Paris. Dès le lendemain de la tragédie qui a frappé la Cathédrale de Notre-Dame, les dons ont afflué pour participer au financement de sa reconstruction. Qui sont les principaux donateurs ? Les plus grandes fortunes de France ainsi que ses entreprises : la Famille Pinault a promis 100 millions d’euros, la famille Arnault et LVMH 200 millions, Total 100 millions également, la famille Bettencourt-Meyers 200 millions…1

Cet élan public de générosité n’a pas cependant été bien reçu. Pourquoi ? La démesure des dons a choqué : le fossé qui existe entre Bernard Arnault, 4e fortune mondiale, et le français moyen n’a jamais été aussi béant. Peut-être aussi que derrière l’indignation, il y a le sentiment qu’on privatise, au moins symboliquement, Notre-Dame.

Mais ce qui a prédominé, c’est le soupçon : ces dons ne seraient qu’une façon comme une autre de faire de l’évasion fiscale. En effet, en France, la loi du 1er août 2003 permet au donateur de bénéficier d’une réduction d’impôt : 66 % des sommes versées dans la limite de 20 % du revenu imposable pour les particuliers et 60 % des sommes versées dans la limite de 5 ‰ du chiffre d’affaires pour les entreprises2. Sur 1 milliard d’euros de dons, entre 600 et 660 millions seront donc indirectement payés par l’État Français sous forme de recette fiscale en moins.

On voit qu’il reste tout de même entre 400 et 300 millions de dons purs, ce qui rend l’accusation d’évasion fiscale un peu dure à avaler. L’argent que ne recevra pas l’Etat compense celui qu’il ne dépensera pas lors de la reconstruction : la charité privée se substitue à la dépense public. Néanmoins, deux questions demeurent : l’une économique et l’autre plus philosophique .

La France est en effet exceptionnellement généreuse avec ses donateurs. La plupart des pays européens déduisent les dons du résultat imposable mais pas des sommes à payer au Fisc. Seul l’Espagne s’approche du cas français en permettant une déduction d’impôt allant de 35 à 40 % du don pour les entreprises et de 25 à 30 % pour les particuliers3. La France est donc le paradis des mécènes. Dans un pays où la séparation de l’Eglise et de l’Etat est sainte, mais où une majeure partie du patrimoine est religieux c’est une situation avantageuse. Néanmoins, cela a aussi un prix.

On peut d’abord questionner l’efficacité des lois subventionnant le mécénat. Leur logique est la suivante : si l’on réduit le coût du mécénat, celui-ci va augmenter plus que proportionnellement par rapport aux recettes fiscales perdues. Implicitement, ce raisonnement suppose que les individus ont une préférence pour la charité privée par rapport à la solidarité publique de l’impôt.

Mais est-ce que 1 % de recettes perdues à cause du crédit d’impôt entraîne 1 % de dons en plus ? Jusqu’au milieu des années 2000, la plupart des études sur le sujet penchaient plutôt de ce côté : l’augmentation des dons privés suite à un crédit d’impôt les subventionnant fait plus que compenser la baisse des revenu4. Cependant, les études plus récentes, notamment dans le cas français5 et anglais6, vont dans l’autre sens : les pertes fiscales ne sont pas totalement compensées par l’augmentation des dons privés. Cela veut dire que la plupart des dons auraient-eu lieu de toute façon sans le crédit d’impôt. Ce n’est pas ce qui les motive dans un premier temps, seulement une aubaine bienvenue. Les milliardaires ne donnent pas par cupidité mais il n’y a donc pas besoin non plus de subventionner les dons.

Enfin, même si les lois sur le mécénat étaient efficaces économiquement parlant, le remplacement des deniers publics par la charité privée pose d’autres problèmes. Le donateur oblige celui qui reçoit : par exemple, il choisit dans une certaine mesure la destination des fonds qu’il donne. En subventionnant les dons privés, l’État réduit sa propre marge de manoeuvre et se rend symboliquement dépendant des intérêts privés. En mettant les dons privés en avant, l’État met le public au second plan.

Perspectives

  • Malgré les lois subventionnant le mécénat, les dons ne sont pas un très bon moyen de faire de l’évasion fiscale. Il y a beaucoup d’autres raisons de donner ; laisser son nom sur une plaque devant l’un des édifices les plus connus et célébrés de la planète est une motivation largement suffisante.
  • Les lois subventionnant le dons ne sont cependant pas, d’après les évaluations des économistes, efficaces économiquement parlant : elles font perdre plus d’argent qu’elles n’en rapportent.
  • Le fait que les familles Pinault et Arnault aient renoncé à la déduction d’impôts sur leurs dons7 (elles ne vont pas les déclarer au Fisc) est une preuve supplémentaire que l’avarice n’est pas ce qui motive les mécènes. Dans ce cadre, le don doit plutôt être vues comme une conversion de capital économique en capital symbolique.
Sources
  1. VULSER Nicole et TONNELIER Audrey, Dons pour Notre-Dame de Paris : « C’est la collectivité publique qui va prendre en charge l’essentiel du coût », Le Monde, 16 Avril 2019.
  2. Dons et réductions d’impôt, Impôt.gouv.fr
  3. Mecenat/Comparaison internationale, Ministère de la Culture
  4. PELOZA John et STEEL Piers, The Price Elasticities of Charitable Contributions : A Meta-Analysis, Journal of Public Policy & Marketing, 2005.
  5. FACK Gabrielle et LANDAIS Camille, Are tax incentives for charitable giving efficient ? Evidence from France, American Economic Journal : Economic Policy, 2010.
  6. ALMUNIA Miguel LOCKWOOD Ben et SCHARF Kimberley, More Giving or More Givers ? The Effects of Tax Incentives on Charitable Donations in the UK, 2018.
  7. GARNIER Juliette, Les 200 millions donnés à Notre-Dame de Paris par Bernard Arnault ne seront pas défiscalisés, Le Monde, 18 Avril 2019