Alger. Le 10 février, Abdelaziz Bouteflika a finalement pris une décision : il se présentera pour un cinquième mandat à la prochaine élection présidentielle, prévue le 18 avril 2019. Ce n’est pas une annonce surprenante pour »Boutef » – comme l’appellent gentiment ses compatriotes. Le leader algérien, âgé de 81 ans et au pouvoir depuis 1999, a été frappé en 2013 par un accident vasculaire cérébral qui a réduit ses capacités motrices, l’obligeant à effectuer de longs séjours en France et en Allemagne pour se soigner. Néanmoins, sa candidature était attendue, surtout après le soutien des partis majoritaires manifesté le 2 février dernier. La campagne sera de nouveau menée par l’ancien Premier ministre Abdelmalek Sellal qui, comme en 2004, 2009 et 2014, a occupé les rangs du parti majoritaire, le Front de libération nationale (FLN), et remplacé le président malade dans les débats publics (1).

Toujours élu au premier tour avec des pourcentages supérieurs à 80 % – au point d’être soupçonné à plusieurs reprises de fraude électorale -, Bouteflika est une fois de plus le favori, notamment en raison d’un réel manque de personnalités politiques capables de rivaliser avec lui. La réélection de l’actuel chef de l’État est soutenue par une coalition de quatre partis de gouvernement, nommée Alliance nationale et dirigée par le FLN. Cette coalition est traditionnellement considérée comme une expression du soi-disant “pouvoir”, c’est-à-dire de la connexion des intérêts transversaux qui unissent civils et militaires dans la définition des intérêts politiques et économiques nationaux depuis la guerre d’indépendance (1954). L’annonce, saluée par toutes les forces institutionnelles et par la majorité, a été largement critiquée par les oppositions (socialistes, berbères, islamistes et non-alignées), et en premier lieu par celle d’Alì Benflis, ancien premier ministre de Bouteflika, qui a ouvertement suggérer de boycotter l’élection en réaction à une immobilité politique nationale. Tout en rappelant que ses accusations ne visaient pas directement la figure nationale de Bouteflika, Benflis a expliqué que le malaise que connaît le pays depuis au moins une décennie et la maladie du président en exercice rendent nécessaires des choix qui ne peuvent plus être différés, et que la décision des forces gouvernementales de s’appuyer sur des dirigeants fatigués et malades témoigne d’un manque de perspective et de stratégie à court et moyen terme (3).

Les lourdes accusations de Benflis ouvrent cependant un aperçu sur l’état du pays. L’attention médiatique et politique accordée à « Boutef » représente une sorte de diversion pour cacher les graves problèmes qui menacent l’Algérie, à commencer par l’état moribond de son économie. Avec des réserves d’environ 12,2 milliards de barils de pétrole et 4 500 milliards de mètres cubes de gaz naturel, l’Algérie est le prototype classique de l’État rentier, un pays presque entièrement dépendant des recettes provenant des exportations de pétrole. Une richesse disproportionnée qui a permis aux gouvernements algériens de l’après-guerre civile de refinancer le « pacte social » avec la population, tout en assurant stabilité et sécurité. Si le printemps arabe (2011) avait remis ce modèle en question, la baisse du cours mondial du pétrole (2015) a mis en évidence l’urgence de réformer le système, trop dépendant de la volatilité des revenus pétroliers et gaziers. Le pétrole représente environ 25 % du PIB national, plus de 95 % des exportations et 60 % du revenu total. On estime que l’Algérie possède la troisième plus grande quantité de gaz de schiste et de pétrole au monde (après la Chine et l’Argentine). Néanmoins, la production brute de gaz naturel et de pétrole brut a progressivement diminué au cours de la dernière décennie, principalement en raison des nombreux scandales de corruption qui ont frappé la Sonatrach, la compagnie nationale algérienne de pétrole et de gaz, ainsi que le gouvernement, retardant à plusieurs reprises les processus de réforme économique et de diversification énergétique. Un état général d’essoufflement qui s’accompagne d’une forte pression sociale contre la cherté de la vie. La réduction des dépenses de l`État pour les biens subventionnés reste une mesure impopulaire non seulement en Algérie mais dans toute la région du Moyen-Orient élargi. Elle prend des contours plus délicats dans le pays de “Boutef” en raison de son lien étroit avec le processus de réconciliation nationale engagé depuis la première élection de Bouteflika en 1999, qui a permis une certaine stabilité et prospérité économiques. Cette situation difficile a touché davantage le secteur de l’énergie, qui souffre à son tour d’importantes inefficiences structurelles. Selon certaines estimations contenues d’un rapport de l’International Crisis Group, l’extraction de pétrole et de gaz peut couvrir une demande nationale de respectivement vingt et cinquante ans, satisfaisant une demande intérieure d’une ou deux générations au plus (4).

Dans le même temps, cet état d’incertitude est aussi une illustration des errances de l’opposition, incapable de trancher entre le boycott des élections ou la concentration de toutes leurs voix sur un seul candidat. Cette impasse est également due au mauvais souvenir de la guerre civile des années 90, qui a fait plus de deux cent mille victimes et à l’exclusion des partis et mouvements islamistes de la scène politique nationale. Le Mouvement pour la Société de la Paix (MSP), qui s’appuie sur l’expérience de l’Islam politique et présente son leader historique Abderrazak Makri aux élections présidentielles, pourrait profiter un peu des incertitudes sur la capacité de Bouteflika à diriger le pays.

Mais, malgré les divisions au sein de l’opposition, le camp Bouteflika reste affaibli, gêné par la question de la succession qui entrave la dynamique politique nationale. Cette question a suffi à immobiliser le pays, le camp du président succombant de plus en plus aux luttes internes entre les différentes orientations du régime. Si, pendant longtemps, l’hypothèse d’Ahmed Ouyahya, Premier ministre à plusieurs reprises, a fait son chemin, jusqu’à l’été dernier le nom de Said Bouteflika, frère cadet du Président, était l’hypothèse la plus crédible. Le retour de l’armée sur la scène du débat politique a cependant brouillé les cartes et renforcé les doutes (2).

Les tensions qui ont accompagné la préparation de cette candidature sont donc nombreuses et s’y ajoutent les incertitudes qui ont longtemps pesé sur la croissance du pays : la succession à Bouteflika ; la menace terroriste, aggravée par l’instabilité régionale ; et la situation économique moribonde résultant de l’affaiblissement des ressources pétrolières et gazières. Les défis auxquels l’Algérie devra faire face sont importants et l’Europe les investit également de différentes manières car elle est un partenaire énergétique d’une importance fondamentale pour l’Algérie, mais encore plus digne de confiance dans les mécanismes de sécurité antiterroriste dans lesquels l’Algérie joue une fonction importante. Un enchevêtrement d’enjeux dont l’Algérie a cependant du mal à sortir par le haut, divisée entre aspirations au changement et craintes d’une transition incontrôlée (5).

Perspectives :

  • Profonde diversité de vues entre les différents clans au pouvoir en Algérie : militaires, présidence et groupements d’intérêts économiques.
  • Dans ce contexte, il est nécessaire de réduire les tensions afin de faciliter au mieux la succession de Bouteflika. Bien que l’horizon temporel soit 2023, beaucoup de gens croient qu’une intervention décisive dans la dynamique du pouvoir est nécessaire bien avant cette date.
  • Par conséquent, sans un consensus large et partagé entre les élites algériennes, la crise économique empêchera toute forme de croissance et de développement nécessaire pour répondre aux besoins de la population algérienne et relever un large éventail de défis nationaux et régionaux.

Sources :

  1. Le président algérien, Abdelaziz Bouteflika, briguera un 5e mandat, France 24, 10 février 2019.
  2. GHANEM-YAZBECK Dalia, Are Bouteflika’s Shake-Ups a Sign of Shifting Civil-Military Ties in Algeria ?, World Politics Review, 15 novembre 2018.
  3. HAMDI Rania, Présidentielle en Algérie : pour l’opposition, les propositions de Bouteflika « ne sont qu’un leurre », Jeune Afrique, 11 février 2019.
  4. Breaking Algeria’s Economic Paralysis, International Crisis Group (ICG), Report 192/Middle East & North Africa, 19 novembre 2018.
  5. MALKA Haim, Beyond Algeria’s Presidential Election, Center for Strategic & International Studies (CSIS), 4 février 2019.

Giuseppe Dentice