monnaie nationale –  se limitent à l’augmentation des impôts, à l’élimination des subventions et/ou à la réduction des dépenses publiques. 

Alors que les mesures de confinement étaient encore en vigueur, les manifestations  ont commencé le 2 mai 2020 en réponse à une réduction budgétaire de 98 millions de dollars pour l’enseignement supérieur public 7. Les professeurs et les étudiants des principales universités publiques de la capitale du pays, Quito, se sont mobilisés. En se basant sur l’article 165 de la Constitution équatorienne interdisant la disposition des ressources économiques de l’éducation sous l’État d’exception, la Cour Constitutionnelle s’est prononcée le 13 mai contre la réduction budgétaire, et a ordonné sa suspension temporelle8

Le 16 mai, l’Assemblée Nationale a voté pour la proposition d’un projet de loi urgent afin de faire face à la situation actuelle. La coalition entre le parti du président (AP) et le plus grand parti de droite (Creo) a obtenu la majorité simple, nécessaire pour faire passer la loi. Deux éléments ont cependant été l’objet de critiques : la possibilité de flexibilisation des contrats de travail pendant une période maximale de quatre ans, et l’absence d’impôts extraordinaires sur les plus grandes entreprises du pays. Au cours de  l’après-midi du 16 mai, les manifestations contre cette nouvelle loi se sont terminées par des confrontations avec les forces de l’ordre9.

Le 19 mai, le président de la République, Lenín Moreno, a annoncé de nouvelles mesures, cette fois-ci par des décrets exécutifs. La suppression polémique des subventions à l’essence a été retirée. En plus de la suppression de huit entreprises étatiques qui était stipulée, la journée de travail des fonctionnaires publics a été réduite d’une à deux heures10. Au lendemain de ces déclarations, de grands syndicats comme le Frente Unitario de Trabajadores (FUT), ou la Central Unitaria de Trabajadores (CUT), des étudiants organisés autour de la Federación de Estudiantes Universitarios del Ecuador (FEUE) et le Mouvement Indigène (Conaie) ont notifié l’organisation de nouvelles manifestations contre le gouvernement, prévues pour le lundi 25 mai 202011. La réponse du Secrétaire de la Présidence, Juan Sebastián Roldan, a été rapide et directe : « si les infections s’accroissent à cause des manifestations, les dirigeants devront répondre à la justice »12.  

Les manifestations du 25 mai ont mobilisé une grande variété d’acteurs : les syndicats, les travailleurs ayant récemment perdu leur emploi, les retraités, les étudiants, et les militants de gauche13. A Quito, près de 2000 personnes ont manifesté contre les mesures économiques14. Des rassemblements similaires ont aussi vu le jour dans une vingtaine de moyennes et grandes villes sur tout le territoire équatorien15. L’un des leaders syndicaux a expliqué son mécontement : « si le coronavirus ne nous tue pas, le gouvernement va le faire »16.

Pourtant, le mouvement indigène a reculé sur sa décision de participer, les principaux dirigeants dénonçant une probable persécution judiciaire et préférant s’abstenir de mobiliser massivement leurs bases politiques17. Au lieu de cela, le président du mouvement (Conaie) a annoncé la présentation de demandes d’inconstitutionnalité concernant toutes les mesures affectant la sécurité de l’emploi18.

Les revendications  populaires de mai 2020 présentent des similitudes importantes avec celles d’octobre 2019. D’une part, elles ont été déployées contre la baisse des dépenses budgétaires pour certains programmes publics ;  d’autre part, elles ont incorporé une multiplicité de secteurs sociaux. Le retrait du mouvement indigène a permis que les principaux rôles d’opposition soient repris par les syndicats des travailleurs et par les étudiants.

Bien que les manifestations de mai 2020 se structurent autour d’un discours anti-néolibéral, elles diffèrent de celles d’octobre 2019 en raison du nombre limité de participants, de la configuration et de l’implication des acteurs et du scénario sui generis de la pandémie. De plus, les manifestations ont incorporé deux éléments nouveaux : le mécontentement des fonctionnaires publics récemment licenciés et le rejet social des nombreux scandales de corruption pendant la pandémie19. Le matin du mardi 2 juin, les syndicats ont annoncé l’organisation d’une nouvelle manifestation pour le 8 juin 202020. Le conflit politique, comme la crise sanitaire et économique, semble s’enliser à son tour. 

Sources
  1. Velasco, Pablo (2020), “L’Équateur dans l’impasse : une crise sanitaire, économique et politique”, Le Grand Continent, 28 avril 2020.
  2. Rodríguez, Javier (2020), “¿Puede el sistema de salud ecuatoriano enfrentar la pandemia de covid-19 ?”, GK, 25 mars 2020.
  3. Ramírez, Sandra (2016), “Al “boom” económico de Ecuador le llegó la recesión”, El Tiempo, 25 juillet 2016.
  4. Ogereau, Solweig (2019), “L’embrasement équatorien”, Le Grand Continent, 10 octobre 2019.
  5. 10 muertes en el contexto de las protestas registra la Defensoría del Pueblo ; ocho personas perdieron un ojo”, El Comercio, 23 octobre 2019.
  6. 1330 detenidos y 1507 heridos fue el resultado de las paralizaciones de octubre”, Ministerio de Gobierno, 15 octobre 2019, N. 41.
  7. Cientos de estudiantes protestan en Ecuador por recorte a las universidades”, EFE, 11 mai 2020.
  8. Corte Constitucional ordena al Ministerio de Finanzas abstenerse de recortar presupuesto a las universidades”, El Universo, 13 mai 2020.
  9. Vivando, José Miguel (2020), “Policías golpean a manifestantes en protesta por la Covid-19 en Ecuador”, Human Rights Watch, 25 mai 2020.
  10. Gobierno concreta eliminación de empresas y servicios a través de diez decretos ejecutivos”, El Universo, 20 mai 2020
  11. CUT inicia protesta en Guayaquil en contra de las medidas adoptadas por el Gobierno y rechazo a la Ley Humanitaria”, El Universo, 25 mai 2020.
  12. Si se presenta un contagio comunitario en manifestaciones, deberán responder a la justicia, según Juan Sebastián Roldán”, Notimundo, 20 mai 2020.
  13. Estudiantes, trabajadores y sectores sociales se movilizaron este 25 de mayo en contra de las medidas del Gobierno”, El Comercio, 25 mai 2020.
  14. Ibid.
  15. Ecuador : grandes protestas en varias ciudades”, DW Noticias, 25 mai 2020.
  16. Coronavirus : Ecuador protests against cuts amid pandemic”, BBC News, 26 mai 2020.
  17. Vargas, Jaime ; Vargas, Marlon ; Aguavi, Javier ; Sucuzhañay, Carlos (2020). “Resoluciones consejo político Conaie 21 de Mayo”, Conaie, 22 mai 2020.
  18. Romero, Daniel (2020), “Conaie no protestará en las calles, pero prepara demanda de inconstitucionalidad en contra de las leyes económicas”, El Comercio, 22 mai 2020.
  19. Fiscalía investiga 141 presuntos casos de corrupción cometidos durante la emergencia”, Primicias, 21 mai 2020.
  20. La FEUE, Frente Popular y el FUT convocan a una movilización nacional el 8 de junio”, La Posta [moyen de communication digital], 2 juin 2020.