Bogota. En décembre 2013, l’Uruguay est devenu le premier pays au monde à légaliser la production et la vente de cannabis à des fins médicales et récréatives. Promue par le gouvernement du président José Mujica, la loi numéro 19172 confie á l’Etat le contrôle et la régulation de la production, importation et distribution du cannabis. Depuis lors, la légalisation de la plante s’est accélérée en Amérique Latine, notamment en faveur de son usage thérapeutique. Entre 2015 et 2017, l’Argentine, le Chili, la Colombie, la Jamaïque, le Mexique et le Pérou, entre autres, ont autorisé la production et l’utilisation de « cannabis médical ». Ce terme, désignant les produits dérivés du cannabis utilisés à des fins thérapeutiques, est ambigu. Il reste très vague d’un point de vue juridique et donne lieu à des interprétations multiples selon les pays1.

Avantages comparatifs et stratégiques du cannabis médicinal en Amérique latine

Avec une population totale d’environ 620 millions de personnes et 68 millions de patients potentiels qui pourraient bénéficier du cannabis médicinal2, l’Amérique latine et les Caraïbes représentent un marché immense pour l’industrie du cannabis thérapeutique. Par ailleurs, les producteurs du continent peuvent tirer parti de climats particulièrement favorables à la culture du cannabis, du nombre de terres agricoles disponibles, et d’une main-d’œuvre peu coûteuse. En Colombie, par exemple, la production d’un gramme de cannabis médical revient à environ 5 cents, contre 2 dollars au Canada. La Colombie a également été autorisée à produire 44 % de l’offre mondiale par l’Organe International du Contrôle des Stupéfiants en 2018, et pourrait ainsi devenir rapidement l’un des premiers producteurs mondiaux de cannabis à usage médical ou scientifique3.

Outre les bénéfices économiques, la légalisation du cannabis à usage médical offre une alternative aux cultures illicites qui alimentent le narcotrafic et enrichissent les organisations criminelles de la région. Bien que les petits cultivateurs soient incités à rejoindre l’industrie légale, il semble cependant que seule une dépénalisation totale du cannabis pourra endiguer efficacement le commerce des drogues illicites.

Concurrence ou opportunité pour les voisins nord-américains ?

Les avantages de l’Amérique latine et des Caraïbes en matière de production de cannabis attirent les investissements du Canada et des États-Unis. De nombreuses entreprises canadiennes et étatsuniennes sont déjà installées dans les pays ayant légalisé, ou commencent à racheter les producteurs nationaux4. En Colombie notamment, la majorité des entreprises dotées de licences de production appartiennent à de grandes compagnies canadiennes.

Quid de l’Europe ?

Le marché européen constitue la première cible des producteurs de cannabis médicinal d’Amérique latine. Une vingtaine de pays autorise déjà l’utilisation de certaines formes de cannabis ou de cannabidiol, et la légalisation gagne du terrain. En février dernier, le Parlement européen a adopté une résolution demandant « à la Commission et aux États membres de lever les obstacles réglementaires, financiers et culturels qui s’opposent à la recherche sur l’utilisation du cannabis à des fins médicales » 5. Cette résolution encourage également les Etats membres à « assurer une disponibilité suffisante de médicaments à base de cannabis afin de répondre aux besoins effectifs », notamment à travers l’importation.

GEG | Cartographie pour Le Grand Continent

Perspectives  :

  • En France, le cannabis thérapeutique pourrait être autorisé cette année. Un comité d’experts de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) évalue actuellement la pertinence et la faisabilité de la mise à disposition du cannabis thérapeutique.
  • En Italie, le cannabis légal est à la une ces derniers jours, où le Ministre de l’Intérieur, Matteo Salvini, a introduit une directive pour augmenter les contrôles sur les magasins qui le vendent : “on va les fermer tous”, a-t-il promis. La proposition a aussi ouvert un nouvel affrontement au sein du gouvernement italien entre la Lega et les Cinq Étoiles6.
  • L’OMS a recommandé en février dernier que la marijuana et ses composants changent de statut dans la Convention unique sur les stupéfiants de 1961. Si ces recommandations sont adoptées officiellement par l’ONU, cela pourrait encourager d’autres pays à changer leurs législations en matière de cannabis.