Cupertino. Un article paru dans le New York Times du 28 janvier explique comment, malgré ses promesses, Apple ne pourra jamais rapatrier en Amérique la production d’ordinateurs, d’iPhones et de ses autres produits (2). C’est un exemple qui montre l’état de l’industrie dans le monde contemporain. En 2013, Tim Cook a annoncé que le Mac Pro (un ordinateur Apple très cher dédié au marché des professionnels de la vidéo et de l’audio) serait produit au Texas : selon les plans de la société ayant son siège à Cupertino, un appareil Apple aurait, pour la première fois depuis des décennies, l’inscription « Designed in California, Made in Texas » au lieu de « Made in China » (1).

Cependant, le journal américain affirme que la production informatique a subi d’énormes retards et de nombreux problèmes dès le début, non pas à cause de problèmes structurels ou d’erreurs de production, mais tout simplement parce qu’il n’y a aucun fabricant de vis aux États-Unis qui puisse garantir un approvisionnement conforme aux besoins d’Apple. Apparemment, la seule entreprise existante pourrait fournir un maximum de 28.000 vis par jour, un chiffre bien inférieur aux besoins d’Apple. De plus, ces vis ne seraient pas conformes à 100 % aux exigences des ingénieurs de Cupertino. Au final, le problème fut résolu en important des tonnes de vis de Shenzhen.

C’est pour cette raison qu’Apple a pratiquement abandonné le Mac Pro (qui n’a de fait pas été mis à jour depuis des années) et que les nouveaux produits sont toujours sous contrat avec Foxconn, en Chine. Tout cela pour de simples vis.

L’histoire est éclairante surtout pour son impact sur le discours politique : le mythe du « retour des emplois perdus », ou l’approche régressive aux problèmes du chômage en Occident sont une pure fiction. La question va au-delà des problèmes de redistribution des revenus et est entièrement d’ordre infrastructurel. En réalité, les chaînes occidentales de valeur n’existent plus, remplacées par l’efficacité asiatique. L’expérience d’Apple montre non seulement qu’il n’existe à ce jour aucune entreprise, ni Europe, ni en Amérique, qui soit capable de produire un iPhone mais surtout qu’il n’existe pas de filière qui, même en théorie, pourrait penser à produire un iPhone.

Cette prise de conscience a un impact révolutionnaire sur la société et l’économie des pays occidentaux : il semble qu’il ne soit pas possible aujourd’hui de concurrencer l’Est en termes de fabrication et de création d’emplois. Pour l’Europe il y a deux voies pour y répondre : d’une part, celle d’un gigantesque plan d’investissement décennal nécessaire pour rattraper la croissance chinoise, en réindustrialisant les terres désindustrialisées pour privilégier la production avec une plus forte valeur ajoutée. Ce choix nécessiterait des incitations fiscales ; cependant il suscite en même temps des doutes quant à sa mise en œuvre, car il pose le problème de comment récompenser les modèles de travail/soins sociaux, dans un contexte d’endettement élevé et inexorablement croissant, pourtant nécessaire pour financer cette transition. Le deuxième choix, au contraire, serait de pousser à une automatisation totale et de reformuler les modèles d’aide sociale vers une protection indépendante du travail. Toute proposition alternative à ces deux-là est, en fait, un mensonge.

Sources :

  1. COOK Tim, Tweet, 18 décembre 2013.
  2. NICAS Jack, A Tiny Screw Shows Why iPhones Won’t Be ‘Assembled in U.S.A.’, The New York Times, 28 janvier 2019.

Nicolò Carboni