San Francisco. Mise en cause dans les incendies qui ont ravagé la Californie en novembre 2018 et en 2017, PG&E fait face à des dommages et intérêts potentiels d’un montant de 30 milliards de dollars (4). La compagnie est ainsi mise en cause dans l’incendie de Camp Fire, le plus meurtrier de l’histoire des États-Unis. Il semblerait en effet qu’une ligne électrique rentrée en contact d’une branche proche ait déclenché l’incendie après un automne des plus secs. Or, quand bien même l’entretien du réseau par PG&E ne serait pas en cause, la loi californienne la rend également responsable de tous dommages occasionnés par ses lignes. Incapable de faire face à cette éventualité, l’entreprise s’est donc placée sous la protection de la loi américain sur les faillites (3). Si ce n’est pas la première fois que PG&E se retrouverait en faillite – elle le fut en 2001 lors de la Crise de l’électricité californienne -, la situation actuelle est riche d’enseignements sur les défis auxquels font face les opérateurs historiques de l’énergie.
Cette faillite est en effet particulière : l’entreprise, bien qu’encore fragile, est rentable et doit sa situation actuelle au changement climatique qui a rendu plus probable les incendies en Californie et les a aggravés (1). Si le problème est préoccupant pour les fournisseurs d’électricités californiens, de tels effets sont également visibles en Europe. Une baisse critique du niveau du Rhin en 2018 a ainsi eu un impact notable sur l’économie allemande et réduit l’approvisionnement en charbon des centrales thermiques outre Rhin (7).
Ce risque sectoriel ne se résume pas au transport d’électricité car la plupart des moyens de production d’électricité sont tributaires des effets du climat : l’hydroélectrique et le nucléaire dépendent de l’hydrométrie tandis que le solaire et l’éolien peuvent être affectés par des tempêtes majeures. Les acteurs dépendant de capitaux privés sont particulièrement exposés et pourraient connaître des difficultés croissantes à financer leur activité future dans ce contexte. Adapter la législation et développer des outils financiers permettant aux entreprises du secteur de se protéger face à ces nouveaux risques climatiques semble donc loin d’être superflu. De fait, le régulateur californien a autorisé l’entreprise à mener un emprunt obligataire pour faire face aux dommages et intérêts encourus pour les feux de 2017, autorisation qu’il envisageait d’étendre aux feux de 2018 avant que l’entreprise n’initie sa procédure de faillite (6). En parallèle, la création d’un fond d’assurance alimenté par les entreprises du secteur a aussi été évoquée (5).
Cette faillite relance également un débat récurrent aux Etats-Unis, et particulièrement en Californie, portant sur la structure même que devrait adopter le secteur énergétique. En effet, cette potentielle faillite démontre pour certains la nécessité de placer les entreprises de service public sous le contrôle de l’État et des municipalités (3). Des acteurs de la municipalité de San Francisco y voient ainsi l’occasion de ne plus dépendre d’une entreprise qu’ils accusent de freiner la politique énergétique de la ville. Le financement d’une telle opération reste cependant une inconnue : les dommages et intérêts que pourraient exiger San Francisco de PG&E ne suffiront pas à financer le rachat des actifs en question (2).
Par ailleurs, une gestion publique n’est pas, en soi, une signe de qualité et aucune municipalité ne pourrait de toute façon faire face aux dommages et intérêts potentiels de PG&E (1). L’évolution structurelle du secteur est d’autant plus cruciale pour la Californie que l’électrification des besoins et la décarbonisation de l’électricité sont au coeur des politiques environnementales de l’État.
Enfin, cette procédure met en lumière la complexité des intérêts financiers et politiques en jeu dans le secteur de l’électricité. Il s’agit ainsi pour l’Etat californien d’assurer la continuité de l’approvisionnement en gaz et électricité de 16 millions de citoyens sans léser les victimes des incendies. Autoriser PG&E à répercuter ces coûts sur le consommateur, comme ce fut le cas en 2017, s’annonce politiquement difficile. PG&E pourrait renégocier les contrats à prix fixes signés avec des producteurs indépendants d’énergies renouvelables à des prix supérieurs au marché actuel. Une telle mesure hypothèquerait cependant la capacité de ces derniers à rembourser leur dette. Les investisseurs futurs pourraient alors s’avérer plus frileux et financer les objectifs de la Californie en matière de renouvelables pourrait devenir difficile. Une telle mesure rencontrera donc de très fortes oppositions, politiques et légales, tant de la part du gouvernement californien que des producteurs en question (5). La vente des activités gazières de PG&E est aussi envisagée ainsi que le démantèlement en plusieurs entités géographiques. Ces projets rencontrent cependant des oppositions franches de la part des syndicats de PG&E (4). En parallèle, des actionnaires de PG&E – dont la valeur des actions disparaîtrait avec une faillite – accusent l’entreprise de chercher à forcer la main du régulateur et échapper à ses responsabilités par la menace d’une faillite (4). La crise semble donc bien loin d’être résolue et sera en tout état de cause des plus intéressantes.
Perspectives :
- Il s’agit d’un cas d’école de la gestion d’une catastrophe liée au changement climatique dans le secteur de l’électricité
- On observera dans le futur la structure du secteur de l’énergie et de l’électricité en particulier.
Sources :
- BORENSTEIN Severin, Stabilizing Utilities in an Unstable Climate, Energy Institute at Haas, 22 janvier 2019.
- FRACASSA Dominic, MORRIS J.D., PG&E bankruptcy plan leads SF to reconsider public power system, SF Chronicle, 16 janvier 2019.
- State officials vow to protect public in PG&E bankruptcy proceedings, Mountain View Voice, 14 janvier 2019.
- PENN Ivan, FULLER Thomas, FRIEDMAN Lisa, PG&E Bankruptcy Tests Who Will Pay for California Wildfires, The New York Times, 14 janvier 2019.
- PENN Ivan, PG&E’s Bankruptcy Filing Creates ‘a Real Mess’ for Rival Interests, The New York Times, 29 janvier 2019.
- ST. JOHN Jeff, PG&E May Get a Legislative Lifeline to Extend Wildfire Liability Relief, GreenTech Media, 27 novembre 2018.
- STASSI Franck, La baisse du niveau du Rhin affecte les industriels allemands, L’Usine nouvelle, 3 octobre 2018.
Tristan Metz