À ce jour, du fait de la temporalité de cette crise sanitaire mondiale, l’Amérique latine commence seulement à affronter ou à se préparer au pic de l’épidémie. Si cinq pays d’Amérique latine ont dépassé la barre des 10 000 cas confirmés (Chili, Équateur, Pérou, Brésil et Mexique), la propagation s’accélère de manière exponentielle dans la plupart des pays1.

La crise du COVID-19 aura des conséquences dramatiques durables en Amérique latine sur les plans sanitaire, économique, social voire sécuritaire, aggravant les lignes de fractures. Tous les pays de la région connaissent en effet des fragilités structurelles qui les exposent encore plus au COVID-19 :

  • des systèmes de santé publique fragiles, dans lesquels les États ont souvent peu investi (le Mexique, pourtant pays du G20 et de l’OCDE, n’investit que 3 % de son PIB dans sa santé alors que la moyenne de l’OCDE est de 8,8 %2 ;
  • des populations qui ont rarement une couverture universelle (en moyenne, 55 % de la population active est sans couverture sociale)3
  • le poids de l’économie informelle (plus de la moitié des personnes travaillent dans l’économie informelle)4 ;
  • de très fortes disparités régionales (communautés vivant dans régions enclavées, mégapoles et centres urbains avec des mouvements de population dense) avec des taux élevés de pauvreté (30 %) et de pauvreté extrême (12 %), et des services de base défaillants (transports publics ; eau potable ; assainissement)5 ;
  • des facteurs de comorbidité aggravants liés à la malnutrition (obésité et diabète dans des pays avec une population jeune). 

Pour les gouvernements de ces pays, la voie est donc étroite pour lutter contre le COVID-19. Toute la difficulté est d’articuler une réponse sanitaire à la hauteur du risque, avec la réalité économique et sociale des pays. La plupart ont adopté les mesures suivantes : investissements dans des infrastructures de santé ; subventions aux populations vulnérables ; moratoires temporaires sur les prêts, les impôts et les sanctions ; injection de liquidité dans l’économie ; crédits aux PME-ETI, entre autres. Certains pays se distinguent des autres avec des mesures inédites comme l’Équateur qui maintient une politique d’austérité en augmentant les impôts, la Colombie qui fait des dons aux secteurs les plus vulnérables de l’économie ou encore le Chili qui accélère les paiements aux fournisseurs de l’État.6 

En parallèle, les pays avancés ont déployé des plans sans précédents, avec des stimulus de l’ordre de 10 % du PIB aux États-Unis ou en Europe, voire même des garanties illimitées pour l’Allemagne. Les pays latino-américains devraient en théorie dépenser encore plus pour pallier les failles de leur système de santé ou de protection sociale. Ils souffrent de plus de fragilités existantes, le Mexique était déjà en récession en 2019, et de chocs supplémentaires avec la chute des prix du pétrole, particulièrement en Équateur.

Pour financer ces mesures, les États devront avoir recours au déficit budgétaire, augmentant leurs besoins de financement à court et moyen termes. Or, la contraction économique a entraîné une fuite des investisseurs vers les actifs sûrs, tels que les bons du Trésor américains. L’Institute of International Finance estime que près de 80 milliards de dollars ont été retirés des marchés émergents en mars, bien plus que pendant la crise financière de 2008, induisant une pression importante sur les monnaies locales comme le peso mexicain.

Cette fuite de capitaux a également entraîné une détérioration des conditions d’endettement. Le taux à 10 ans du Mexique est passé de 6.7 % au 2 janvier à 8.3 % au 18 mars : une variation de plusieurs milliards de dollars sur l’ensemble du stock. En Équateur, le taux à 10 ans est passé de 10 % à 40 % depuis le début de l’année, retirant au pays l’accès aux marchés et le poussant à annoncer qu’il reporterait à fin août le paiement de 800 millions d’euros à ses créanciers. Pour éviter que les pays ne soient obligés de se financer à des taux prohibitifs pour faire face à la crise sanitaire, le rôle des institutions multilatérales sera crucial. 

La réponse des institutions multilatérales est double : répondre aux besoins urgents des pays en termes d’accès à des biens et services sanitaires essentielles pour limiter la propagation du virus et soutenir les entreprises privées pour éviter un effondrement économique irréversible. 

Ainsi, la Banque Mondiale s’est engagée à déployer au niveau mondial sur les 15 prochains mois, une enveloppe de 160 milliards de dollars. Cette dernière représente le montant total des prêts de la Banque Mondiale en cours et à venir pour l’année 2020. Pour répondre aux besoins urgents face au COVID-19, la banque a mis à disposition une enveloppe financière à décaissement rapide de 14 milliards de dollars, dont 6 milliards de dollars proviennent de la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) et de l’Association Internationale de Développement (IDA). 

L’enveloppe totale de 160 milliards est mise à disposition des pays éligibles via trois dispositifs principaux : le programme de COVID-19 Fast Track Facility (FTF) d’un montant de 1.9 milliards de dollars disponible pour 25 pays, l’option de tirage différé (CAT-DDO) qui fournit des liquidités immédiates pour faire face aux évènements liées à une catastrophe naturelle ou sanitaire et la restructuration de projets existants afin qu’ils répondent aux besoins urgents liés à la crise (CERC). 

Jusqu’à présent, la Banque Mondiale a apporté un soutien financier d’un montant de 995 millions en Amérique latine via ces trois dispositifs. Les deux outils les plus utilisés restent l’apport de liquidités immédiates (CAT-DDO) via des déboursements et/ou des dons comme c’est le cas en République Dominicaine où 150 millions de dollars ont été déboursés pour contenir la propagation de la pandémie7 ; ainsi que la réorientation de projets existants (CERC) comme en Bolivie où 20 millions de dollars du projet « Health Services Networks », sur les 300 millions de dollars initiaux, ont été alloués à la gestion de crise8. Enfin, sur les 1.9 milliards de dollars octroyés au dispositif COVID-19 FTT, seulement 176 millions ont été assignés dans la région.

De plus, la Banque Interaméricaine de Développement (BID) a déployé une enveloppe de 12 millions de dollars dont 3.2 millions de dollars ajoutés pour pallier la crise du COVID-19. Cette dernière permettra de renforcer le système de santé, l’achat de fournitures et d’équipements sanitaire, des mesures de protection sociales pour les plus vulnérables, des programmes de soutien au PME-ETI (restructuration de prêts, financement à court terme, garantie de liquidité, soutien aux chaînes d’approvisionnement stratégiques) ainsi qu’un soutien technique dans la construction et l’implémentation de politiques fiscales pour faire face aux conséquences économiques de la crise sanitaire. 

Par ailleurs, d’autres banques de développement comme la Banque de Développement d’Amérique latine (CAF) a mis à disposition une ligne de crédit d’urgence à décaissement rapide d’un montant de 2.5 milliards de dollars afin de limiter les risques liés à la propagation du virus et contribuer à la stabilité de l’activité économique. 

En parallèle, le soutien au secteur financier passe par les bras droits de ces Institutions Financières Internationales (BID Invest, IFC). Ainsi, la Société financière internationale (IFC), filiale dédiée au secteur privé de la Banque mondiale a déployé une enveloppe de 8 milliards de dollars, répartie en quatre enveloppes sectorielles de respectivement 2 milliards de dollars provenant notamment du mécanisme de riposte aux crise du secteur réel afin de fournir des prêts aux entreprises des secteurs les plus vulnérables (infrastructure, industrie manufacturière, agriculture, santé) ou encore du programme mondial de financement du commerce afin de soutenir les PME-ETI intégrées dans des chaînes d’approvisionnement mondiales9

De son côté, la BID Invest a fournit une enveloppe de 5 milliards de dollars dont 4,5 milliards de dollars provient de son programme d’investissement initialement prévu pour 2020 et 500 millions de dollars prévu pour la création d’un nouveau mécanisme d’atténuation des crises. Ce dernier permettra d’octroyer des crédits à court terme à des PME-ETI et investir dans les secteurs les plus touchés par la crise10

Le Fonds Monétaire International dispose d’une boîte à outil avec trois principaux éléments : la Facilité de Crédit Rapide (FCR) et l’Instrument de Financement Rapidement (IFR) d’une part, et les programmes existants d’autre part. Il est en effet possible pour le FMI d’accélérer les décaissements dans le cadre d’un programme existant afin de pourvoir aux besoins urgents. Quant aux deux mécanismes dédiés au financement d’urgence

Jusqu’à présent, cinq pays ont bénéficié d’un financement d’urgence du FMI, et tous via les outils dédiés pour un total de 1.2 milliards de DTS : IFR en Bolivie à hauteur de 327 millions de dollars, au Salvador à hauteur de 393 millions de dollars, au Panama à hauteur de 515 millions de dollars, au Paraguay à hauteur de 274 millions de dollars, et FCR à Haïti à hauteur de 111 millions de dollars. Le Venezuela quant à lui à vu une première demande de financement à hauteur de 5 milliards de dollars refusée, sur fond de crise diplomatique avec les États-Unis qui possèdent un veto de facto sur les décisions de financement du FMI. 

Plus largement ces dernières semaines, de nombreux acteurs ont appelé à un allègement de la dette de tous les pays vulnérables, afin de leur permettre de dédier l’ensemble des ressources disponibles à la lutte contre la pandémie. Économistes, ONG, le pape et même le FMI et la Banque Mondiale ont appelé les créanciers bilatéraux officiels et privés à stopper le paiement du service de la dette. Le G20 a donc annoncé un accord sur la suspension des paiements en 2020 pour les pays à faibles revenus, libérant près de 12 milliards de dollars sur l’année. Il est prévu que les créanciers privés s’associent à cette initiative sur une base volontaire, alors que les agences de notation ont prévenu qu’une telle opération constituerait un défaut souverain11.

En parallèle des financements d’urgence ci-dessus, le FMI a d’ores et déjà utilisé son Fonds fiduciaire d’assistance et de riposte aux catastrophes (CCRT), un outil permettant d’accorder des remises de dette aux pays à bas revenus faisant face à des catastrophes extraordinaires – naturelles ou pandémiques. Il dispose d’une puissance de feu restreinte puisqu’il ne cible qu’un allègement du service de la dette contractée envers le FMI : seuls les pays en train de rembourser un programme sont éligibles. Par ailleurs, ce fonds est distinct des activités de prêt du FMI et doit donc être financé ad hoc, or il est en général sous-financé. Au début de la crise, il disposait de 150 millions de dollars face à un stock éligible estimé à environ 1 milliard de dollars.

Le CCRT a donc été réformé pour l’adapter à la pandémie actuelle et privilégier les besoins d’allègement à court terme, et une levée de fonds a été lancée. Le Royaume-Uni a été le premier à annoncer une contribution de 150 millions de livres, suivi par la Chine, le Japon et les Pays-Bas. Le 13 avril, le FMI a octroyé une première vague d’allègements de dette via ce mécanisme à 25 pays. Haïti était le seul pays latino-américain éligible et a bénéficié de l’allègement. Or des pays à revenus moyens comme le Mexique – non éligibles – doivent également payer des remboursement de dette importants à court terme, et vont donc utiliser des ressources qui auraient été pu être utiles pour lutter contre la pandémie et éviter qu’elle n’ait un impact à plus long terme sur leur économie.

Pour les institutions multilatérales, la question des remises de dette reste néanmoins épineuse. En effet, elles bénéficient historiquement d’un statut de créancier privilégié, dû notamment à la concessionnalité des prêts, qui les exclut a priori des restructurations visant les autres créanciers. C’est ce statut qui leur permet de se financer sur les marchés à des coûts particulièrement bas et de bénéficier d’une excellente notation : triple A par exemple pour la Banque mondiale ou la BID. Accepter des remises de dette risquerait de remettre en cause ce statut de créancier privilégié et d’augmenter de manière significative le coût de financement des prêts aux pays à plus long terme.

Perspectives :

  • La région n’a pas encore passé le pic de l’épidémie et il faudra attendre plusieurs semaines pour évaluer l’ampleur des dommages sanitaires et plusieurs mois pour évaluer l’impact sur l’économie. 
  • Si les conditions de financements restent prohibitives, les banques multilatérales devront envisager d’octroyer de nouveaux financements pour combler les déficits.