Varsovie. Le 13 mars 2020, le gouvernement polonais annonçait l’état d’urgence épidémique en Pologne. Il décidait la fermeture des frontières de la Pologne pour une durée illimitée ainsi que certains restrictions dans les déplacements à l’intérieur du pays. À ce jour-là, il y avait 68 cas confirmés et 1 décès. Puis le 1er avril 2020, des règles plus strictes ont été introduites pour restreindre les mouvements de population et accorder plus de privilèges aux services de secours, pour leur simplifier la tâche.

Aujourd’hui, selon les données du ministère de la Santé de Pologne (au 12 avril 2020), il y a 6674 cas confirmés et 232 décès en Pologne. 2500 tests de dépistage du coronavirus Covid-19 sont effectués quotidiennement1.

La coalition au pouvoir en Pologne, La droite Unie, se compose de trois partis de droite conservateurs : Droit et Justice (dirigé par Jarosław Kaczyński, ministre du gouvernement actuel, sans portefeuille), Une Pologne Solidaire (dirigé par Zbigniew Ziobro, ministre de la Justice) et La Pologne Ensemble (dirigé par Jarosław Gowin, vice-Premier ministre, Ministre des Sciences et de l’Enseignement supérieur). Depuis le début de la pandémie, la rhétorique de la coalition au pouvoir vise à politiser le sujet du virus, à renforcer le pouvoir en créant un message selon lequel les méthodes utilisées dans le pays sont le seul moyen efficace de lutter contre le virus. La société polonaise s’est retrouvée prise au piège de la peur. Un autre ennemi a aussi été trouvé. Après les réfugiés (lors de la campagne électorale pour le Parlement européen, en mai 2019), après la communauté LGBT (lors de la campagne législative polonaise d’octobre 2019), tous les agents de santé « propageant le virus sans suivre les procédures » sont devenus l’ennemi2.

À cela s’ajoute une forte campagne de désinformation. L’internet a été inondé de fake news (comme par exemple la récupération par la Pologne de gels antibactériens destinés à la Norvège ; des informations sur l’état d’urgence, sur le déploiement de l’armée et de la police dans les rues). Les informations sont intelligemment structurées. Les articles font par exemple mention d’une augmentation effective des mouvements de troupes, qui ne résulte cependant pas des préparatifs pour la gestion des zones dans les villes, mais d’exercices internationaux en cours, dans le cadre de l’opération de l’OTAN « Defender Europe 2020 ». Actuellement, les soldats traversent simplement la Pologne. L’exercice a été limité en raison du coronavirus, mais les voitures militaires sur la route sont faciles à voir. « Defender Europe 2020 » est jusqu’à présent passée inaperçue et rares sont ceux qui en ont entendu parler, c’est pourquoi il est aujourd’hui facile d’utiliser ces faits dans la campagne de désinformation. Enfin, il faut noter que ces exercices sont sous surveillance constante du Kremlin et que, depuis plusieurs semaines, leur utilisation dans la guerre de l’information russe est visible (sur les sites russes en polonais, entre autres, une fausse déclaration d’un des commandants de l’OTAN à propos des troupes polonaises a été publiée)3.

La société polonaise est particulièrement sensible aux restrictions des libertés civiles. Les Polonais se souviennent de l’introduction de la loi martiale en 1981 et des restrictions à la circulation à l’intérieur du pays et à l’étranger imposées par le régime communiste. De nombreux commentaires de Ombudsman, qui reste dans l’opposition au gouvernement, renforcent le climat de peur ambiante.

L’Église polonaise, qui a une position forte dans le pays, appelait jusque récemment à se rassembler en congrégations de fidèles. Les médias de droite font maintenant la défense de l’Église en tant qu’institution, condamnant en outre la gauche libérale, qui utiliserait une tragique pandémie pour attaquer ses opposants idéologiques. Selon eux, sous couvert de la préoccupation pour la santé des fidèles, elle frappe en son cœur l’Église4.

La campagne électorale pour l’élection présidentielle a commencé en février 2020. Le candidat du parti au pouvoir est l’actuel président issu du PiS : Andrzej Duda. Le candidat du plus grand parti d’opposition, la Coalition civique, est Małgorzata Kidawa-Błońska. D’autres candidats ayant une chance d’obtenir un résultat à deux chiffres sont :  Władysław Kosiniak-Kamysz, candidat du Parti populaire polonais (au centre), Szymon Hołownia, candidat indépendant (ce journaliste se déclarant « catholique libéral ») et Robert Biedroń, candidat de gauche, ainsi que le candidat de l’extrême droite, Krzysztof Bosak.

La campagne pour l’élection présidentielle, prévue  pour le 10 mai 2020, a été suspendue. Tous les candidats ont suspendu tout rassemblement avec les électeurs. Selon le sondage de l’IBRIS pour le quotidien Rzeczpospolita, Andrzej Duda bénéficie d’un soutien croissant (47 %), suivi de Małgorzata Kidawa-Błońska (12,4 %), Władysław Kosiniak-Kamysz (12 %), Robert Biedroń et Szymon Hołownia (6 % chacun). Le gouvernement polonais, dirigé par le Premier ministre Mateusz Morawiecki, est l’auteur de deux propositions de projets de loi de protection face à la crise 1 et 2, prévoyant des solutions pour l’économie polonaise ainsi qu’un bouclier financier. Le président est le principal promoteur de toutes ces lois adoptées par le Parlement5.

Pendant la pandémie, les élections elles-mêmes et leur déroulement sont devenus un problème. Sans campagne électorale pour tous les candidats (à l’exception notable de l’actuel président), il est devenu évident que les élections ne pourront avoir lieu. Le parti au pouvoir est conscient qu’après la fin de la pandémie, les critiques pleuvront, son candidat – l’actuel Président Andrzej Duda – ayant ainsi beaucoup moins de chances de gagner, risquant même de perdre son siège. D’où l’idée nécessaire d’organiser des élections par correspondance.

Dès le début, cette proposition a été très controversée. À l’échelle nationale, ce sont environ 30 millions d’électeurs et environ 20 millions d’adresses auxquelles devraient parvenir, puis desquelles devraient revenir ces bulletins, via Poczta Polska (la poste polonaise), société du Trésor public.

Le 3 avril, Jarosław Gowin, vice-Premier ministre et chef de l’un des partis formant la coalition au pouvoir, La Pologne Ensemble, s’est ouvertement opposé à l’organisation d’élections par correspondance. Il a proposé un « amendement unique à la Constitution ». Selon sa proposition, le mandat du président actuel serait prolongé à 7 ans (pour 2 ans supplémentaires). Après la fin de ce mandat, il n’aurait en revanche plus le droit de candidater à sa réélection. 

Le 7 avril, Gowin démissionne. Le parti au pouvoir risque de perdre sa majorité au Sejm si les membres du parti de Gowin le soutiennent. Enfin, le même jour, le Sejm adopte un projet de lois visant à organiser les élections par correspondance, donnant à son président le droit de reporter les élections au 17 mai (soit une semaine plus tard que prévu). Le projet de loi attend le verdict du Sénat, où l’opposition détient la majorité et donc la présidence. Le Sénat doit s’exprimer sur le texte adopté par le Sejm dans un délai de 30 jours. Pour l’instant, la prochaine réunion du Sénat est prévue du 13 au 14 mai 20206.

La seule base pour reporter la date des élections est l’urgence occasionnée par l’épidémie, qui ne justifie pas une prolongation du mandat présidentiel de deux ans.

Le chef du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme de l’OSCE, Ingibjörg Sólrún Gísladóttir, a appelé les autorités polonaises à examiner les conséquences des lois adoptées et a averti que l’introduction d’un vote par correspondance à une telle échelle juste avant l’élection pourrait porter préjudice au secret de vote et à l’égalité entre les différents candidats.

Au Parlement européen, la volonté du gouvernement polonais de tenir des élections présidentielles en mai malgré la pandémie fait l’objet de critiques croissantes, de la part des Socialistes, des Verts et à présent des démocrates-chrétiens. Le Pis rejette ces accusations.

Pour résumer la situation, lors de la pandémie en Pologne, les élections présidentielles auront lieu le 10 ou 17 mai 2020. En raison de la suspension de la campagne, il n’y a qu’un seul candidat – l’actuel président Andrzej Duda – présenté comme le sauveur de l’économie polonaise. Suite à la crise politique provoquée par des désaccords autour de l’élection présidentielle, le vice-Premier ministre a démissionné. La loi sur les élections par correspondance a été adoptée par le Sejm mais attend d’être votée au Sénat où l’opposition détient la majorité. Les prochains jours montreront si le bon sens ou le désir de pouvoir prévaudront.

Le parti au pouvoir renforce effectivement sa position, signalant de plus en plus souvent aux pays fondateurs des Communautés européennes un manque d’efficacité dans leurs actions. De plus en plus de voix témoignent du manque d’aide des structures européennes, qui pourraient à long terme être utilisées pour défendre une sortie de la Pologne de l’Union. La démocratie polonaise a montré sa sensibilité et son instabilité aux facteurs internes et externes. Pour toutes ces raisons, l’hypothèse d’une sortie de la Pologne de l’Union est devenue plus réaliste qu’elle ne l’était il y a quelques années.

Perspectives :

  • L’élection présidentielle aura probablement lieu par correspondance le 17 mai 2020. Pour le moment, personne n’a officiellement annoncé le déroulement et la validité de ces élections.
  • À long terme, en Pologne, face à la crise économique, une campagne anti-UE va démarrer, appelant au « Polexit », dont le scénario demeure de plus en plus probable.