Paris. Le battement d’ailes d’une chauve-souris sur un marché de Wuhan a entraîné la fermeture du SXSW à Austin. C’est l’effet pangolin. A travers le monde, 428 salons professionnels ont été annulés depuis l’épidémie de COVID-19. En France, où le spectacle représentait en 2019 60 000 dates par an, 30 millions de spectateurs, 150 000 emplois générant 5 milliards d’euros sont menacés.  «  Le vide est un facteur d’anéantissement apportant dans toute substance la contagion de son néant », écrit Gaston Bachelard, dans Les Intuitions atomistiques1. Un avion allégé de ses voyageurs, c’est un immense stade cerclé de sièges vides, des remontées mécaniques à l’arrêt, des émissions de télévision à huis-clos, les plus grands musées du monde réduits à leur mission de conservation. 

Or, le tourisme de masse a horreur du vide. Ses infrastructures ont été conçues pour répondre à une forte pression démographique saisonnière. Les mesures de confinement représentent un gouffre financier pour les stations de ski alpines italiennes, et l’incertitude de la durée de fermeture des pistes ne laisse même pas l’opportunité de projeter d’autres modes d’accueil des publics, ni des opérations de végétalisation et de conservation des sols. Le modèle plus récent de la bulle touristique, enclave isolée de son contexte spatial, est remis en cause par la pandémie. Le parc «  Ile des Rêves  » qui vient de sortit de terre en plein Moscou, site couvert de 300.000 m2 dédié aux achats et aux attractions, comptait accueillir près de 50.000 visiteurs par jour. Le Coronavirus lui donne déjà un air désuet. 

Airbnb,  qui fait figure d’entreprise disruptive de l’hôtellerie mondiale (1er hôtelier du monde en nombre de chambres offertes, 4 milliards de dollars en 2019 de chiffre d’affaire) subit l’impact du coronavirus, avec des centaines de réservations annulées par des particuliers qui craignent d’occuper un logement infecté. On le voit : le modèle économique collaboratif, basé sur l’échange et le partage entre particuliers sans autre intermédiaire que des outils digitaux, est à son tour mis à mal par le facteur risque sanitaire. Les stratégies marketing des acteurs et des aménageurs, qui avaient accompagné le tournant digital du tourisme ces dix dernières années, vont être contraintes d’évoluer. 

Pour éviter la propagation du vide dans les espaces dédiés au loisir, le secteur du tourisme se trouve devant l’urgence d’adapter durablement ses infrastructures d’accueil et ses dispositifs de communication à une culture du risque sanitaire. Innover face à la propagation inédite du vide demande un effort pour aller de l’abstrait au concret, pour inscrire une vision mentale dans le plan de l’action. La crise est le kaïros d’une innovation radicale dans l’art de maîtriser les dispositifs technologiques des monuments et musées pour maximiser les entrées virtuelles.

Il est certain qu’une fois la pandémie de COVID-19 passée, le monde de la culture anticipera de nouvelles crises sanitaires à échelle globale. Les volumes et les directions de flux de personnes devront nécessairement être mieux maîtrisés qu’avant la crise. Sur le modèle des logiciels dédiés au comblement des heures creuses, l’usage d’outils de gestion de l’occupation des espaces couverts collectifs va se développer. Pour faire admettre au public ce mode inédit de loisir, allons-nous vers un «  marketing du huis-clos  » dès cet été ?  Représentations «  privées  », voyages en comité «  affinitaire  », visite des coulisses, rencontres thématiques avec les artistes… dans des lieux aux dimensions restreintes et où la sûreté sanitaire des visiteurs est garantie. Et, si «  remplir  » en permanence une salle de cinéma, un lieu patrimonial, une station balnéaire… est un objectif qui perd de son sens avec la fin du modèle de la mobilité récréative de masse à échelle du monde, le vide — le non plein — n’est plus une hantise.
Wuhan, Venise, Paris, New-York, Bombay…chaque jour, les télévisions donnent à voir un nombre de plus en plus important de villes confinées où les rues dépeuplées ressemblent à des décors plantés sur une scène délaissée après la pièce. «  Le désert croît  », écrivait Nietzsche dans Ainsi parlait Zarathoustra.2 Le désert est lieu d’un ensablement solitaire dans l’angoisse. Lieu d’abandon des lourdes idoles, il peut aussi être le lieu de transformations. 

Sources
  1. BACHELARD Gaston, Les Intuitions atomistiques, Ancienne Librairie Furne Boivin et Cie., 1933
  2. «  Die Wuste wächst, weh dem der Wüsten birgt  », Nietzsche,  Ainsi parlait Zarathoustra, IV, 16