Tripoli. Quelques jours après la visite du général Khalifa Haftar au palais royal de Riyad, l’avancée des forces armées libyennes (LNA) vers Tripoli et contre les enclaves des milices islamistes en Tripolitaine reprend ces jours-ci sa vigueur. Une suspicion surgit immédiatement : est-ce la rencontre de Riyad, la première entre le général de Bengazi et le roi Salman, qui a mis fin aux hésitations de Haftar, le roi Salman ayant approuvé son avance vers l’ouest ? Selon des sources non officielles, le roi et le général ont discuté de sécurité et de stabilité, mais le contenu plus concret du débat reste inconnu du public 1.

L’importance de la visite, cependant, peut être attribuée au nombreuses tentatives de Haftar pour obtenir un soutien extérieur supplémentaire, s’ajoutant au soutien déjà important de l’Égypte et des Émirats arabes unis, à un moment délicat où l’hypothèse d’une attaque au sud de Tripoli semble se concrétiser. L’avancée des forces armées libyennes est doublement symbolique, non seulement parce qu’elle a commencé en même temps que la visite à Tripoli du Secrétaire général de l’Onu, mais surtout parce qu’elle bouleverse les préparatifs de la conférence qui aura lieu dans quelques jours à Ghedames, sous les auspices de l’Onu, pour discuter de la feuille de route pour les prochaines élections. Cela suggère que le général de Benghazi veut profiter de l’occasion pour gagner du terrain et s’asseoir à la table des négociations dans une position de force. Les récentes conquêtes territoriales dans la zone désertique de Fezzan, au sud de la Libye (une sorte de “terrain d’entente” qui, à partir de 2014, échappe au contrôle centralisé de Tripoli et de Tobrouk), renforcent encore le “noeud coulant” autour du gouvernement d’unité nationale (GNA) d’al-Serraj 2.

Dans ce scénario, la marge de manœuvre d’al-Serraj et des acteurs internationaux qui la soutiennent semble chaque jour de plus en plus limitée. Si, en réaction aux attaques au sud de Tripoli, al-Serraj devait brandir le poing, une nouvelle escalade de la violence serait inévitable. Il est toutefois plus plausible, comme le soulignent certains observateurs, que l’avancée de Haftar pousse Tripoli à renforcer les négociations avec Tobrouk, ouvrant la porte à des scénarios possibles mais jusqu’à présent évités (y compris la possibilité d’inclure les forces armées libyennes dans le cadre de l’accord politique initié en 2015).

Carte GEG la situation politique en Libye
François Lefebvre et Léa Christophe | GEG – Pole Cartographe pour Le Grand Continent

Compte tenu de cette situation, le soutien saoudien prend encore plus d’importance. Haftar s’est montré capable d’obtenir un soutien militaire, s’assurant l’aide des milices locales à l’est et au sud du pays en promettant l’inclusion dans l’armée nationale et un salaire important. Le général a alors joué intelligemment la carte religieuse. Malgré la guerre déclarée contre les ennemis islamiques, et malgré l’identité laïque affirmée du projet politique de Tobrouk, Haftar et ses collaborateurs ont montré au fil du temps qu’ils sont particulièrement attentifs aux exigences du madkhalisme, un courant salafiste qui s’inspire des enseignements du juriste saoudien Rabee al-Madkhali.

Les mouvements madkhalis ont eu une forte influence tout au long du conflit en Libye et continueront à en avoir dans le tracé des équilibres futurs. Le soutien de Riyad à ce mouvement et à d’autres mouvements quiétistes et puritains s’inscrit dans le cadre plus large de la lutte contre les Frères et les manifestations d’activisme islamique qui remettent en question le statu quo 3. Il est nécessaire de garder un œil attentif sur les prochaines positions prises par Riyad dans le contexte libyen afin de comprendre également les dynamiques régionales plus larges.

Sources
  1. KARASIK Theodore, CAFIERO Giorgio, Libyan General Haftar’s visit to Saudia Arabia, Gulf State Analytics, 31 mars 2019.
  2. MEGERISI Tarek, While you weren’t looking, General Haftar has been taking over Libya, Foreign Policy, 1er avril 2019.
  3. .MANNOCCHI Francesca, Saudi-influenced Salafis playing both sides of Libya’s civil war, Middle East Eye, 9 décembre 2018.