Éclats
Le Grand Continent publie six extraits du livre Éclats. Prises de vue clandestines des camps nazis. précédés d'un entretien exclusif avec l'auteur. Un nouveau regard, photographique et documentaire, sur la Shoah.
- Auteur
- Christophe Cognet
Entretien avec Christophe Cognet
Dans Éclats, vous parlez de votre découverte traumatisante de Nuit et Brouillard au collège alors que vous aviez douze ans. Est-il possible de préparer un enfant aux images la Shoah ?
Je crois que dans les années 1970 les choses étaient assez différentes. Il y avait moins d’images et, surtout, il n’y avait pas d’images numériques. C’était encore une époque où les photographies étaient analogiques, argentiques. Je pense que l’on a changé notre rapport aux images avec l’innovation que représente le numérique. Cela se fait doucement, mais cette évolution me paraît irréversible. Quand j’avais douze ans, cela n’allait pas de soi de faire une photographie. Aujourd’hui n’importe quel enfant peut et sait utiliser le portable de ses parents (ou le sien) pour prendre des photos.
Je pense donc que le choc qu’on a eu en découvrant Nuit et brouillard, dans ma génération, était aussi lié à cette relative rareté des images. Par exemple, je vais le dire de manière très triviale, mais alors que nous entrions dans l’adolescence, c’était la première fois que nous voyions des nus à l’écran. Les cadavres étaient nus. Il y avait tout un rapport à la nudité qui était presqu’aussi sidérant pour nous que de voir des morts.
Aujourd’hui, je pense qu’il n’est plus possible de faire passer ce qu’a été la Shoah par des images. Dans un monde saturé d’images, je crois que la transmission passe par des récits, des lectures et l’enseignement. Les images ne peuvent venir qu’après. Je crois que la parole, les récits, les faits — dans ce qu’ils ont parfois de plus concret — peuvent avoir un poids extraordinaire.
Tout mon livre est nourri de l’inquiétude des images. Je ne fais pas beaucoup confiance aux vertus des images pour enseigner ou pour informer. Je le sais justement parce que je suis auteur d’images. Les images sont profondément polysémiques et, seules, elles ne disent souvent pas grand-chose. Il faut leur faire dire des choses et je me dis qu’il vaut mieux parfois les dire sans images. Quitte à ensuite chercher ces images pour voir si elles apportent quelque chose d’autre. Comme notre époque est bombardée d’images qui n’ont plus de valeur et qui ne laissent plus de traces, puisque le numérique ne laisse plus de trace, alors même que c’était une vertu extrêmement forte de l’analogique.
La force des images que vous présentez ne vient-elle pas de leur extrême rareté ?
En fait, il y a beaucoup d’images des camps. Les SS avaient des services de documentation qui enregistraient toutes les étapes de la construction des camps. Au début, il leur arrivait même souvent de photographier les cadavres pour justifier de leurs « morts naturelles » auprès des familles. Et puis il y a tout un corpus de photographies amateur, prises par les SS et leurs familles autour des camps, puisqu’il y avait de véritables petites villes autour. L’extrême banalité de photos de déjeuners de familles y côtoie des photos prises dans les camps ou depuis des miradors – aux alentours de Buchenwald des scènes de pendaisons de détenus ont été prises de manière amateur par un SS.
Ce qui est très rare, ce sont des photographies prises par des déportés à l’intérieur des camps. La recherche que j’ai faite a été de voir ce qui était produit par ceux qui étaient enfermés dans les camps. Que voyaient-ils ? En fréquentant leurs images, avait-on une perception différente de la vie des détenus ou du système concentrationnaire ?
Mais j’y reviens toujours, ces images appartiennent à une époque désormais révolue. L’ère de l’image comme preuve ou comme trace de ce qui fut est révolue. Avant le numérique, une image — ou plus précisément, le négatif — était une trace physique. Barthes ne dit pas autre chose dans La chambre claire. Ces photos prises par les détenus sont des traces physiques, très rares, de ce qu’il s’est passé dans les camps.
Ces images en étaient d’autant plus précieuses. J’avais l’impression d’y voir l’empreinte d’un moment, aussi fugace et labile fût-il. Ce sont les traces de rencontres, de moments vécus par les déportés dans les camps.
Comment avez-vous enquêté pour retrouver ces images ? Et comment avez-vous travaillé ?
J’y suis arrivé par la rencontre avec un déporté, Boris Taslitzky, qui était peintre et qui avait fait des dessins et aquarelles clandestines à Buchenwald. Il m’avait appris qu’il existait aussi des photographies prises par les détenus. Il m’a ouvert la voie. J’ai travaillé en ramenant ces images à ceux qui les avaient prises. J’ai beaucoup tâtonné pour savoir qui étaient ces photographes.
Le livre est issu d’un projet de film qui le précède, qui s’appelle À pas aveugles — je le finis seulement maintenant. Je voulais ramener ces images à d’autres images, aux gestes de ceux qui avaient pris ces photos aujourd’hui. Ce geste de réalisateur a donné des effets différents de ceux qu’aurait obtenu un historien professionnel : cela apporte d’autres choses, notamment dans le registre de la compréhension sensible de la fabrique des images. Je crois que j’ai regardé ces images différemment. Je sais le poids d’une image, le temps, l’effort qu’il faut pour en concevoir et en réaliser une.
Quand je regarde une image, je m’interroge sur les conditions matérielles de sa fabrication. Quelles sont les circonstances de sa naissance, de son surgissement ou de sa conversation ?
Et je pense qu’encore maintenant on a une génération d’historiens qui sont trop peu formés aux problèmes que pose l’image. Ils prennent souvent les images comme des illustrations de quelque chose, mais ils considèrent rarement les images comme des sources intrinsèquement problématiques. Par exemple, je suis sidéré d’être le premier à remarquer que sur la série des quatre photographies de Birkenau, la position du soleil n’était pas la même d’une image à l’autre. Elles ont pourtant beaucoup circulé. On a écrit dessus. Mais personne n’avait vu que la direction de la lumière n’est sensiblement pas la même dans les deux dernières, et donc, contrairement à ce que l’on dit, ces quatre images ne peuvent avoir été prises en un quart d’heure.
Et puis j’ai dû beaucoup me documenter. À la fois en lisant énormément sur les camps, en rencontrant des resapés et des historiens, et puis en me rendant sur place, en arpentant les sites des anciens camps. Je l’avais déjà fait quand j’avais travaillé sur les peintures, mais pour les photographies c’était encore plus important. Je voulais retrouver les endroits où elles avaient été prises. Cela produit un effet extraordinaire lorsque l’on y parvient — ce qui n’a pas toujours été le cas. Il y a comme un tremblement de temps qui se fait entre le lieu – qui a changé – et la photographie qui rappelle l’apparence qu’il avait autrefois. On ne sait plus dans quel temps on se trouve exactement. C’est passionnant et cela aiguise notre perception des camps.
Justement, vous avez sillonné les camps pour faire ce travail. Comment avez-vous fait pour ne pas vous laisser complètement écraser par ces lieux ?
Le fait d’avoir quelque chose à y faire, de vouloir produire une œuvre qui rendrait en partie compte de ce qui s’est passé dans ces camps, m’a permis de traverser ces lieux. Mon ouvrage absorbait mes sensations. Quand je n’étais pas bien, je me rappelais pourquoi j’étais là et je me remettais dans ma propre bulle de travail. L’écriture de ce livre me protégeait tout en me permettant paradoxalement de mieux rencontrer le lieu. Tout ce travail d’écriture et de cinéma (avec le documentaire) m’a donné une raison profonde d’être dans ces endroits. Après, cela fait quinze ans que je travaille sur les camps et il m’est bien sûr arrivé de connaître des moments extrêmement douloureux – l’abyme n’est jamais loin.
Dans mon processus d’écriture, je me suis efforcé de décrire le plus clairement possible ce que je voyais. Je voulais éviter le langage métaphorique, Je voulais vraiment trouver l’expression la plus simple pour décrire ces images et leur fabrication. Creuser les phrases, le plus nettement possible, était une manière d’aller au bout de ce que ces photos disent. Quand bien même on ne va jamais complètement au bout.
Aviez-vous un lecteur, ou plusieurs, en tête pendant que vous écriviez ?
Je crois que j’en avais mais qu’ils ont changé en cours de route. Dans chaque endroit, j’ai toujours en tête les rescapés que j’ai rencontré, comme un rappel permanent qu’il fallait que je sois précis et attentif à tout ce que j’avançais, que je leur sois digne en quelque sorte. Et puis, en commençant à écrire, je crois que je pensais surtout aux historiens et, progressivement, se sont substitués à eux des écrivains.
Comment expliquer la quasi-normalité de certaines photos ? Vous le faites par exemple remarquer à propos de la photo d’un four crématoire prise par Jean Brichaux.
D’abord une photo n’est qu’une photo. Le moment où on peut faire une photo dans les camps c’est le moment où l’on ne peut être surpris en train de la faire. Donc forcément Jean Brichaux prend la photo quand il peut la prendre : ce ne peut être à un moment où un tas de cadavres est en train d’être charrié ou quand des SS passent. Et puis, à cause des récits qui ont été donnés des camps, on s’attend à ce que les camps soient sans cesse plongés dans le bruit et la fureur. Mais il y avait aussi une sorte de normalité — presqu’impensable pour nous — de ces endroits Pour quelqu’un comme Brichaux qui était détenu depuis un moment, le fait que le four crématoire soit en activité et que, devant celui-ci, il y ait un prisonnier hagard, cela participait d’une certaine normalité. Il prend la photographie en faisant attention au cadre, il prend donc son temps. Et il peut le faire car il y avait des moments où l’activité du camp ralentissait. Même au cœur de l’entreprise de mort, il y avait des moments sans précipitation, notamment lorsque les corps étaient en train d’être consumés puisque c’est un processus physique qui prend plusieurs heures. Et c’est presqu’encore plus terrible de se dire qu’il y avait ces moments de lenteur. Et là je pense que l’image apporte quelque chose, un doute ou une inquiétude. Elle vient interroger ce que l’on croit savoir, quelque chose que d’autres images — je pense ici à certains films de fiction sur la Shoah — nous font croire en nous disant que tout se passait dans l’urgence. Ce que nous montre aussi ces photos, c’est qu’il y avait des temps morts dans les camps.
Les passages qui suivent, tous extraits d’Éclats, sont reproduits avec l’aimable autorisation de l’auteur et de l’éditeur.
Extrait 1 – L’Univers concentrationnaire – 9, « Première photographie »
Notre regard est attiré tout de suite par le bâtiment en brique, imposant et austère, à gauche du cadre : avec son toit en pente d’où jaillit une longue cheminée, on reconnaît immédiatement le crématorium. Le ciel nuageux occupe le tiers supérieur de l’image ; il est particulièrement clair, mais on parvient à déceler la colonne de fumée, plus claire encore, qui s’élève pour sortir du cadre par la gauche.
Les fours crématoires sont donc en activité.
Une palissade sombre cache l’intérieur de la cour du crématorium ; elle rejoint le front de l’édifice aux cinq fenêtres carrées toutes occultées de l’intérieur : on ne peut rien voir ni dans le bâtiment ni dans la cour, là où les cadavres étaient empilés. À gauche pointe l’amorce d’une baraque de plain-pied, sa façade est un peu avancée par rapport à celle du crématorium : il s’agit de l’un des Blocks de l’atelier d’électromécanique intégré au camp.
L’arrière-plan de l’image est occupé par la ligne noire d’une forêt, devant laquelle on devine à peine les toits de l’usine d’armement Gustloff où travaillait une partie des détenus de Buchenwald.
On distingue aussi, à droite, la clôture extérieure du camp – les lignes de fils de fer barbelés électrifiés. De l’autre côté, au-dehors, se dresse un mirador massif, muré, à deux étages, au toit pyramidal et aux grandes fenêtres en belvédère. L’ensemble de la scène est cadré de loin : le mirador est à une distance certaine, mais il demeure à portée de regard, en face de nous, nous indiquant à quel point cette image a été dangereuse à prendre.
On remarque dans un second temps les formes humaines dans l’herbe, à droite de l’image : par petits groupes et jusqu’au fond, des hommes sont étendus. Ils paraissent se prélasser sous le soleil. Au plus près de nous, l’un plante ses coudes dans le sol pour relever son buste, il étend une jambe et relève l’autre à moitié, dans une pose particulièrement relâchée ; son corps est blanc, comme s’il était torse nu. La tête tournée vers le ciel, il est peut-être en train d’inhaler une bouffée de cigarette : dans le grain de la photographie, on devine comme une petite volute de fumée au-dessus de son visage, et son avant-bras gauche est relevé comme s’il venait de porter une cigarette à la hauteur de ses lèvres.
Le contraste entre les deux parties de l’image est saisissant : d’un côté un crématorium en activité, de l’autre, à quelques mètres en face, des hommes prennent le soleil dans des poses décontractées. Et ce qui est peut-être la fumée de la cigarette de l’un d’entre eux fait un écho glaçant à celle, plus volumineuse, expulsée par la cheminée du sinistre bâtiment.
Extrait 2 – L’Univers concentrationnaire – 10, « Retouches »
À son retour en France, fin avril 1945, lorsqu’il avait développé ces images clandestines et procédé aux premiers tirages, Georges Angéli avait pris conscience de la gêne potentiellement suscitée par ce face-à-face étonnant. À ses anciens camarades rescapés de Buchenwald, aux mémoriaux et même dans les albums qu’il avait confectionnés, il présentait le plus souvent une version retouchée de cette photographie du crématorium, où les corps étendus dans l’herbe avaient disparu sous des traits gribouillés par ses soins à même chacune des épreuves. Il m’en avait montré une lors de notre première rencontre au début des années 2000 : les ratures au stylo à bille creusaient des sillons dans le papier photo. Le vieil homme rescapé – il avait alors 80 ans – m’avait affirmé qu’il s’agissait du seul tirage de cette image encore en sa possession : les négatifs des onze photographies clandestines avaient été perdus pendant le déménagement d’un imprimeur (sa fille me l’a depuis confirmé après avoir fait l’inventaire complet des archives de son père décédé en 2010).
Le Mémorial de Buchenwald conserve la seule épreuve existante non retouchée de cette image. Le donateur n’en est pas connu. Il est probable, mais pas certain, qu’il s’agisse de Georges Angéli lui-même ; il en aurait fait don à l’occasion de l’un de ses retours sur les lieux, en 1950 et 1951, ou en 2001. L’image sur l’épreuve retouchée est plus dense : on y distingue beaucoup plus nettement la colonne de fumée – cette fois gris clair –, dans le ciel devenu plus sombre.
Nous avions parlé de ces retouches. Georges avait peur que cette image de détenus étendus au soleil donne une idée trompeuse du camp, en travestisse la réalité : si on pouvait se prélasser comme on le ferait dans un jardin ensoleillé, alors les conditions de vie n’étaient pas si dures. Je lui avais dit qu’il n’était pas impossible pour nous – « nous », ceux extérieurs à l’univers concentrationnaire – de comprendre le comportement de ces déportés, harassés par le labeur, la promiscuité et la faim, cherchant à se reposer quand ils le pouvaient et là où ils le pouvaient – en l’occurrence le dimanche après-midi où ils n’étaient pas astreints au travail obligatoire dans les « Kommandos » –, et même leur envie de profiter de la douceur offerte par les circonstances d’un mois de juin clément.
Mais surtout, le face-à-face rend cette photographie particulièrement signifiante : il semble normal aux détenus de ce camp de s’alanguir aux abords d’un crématorium en activité, indifférents à la mort, devenue si habituelle, si familière. Il faut songer aux odeurs fétides dégagées par une telle activité mortuaire : dans L’Écriture ou la Vie, Jorge Semprun raconte comment la puanteur de la chair humaine brûlée se répandait dans tout le haut du camp et faisait fuir jusqu’aux oiseaux.
Dans sa version originale, cette image est sans doute l’une des plus justes de la réalité de la vie des prisonniers d’un camp comme celui de Buchenwald : rien ne désigne mieux la tragique banalité de la mort que cette concomitance.
Mais je n’avais pas réussi à convaincre Georges Angéli. Il me faisait remarquer que la colonne de fumée est difficilement visible : si cette image est donnée à voir telle quelle, sans notice ni commentaire, on ne l’aperçoit pas. Il avait raison : sur le tirage non retouché de cette photographie, on la distingue mal dans le ciel clair. Georges disait aussi que pour accéder à ce regard « informé » sur sa photographie, il fallait une connaissance déjà constituée de l’univers du camp : son effet premier, lorsqu’on discerne les gens alanguis devant le crématorium, paraît dire le contraire. Il craignait plus que tout de fournir des arguments aux révisionnistes, lesquels, à l’époque, redoublaient leurs voix nauséabondes.
Extrait 3 – L’Univers concentrationnaire – 12, « Georges Angéli »
Georges Angéli est né à Bordeaux en 1920.
D’une nature fragile, souffrant de maladies respiratoires, il effectue durant toute son enfance de longs séjours dans des sanatoriums parisiens. D’une « timidité maladive », selon ses propres mots, il rentre en apprentissage, à 14 ans, chez un photographe, à Lorient, où vivait sa famille.
Lorsque la guerre éclate, cinq ans plus tard, il devance l’appel et s’engage dans l’armée pour une durée de trois ans, désireux de se battre sur le front. Mais le contexte de la « drôle de guerre » maintient son unité à Caen, et c’est sans jamais avoir pu combattre qu’il est emporté avec toute sa troupe, durant la débâcle, jusqu’à Marseille, puis en Algérie. Malgré la signature de l’armistice, il y reste presque deux ans, affecté à la base aérienne de Blida, en tant que « militaire civil », selon son expression – il faisait partie de cette armée française demeurée sous le contrôle du régime du maréchal Pétain. Georges était alors persuadé « que l’armistice de juin 1940 était une façon de se jouer de l’Allemagne nazie ».
Il est démobilisé en juin 1942 et rejoint sa famille à Lorient, où les bombardements incessants de la base aérienne sous-marine les font fuir jusqu’à Chasseneuil-du-Poitou. Là, Georges trouve une place dans le laboratoire d’un photographe de Poitiers – « c’était un collabo » : il découvre ainsi la vie des Français sous l’Occupation et leurs petits arrangements, loin de ce qu’il avait imaginé depuis l’Algérie. Il aimerait rejoindre la Résistance, mais, sans contact, et surtout toujours sous l’emprise de sa grande timidité, il ne tente rien.
Il est réquisitionné en novembre 1942 par l’organisation Todt, dans le cadre du Service du travail obligatoire, et affecté au sein des équipes de construction d’une base sous-marine au port de La Rochelle, à La Palice. Il commence à mener des activités de résistance spontanées en effectuant avec les autres ouvriers des petits actes de sabotage pour retarder l’avancée du chantier, suivant les consignes diffusées par Radio Londres : ils remplacent la graisse destinée aux mécanismes d’entraînement des grues par du sable pour les gripper, et ils abîment leurs outils, tout en tenant tête chaque fois que possible aux chefs de chantier allemands. Georges simule régulièrement des crises de paludisme – maladie contractée en Algérie – pour se faire porter pâle. En avril 1943, profitant d’une invitation à un mariage, il parvient à rejoindre un ami à Pau, dans le but de traverser la frontière espagnole pour rejoindre ensuite Londres et les Forces françaises libres. À Perpignan, il réussit à trouver un réseau de passeurs juifs et tente sa chance avec eux.
Ils sont arrêtés par la Gestapo dans le car les conduisant à l’endroit où la marche nocturne devait démarrer – ils avaient été dénoncés.
Georges Angéli est emprisonné avec les autres – sept juifs, français et polonais, et trois officiers polonais –, au Castillet à Perpignan. Il est le seul du groupe à échapper aux interrogatoires de la Gestapo et à leurs séances de torture, sans savoir pourquoi.
Il est ensuite transféré à Compiègne.
De là, il est déporté avec 1 400 autres prisonniers, le 25 juin 1943, au sein du premier convoi parti de France pour Buchenwald.
Après deux jours passés dans un wagon plombé, il arrive à la gare de Weimar, où il fait partie du petit groupe conduit à Buchenwald en camion, exception particulièrement favorable : à cette époque, la plupart des déportés parcouraient au pas de charge les sept kilomètres en pente menant au camp de concentration construit sur l’Ettersberg, la colline en hauteur de la ville, subissant les coups de schlague, les hurlements des SS et les aboiements de leurs chiens – leurs morsures aussi. Le supplice était tel que les prisonniers avaient surnommé cette voie « la route du sang » (« Blutstrasse »).
Sans méfiance, il indique son vrai métier à l’« enregistrement », photographe, sans chercher à lui en substituer un autre supposé plus profitable, selon les rumeurs qui couraient parmi les arrivants, comme cuisinier ou maçon. Il reçoit le n°14824.
Il est ensuite placé en quarantaine pour la nuit dans le « petit camp », où il découvre les conditions de vie épouvantables des déportés parqués durablement dans cet enclos : ceux en attente longue d’une affectation, et ceux considérés comme inaptes au travail forcé, laissés à eux-mêmes sans vivres ni assistance : les vieillards, les handicapés, les blessés et les infirmes.
Le lendemain, le jeune homme est conduit au service de l’identification où chaque prisonnier est photographié de face et de profil avec son numéro d’immatriculation. Il est repéré par un officier SS qui l’interroge, chose tout à fait surprenante, en français, pour vérifier son statut de photographe. « Ce fut ma grande chance », disait Georges Angéli, car c’est ainsi qu’il est affecté au service photographique du camp dirigé alors par cet « Oberscharführer » (sergent-major) francophile et par un caporal SS autrichien, « Willy ». Les douze autres prisonniers affectés à ce « Kommando » sont tous allemands : communistes, témoins de Jéhovah, syndicalistes, antifascistes. Georges est le plus jeune et, surtout, il est le seul à avoir de réelles compétences photographiques. Il est bien accueilli, en particulier par le kapo, Edo Leitner, un prisonnier allemand, surnommé « Pep », détenu là depuis 1937, date de la création du camp. « C’était un communiste d’une grande humanité, qui parlait lui aussi français avec beaucoup d’enthousiasme, et l’espéranto. Je l’aimais beaucoup. »
Ce « Kommando » était chargé de faire les tirages des portraits d’identification des détenus effectués à leur arrivée, et de photographier les différentes phases d’avancement des travaux dans le camp, en perpétuelle croissance. Il servait également de magasin pour les nombreux SS du complexe de Buchenwald, qui venaient y acheter des pellicules et les faire développer pour leurs besoins personnels.
Le service, aussi, photographiait les morts dans la cour du crématorium, avec un numéro d’identification visible pour fournir la preuve de leur décès, dans le cas d’une demande des familles ou d’institutions internationales comme la Croix- Rouge, en lui attribuant des causes « naturelles » ou « habituelles » – en réalité ils avaient été le plus souvent assassinés.
Georges n’a jamais participé à des prises de vue : sa tâche était de rester au laboratoire pour réaliser des tirages à partir des négatifs développés par un autre détenu.
Être assis toute la journée sans promiscuité, dans un laboratoire moderne, chauffé, et y mener un travail peu éprouvant physiquement, représentait une exception inouïe à Buchenwald. Georges Angéli : « Je ne peux pas dire que j’ai honte d’avoir été dans ce Kommando, ça s’est trouvé comme ça, mais par rapport aux autres camarades, j’avais conscience du privilège que j’avais, sans avoir rien fait. J’ai bénéficié d’un régime de faveur absolu. »
Dans le camp, Georges est affecté au Block 40, peuplé essentiellement de prisonniers allemands aux conditions de vie moins dures que les autres. Situé non loin de la limite du « petit camp », c’est l’un des rares bâtiments à étage construit avec des fondations en béton. Il dispose de fenêtres munies de volets, de ses propres sanitaires, et de poêles en nombre suffisant pour assurer un chauffage convenable dans toutes les chambrées. La majorité des autres Blocks où s’entassaient les détenus étaient des baraques sans étage conçues pour abriter des chevaux : des constructions en bois sans fenêtres ni sanitaires, glaciales l’hiver, d’une chaleur étouffante l’été. Georges Angéli : « Dans mon Block, tous avaient une vie un peu plus facile. Personne n’y souffrait sérieusement. J’y ai eu assez à manger, n’ai jamais été battu et j’ai pu laver mes vêtements régulièrement. Tout cela à proximité immédiate des conditions de vie pénibles des autres prisonniers d’autres Blocks, en particulier dans le “petit camp” voisin. »
Ultime exception : le bâtiment du service photographique étant situé à l’extérieur de l’enceinte du camp des prisonniers, à quelques dizaines de mètres de la porte d’entrée principale, Georges Angéli reçoit une carte de laissez-passer pour pouvoir franchir, seul, le poste de garde, dans un sens comme dans l’autre.
Le jeune photographe conçoit sincèrement que son sort « l’oblige » en quelque sorte vis-à-vis de ses camarades plus mal lotis. Mais il n’a aucun lien dans le camp où s’est développée une organisation de résistance souterraine particulièrement efficiente, structurée par nationalités et dominée alors par les communistes allemands. De toute façon à cette époque, fin 1943, les Français y sont rares et peu considérés. Georges est à l’affût de tous les moyens à sa portée pour contrer la machine SS – même de petits sabotages comme il en a fait sur le chantier de la base sous-marine de La Rochelle.
L’occasion va lui en être donnée dans le laboratoire même où il travaille.
Extrait 4 – L’Univers concentrationnaire – 39 « Distribution de soupe – Trois photographies »
La première photographie est prise en plongée : un groupe de détenus – on distingue cinq têtes – est assis en cercle compact en contrebas, sous la fenêtre derrière laquelle se terre le photographe ; d’autres se tiennent debout dans l’allée, marchant à pas lents ou discutant en groupe. Deux sont assis sous les fenêtres d’en face. Toujours les mêmes tenues bigarrées, on remarque les jambes nues de l’un d’entre eux, sortant d’une sorte de bermuda. Un homme entre dans le Block, on devine à son attitude qu’il porte un seau.
Rudolf Cisar a relevé son appareil pour prendre les deux photographies suivantes.
Tous sont debout maintenant, certains se dirigent vers la grande gamelle en métal posée devant la fenêtre, d’autres, à la fenêtre et dans l’encadrement de la porte, regardent loin vers la gauche, hors champ – peut-être l’arrivée d’une autre livraison.
Un détenu passe juste devant le récipient posé au sol ; en le regardant, il lève la main à la bouche. Deux autres se tiennent debout dans l’allée, ils ont une couverture autour de la taille – la tenue des malades de la dysenterie – et sont tournés également vers la gamelle. Dans le reflet de la fenêtre derrière laquelle se trouve Rudolf Cisar, à droite en avant-plan, on aperçoit la silhouette d’un homme qui porte sans effort un seau plus petit à la main – il a l’air léger, donc vide.
La légende au dos de la photographie précise l’enjeu de la scène : « Dans les grandes gamelles est préparée la nourriture à distribuer. Les malades portent une couverture autour de la taille et les employés de l’infirmerie sont en rayé. » Le groupe, plus important, s’est resserré dans la troisième prise de vue : entre quinze et vingt détenus, aux tenues disparates, sont réunis, debout, ou penchés aux fenêtres ; ils regardent tous la gamelle posée au sol devant la porte – il y en a peut-être une autre, cachée par les jambes des détenus : certains regards fixent un endroit à côté de la première. Le détenu aperçu précédemment dans le reflet, porteur d’un autre récipient, serait parvenu jusqu’à eux. Les bras ballants, les mains sur les hanches ou croisées derrière le dos, tous paraissent attendre. On distingue des pansements aux bras ou aux mains.
Au dos : « Block 9 – les malades attendent la distribution de la nourriture. »
C’est étrange : aucun ne tient un récipient à la main, ils ne se sont pas placés en file pour déterminer leur ordre de passage, et certains se tiennent à l’écart du groupe massé au centre, regardant l’action de loin.
L’ambiance de cette scène ne correspond en rien aux récits de distribution de soupe rapportés par les survivants des camps, tous concordants et relatant l’effervescence qui y régnait et les petites bagarres livrées pour trouver une bonne place dans la file, ni trop devant pour ne pas recevoir une ration trop liquide, trop claire – celles du haut de la soupe –, ni trop derrière pour être sûr d’arriver à temps et d’être effectivement servi. Mais peut-être que, au « Revier » de Dachau, la distribution se faisait plus calmement, dans une sorte de langueur accablante. Ou alors ces gamelles-là sont partiellement vides : les poses seraient le signe d’un sentiment de circonspection, et les commentaires au dos des deuxième et troisième photographies, celui d’une ironie mordante de la part de Rudolf Cisar.
Extrait 5 – L’Univers concentrationnaire – 51 « Le crématorium — Une photographie »
La légende au dos de l’image : « Prise de vue clandestine du Crématoire en action. Prise de vue faite par Jean Brichaux (Belge) du toit du DAW en 1944. »
La longue cheminée quadrangulaire s’élève dans le ciel blanc sur la moitié supérieure de l’image – comme une saillie amplifiée par le cadre vertical. On distingue très nettement la fumée qui s’en échappe, et son ombre, projetée sur l’un des côtés du conduit, dont elle redouble la noirceur : le crématorium est en activité ce jour-là.
Puis, en dessous, figure le toit en tuiles, percé par deux lucarnes faîtières, surmontant la façade sud du bâtiment construit en brique. On aperçoit deux fenêtres, et deux portes ouvertes. C’est un édifice solide, massif et long – il déborde le cadre des deux côtés.
Pour prendre cette vue, Jean Brichaux avait pu sortir de l’enceinte du camp des prisonniers grâce au laissez-passer du service d’identification photographique : cette zone en était strictement séparée par des lignes de barbelés – seuls les déportés affectés à ce « Kommando » pouvaient y accéder. Cette photographie n’est pas prise depuis le toit du « DAW » (l’usine d’armement), contrairement à ce qu’indique la légende. Jean Brichaux s’est placé devant l’ancien crématorium de Dachau, plus petit : ses deux fours ne suffisant plus à brûler tous les cadavres du camp principal et de tous les autres camps satellites, un crématorium plus grand avait alors été construit entre 1942 et 1943, contenant quatre fours – c’est celui-ci dont le photographe cadre l’extérieur. Et ce bâtiment, appelé le « baraquement X », comprend également un autre ajout : une chambre à gaz.
Nulle trace sur la photographie de celle-ci à l’intérieur du bâtiment, ni de l’industrie mortuaire dans la cour devant nous : on voit un banc avec dossier, un tonneau, des volets, et une planche en bois appuyée contre le mur.
Un détenu est debout devant l’entrée sur la droite de l’image, seul, torse nu. Il ne remarque pas le photographe : il regarde vers la droite du cadre, hors champ. Les mains jointes derrière le dos, un pied un peu en avant de l’autre, il semble être en attente, dans un instant de pause.
Il paraît sans doute normal à ce prisonnier debout devant le « baraquement X » que Jean Brichaux prenne cette image : les photographes du service d’identification venaient régulièrement dans cet enclos pour y photographier les morts.
Le soin apporté à la prise de vue – la rigueur du cadrage et la justesse de l’exposition – dénote du temps relativement long qu’y a consacré Jean Brichaux, et donc de la relative tranquillité dont il a su profiter.
Aussi la solitude du détenu torse nu et son attitude sereine devant cette grande bâtisse ouverte sous le soleil, la zone d’herbe en avant-plan de l’image et la composition de la cour, forment-elles, avec la fumée dans le ciel, un étrange tableau : tout y paraît si paisible, si normal – comme dans la photographie du crématorium de Buchenwald prise par Georges Angéli, à cette même époque de l’été 1944.
Extrait 6 – Une zone de mise à mort – 70 « Vocabulaire »
Barbelés, four crématoire, déportation, Holocauste, mirador, Block, fosse, chambre à gaz, bunker… Les mots et les expressions de la Shoah portent une charge émotionnelle écrasante. Chacun comporte, à lui seul, l’ensemble de ce champ lexical singulier, avec tout un pathos associé.
Dans Les 100 Mots de la Shoah, Tal Bruttmann et Christophe Tarricone notent en effet : « Chambre à gaz, four crématoire ont frappé l’entendement, tout comme les camps de concentration découverts dans les derniers mois de la guerre, et ils sont devenus les symboles de la “solution finale” à laquelle ils renvoient immédiatement. Pourtant, ces mots constituent des essentialisations qui occultent l’extrême complexité d’un événement, résultat de politiques nazies successives, loin d’une lecture téléologique de l’histoire qui ferait de la Shoah un événement linéaire et inéluctable. »
L’effet d’essentialisation est encore plus saisissant lorsqu’on use de mots étrangers au français : Sonderkommando, Auschwitz, Einsatzgruppen, Führer, Muselmann, Gestapo, SS, Revier, Block, Kapo, Kommando… L’emploi d’un seul des termes de ce lexique spécifique, où se mêlent des bribes de l’argot des camps – la « Lagersprache » ayant cours dans l’ensemble de l’univers concentrationnaire – et des mots de l’historiographie d’après, suffit à nous plonger dans un état émotionnel fait de compassion et de crainte – ou de rejet, d’évitement, tant ils sont chargés de ce pathos qui peut les recouvrir comme un nuage opaque.
En même temps, nous sommes tellement habitués à les entendre que leur signification est devenue confuse, à force d’être mêlés à tout, à force d’être entremêlés. Comme si ces termes recouvraient leurs référents, ou s’y substituaient, empêchant par là même de nous les désigner.
C’est d’autant plus troublant que les nazis avaient eu la volonté d’effacer tout vestige du génocide des juifs, non seulement matériel, mais aussi linguistique, opérant une « manipulation de la langue, qui par des termes administratifs abstraits et neutres, brouille les objectifs, les ordres et les consignes donnés à tous les échelons de l’appareil nazi : “solution finale” pour désigner l’annihilation, Figuren pour nommer les cadavres, “trains spéciaux”, “trains normaux” pour distinguer les uns des autres les convois vers les camps, Sonderkommando pour décrire les hommes forcés de faire fonctionner la machine d’anéantissement, Aktion pour parler des rafles et des tris qui alimentaient les camps de la mort, Einsatzgruppen pour les détachements des assassinats de masse », écrit Rachel Ertel.
Ce lexique fait aujourd’hui partie intégrante d’une sorte de sabir universel de l’horreur absolue, constitué à la fin du XXe siècle et composé en grande partie d’allemand – la langue des bourreaux – et de l’argot des camps, auquel ont été ajoutés des mots provenant d’autres tyrannies (ceux des camps staliniens et des polices politiques des anciens pays du bloc de l’Est en particulier). On pourrait presque dire qu’il existe une sorte d’espéranto des pires atrocités – les crimes contre l’humanité –, un « désespéranto », commode pour figurer, dans un brouillage sémantique aux sonorités à nos oreilles barbares, l’Indicible supposé d’événements inhumains passés ou pour hisser à leur niveau d’absolu de l’horreur ceux qui surviennent aujourd’hui – comme si les langues communes ne pouvaient en rendre compte.
Pourtant, dans « S’il y a de l’irreprésentable », Jacques Rancière remarque au contraire, après avoir cité un passage de L’Espèce humaine et un autre, en écho, de Madame Bovary, où « s’expriment selon la même logique les petites perceptions ajoutées les unes aux autres et qui font sens de la même manière, par leur mutisme, par leur appel à une expérience auditive et visuelle minimale », que « l’expérience de Robert Antelme n’est pas “irreprésentable” au sens où le langage n’existerait pas pour le dire. Le langage existe, la syntaxe existe. Non pas comme langage ou syntaxe d’exception, mais au contraire, comme mode d’expression propre à tout un régime de l’art, au régime esthétique des arts. Le problème serait plutôt inverse. Le langage qui traduit cette expérience ne lui est aucunement propre. Cette expérience d’une déshumanisation profonde se trouve tout naturellement à se dire sur le même mode que l’identité flaubertienne entre l’humain et l’inhumain […]. Autrement dit, il n’y a pas de langage propre du témoignage ».
L’emploi du lexique de la Shoah et des camps de concentration est ainsi nécessaire, car chacun de ses termes désigne souvent, le plus sûrement, le référent auquel il renvoie, et, comme dans un effet boomerang, il permet justement de mettre en évidence l’entreprise d’euphémisation nazie. Mais il s’agit aussi de prendre en compte leurs équivalents, leurs traductions – employer « chef de Block » pour « Kapo » par exemple –, afin de ne pas abuser de leurs connotations si écrasantes, de leur pathos – parfois même pour les désamorcer, tout en restant précis –, et de se rappeler que, s’il peut exister un lexique spécifique, il n’y a pas de langage « spécial » qui essentialiserait les événements. Tout est donc affaire de proportion et de mesure.
À Auschwitz, les crématoriums étaient associés dans un même bâtiment à des chambres à gaz, ce qui n’était pas le cas dans d’autres camps, comme Treblinka par exemple, camp d’extermination aux plus de 800 000 morts et 60 survivants.
Afin de prévenir toute possibilité de confusion entre four crématoire et chambre à gaz, confusion hélas courante, pour désigner les cinq bâtiments qui associaient chambres à gaz et fours crématoires à Auschwitz (le premier, numéroté I) et Birkenau (les quatre suivants, numérotés de II à V), il m’a semblé préférable d’en garder le nom en langue allemande, avec une majuscule, comme s’il s’agissait d’un nom propre : Krematorium.