Caracas. La nourriture est devenue une arme au Venezuela. Il en va de même pour les seringues, les antibiotiques et d’autres équipements médicaux. Dans ce pays appauvri par les embargos sur le pétrole, la corruption et l’hyperinflation, des millions de personnes souffrent de la faim tous les jours et d’autres sont dans l’incapacité de se faire soigner à cause de graves pénuries de matériel médical. L’alimentation et les médicaments ont cristallisé les tensions du régime : ils sont devenus des denrées inestimables dans la bataille pour le contrôle politique du Venezuela.

L’aide humanitaire est décriée par Nicolás Maduro comme une tentative d’intervention militaire américaine. Le président vénézuélien prétend que la crise humanitaire a été inventée de toutes parts par les médias et par ses ennemis politiques, et que la livraison de fournitures n’est rien d’autre que le premier pas d’une ingérence américaine (2). Cela répond selon lui à une vieille stratégie américaine consistant dans un premier temps à étrangler le pays avec un embargo sévère pour affamer la population, avant de « fomenter » un renversement de régime, puis d’envahir le pays en prétextant une aide humanitaire massive qui servirait surtout à approvisionner les opposants en armes et munitions. Malgré les démentis officiels, cette possibilité d’une intervention militaire hante les esprits et le débat national. Les autorités vénézuéliennes entendent « se protéger d’une invasion » et pour ce faire empêchent tout passage de camion (4).

Dans le camp opposé, Juan Guaidó, le leader de l’opposition qui s’est déclaré président par intérim du pays le 23 janvier dernier, a lancé un défi au président en place en déclarant que l’aide humanitaire entrerait dans le pays dix jours plus tard soit le 23 février. En attendant, il organise sa propre distribution : plus de 100 millions de dollars d’aides auraient été collectés pour le pays, mais seulement une petite quantité – 85 000 rations – serait parvenue jusqu’aux Vénézuéliens, la plupart de la nourriture et des médicaments restant bloqués à la frontière colombienne (4).

À ce jour, la situation est paralysée pour les organisations sur place. L’ONG Médecins sans frontières (MSF) assure que ses « équipes sont prêtes à réagir si nécessaire ». Mais les travailleurs humanitaires peinent à se faire une réelle idée des besoins car toute analyse de la situation s’avère extrêmement difficile du fait du manque de chiffres officiels disponibles (1). Le Comité International de la Croix Rouge (CICR) a quant à lui estimé que les besoins non couverts sont énormes et a doublé son budget annuel au Venezuela. Actuellement, environ 2.600 volontaires et employés de la Croix-Rouge se relaient sur le terrain pour assurer les premiers soins et gérer huit hôpitaux, ainsi que trente-trois centres ambulatoires. Dans ce cadre, les équipes disposent d’une relative liberté de mouvement qui ne leur permet pas pour autant d’accéder à leur matériel (5).

Bien que le niveau de tensions soit devenu préoccupant, le CICR refuse catégoriquement de se laisser entraîner dans les divisions politiques. La Croix-Rouge vénézuélienne a déclaré cette semaine se tenir prête à distribuer une aide humanitaire conséquente, mais pas avant que les deux camps ne lui aient donné l’autorisation d’entrer dans le pays. Elle rappelle que la politisation de la crise met en danger les activités des associations et invite les parties à autoriser les organisations humanitaires. Ensuite seulement, les deux parties pourraient discuter des origines de la crise financière. À cet égard, le CICR regrette la stratégie de l’opposition (5) : en installant ses points de ravitaillement à la frontière où l’aide humanitaire est stockée, elle a transformé son action en enjeu (géo)politique.

Dans un courrier envoyé en réponse à Guaidó le 29 janvier, le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres a déclaré que les Nations unies étaient prêtes à accroître leurs activités au Venezuela. Certaines agences, comme l’UNICEF, sont déjà sur place à travers des programmes d’aide au développement ou de prévention. De l’autre côté, le Programme alimentaire mondial (PAM) est soumis au même traitement que les ONG et ne peut engager aucune action sans consentement du gouvernement (1). Vingt-cinq pays participant à la conférence parrainée par l’Organisation des États Américains (OEA) ont promis une aide humanitaire de 100 millions de dollars et ont appelé toutes les nations à reconnaître et à soutenir Juan Guaidó.

Le gouvernement vénézuélien a réagi mercredi en annonçant à son tour que ses alliés, à savoir la Chine et Cuba, avaient prévu de fournir 933 tonnes de produits de santé au Venezuela. Pour Shannon Scribner, directrice associée des programmes et des politiques humanitaires chez Oxfam America, cela n’a rien d’étonnant : en temps de crise, confie-t-elle au Washington Post (3), c’est souvent « le pouvoir [qui] contrôle qui va manger et à quelle fréquence. » La Russie rejoint également le camp des alliés et s’est portée volontaire pour servir de médiateur entre le gouvernement et l’opposition.

Les États-Unis se disent quant à eux disposés à « rencontrer d’anciens responsables vénézuéliens, y compris Nicolás Maduro lui-même, pour parler de ses projets de sortie » (3). Bien que Washington ne reconnaisse pas le régime de Maduro, il ne serait pas surprenant que des fonctionnaires du département d’État commencent à échanger leurs points de vue avec un large éventail d’interlocuteurs pour tenter de débloquer la situation.

Perspectives :

  • Bien que les États-Unis aient jusqu’ici pris soin de ne pas porter leurs avertissements au-delà des mots, leurs yeux sont braqués sur l’armée vénézuélienne. Au beau milieu de la crise politique, Donald Trump a affirmé ne pas exclure l’éventualité d’une intervention militaire visant à renverser le gouvernement en place. En même temps, Nicolas Maduro organise des exercices militaires à grande échelle qu’il décrit comme « les plus importants de l’histoire ». Sans doute cherche-t-il à souligner la force de fonctionnement de son armée à un moment critique.
  • Face à l’opinion publique internationale, le président vénézuélien s’évertue à minimiser l’étiquette de « dictateur » qui lui est accolée. Il l’associe à une campagne médiatique guidée par l’idéologie occidentale visant à saper la révolution socialiste. Refusant de démissionner, Maduro a affirmé au peuple vénézuélien qu’il aurait sa place dans l’histoire aux côtés des grands représentants de la gauche latino-américaine comme Salvador Allende du Chili et Jacobo Árbenz du Guatemala, qui avaient été la cible de coups d’État soutenus par les États-Unis.

Sources :

  1. L’ONU prête à envoyer de l’aide su Caracas le demande, AFP, 7 février 2019.
  2. Aviones de EEUU llevaran mas ayuda a frontera de Venezuela, AP News, 15 février 2019.
  3. DOMINGUEZ Claudia, HUMAYUN Hira, OEA : Comunidad internacional se compromete a entregar US$100 millones en ayuda humanitaria para Venezuela, CNN, 15 février 2019.
  4. KRYGIER Rachelle, O’GRADY Siobhan, In Venezuela, humanitarian aid has become a political weapon, The Washington Post, 14 février 2019.
  5. Interview de Francesco Rocca, président de la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, Tout un monde, RTS, 13 février 2019.

Camille Pin