Parmi les dix plaies d’Égypte, combien ont pu être provoquées par des phénomènes climatiques  ? Cette question, qui a engendré des hypothèses plus ou moins farfelues de scientifiques professionnels comme amateurs1, a trouvé un nouvel écho dans l’actualité récente. La Corne de l’Afrique subit en effet depuis janvier dernier une invasion de criquets aux conséquences potentiellement catastrophiques en termes de sécurité alimentaire, et qui serait liée aux effets du dérèglement climatique. Invasion de criquets en Afrique de l’Est, tensions sécuritaires au Sahel exacerbées par les phénomènes de désertification : ces derniers mois ont plusieurs fois rappelé l’importance du facteur climatique dans des enjeux cruciaux pour le continent africain. 

La ville de Bordeaux accueillera avant de la fin de l’année 2020 le Sommet Afrique – France, qui, avec 25 000 participants attendus, constituera l’un des événements diplomatiques de plus grande ampleur organisé par la France depuis la COP21, et dont le thème portera sur les « territoires durables et le développement » avec un accent particulier mis sur les enjeux liés aux changements climatiques. Dans cette perspective, esquissons un bilan critique de la lutte contre les changements climatiques en Afrique et de la stratégie française. 

Crises régionales au Sahel, Niger

I) Le changement climatique en Afrique  : enjeux et bilan des actions réalisées

Rappelons en préambule que la lutte contre le changement climatique se décompose en deux domaines  : l’atténuation, c’est-à-dire l’ensemble des actions menées pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et donc les changements climatiques à venir, et l’adaptation, à savoir les mesures prises pour faire face aux impacts présents et futurs des changements climatiques. Ces deux domaines ne sont pas étrangers l’un à l’autre – on peut, en caricaturant, considérer que l’adaptation pallie les insuffisances passées et anticipées de l’atténuation –, mais leur distinction est néanmoins fondamentale pour comprendre de nombreux enjeux techniques et politiques autour de la lutte contre les changements climatiques. 

En moyenne, un Ethiopien mettrait 240 ans à atteindre le niveau d’émissions de gaz à effet de serre d’un Nord-Américain2. Par conséquent, les enjeux d’atténuation en Afrique ne sont pas tant de transformer le profil d’émissions existant que de placer le continent sur des trajectoires de développement bas-carbone. L’objectif est d’éviter que, à mesure que les économies africaines croissent, leurs contributions au changement climatique n‘augmentent aussi voire plus rapidement. Notons par exemple que la quantité de dioxyde de carbone émise par dollar de PIB3 en Afrique est aussi importante que dans les pays de l’OCDE. Comme disent les anglo-saxons, il s’agit donc pour les pays africains d’effectuer un « saut de grenouille »4 en termes de développement bas-carbone, c’est-à-dire de suivre une trajectoire de développement qui ne reproduise pas la trajectoire d’émissions d’autres grands émergents comme la Chine. Autrement dit, au lieu d’accompagner la croissance en construisant des centrales à charbon puis de remplacer ces centrales polluantes par des énergies renouvelables (le modèle chinois), il faut « sauter » une étape et d’emblée favoriser l’installation de centrales solaires et de fermes éoliennes. 

On reviendra plus loin sur les enjeux économiques et géopolitiques de la distinction adaptation / atténuation. Pour l’heure, considérons que l’Afrique, qui ne contribue que pour 2 à 3 % des émissions mondiales de dioxyde de carbone, est la région la plus vulnérable aux effets du changement climatique  ; à ce titre, l’urgence se situe dans l’élaboration et la mise en œuvre de stratégies d’adaptation. Traçons donc pour commencer un tableau succinct des progrès et difficultés rencontrées sur le continent africain en la matière. 

A)    Une connaissance accrue des risques climatiques grâce à des données de meilleure qualité, même si beaucoup reste à faire.

Les stratégies d’adaptation sont toutes développées selon le même schéma  : identification des futurs phénomènes climatiques (i.e. changement du régime des pluies, montée du niveau des océans), analyse des impacts socio-économiques de ces phénomènes climatiques (rendements agricoles moindres, érosion côtière accrue) et, finalement, identification des solutions (adoption de variétés à cycle court, construction de digues de protection côtière). La fiabilité des analyses produites à chacune des étapes de ce raisonnement dépend intrinsèquement des données utilisées. 

Les deux principaux enjeux en la matière sont, d’une part, la qualité des données, et, d’autre part, leur accessibilité. Or, climatologues et praticiens du développement n’ont jamais disposé d’autant de données permettant d’estimer les risques posés par les changements climatiques. Ce constat, qui vaut pour le monde entier, est d’autant plus significatif dans le cas de l’Afrique, où l’état des connaissances il y a quelques décennies était extrêmement limité.  

En termes de qualité, les données collectées via l’installation de nouvelles stations météorologiques automatisées, notamment dans des zones difficiles d’accès, permettent de produire des modèles climatiques à une échelle plus fine5. Concrètement, cela signifie qu’au lieu d’extrapoler statistiquement l’évolution de la température dans l’est du Rwanda à partir des données collectées, par exemple, à Kigali et Nairobi, on peut désormais prédire l’évolution de ce paramètre à partir de données recueillies sur place. Cela permet de produire des cartes climatiques fiables avec une résolution de 25×25 km au lieu de 1 000×1 000 km, et donc de mettre en place des stratégies d’adaptation plus pertinentes. Ainsi, on pourra mieux anticiper les risques de crues dans tel bassin versant de l’est du Rwanda et dimensionner tel pont ou telle digue en conséquence. 

En termes d’accessibilité, des plateformes numériques permettent de mettre en commun données et projections disponibles, et de rendre ces informations accessibles aux chercheurs et praticiens. En théorie, tout utilisateur muni d’un ordinateur et d’une connexion internet est désormais à quelques clics d’une information météorologique pour le continent africain plus fiable, fine et complète que jamais. 

En pratique cependant, et malgré les progrès permis par les programmes internationaux de grande ampleur entrepris par l’Organisation Météorologique Mondiale (OMM) et la Banque mondiale notamment, de nombreux obstacles demeurent. En 2017, l’OMM estimait que l’Afrique disposait d’une station météorologique pour 26 000 km2, soit huit fois moins que la densité recommandée. En outre, plus de la moitié de ces stations n’étaient pas fonctionnelles, à cause d’un manque de maintenance. Le coût du matériel reste également une barrière, une station automatique standard coûtant environ 25 000 euros. Une fois les données acquises et partagées, il faut ensuite les exploiter, et pour cela développer des modèles climatiques complexes et onéreux. Se pose alors la question de la formation des climatologues africains pour développer eux-mêmes ces modèles.

Enfin, l’accès aux données météorologiques historiques, souvent enregistrées en format papier, est un enjeu réel en Afrique. Des millions de registres dorment sur les étagères des services météorologiques à travers le continent et attendent d’être digitalisés, ce qui représente un travail colossal. Par exemple, seuls 100 000 registres sur les 2 000 000 recensés au Botswana ont été digitalisés, grâce au soutien de l’OMM et de l’Allemagne. De plus, à mesure que la valeur de ces informations est reconnue, des intérêts commerciaux s’éveillent, et certains pays, comme l’Afrique du Sud, ont refusé l’aide internationale pour mettre en forme leurs données car ils veulent pouvoir en conserver la pleine propriété dans la perspective d’en monnayer l’accès. 

B)    Des risques climatiques complexes, multisectoriels et en mutation

Pour beaucoup d’Occidentaux, le changement climatique s’assimile au réchauffement climatique  ; son principal impact est la fonte des glaces et ses conséquences les plus frappantes sont la disparition des ours polaires, la montée du niveau des océans et l’inondation de zones littorales polderisées. Victimes en cela d’une stratégie de communication consistant à réduire des enjeux complexes sous des slogans simplistes du type Objectif COP21= 1,5°C, beaucoup ignorent la diversité des impacts – parfois contre-intuitifs – des changements climatiques. 

Dans le contexte africain, quels risques climatiques les données décrites ci-dessus permettent-elles donc de mieux appréhender  ?

En termes de changements biophysiques, les dynamiques à l’œuvre sont bien connues. Globalement, les températures – moyennes, minimales et maximales – vont continuer à augmenter. Les régimes des pluies vont varier, certaines régions recevant moins de précipitations et d’autres davantage, le tout présentant une variabilité inter- et intra-annuelle accrue. Les précipitations deviennent également de plus en plus erratiques  : des périodes de sécheresse prolongées succèdent à des épisodes de pluie intenses. Les régimes des vents et des courants sont également susceptibles d’évoluer. 

A partir de ces quelques phénomènes climatiques, une grande complexité d’impacts «  de second ordre  », c’est-à-dire socio-économiques, se dessine. 

La disponibilité en eau va généralement continuer à diminuer. La superficie du lac Tchad, dont 30 millions personnes au Tchad, Niger, Nigeria et Cameroun dépendent pour leur approvisionnement en eau potable, a ainsi été divisée par dix en 50 ans. Le problème de disponibilité en eau se présente même dans les régions connaissant des précipitations plus élevées sous forme d’épisodes pluvieux intenses. En effet, les sols dégradés et/ou saturés d’eau ne peut souvent pas absorber de fortes précipitations ; au lieu de recharger les nappes phréatiques, l’eau ruisselle donc vers l’aval des bassins versants en générant des phénomènes d’érosion parfois catastrophiques, des coulées de boues et des crues. La fréquence de ces dernières a ainsi augmenté dans le bassin du fleuve Niger malgré des précipitations annuelles de moins en moins importantes, donnant naissance au «  paradoxe sahélien  ».6 

De mi-2017 à mi-2018, la ville du Cap, en Afrique du Sud, était sur le point de devenir la première grande ville au monde où les robinets auraient été coupés. Pour tenter d’éviter ce «  Day Zero  », des restrictions de consommation d’eau drastiques ont été mises en place, réduisant la consommation d’eau de moitié. Une brigade de l’eau spéciale a été constituée pour surveiller le respect de ces restrictions, et verbaliser les éventuels contrevenants. L’étape suivante du plan de gestion de crise, heureusement évitée grâce à l’arrivée des pluies, impliquait la coupure des robinets et l’établissement de points de collecte d’eau dans les quartiers où les habitants du Cap auraient dû faire la queue pour retirer leurs 25 litres d’eau quotidiens. Cet épisode a constitué un véritable traumatisme pour la population du Cap, qui a vécu pendant un an dans la hantise du «  Day Zero  » ; dans le même temps, des habitants ont commencé à envisager de quitter la ville définitivement par crainte que cette situation se reproduise dans les années à venir.

L’évolution de la saisonnalité des températures et des précipitations représente un enjeu majeur pour l’agriculture. Les cycles culturaux dépendent en effet intimement du niveau mais aussi de la saisonnalité de ces deux paramètres-clés. Prédire l’évolution des rendements agricoles en fonction de trajectoires climatiques est un exercice très complexe, en particulier lorsque l’on prend en compte l’effet fertilisant et donc potentiellement positif d’une plus grande quantité de CO2 dans l’air. L’évolution anticipée des rendements présente donc une grande hétérogénéité selon les sous-régions et les variétés, mais quelques grandes tendances se dessinent. Pour le maïs par exemple, des baisses de rendements de l’ordre de 20 à 40 % sont prévues en Afrique de l’Ouest, alors que le maïs représente l’un des premiers apports caloriques dans l’alimentation du continent. Les zones propices à la culture du haricot commun, du maïs, de la banane et du millet rouge devraient se réduire de 30 à 50 %, tandis que d’autres cultures (sorgho, igname, millet perlé) verront leurs aires de cultures étendues.7 Généralement, de profonds bouleversements dans les habitudes culturales devront donc se produire pour maintenir une production suffisante et assurer la sécurité alimentaire. 

Parmi les autres effets des changements climatiques sur le continent africain, on peut citer l’impact accru des tempêtes côtières sur le littoral, à cause, d’une part, de l’élévation du niveau de la mer, et, d’autre part, de la dégradation des récifs coralliens à cause de l’acidification des océans, ce qui menace leur rôle de protections naturelles. Aux Seychelles par exemple, plus de 100 km de côtes dépendent de la protection assurée par des récifs dégradés8. L’évolution des températures et du régime des pluies affecte également la diffusion de certaines maladies transmises par les moustiques. Les hauts plateaux éthiopiens, jadis épargnés par la malaria, voient ainsi ces insectes s’acclimater grâce à l’augmentation des températures et le paludisme se propager9 – 37 millions d’Ethiopiens, vivant entre 1 600 et 2 400 m d’altitude, sont potentiellement concernés. 

Certaines de ces menaces climatiques ont le potentiel pour exacerber des tensions communautaires larvées, qui finissent par devenir des conflits ouverts. Ainsi dans le Sahel burkinabé, des groupes terroristes instrumentalisent les conflits entre éleveurs peuls et agriculteurs pour l’accès à des ressources en eau de plus en plus rares. Ces groupes parviennent à déstabiliser des équilibres sociaux fragiles et à remettre en cause la souveraineté de l’Etat, accusé de délaisser les paysans. De même, dans la région du lac Tchad, la baisse des rendements de la pêche et les difficultés d’accès à l’eau potable menacent la subsistance de populations par ailleurs caractérisées par de forts niveaux d’inégalités et une marginalisation politique historique. Cette situation fournit un terreau favorable pour le recrutement et les manœuvres de déstabilisation de Boko Haram, très actif dans la région. 

Ces situations d’insécurité renforcent les migrations climatiques, très largement intra-régionales et difficiles à chiffrer. S’ils répondent à des dynamiques sociales complexes et multifactorielles, ces flux migratoires conduisent généralement les populations de l’intérieur des terres où les moyens de subsistance agricoles sont menacés vers les zones côtières et / ou urbaines, générant de nouveaux défis en termes d’urbanisation et d’intégration socio-économique. 

La plupart des impacts des phénomènes climatiques décrits ci-dessus sont exacerbés par des pratiques anthropiques indépendantes du changement climatique. Dégradation des sols, déforestation, destruction des récifs coralliens, infrastructures d’assainissement inadaptées, consommation d’eau outrancière, pratiques agricoles inadéquates sont autant de facteurs qui aggravent les impacts des changements climatiques, et qui sont l’objet des stratégies d’adaptation mises en œuvre depuis plusieurs années à travers le continent. 

C)    Face à ces risques climatiques, les progrès en termes d’adaptation ont été très contrastés selon les pays et les secteurs

Les enjeux d’adaptation – les plus pertinents pour le continent – sont également ceux pour lesquels les progrès sont le plus difficile à évaluer. On peut certes quantifier les moyens consacrés au développement d’une agriculture résiliente aux changements climatiques, la restauration de forêts de mangroves, la protection des zones côtières ou l’isolation thermique des bâtiments ; et l’on parviendra à un chiffre compris entre 12,7 et 17,9 milliards de dollars investis via l’aide au développement en 2017 pour l’Afrique sub-saharienne. Ce chiffre, fourni par l’OCDE, est une sous-estimation, car il ne prend pas en compte les investissements publics et privés domestiques des Africains eux-mêmes. Les moyens consacrés à l’adaptation en Afrique, s’ils augmentent régulièrement, sont encore loin des besoins estimés entre 140 et 300 milliards de dollars par an à l’horizon 2030. 

Quant à l’évaluation des résultats de ces investissements, il n’existe pas de données consolidées, et la littérature internationale en est souvent réduite à documenter des études de cas ou à fournir des éclairages sectoriels et partiels. Cela est dû, d’une part, au fait que peu de programmes d’adaptation de grande ampleur ont été mis en œuvre jusqu’à présent, et, d’autre part, à la difficulté intrinsèque de mesurer l’adaptation. Citons néanmoins quelques exemples, comme le développement de variétés de riz résilientes au changement climatiques à Madagascar qui, combinées à des techniques culturales améliorées, permettent de doubler les rendements à l’hectare, la dissémination de bulletins météos et d’alertes en cas d’événements climatiques extrêmes par radio et SMS en Somalie, la construction de 13km de digues pour protéger le littoral de Guinée-Conakry et restaurer 1 000 ha de terres arables, ou encore le creusement de dizaines de puits dans les zones arides de Djibouti10.

En termes d’évaluation des progrès de l’adaptation en Afrique, deux remarques principales peuvent être faites  :

  1. Les actions d’adaptation sont largement polarisées entre des projets parfois efficaces mais anecdotiques en termes d’échelle, et de grands projets portés politiquement, rarement concrétisés, et faisant parfois figure d’éléphants blancs. Il en va ainsi de la Grande Muraille Verte, une initiative inter-gouvernementale lancée en grande pompe il y a plus de 15 ans, visant à construire une barrière forestière de 15km de large et 7 800 km de long à travers le Sahel, du Sénégal à Djibouti. L’objectif de la Grande Muraille Verte, inspirée d’initiatives similaires menées en Chine, est de limiter la progression du désert et de contribuer à l’amélioration des moyens de subsistance des populations locales. Malgré des dizaines d’études et de réunions de haut niveau, des Secrétariats nationaux établis dans 11 pays et des partenariats conclus avec de nombreux instituts de recherches (IRD), ONG internationales (BirdLife), et organisations multilatérales (G5 Sahel, Programme Alimentaire Mondial), les progrès sur le terrain se font attendre. 
  2. Si le recensement des moyens n’est déjà pas chose aisée, l’évaluation des résultats dans un cadre consolidé reste à inventer. A ce jour, les cadres de reporting sont nationaux et encore souvent balbutiants, la plupart des pays africains bénéficiant d’aide internationale pour améliorer leurs capacités en la matière et mettre en place des méthodologies de suivi adaptées. 

Finissons ce tour d’horizon des progrès de l’adaptation en Afrique en évoquant la grande hétérogénéité des situations nationales. Cette hétérogénéité reflète les différences de capacité (ressources, compétences) au sein des gouvernements, agences publiques et collectivités en charge de l’adaptation, mais également des différences de volonté politique – les deux dimensions n’étant pas toujours corrélées. Parmi les pays les plus avancés dans l’élaboration et la mise en œuvre de leur Plan National d’Adaptation11, on trouve donc certains des pays les plus riches d’Afrique – comme le Kenya, le Maroc, l’Afrique du Sud ou les Seychelles. Les pays moins développés mais bénéficiant d’une forte dynamique politique comprennent par exemple le Rwanda, le Cameroun, le Togo ou le Burkina Faso.12 

L'indice de performance environnementale, 2019

D)     De nombreux obstacles demeurent pour renforcer l’action climatique en Afrique, dont tous ne sont pas propres aux sujets climatiques

Les obstacles sur la route d’une action climatique efficace et durable en Afrique sont de deux ordres. Dans la première catégorie, on trouve les obstacles propres à la lutte contre le changement climatique. Il s’agit en premier lieu du financement de l’adaptation, pour lequel les sommes mobilisées demeurent extrêmement éloignées des besoins. A titre d’exemple, le Fonds Vert Climat a lancé en 2018 le tour de table pour sa recapitalisation, après avoir mobilisé 7,2 milliards de dollars sur la période 2014-2020 (contre 10,3 milliards de dollars promis initialement)13. Environ 9,3 milliards de dollars ont à ce jour été engagés pour la période 2020-2023, très loin donc des 100 milliards de dollars annuels à partir de 2020 sur lesquels les pays développés s’étaient mis d’accord. A ce jour, le portefeuille africain du FVC représente 2,2 milliards de dollars, soit 39 % de son portefeuille total. 

Le second obstacle propre à l’adaptation au changement climatique est le manque de recul permettant d’estimer l’efficacité de certaines solutions. En particulier, les «  solutions fondées sur la nature  » regroupent l’ensemble des techniques d’adaptation visant à s’appuyer sur les écosystèmes pour améliorer la résilience climatique des populations, c’est-à-dire leur capacité à faire face aux impacts du changement climatique. De telles solutions incluent la plantation d’espèces d’arbres spécifiques dans le Sahara mauritanien pour fixer les dunes et éviter l’ensablement des habitations, la restauration de mangroves au Mozambique pour absorber l’énergie des vagues lors des tempêtes côtières ou encore la restauration du couvert végétal dans les collines du Rwanda pour limiter l’érosion et les glissements de terrain lors d’épisodes de pluies intenses. Ces solutions fondées sur la nature sont très séduisantes sur le papier car la plupart d’entre elles fournissent des bénéfices multiples  : protection, source de revenus (les acacias plantés en Mauritanie produiront par exemple de la gomme arabique), puits de carbone etc. Cependant, ces techniques «  vertes  » sont beaucoup plus longues et complexes à mettre en place que des infrastructures dites «  grises  », c’est-à-dire artificielles. Là où l’on maîtrise globalement les coûts et les délais associés à la construction d’une digue de protection côtière, de nombreux éléments contingents créent de l’incertitude lors de la restauration d’une forêt de mangrove (mortalité des plants, dépendance aux aléas climatiques etc.), qui de toute façon mettra plusieurs années avant de fournir une protection efficace. 

Au niveau des obstacles rencontrés généralement par les initiatives de développement en Afrique, et qui se manifestent également lors de l’élaboration et la mise en œuvre de projets d’adaptation au changement climatique, on trouve un manque récurrent de capacités au sein des gouvernements et agences publiques, malgré de nombreuses initiatives de renforcement de capacités. L’efficacité de ces dernières est difficile à évaluer de manière systématique, et se trouve souvent limitée dans le temps par le turn-over au sein des équipes formées. La course aux per diem – souvent avec la complaisance des bailleurs de fonds – demeure également un sport dans de nombreux pays, ce qui conduit parfois à douter de la motivation réelle des personnels bénéficiant de formations nationales comme internationales.

Enfin, la fragilité et le manque de permanence de la gouvernance constituent un frein majeur à la durabilité et à l’efficacité des actions d’adaptation, qui s’inscrivent par nature dans les moyen et long termes. Lorsqu’un cadre institutionnel fort, doté d’une mémoire et de pratiques éprouvées fait défaut, succès comme échecs dépendent beaucoup des individualités. Ceci crée de l’incertitude, limite la visibilité sur des questions par ailleurs complexes, et peut dissuader des investissements perçus dès lors comme davantage risqués. 

II)    L’action climatique de la France en Afrique  : bilan critique

A)   En dépit d’une priorité officiellement accordée à l’adaptation, les objectifs stratégiques français en matière de lutte contre le changement climatique en Afrique ne sont pas toujours lisibles.

L’importance stratégique de l’adaptation en Afrique a été explicitement reconnue dans le discours de Ouagadougou prononcé par E. Macron le 28 novembre 2017. Y fut en effet évoqué avec une certaine emphase «  le changement climatique qui ravage le Sahel plus que toute autre région dans le monde, qui au lac Tchad, dans toute la bande sahélo-saharienne, bascule des populations entières, plonge dans la pauvreté la plus complète des femmes et des hommes qui vivaient de l’agriculture, de la vente du poisson ou de routes commerciales qui vivaient depuis des siècles et des siècles.  » Cependant, ce discours considéré comme fondateur pour la politique française en Afrique macronienne, comporte une confusion entre adaptation et atténuation. Le Président affirmait ainsi souhaiter que « la France par ses entreprises et ses opérateurs soit le partenaire privilégié de l’Afrique, dans le domaine de l’adaptation aux changements climatiques. Je pense en particulier aux énergies renouvelables (…)  ». Or, le développement des énergies renouvelables relève de l’atténuation et non de l’adaptation. S’il ne faut pas sur-interpréter une imprécision sur un sujet – le changement climatique – qui n’occupe en tout et pour tout qu’une vingtaine de lignes dans un discours de 14 pages, on voit que ces concepts restent relativement flous au plus haut niveau de l’Etat.

Comment ce volontarisme affiché se traduit-il en objectifs opérationnels  ? Rappelons que la France s’est fixé une cible de 0,55 % de son Revenu National Brut à consacrer à l’Aide Publique au Développement (APD) à l’horizon 2022. En 2018, les dépenses réelles représentaient 0,43 % du RNB, ce qui plaçait la France à la 10ème place mondiale. Pour ce qui est de son action climatique en Afrique, la France, pays hôte de la COP21, ne peut pas se permettre de manquer d’ambition dans les objectifs affichés. L’Agence Française de Développement s’est en conséquence assigné pour but de «  construire une agence de financement du développement 100 % alignée sur l’Accord de Paris  ». Les deux objectifs correspondants présentés dans la Stratégie Climat-Développement 2017-2022 de l’AFD sont les suivants.

  1. Chacun des engagements de l’AFD doit être analysable comme concourant, au du moins ne s’opposant pas, aux objectifs d’atténuation et d’adaptation des pays d’intervention.
  2. Par ailleurs, un objectif quantitatif d’au moins 50 % des autorisations d’engagements annuelles à co-bénéfices climatiques14 dans les pays bénéficiaires a été fixé. L’AFD maintient néanmoins une déclinaison différenciée par grandes zones géographiques de cet objectif : les engagements climat devront représenter au moins 70 % des financements pour les zones Asie et Amérique latine, 50 % pour la zone Méditerranée et 30 % pour la zone Afrique subsaharienne. 

Si le principe même de cette différentiation est difficile à interpréter, le fait que la part retenue pour les engagements climatiques en Afrique soit moindre est incompréhensible : pourquoi fixer un objectif inférieur aux autres régions alors même que l’Afrique est reconnue comme le continent le plus vulnérable  ? La stratégie française manque de visibilité, ce que confirme l’analyse des moyens engagés.

B)     Le suivi et l’évaluation de l’action climatique française en Afrique manquent de transparence 

Les bases de données publiées par l’AFD ne comportent pas de marqueurs climatiques, c’est-à-dire qu’elles n’indiquent pas, pour chacun des plus de 1 700 projets répertoriés, si ceux-ci comportent une dimension climatique – qu’il s’agisse d’atténuation ou d’adaptation. Pour trouver cette information, il faut consulter la base de données constituée par l’OCDE, qui demande à chaque pays donateur d’assigner les «  marqueurs de Rio  » aux projets décrits, c’est-à-dire d’indiquer pour chacun d’entre eux s’ils contribuent à l’atténuation, l’adaptation, la préservation de la biodiversité et la lutte contre la désertification. L’OCDE fournit une méthodologie aux pays pour assigner ces marqueurs et déclarer des montants de financement associés, mais les pays sont libres d’interpréter assez librement cette méthodologie, et choisissent donc eux-mêmes  :

  1. de déclarer soit les montants promis dans des projets validés, soit les montants effectivement déjà déboursés  ;
  2. d’assigner les marqueurs de Rio à l’échelle des projets entiers ou à l’échelle plus fine des activités au sein de chaque projet  ; et
  3. les coefficients correspondant aux appréciations qualitatives de contribution «  significative  » ou «  principale  » d’un projet à tel ou tel domaine des marqueurs de Rio. Ainsi, alors que l’Allemagne ne déclare que 50 % du budget d’un projet comme participant à l’adaptation lorsque sa contribution est qualifiée de «  significative  » et non de «  principale  », le Japon déclare 100 % du même budget.

Pour résumer, il existe donc une assez grande opacité sur les modes de suivi et de déclaration des dépenses associées au changement climatique dans l’APD, et la France ne fait pas partie des bons élèves. En effet, un sondage a été réalisé en 2018 par l’OCDE pour comprendre les différentes pratiques nationales en la matière, et la France n’y a pas répondu. On ne sait donc pas exactement comment la France comptabilise ses différentes contributions. 

Cependant et de manière paradoxale, la France reconnaît l’importance du développement d’une méthodologie commune de comptabilisation des financements climat, en particulier pour l’adaptation. Elle est d’ailleurs engagée dans l’élaboration d’un tel cadre de suivi – l’initiative Green Finance Mapping – au travers de la présidence de l’International Finance Development Group (IDFC). 

C)     Dans la réalité, des moyens limités, focalisés sur l’atténuation

Quel est le volume de financements climatiques consentis par la France en Afrique ? Même si, comme on l’a vu, les données disponibles manquent de transparence, on peut néanmoins esquisser une réponse et interpréter les chiffres à l’aune des objectifs affichés. 

Les derniers chiffres pour la finance climatique de la France consolidés par l’OCDE datent de 2017, et nous disposons par ailleurs des données publiées directement par l’AFD en 2018. Bien que ces chiffres ne se rapportent pas exactement au même périmètre, près de 90 % de l’APD climatique française est gérée par l’AFD  ; les volumes peuvent donc être pratiquement mis en relation.15

Le volume total des financements climatiques consentis par la France en Afrique en 2018 était ainsi d’environ 2 048 millions de dollars, ce qui représentait 40 % de l’aide climatique française dans le monde. Ce chiffre a largement augmenté après la COP21, avec un taux de croissance de 42 % entre 2016 et 2017 et 36 % entre 2017 et 2018 – traduisant sans doute également une évolution dans le pratiques de reporting, de plus en plus scruté après 2015. 

De manière étonnante au vu des déclarations sur l’importance de l’adaptation en Afrique, la part de l’adaptation dans les sommes consacrées à l’action climatique française oscille entre 40 et 27 % selon les années, et représente donc des montants moins importants que l’atténuation. Ce constat est d’autant plus remarquable lorsque l’on compare avec d’autres pays donateurs. Ainsi, alors que le Royaume-Uni investissait autant que la France pour ce qui est de l’adaptation en Afrique en 2017, les montants engagés par la France pour l’atténuation étaient presque six fois supérieurs aux investissements britanniques. De même, l’Allemagne investissait à peine moins que la France en matière d’atténuation, mais deux fois plus en matière d’adaptation. 

Par ailleurs, les évolutions inter-annuelles sont souvent erratiques, avec des chiffres parfois surprenants. Par exemple, les sommes consacrées à l’adaptation auraient diminué de 2 % entre 2016 et 2017 avant d’augmenter de 98 % entre 2017 et 2018. Outre d’éventuels changements dans les méthodologies de reporting, ces brusques évolutions traduisent la forte sensibilité du portefeuille à quelques programmes phares, telle l’initiative «  Transformer les systèmes financiers pour le climat  » cofinancée par l’AFD à hauteur de 413 millions d’euros sous forme de prêts, et qui a pu être imputée en bonne partie dans les chiffres de 2018 bien que la mise en œuvre du projet soit prévue sur 20 ans.   

Enfin, notons qu’au-delà de l’APD climatique, l’aide au développement française représentait en 2017 8 % de l’APD totale dirigée vers l’Afrique (contre 36 % pour les Etats-Unis, 14 % pour le Royaume-Uni et 12 % pour l’Allemagne), ce qui conduit à relativiser l’importance de la politique française en la matière du point de vue des bénéficiaires. Par ailleurs, il est remarquable que la France, en dépit de ses liens historiques, de son implication diplomatique et de ses multiples intérêts sur le continent, n’accorde pas une part plus importante de son APD à l’Afrique (45 %) que d’autres contributeurs bilatéraux importants, comme les Etats-Unis (51 %) ou le Royaume-Uni (52 %). 

D)     Ce qui soulève plusieurs questions sur les déterminants réels de l’APD climatique française en Afrique

Comment interpréter les tendances ainsi relevées ? En particulier, pourquoi l’atténuation est-elle davantage financée que l’adaptation ? Autrement dit, la hiérarchie des critères d’investissement de l’APD climatique française en Afrique “révélée” par les chiffres diffèrerait-elle des déterminants affichés  ?

Les principaux critères de choix d’investissement de l’APD, climatique ou non, en Afrique comme ailleurs, sont au nombre de quatre  : i) la stratégie politique du pays donateur  ; ii) la demande politique du pays receveur  ; iii) la rentabilité économique pour le pays donateur ; et iv) la démontrabilité de l’efficacité des solutions.

Or, pour chacun de ces critères, on peut soutenir que l’atténuation est au moins supérieure à l’adaptation. Pour ce qui est du premier critère, on peut avancer que, tandis que soutenir l’adaptation des populations africaines bénéficie principalement aux Africains, accompagner leurs stratégies d’atténuation profitera à terme également à la France. En effet, dans les Pays les Moins Avancés en particulier, l’atténuation prend une définition spécifique : plus que diminuer les émissions de gaz à effet de serre en remplaçant des technologies déjà en place par des technologies propres, il s’agit de favoriser une trajectoire de développement bas-carbone alors que les émissions seront de toute façon amenées à augmenter avec la croissance économique. Pour les pays donateurs, dont la France, l’objectif stratégique est donc que l’Afrique ne devienne pas une nouvelle Chine à mesure que son développement s’accélère. L’effet de serre ne connaissant pas de frontières, prévenir les émissions futures de l’Afrique, c’est donc limiter les impacts à venir des changements climatiques sur le territoire français. 

Le second critère relève de la demande politique du pays receveur. Or cette demande est souvent plus sensible aux dépenses immédiatement visibles et exploitables politiquement qu’aux investissements de fond, dont les effets mettront parfois plusieurs années à se manifester. Or, les projets d’atténuation sont souvent plus spectaculaires que les projets d’adaptation. Installer une centrale solaire photovoltaïque, équiper la capitale d’une flotte de bus propres, construire un barrage hydro-électrique  : autant de projets plus attirants pour un gouvernement en quête de visibilité auprès de son électorat que des formations aux agriculteurs pour adapter leurs calendriers culturaux ou adopter des semences améliorées, par exemple.

Le troisième critère dans les choix d’investissement d’APD – la rentabilité économique pour le pays donateur – est sans doute celui qui favorise le plus l’atténuation au détriment de l’adaptation. En effet, développer des énergies propres, par exemple, permet de créer des opportunités économiques pour des entreprises françaises, ce qui n’est que rarement le cas des initiatives d’adaptation. Ainsi, le développement du barrage hydroélectrique de Nachtigal au Cameroun, qui devrait être mis en service en 2023 et fournir 30 % de la production électrique du pays, est assuré par EDF… et financé à hauteur de 150 millions d’euros par le groupe AFD. Globalement, l’adaptation est vue comme des dommages évités, tandis que l’atténuation est assimilée à des marchés ouverts et de nouvelles opportunités industrielles.16 Si cette dichotomie n’est pas infondée, elle n’est pas totalement légitime, et les bénéfices «  positifs  » liés à l’adaptation devraient être mieux valorisés. Notons enfin que le critère de rentabilité économique des investissements d’APD est d’autant plus important que l’aide prend la forme de prêts. Or, sur les 11,4 milliards d’euros engagés par l’AFD dans le monde en 2018, 83 % l’ont été sous forme de prêts. Ces derniers, même lorsqu’ils sont concessionnels, c’est-à-dire consentis à des taux inférieurs au marché, permettent de réaliser des opérations profitables  ; l’AFD a ainsi enregistré un résultat net de 145 millions d’euros en 2018.

Enfin, le quatrième critère – celui de la démontrabilité de l’efficacité des solutions – a déjà été évoqué plus haut  : la puissance d’un parc éolien est aisément quantifiable  ; la protection assurée par une forêt permettant de lutter contre l’érosion l’est beaucoup moins – jusqu’au moment où un pont s’effondre en contre-bas et que les dommages peuvent être chiffrés. 

Face à ces constats, quelles recommandations peuvent être formulées  ?

III) Recommandations

Évoquons pour terminer quelques pistes pour améliorer la lisibilité, la cohérence et l’impact de l’aide climatique française en Afrique. 

Tout d’abord, il est nécessaire de poursuivre les efforts d’amélioration de la comptabilité des flux financiers climatiques. La France, qui affiche un discours volontariste en la matière dans les forums internationaux, ne fait pas figure d’élève modèle lorsqu’il s’agit de rendre accessible de manière claire les données de sa propre APD climatique. L’AFD pourrait éclairer de manière transparente les enjeux de ce reporting et les limites des méthodologies actuellement employées, tout en précisant les directions dans lesquelles les progrès sont envisagés. Plusieurs organisations internationales – au premier rang desquelles l’OCDE – peuvent faire office de plateformes de dissémination des meilleures pratiques de reporting, une fois celles-ci étrennées par un pays moteur. La France dispose ici d’une occasion pour ouvrir des voies importantes, d’autant qu’aucun des principaux pays pourvoyeurs d’APD ne fait beaucoup mieux dans ce domaine. 

Une seconde perspective consisterait à mieux prendre la mesure des enjeux de l’adaptation dans des termes qui parlent aux financiers. On l’a dit, l’adaptation a du retard sur l’atténuation en la matière. Pourtant, ce n’est pas une fatalité. Pour ce qui est des dommages évités, on pourrait imaginer la création d’une base de données et la diffusion de méthodologies adéquates pour recenser systématiquement les dégâts réalisés ou envisagés sur telle ou telle infrastructure à cause du dérèglement climatique. Le secteur des assurances climatiques fait office de pionnier dans ce domaine, avec des techniques d’assurances paramétriques novatrices. Il s’agit par exemple de déclencher le versement de dédommagements à l’agriculteur assuré dès qu’un paramètre climatique donné, comme le nombre de jours consécutifs sans pluie, est dépassé. Ces types de contrat d’assurance développés par les fintechs sont à la frontière de l’innovation, et pourraient se développer y compris dans les contextes africains – pourvu que des estimations sur la valeur des actifs à assurer soient disponibles. 

Par ailleurs, la valeur économique de l’adaptation devrait être mieux reconnue également pour les opportunités qu’elle génère. Restaurer une mangrove pour protéger le littoral contre des tempêtes côtières rendues plus fréquentes et plus violentes avec le dérèglement climatique, c’est aussi recréer une zone de reproduction pour les poissons et donc soutenir le secteur halieutique, et c’est potentiellement créer une attraction pour l’éco-tourisme. Reboiser un bassin versant, c’est limiter l’érosion et prévenir les glissements de terrain, mais aussi réduire la quantité de sédiments charriés dans les rivières et ainsi améliorer la qualité de l’eau d’irrigation et d’alimentation, et encore ralentir la vitesse du ruissellement et faciliter la recharge des nappes phréatiques. On le voit, les solutions d’adaptation – notamment lorsqu’elles sont fondées sur la nature – sont complexes à évaluer de par la diversité des mécanismes qu’elles mettent en œuvre. Mais des outils existent, et rien n’empêche de systématiser ces évaluations lors des projets, puis de mettre ces résultats à disposition des praticiens du développement et des financiers. Certaines solutions sont d’ailleurs plus simples à évaluer  : il est relativement aisé de mesurer la valeur économique de rendements agricoles améliorés grâce à l’usage de semences adaptées aux nouvelles conditions climatiques. 

Il faut donc globalement se donner les moyens de tester et d’évaluer l’efficacité des solutions d’adaptation, qu’il s’agisse de leurs résultats ou de leurs coûts. Ceci permettra de renforcer la culture de l’évaluation dans l’APD, y compris climatique, ainsi que l’appelait de ses vœux E. Macron dans le discours de Ouagadougou  : «  nous devons être plus efficace (…) en ayant davantage collectivement une culture de l’évaluation. Parfois, notre aide publique au développement ne répond pas aux besoins. Elle fait plaisir à des gouvernements français ou africains. C’est une mauvaise méthode. Elle doit être évaluée (…). Si elle est efficace, il faut la poursuivre. Si elle ne l’est pas, il faut la réorienter vers des projets portés sur le terrain.  »

Enfin, la France devrait continuer à capitaliser sur l’image de pays moteur qu’elle a assumée depuis la COP21 pour influencer les cadres de décisions multilatéraux en matière de financement de l’action climatique. Au sein de l’International Development Finance Club par exemple, ce club des plus grandes banques de développement nationales et régionales, dont le directeur général de l’AFD assure la présidence, et qui élabore une méthodologie commune de comptabilisation des financements climat. D’autres enceintes multilatérales constituent également des tribunes pour que la France exerce une influence diplomatique sur la manière dont l’APD climatique est dispensée, en Afrique et dans le monde. Il s’agit des forums onusiens – comme les COP –, des conférences internationales telles que la Climate Week ou le One Planet Summit, du conseil d’administration du Fonds Verts pour le Climat (dont un Français est actuellement directeur général), ou encore du prochain Sommet Afrique-France. 


On le voit, beaucoup reste à faire pour que l’action climatique française en Afrique prenne la mesure des enjeux réels, entre prise en compte des besoins sur le terrain et orientations stratégiques nationales. Les perspectives et les leviers d’action sont cependant nombreux, bien identifiés, et à la portée d’un pays qui fait toujours figure, quatre ans et demi après la COP21, de champion diplomatique de l’action climatique sur la scène internationale. Autant d’éléments à intégrer dans la prochaine Stratégie Climat-Développement de l’AFD  ?

Sources
  1. Siro Igino Trevisanato, The Plagues of Egypt. Archaeology, History, and Science Look at the Bible, Gorgias Press LLC, 2005
  2. C. Kende-Robb. 2015. Brookings. How Africa can show the world the way to a low-carbon future : 10 facts, 10 actions. Disponible ici.
  3. En parité de pouvoir d’achat (PPA). Hors PPA, les pays africains émettent deux fois plus de CO2 par dollar de PIB que les pays de l’OCDE.
  4. En anglais : « to leapfrog »
  5. Le projet Trans-African HydroMeteorological Observatory (TAHMO) vise ainsi à installer 20 000 stations météorologiques à travers le continent (soit une station tous les 30 km), et à héberger sur un site l’ensemble des données générées.
  6.  Nka, B. & Oudin, L. & Karambiri, Harouna & Paturel, Jean-Emmanuel & Ribstein, Pierre. (2015). Trends in West African floods : a comparative analysis with rainfall and vegetation indices. Hydrology and Earth System Sciences Discussions. 12. 5083-5121. 10.5194/hessd-12-5083-2015.
  7. Ramirez-Villegas, Thornton PK2015. Climate change impacts on African crop production. CCAFS Working Paper no. 119. CGIAR Research Program on Climate Change, Agriculture and Food Security (CCAFS). Copenhagen, Denmark
  8.  Seychelles Coastal Management Plan 2019–2024
  9. Siraj, A. S., Santos-Vega, M., Bouma, M. J., Yadeta, D., Carrascal, D. R., & Pascual, M. (2014). Altitudinal changes in malaria incidence in highlands of Ethiopia and Colombia. Science, 343(6175), 1154-1158.
  10. https://www.undp.org/content/dam/undp/library/Climate%20and%20Disaster%20Resilience/Climate%20Change/CCA-Africa-Final.pdf
  11. Les Plans Nationaux d’Adaptation sont les stratégies nationales censées guider les investissements en matière d’adaptation dans les pays du monde entier. Leur élaboration, intrinsèquement complexe, est particulièrement délicate pour les pays africains qui sont à la fois les plus vulnérables et les moins en capacité de mobiliser l’expertise technique pour mener à bien des processus de planification stratégique multisectorielle. Les pays en développement bénéficient d’un soutien spécifique de l’ONU, des fonds mondiaux pour le climat et de nombreuses agences de développement bilatérales pour le développement de leurs PNA.
  12. https://unfccc.int/sites/default/files/resource/Progress%20in%20the%20process%20to%20formulate%20and%20implement%20NAPs.pdf
  13. Adaptation (26 %) et atténuation (39 %) compris, le reste (35 %) étant composé de projets transversaux comportant à la fois des aspects d’adaptation et d’atténuation.
  14. Les projets de développement n’ayant pas pour objectifs principaux de participer à l’adaptation des populations bénéficiaires ou à l’atténuation de gaz à effet de serre, mais y contribuant néanmoins, sont dits « à co-bénéfices climatiques ».
  15. Les chiffres ont été exprimés en dollars constants de 2016 pour permettre les comparaisons temporelles.
  16. Un contre-exemple serait celui du secteur de l’assurance  : améliorer la résilience climatique d’infrastructures par exemple, c’est limiter les risques d’indemnisation. Cependant, le secteur de l’assurance climatique n’est pas assez développé en Afrique pour peser sur les décisions d’investissement en APD.