Londres. Peu avant d’atterrir au Royaume-Uni pour les célébrations du 75ème anniversaire du Débarquement, le président américain Donald Trump a accordé son soutien à Boris Johnson et à Nigel Farage et suggéré que le successeur de Theresa May ne devrait pas payer à l’Union européenne son addition (44 milliards d’euros) convenue avec la Commission européenne pour solder son départ. Une semaine après, Boris Johnson en fait un point de son programme dans la course au leadership du parti conservateur.

Dans un long entretien de campagne donné au Sunday Times dans son édition du 9 juin 1, l’ancien maire de Londres menace de retenir les 44 milliards comme instrument de négociation, tant qu’un accord n’est pas trouvé avec Bruxelles. « Nos amis et partenaires doivent comprendre que l’argent sera conservé jusqu’à ce que nous ayons plus de clarté sur le chemin à prendre » affirme-t-il, « Dans un bon accord, l’argent est un excellent solvant et un très bon lubrifiant », selon Boris Johnson qui estime que la date du 31 octobre doit être respectée, accord ou pas.

Parmi les onze candidats en lice, l’ancien ministre des affaires étrangères fait figure de favori dans la course à la succession à Theresa May. D’ici fin juillet, ce sont les 120 000 membres du Parti conservateur qui vont faire ce choix, et selon un sondage réalisé du 10 au 16 mai par l’institut de sondages YouGov 2, deux tiers de ces membres souhaitent un Brexit sans accord. La direction du prochain gouvernement revient donc à un mini-corps électoral qui ne peut que raviver le blocage institutionnel dont le Parlement britannique a été le théâtre depuis des mois.

Dans une brève liste des contradictions du moment, Bloomberg 3 rappelle qu’une majorité des membres du Parlement s’est déclarée contre l’hypothèse d’un « no-deal » lors d’un vote le 27 mars dernier. « Mais il n’y a pas de mécanisme clair empêchant qu’il puisse avoir lieu », affirme Emma Ross-Thomas. « Un leader déterminé pourrait trouver un moyen de passer par un no-deal, même si constitutionnellement il pourrait être contesté et les législateurs pourraient trouver un moyen de l’empêcher ».

L’après Theresa May n’est donc pas plus clair. Dans son édition du 31 mai, l’hebdomadaire The Economist 4 évoque la perspective de nouvelles batailles à Westminster, et souligne plus généralement le risque d’explosion qui pèse sur le Parlement britannique et la perspective d’une transformation de la crise politique en crise constitutionnelle. « Les Britanniques sont fiers de leur Constitution ‘non écrite’ », écrit l’hebdomadaire dans un éditorial. « L’Amérique, la France, l’Allemagne ont eu besoin de normes écrites noir sur blanc. Dans la Grande-Bretagne, mère du Parlement, la démocratie a prospéré pendant trois siècles sans coups d’État, révolutions ou guerres civiles, excepté l’indépendance de l’Irlande. Ses politiques sont gouvernées par une série de traditions en constante évolution, de lois et de conventions qui répondent à un Parlement souverain. Grâce à sa stabilité, la Grande-Bretagne avait convaincu le monde que son système de gouvernement était construit sur de solides bases (…) Cette vision apparaît aujourd’hui dépassée. La logique cynique du Brexit a planté une barre de dynamite constitutionnelle sous le Royaume-Uni et, compte tenu de la difficulté à mettre en œuvre une réforme constitutionnelle dans un pays profondément divisé, on ne peut pas faire grand-chose pour la désamorcée ».

L’hebdomadaire britannique revient sur les années Blair et Cameron durant lesquelles le Parlement avait cédé une part de son pouvoir aux assemblées écossaise, galloise et nord-irlandaise, ainsi qu’à la pratique du référendum. Il évoque ainsi l’autre chaos constitutionnel qui menace, celui de l’intégrité du Royaume-Uni. Les élections européennes ont renforcé le Scottish National Party, ce qui renforce l’hypothèse d’un nouveau référendum écossais pour quitter le Royaume-Uni et rester dans l’Union européenne. Le parti travailliste écossais a pris une position déterminante cette semaine pour les équilibres au sein du parti de Jeremy Corbyn, en affirmant soutenir le principe d’un nouveau vote référendaire sur le Brexit et un positionnement clairement en faveur du Remain 5. En 2016, les Ecossais avaient largement voté en faveur d’un maintien au sein de l’Union européenne, par 62 % contre 38 % en faveur du Brexit.

Perspectives :

  • Aujourd’hui 10 juin : lancement officiel de la procédure de désignation d’un successeur à Theresa May au sein du parti Conservateur. Onze candidats sont en lice.
  • Fin juillet : désignation du nom du leader conservateur au poste de Premier ministre.
  • 31 octobre : date butoir pour la sortie de l’Union européenne.
Sources
  1. SHIPMAN Tim, Boris Johnson Brexit interview : That £39bn is ours, The Times, 9 juin 2019.
  2. YouGov, Conservative Party Members, 16 mai 2019.
  3. ROSS-THOMAS Emma, A No-Deal Brexit Is Back on Table : Five Things You Need to Know, Bloomberg, 24 mai 2019.
  4. Britans’ constitutional time bomb, The Economist, 31 mai 2019.
  5. WAX Eddy, Scottish Labour backs second referendum and remaining in EU, 8 juin 2019.