Buenos Aires. Le début du mois de mars a ouvert en Argentine une séquence électorale dense qui doit aboutir, après les élections des gouverneurs débutées dans la province de Neuquén le dimanche 10 mars, à l’élection du nouveau président de la République le 24 novembre 2019, à l’issue du deuxième tour des élections présidentielles. Briguant un second mandat de quatre ans, l’actuel président argentin Mauricio Macri, de la coalition Cambiemos espère être réélu malgré un bilan économique mauvais qui n’a cessé d’attiser la colère sociale et d’écorner l’image du président libéral et conservateur dans l’opinion publique.

L’économie argentine est en effet entrée en récession en 2018 et la politique menée par le président Macri n’est pas parvenue à enrayer la dégradation continue des conditions économiques et sociales. Le PIB a reculé de 2,6 % au cours de l’année 2018, selon les chiffres avancées par l’Institut national de la Statistique (INDEC). La sévère dépréciation du peso argentin et l’inflation ininterrompue, désormais de près de 50 % par rapport à janvier 2018, ont grevé considérablement le pouvoir d’achat des Argentins. En contrepartie de l’accord passé au printemps avec le Fonds Monétaire International (FMI), qui a octroyé un prêt inédit de 57 milliards de dollars au pays, le gouvernement Macri s’est engagé dans un plan de restrictions budgétaires qui affectent profondément le quotidien des Argentins1. Pour l’heure, l’échec de cette politique d’austérité, dont les effets seront vraisemblablement au centre de la campagne présidentielle, en particulier dénoncés par ses opposants, empêche le président Macri de s’appuyer sur ce qui était au cœur de sa campagne de 2015 : la promesse d’améliorer une économie en difficulté, de réduire la pauvreté et de ramener l’Argentine sur la scène économique internationale. Les sondages en font le dirigeant politique le plus impopulaire aux yeux des Argentins et la colère sociale ne faiblit pas. C’est pourquoi ses espoirs politiques se fondent sur une autre stratégie.

Si les incertitudes demeurent, à l’heure d’aujourd’hui, quant aux candidats aux primaires présidentielles du 11 août prochain, il semblerait que le président Macri aura à s’imposer face à un candidat péroniste2 qui pourrait être Cristina Fernandez de Kirchner, l’ancienne présidente de l’Argentine  de 2007 à 2015 et actuelle sénatrice. Même si sa candidature n’a pas été officiellement annoncée et pourrait ne pas l’être avant le mois de juin, les sondages en font la principale adversaire du président Macri dans un contexte de division du Partido Justicialista3. Dans le contexte de la crise économique, Cristina Fernandez de Kirchner, dont l’image a beaucoup pâti de la série de scandales de corruption et d’enquêtes judiciaires auxquels elle a été liée, tend à moins repousser les futurs votants que l’actuel président Mauricio Macri. Si les derniers sondages, à l’instar de l’enquête Query effectuée au cours de la première semaine de mars, ne permettent pas d’envisager qui, de Mauricio Macri ou de Cristina Fernandez de Kirchner, pourrait s’imposer, ils montrent que l’un et l’autre pourraient bénéficier de l’impopularité de  son adversaire et remporter un face à face. Il ne serait pas surprenant que l’argumentaire de campagne du président Macri repose essentiellement sur la dénonciation de ces affaires de corruption et de la menace que le retour de Cristina Kirchner à la présidence de la République représenterait pour l’économie argentine4.

L’autre scénario envisagé distingue le candidat péroniste Roberto Lavagna, économiste et ancien ministre de l’économie entre 2002 et 2005, à la suite de la crise économique de 2001, durant la présidence de Néstor Kirchner. S’il n’a pas encore confirmé sa candidature, il est de plus en plus présent, ces dernières semaines, dans l’espace public argentin, en cristallisant des préférences au sein du Partido Justicialista, sans cependant faire large consensus.  Il pourrait néanmoins s’imposer comme le candidat péroniste dissident du kirchnérisme pour le premier tour des présidentielles le 27 octobre 2019.   En tous les cas, cela pose la question, sinon des possibilités de dépassement d’une certaine inertie politique – la polarisation du champ politique par Mauricio Macri et Cristina Kirchner -,  du moins de la capacité d’un candidat progressiste à présenter une alternative politique dans une situation de crise économique et sociale5.

Perspectives :

  • Il est probable, au vu de la situation politique et familiale de Cristina Kirchner, que son éventuelle candidature ne soit pas déclarée avant la clôture du dépôt des candidatures en juin et qu’elle maintienne la position relativement silencieuse, prudente et autocritique qu’elle a tenue ces dernières semaines.
  • Le président Mauricio Macri semble espérer que la confrontation avec Cristina Kirchner lui permette de faire de la dénonciation de la corruption et du danger que sa politique représente pour l’avenir économique de l’Argentine les fondements de sa stratégie de campagne.
  • Étant donné le plancher d’un tiers de votants dont bénéficient tant Mauricio Macri que Cristina Kirchner, la forte opposition qu’ils soulèvent et l’indécision, sinon le désarroi, d’un grand nombre de votants, on peut s’attendre à ce que la campagne présidentielle donne lieu à des affrontements vifs visant à galvaniser les indécis pour tenter de faire la différence lors du deuxième tour, voire à imposer une alternative politique à la polarisation entre le péronisme et la coalition au pouvoir Cambiemos, en tirant profit de la colère sociale.
  • En effet, l’élection de Jair Bolsonaro à la présidence du Brésil et l’élargissement des horizons de The Movement dans la région6 pose la question du rôle que sa “doctrine politique” peut prendre dans le débat public en Argentine, où des personnalités politiques comme Patricia Bullrich, ministre de la Sécurité du gouvernement Cambiemos, ont été rapprochées de la figure de Bolsonaro. La nécessité, pour Mauricio Macri, Cristina Kirchner et Roberto Lavagna, de se positionner vis-à-vis de ce discours néonationnaliste pourrait contribuer à repolariser l’espace politique au cours des prochains mois.

Laurine Manac’h

Sources
  1. BERENSZTEIN Sergio, Cristina se encuentra en una encrucijada dramática, La Nación, 15 mars 2019.
  2. LAMBERT Renaud, Qui arrêtera le pendule argentin ?, Le Monde diplomatique, janvier 2019.
  3. Macri, Lavagna o CFK : quien mide mejor a cinco meses de las PASO ?, El Cronista, 11 mars 2019.
  4. RIVAS MOLINA Federico, La economía de Argentina cae un 2,6 % en 2018 y confirma la recesión, El País, 28 février 2019.
  5. CAPARRÓS Martín, Sin elecciones, The New-York Times, 04 mars 2019.

  6. BOSCH Felipe, De l’Europe à l’Amérique latine : The Movement élargi ses horizons, La Lettre du Lundi, 10 février 2019.