Décalée à cause de l’impact de l’épidémie de coronavirus, le coup d’envoi des « deux sessions » (两会) a été donné jeudi et vendredi. Le terme « deux sessions » désigne l’Assemblée Nationale du Peuple (ANP) et la Conférence Consultative Politique du Peuple chinois (CCCPC). La seconde s’est ouverte jeudi 21 mai tandis que l’ANP s’est ouvert le 22 mai. C’est cette dernière conférence qui concentre notre attention. S’étalant sur plusieurs jours, elle commence généralement par la lecture du rapport de travail du gouvernement (政府工作报告). Une grande partie du rapport s’est concentrée sur l’économie, que nous traiterons plus bas. L’agenda était par ailleurs chargé, puisqu’au delà de la loi sur la sécurité nationale à Hong Kong, détaillée ci-après, d’autres sujets ont été abordés, parmi lesquels les travaux sur le code civil chinois, en préparation depuis des années ; la suppression des amendes pour les couples qui auraient plus de deux enfants ; une responsabilité pénale pour les enfants à partir de 12 ans ; la fin de la loterie pour les plaques d’immatriculation ; une base de données des personnes condamnées pour des crimes sexuels, afin de les empêcher de travailler avec des enfants ; une criminalisation des maltraitances animales, etc.
Mais le projet de résolution qui a attiré le plus d’attention est bien entendu celui visant à faire appliquer une loi sur la sécurité nationale à Hong Kong. Contrairement à ce qui a pu être dit, Pékin n’a pas dès aujourd’hui, fait voler en éclat « un pays deux systèmes », mais a lancé un processus juridique qui pourrait aboutir à ce résultat. Toutefois, si la loi n’existe pas encore, c’est déjà l’entorse la plus grave au principe « un pays deux systèmes » depuis 1997. En effet, Pékin ne peut complètement écarter les gardes-fous juridiques qui sont liés à la « Basic Law » (BL), la mini constitution de la ville. En effet, l’article 18 de la Basic Law requiert que les lois nationales devant être appliquées à Hong Kong soient au préalables soumises aux autorités hongkongaises, notamment le Basic Law Committee, qui doit être consulté. Cette loi sera ensuite inscrite à l’annexe III de la Basic Law, annexe regroupant les lois nationales s’appliquant dans le territoire autonome. Le gouvernement hongkongais devra alors promulguer directement en droit local la loi, en la publiant au Journal officiel. Ainsi, si la proposition du NPC est effectivement un passage en force et une atteinte grave à l’autonomie de Hong Kong, c’est qu’elle s’affranchit du Legco (le parlement hongkongais, qui n’aura pas son mot à dire), pose de grave problèmes de constitutionnalité et bien sûr porte un coup dur aux libertés publiques et politiques qui subsistent dans la ville.
En effet, la définition continentale de la « sécurité nationale » englobe –entre autres – les « subversions » (politiques) et toute « influence étrangère » qui chercherait à infiltrer, subvertir ou encore mener des activité séparatiste. Or, c’est précisément ce point qui pose un problème de constitutionnalité. A ce titre, voir les explications en deux fils Twitter (1 &2) de Sebastian Veg et du blog NPC Observer. A titre d’exemple, la loi pourrait permettre aux autorités chinoises de réprimer plus durement les mouvements pro-démocratie, et aux agences de la sécurité publique (gonganbu – 公安部) et à la sécurité d’État (国安部) d’opérer légalement sur le territoire hongkongais, ce qui permettrait d’arrêter les dissidents et les activistes. Une telle situation (hypothétique, puisqu’on ne connaît pas encore le projet de loi), pourrait être contraire à l’article 11 de la Basic Law qui prévoit que l’application de la loi et les forces de l’ordre doivent être gérées par le gouvernement hongkongais. Ce serait alors une situation très grave de rupture d’un traité international et d’une infraction aux dispositions de la BL sur les libertés fondamentales.
Sebastian Veg note en outre que la décision de Pékin de passer en force cette loi reste surprenante, dans la mesure où ce n’est jamais le HKMAO ( l’administration chinoise en charge de Hong Kong et Macau, gang-ao xitong – 港澳系统)qui fait pression, mais cette fois-ci il semble avoir été tenu complètement à l’écart du projet.) Les interprétations vont bon train mais on peut noter d’une part la conviction de l’exécutif chinois, que les “forces étrangères” se servent des mouvements pro-démocratie hongkongais pour déstabiliser la Chine et la peur d’une victoire possible de l’alliance démocrate au parlement hongkongais en septembre. Notons en outre que le projet de loi présenté vendredi prévoit également un renforcement de « l’éducation patriotique ». Selon le ministre hongkongais de l’éducation, celle-ci aura lieu dès l’école primaire jusqu’à l’université.
Les annonces de Pékin ont provoqué des réactions internationales (Canada, Australie, Royaume Uni et Etats-Unis) ainsi qu’un tir de contre batterie du ministère des Affaires Etrangères chinoises. Les États-Unis ont promis « des sanctions » si Pékin va au bout de son projet. A l’inverse, l’Union européenne a publié un communiqué a minima tandis que la France brille par son silence (habituel, sur ces questions). Les médias chinois et les comptes WeChat populaires jubilaient alors que des manifestants sont descendus dans la rue dès dimanche 24 mai pour exprimer leur inquiétude et leur colère.
L’économie au coeur de l’Assemblée nationale du peuple
L’économie est, bien sûr, au centre des discussions de l’Assemblée nationale du peuple, puisque c’est cette assemblée qui détermine notamment le budget. Parmi les informations importantes communiquées durant les premiers jours, commençons par l’abandon des objectifs de croissance annuelle, une première. Huxiu a interrogé l’économiste et membre du comité permanent des deux sessions, He Keng, sur la signification de cette nouvelle. Il n’y aura donc pas, en 2020, d’objectif à atteindre pour les gouvernements locaux en termes de croissance. Une bonne chose pour la cohorte de maires et gouverneurs, une moins bonne pour les partenaires étrangers qui se sont (trop) longtemps appuyé sur la croissance chinoise pour stimuler l’économie mondiale. Il n’y aura, a priori, pas de stimulus massif et indiscriminé tel que l’on a vu en 2008-2009.
Par contre, la relance économique prendra une autre forme. En l’occurrence, le déficit du gouvernement central devrait atteindre les 3.6 % du PIB, malgré un certain nombre de coupes budgétaires dans de nombreux domaines, dont les sciences et technologies (baisse de 9 %). Ces baisses devraient toutefois être compensées par des dépenses accrues des gouvernement locaux. Dans d’autres domaines, comme les affaires étrangères, les coupes budgétaires sont encore plus importantes avec notamment -12 % pour le ministère des affaires étrangères. Les gouvernements locaux recevront aussi l’autorisation de dépenser (et d’emprunter) davantage pour soutenir l’activité. A cet égard, près de trois trillions de CNY (500 milliards d’euros) d’obligations spéciales seront émises. Comme nous l’expliquions, la priorité est de maintenir le chômage en dessous de 6 % et ce n’est pas un hasard si la préoccupation de l’emploi est au coeur du discours de Li Keqiang.
Un autre pan de la relance pourrait venir de la banque centrale. Un débat couve depuis plusieurs semaines, couvert notamment par le South China Morning Post et Reuters. En effet, le ministère des finances demande à la banque centrale chinoise d’acheter des obligations directement au gouvernement. Une telle disposition était jusqu’ici un tabou. La banque centrale s’oppose à une telle mesure, craignant qu’un tel plan ne conduise à une hyperinflation et une indiscipline budgétaire accrue, en partie des gouvernements locaux. La banque centrale craint également qu’une telle décision ouvre « une boîte de Pandore » et réduise à néant l’indépendance de la banque centrale chinoise.
Et si un autre segment de relance prenait la forme d’une réforme structurelle de l’économie ? Dès la mi-avril, plusieurs observateurs avaient noté la publication d’un document visant à « mieux allouer les ressources en fonction des facteurs de marché ». En effet, le 18 mai, le Comité central du Parti Communiste chinois a publié des « opinions sur l’amélioration de l’économie socialiste de marché ». Ce document était le dernier dans une série de discussions sur un éventuel renforcement du rôle et du soutien au secteur privé. Puis, durant les deux premiers jours des « deux sessions », le discours semblait être une « ôde » au secteur privé. Le président Xi Jinping a notamment rappelé que les entreprises privées étaient des solutions, des moteurs essentiels de la croissance et de l’emploi et que dans cette nouvelle situation « on ne peut plus suivre les modèles de planification de l’économie ». S’il faut être prudent quant à la signification de ces déclarations, il est certain que le Parti sait que c’est en soutenant les entreprises non étatiques qu’il sera possible de maintenir un taux de chômage bas. Ainsi, selon Damien Ma (MacroPolo) la politique macroéconomique consiste à stabiliser l’emploi en sauvant les PME, par des abattements fiscaux et des facilités de prêts.