Londres. Le gouvernement britannique a récemment adopté sa deuxième phase de réponse à la pandémie du  COVID-19 : le « retardement »1. Selon Robert Peston, journaliste à ITV2, la stratégie du gouvernement pour minimiser l’impact de la COVID-19 « est de permettre au virus de traverser toute la population afin qu’elle acquière une immunité collective, mais à une vitesse bien moindre, afin que ceux qui présentent les symptômes les plus aigus puissent recevoir le soutien médical dont ils ont besoin, et que le système de santé ne soit pas submergé et accablé par le nombre de cas à traiter en même temps ». À première vue, cela semble être une stratégie valable, mais qu’est-ce exactement que l’immunité collective, et peut-elle être utilisée pour lutter contre le COVID-19 ?

Notre corps combat les maladies infectieuses par l’action de notre système immunitaire. Lorsque nous nous rétablissons, nous conservons souvent la mémoire immunologique de la maladie, ce qui nous permet de l’affronter à l’avenir. C’est ainsi que les vaccins fonctionnent, en créant cette mémoire immunitaire sans avoir à tomber malade.

Si vous êtes atteint d’une nouvelle maladie, comme le COVID-19, pour laquelle nous n’avons pas de vaccin et dont personne sur notre territoire n’a jamais été infecté, alors cette maladie se propagera à travers la population. Mais si un nombre suffisant de personnes développent une mémoire immunitaire, alors la maladie cessera de se répandre, même si une partie de la population n’est pas immunisée contre elle. C’est en cela que consiste l’immunité collective, un moyen très efficace de protéger l’ensemble d’une population contre les maladies infectieuses.

En général, l’immunité collective n’est cependant considérée comme une stratégie préventive que dans les campagnes de vaccination. Si nous n’avons pas de vaccin – comme c’est aujourd’hui le cas pour le COVID-19 – pour obtenir une immunité collective, il faudrait qu’une proportion importante de la population soit infectée et guérisse du COVID-19. Quelles seraient alors les conséquences pour la propagation de la maladie au Royaume-Uni ?

Le pourcentage de la population qui doit être immunisée pour pouvoir obtenir l’immunité collective dépend du degré de transmission de la maladie. Ce pourcentage est mesuré par le terme R0, qui correspond au nombre de nouvelles infections que chaque cas va générer. Pour le COVID-19, le R0 est estimé à 3,283 ; des études sont néanmoins toujours en cours et ce chiffre est probablement amené à évoluer. Ce chiffre signifie qu’environ 70 % de la population britannique devrait être immunisée contre le COVID-19 pour que les conditions de l’immunité collective soient réunies.

Pour obtenir cette immunité collective, il faudrait donc que plus de 47 millions de personnes soient contaminées au Royaume-Uni. Selon les estimations actuelles, le COVID-19 a un taux de létalité de 2,3 % et un taux d’infection grave de 19 %4. Cela signifie que la mise en place d’une stratégie d’immunité collective contre le COVID-19 au Royaume-Uni pourrait entraîner la mort de plus d’un million de personnes et générer huit autres millions de cas d’infections graves nécessitant des soins intensifs.

Le retardement comme stratégie de santé publique

Cependant, on ne sait pas exactement dans quelle mesure ce débat sur l’immunité collective5 – qui aurait été proposé par David Halpern6, directeur général de l’équipe Behavioural Insights, et dont Robert Peston a parlé plus tard sur son blog – est réellement une politique de santé publique.

En outre, le concept tel qu’il est discuté ne consiste pas simplement à laisser la maladie se répandre dans la population, mais à ralentir sa propagation et à protéger les personnes les plus vulnérables contre une infection grave.

Le ralentissement de la propagation du COVID-19 est une stratégie prometteuse, surtout lorsqu’elle est conjuguée au renforcement de la protection des personnes âgées ou présentant déjà des problèmes de santé. En ralentissant la propagation de la maladie, le système de santé publique britannique pourrait disposer de plus de temps pour s’organiser, nous serions peut-être en mesure de mettre au point des traitements ou des vaccins, et nous nous rapprocherions de l’été, où l’incidence d’autres maladies comme la grippe, qui pèsent également sur notre système de santé, aura diminué.

Une stratégie de retardement, combinée à la surveillance et au confinement, comme le recommande l’OMS7, pourrait s’avérer très efficace pour lutter contre la propagation du COVID-19. Pourtant, si nous ralentissons la propagation du virus mais que nous comptons sur l’immunité collective pour protéger les personnes les plus vulnérables, il faudra encore que 47 millions de personnes soient infectées pour que nous puissions l’obtenir.

Même si nous parvenions à protéger les personnes les plus vulnérables (et bien qu’aucun élément ne soit fourni sur les conditions et la durée de cette protection), le taux de mortalité pour la population en bonne santé pourrait encore s’élever à 0,5 % ou plus8. Cela signifie que même dans le « meilleur des cas », nous ferions face à plus de 236 000 décès. Nous pouvons et nous devons faire mieux que cela. La Chine est en train de maîtriser rapidement la propagation du COVID-19 sans en appeler à l’immunité collective (seulement 0,0056 % de sa population a été infectée)9. Attendre que l’immunité collective contre le COVID-19 se développe au Royaume-Uni en laissant le virus « traverser la population » n’est pas une stratégie de santé publique pertinente10.

Crédits
Jeremy Rossman est maître de conférences honoraire en virologie et président des réseaux d'aide à la recherche de l'Université du Kent. Cet article a été initialement publié en anglais sur The Conversation.