Face aux ambitions grandissantes de la Russie dans la zone Arctique, l’OTAN (Organisation du traité de l’Atlantique nord) a-t-elle intérêt à réaffirmer sa présence ?

Pour comprendre la nature de cette question, il faudrait souligner que depuis la fin de la Guerre Froide, la région de Barents est au cœur des ambitions sécuritaires des États arctiques puisque l’on y observe un accroissement des exercices militaires et un renforcement des infrastructures militaires. En effet, cette région se voit être le prolongement géographique de certains aspects sécuritaires capitaux pour le continent européen et les relations transatlantiques :

  • Le fait que l’espace baltique s’apparente à une délimitation entre le territoire européen d’une part et russe d’autre part emmènerait à des réactions en chaîne sur la scène internationale si une crise éclatait entre un État balte et la Russie. Celle-ci aurait beaucoup d’échos dans l’espace nordique, y compris dans l’Arctique européen.
  • Le second aspect concerne l’espace nord-atlantique dans lequel le cap GIUK (se situant au sud-est du Groenland ; au sud-est de l’Islande et au nord-ouest du Royaume-Uni) est défini, dans une perspective sécuritaire, comme une ligne géostratégique relative au passage des navires et submersibles à l’origine soviétiques mais aujourd’hui russes. Effectivement, en raison de sa force de projection (c’est-à-dire une intervention militaire hors frontière de l’État), la flotte du Nord (la plus importante des flottes de la marine russe) s’affiche comme une menace pour l’espace européen arctique.

Répondre par l’affirmative à cette question, sur la présence de l’OTAN en Arctique, impliquerait une exacerbation du dilemme de sécurité dans la région circumpolaire. Pour rappel, ce concept découle de la théorie réaliste des relations internationales qui nous dit que l’accroissement de la puissance militaire d’un État (A) pour garantir sa sécurité sera perçu par un autre État (B) comme une menace qui accroîtra par conséquent lui aussi sa puissance militaire.

Il est important de noter que le Conseil de l’Arctique, l’organisation régissant la “gouvernance” arctique par excellence, fait dos aux questions de sécurité depuis sa création se concentrant majoritairement sur les aspects sociaux, économiques et environnementaux. Le vide autour des questions de sécurité semble donc encourager la Russie, ainsi que les autres États riverains de l’Arctique au travers de l’OTAN, à réaffirmer leurs capacités militaires dans la région1. Il serait donc judicieux de nourrir les relations interétatiques au travers du Conseil OTAN-Russie (COR) plutôt que de réfléchir à une nouvelle instance qui, dans son établissement, rencontrera des difficultés sur sa structure à prendre en raison des intérêts divergents des puissances2. Il faut toutefois noter que depuis 2014, le COR fait face à un blocage institutionnel en raison d’une amplification des tensions à la suite de l’annexion – illégale au regard du droit international – de la Crimée par la Russie. L’instance étant hors d’usage depuis la crise ukrainienne, il serait nécessaire d’encourager à nouveau la reprise des dialogues entre les puissances.

Un prolongement de la période soviétique ?

En plus de construire des bases militaires, Moscou met en place des radars et missiles développant ainsi leur aptitude d’action et de réaction face à une potentielle menace extérieure. Dans une logique similaire, Washington renforce ses capacités aériennes dans sa base de Eielson (dans l’est de l’Alaska) par un affermissement de sa force de détection et d’interception de missiles.

Pour revenir à notre dilemme de sécurité mentionné ci-dessus, le développement militaire dans la région veut répondre à un autre concept réaliste des relations internationales qui n’est autre que l’équilibre des puissances. Ce concept peut être brièvement expliqué par la situation où un État (A) va vouloir maintenir son équilibre stratégique dans l’objectif qu’aucun autre État ne soit assez puissant pour le menacer. Les autres États ont alors deux possibilités : soit se ranger du côté du plus fort, soit former une coalition pour équilibrer la puissance de l’État (A). Si l’on regarde ce problème à une échelle plus large, il s’agit ici, pour les États-Unis et la Russie, de maintenir l’équilibre en matière de dissuasion nucléaire.

Comme le souligne Rebecca Pincus, assistant professor au Department of Strategic and Operational Research au U.S Naval War College : « Dans une région minée par d’intenses changements et équilibres entre les grandes puissances qui s’opposent, il existe un risque non-négligeable de déstabilisation et un dangereux dilemme de sécurité »3.

Ainsi, il semblerait hasardeux pour les États circumpolaires et pour le Conseil de l’Arctique de maintenir une stabilité régionale autre que par le volet sécuritaire si l’OTAN réaffirmait sa présence en Arctique. Il faudrait également une cohésion entre l’ensemble des États membres de l’Organisation puisque relativement à son traité fondateur, les décisions nécessitent l’unanimité de ceux-ci. De surcroît, la partie la plus septentrionale de la Norvège (le Svalbard) est reconnue comme un territoire démilitarisé. Cette zone pourrait donc devenir un point de crise majeure entre la Russie et la Norvège en cas de conflit et bien que la Norvège soit membre de l’OTAN depuis 1949, l’Organisation ne peut être que passive dans cette zone et sa capacité d’initiative demeure grandement limitée. Pourtant, l’OTAN organise des exercices sur le territoire norvégien comme tel a été le cas avec l’exercice Trident Juncture 18, le plus important exercice de l’Organisation en Arctique depuis la Guerre Froide. Par ailleurs, la présence militaire occidentale serait perçue comme une menace pour Moscou qui se verrait contrainte de répondre ; au risque d’une escalade des dynamiques sécuritaires en Arctique qui jusqu’à présent était minimisée par l’important rôle de promotion de la coopération du Conseil.  

Sources
  1. Voir par exemple exercice militaire de l’OTAN : Trident Juncture 18.
  2. CONNOLLY Gerald, L’OTAN et la sécurité dans l’Arctique, Assemblée parlementaire de l’OTAN, octobre 2017. https://www.nato-pa.int/download-file?filename=sites/default/files/2017-11/2017%20-%20172%20PCTR%2017%20F%20r%c3%a9v.%201%20fin%20-%20ARCTIQUE.pdf
  3. PINCUS Rebecca, NATO North ? Building a role for NATO in the Arctic Texas national security review, November 2019. https://warontherocks.com/2019/11/nato-north-building-a-role-for-nato-in-the-arctic/.