Nay Pyi Taw. Depuis trois mois, le Parlement birman travaille à une réforme constitutionnelle qui, si elle voit le jour, pourrait marquer une nouvelle étape dans la transition démocratique du pays1. En effet, après avoir connu la dictature militaire depuis 1962, la Birmanie se lançait en 2011 dans une ère de réformes. Lors des élections de novembre 2015, la National League for Democracy (NLD) de l’opposante historique Aung San Suu Kyi a obtenu 79 % des suffrages. Malgré ce score, la NLD, qui a accédé au pouvoir le 1er avril 2016, subit depuis l’influence de l’armée, garantie par la Constitution de 2008.

En effet, ce texte adopté par la junte du Général Than Shwe garantit une place prédominante à l’armée : la Tatmadaw – comme elle est surnommée – participe à la gestion des affaires du pays et peut reprendre le pouvoir si l’unité nationale paraît menacée. Par ailleurs, les forces de sécurité ne dépendent pas du pouvoir élu mais du Senior-Général Min Aung Hlaing. Ce dernier est donc une figure centrale, d’autant qu’il nomme directement 25 % des députés dans les deux assemblées fédérales et les 14 assemblées régionales, ainsi que les trois ministres de la défense, des affaires frontalières et de l’intérieur, tant au niveau fédéral que régional. Ce rôle politique de l’Armée est sanctuarisé : toute révision significative de la Constitution doit être approuvée par plus de 75 % des députés ; avec 25 % des sièges, la Tatmadaw dispose donc d’une minorité de blocage2.

Depuis 2008, la NLD cherche à amender la Constitution, et cela a constitué l’un de ses axes de campagne en 2015. Or, depuis son arrivée au pouvoir, elle est restée très évasive à ce sujet. Ce n’est que le 29 janvier 2019 que le député U Aung Kyi Nyunt forme un comité de 45 parlementaires – dont 18 de la NLD et 8 militaires – chargé de proposer des amendements.

Pour l’instant, peu d’informations ont filtré sur la teneur des débats, mais la position de la NLD est bien connue depuis 2014. Bien qu’elle ne puisse se permettre d’attaquer frontalement les 25 % de sièges parlementaires ou les trois portefeuilles sécuritaires réservés à la Tatmadaw, la NLD cherche néanmoins à replacer l’armée sous les ordres du président, à conditionner son retour d’urgence au pouvoir au vote de l’assemblée, à faire évoluer le seuil d’approbation parlementaire de 75 % pour toute réforme constitutionnelle, afin de remettre en question la minorité de blocage des militaires, à supprimer la fonction de vice-président de la république élu par les députés militaires et à placer la police sous le contrôle du gouvernement civil.

Mais pourquoi la NLD n’agit-elle que maintenant ? D’une part, lors des législatives partielles de novembre 2018, elle n’a gagné que 7 sièges sur les 13 en jeu : cet avertissement à moins de deux ans des élections générales de 2020 l’a donc poussée à relancer l’une de ses promesses de campagne3. D’autre part, le contexte international a ouvert une fenêtre d’opportunité : depuis la crise rohingya de 2017, la Tatmadaw est fragilisée par les accusations de génocide et dépend de la protection chinoise à l’ONU. En parallèle, Pékin profite de l’isolement international actuel de la Birmanie pour y relancer sa Belt and Road Initiative, actuellement en sommeil : en 2011, le projet de barrage de Myitsone fut suspendu et, en 2014, le président Thein Sein a laissé expirer un protocole d’accord sur la construction d’une ligne à grande vitesse vers le Yunnan. Ce retour de la Chine fournit un levier à Aung San Suu Kyi : en septembre 2018, elle a pris les commandes d’un comité qu’elle vient de créer, chargé de superviser le déploiement des projets chinois sur le territoire national. Par cette position stratégique, la dirigeante birmane se place en position de force : elle appuie les investissements chinois à condition que Pékin fasse pression sur la Tatmadaw pour lâcher du lest sur le plan constitutionnel4.

Perspectives :

  • Les propositions d’amendements seront rendues publiques le 17 juillet 2019 : leur audace devrait révéler l’état du rapport de force entre NLD et Tatmadaw.
  • Nul ne sait dans quelle mesure l’armée va consentir à réduire son rôle politique ; néanmoins, avec cette initiative, très largement soutenue par les Birmans, la NLD s’est d’ores et déjà positionnée pour 2020 : tout succès devrait lui profiter ; tout échec devrait desservir l’armée et les partis conservateurs affiliés comme l’Union Solidarity and Development Party (USDP).
  • Le levier chinois mobilisé par Aung Suu Kyi est efficace mais risqué, car Pékin insiste pour raviver des projets impopulaires, comme celui du barrage de Myitsone. Dans quelle mesure la dirigeante birmane peut-elle y mettre son veto ?
Sources
  1. En 1989, la junte militaire change le nom de la Birmanie au profit de “Myanmar”. Cependant, par l’arrêté du 4 novembre 1993, le Ministère des Affaires Étrangères français maintient l’usage du terme “Birmanie”, décision officiellement justifiée par le fait que “Myanmar” est un exonyme, c’est-à-dire le nom du pays dans la langue vernaculaire. Les usages varient cependant d’un pays à l’autre : les pays anglo-saxons ont largement adopté le terme “Myanmar”, tandis que l’Union a opté pour l’inconfortable “Burma/Myanmar”.
  2. Making Myanmar Constitution democratic, The Irrawaddy, 22 février 2019.
  3. What’s behind the new constitution change push in Myanmar ?, The Diplomat, 30 janvier 2019.
  4. Daw Aung San Suu Kyi has seized the prime moment to amend the constitution, The Irrawaddy, 1er février 2019.