Abou Dabi. Le voyage du secrétaire d’État américain, Mike Pompeo, était très attendu pour toute une série de raisons : de la question iranienne à la question syrienne, en passant par la lutte contre le terrorisme et l’islam radical, les négociations de paix avec les Palestiniens, les politiques énergétiques et plus généralement l’approche que Washington souhaite adopter dans les prochaines années dans la région. Un voyage rendu d’autant plus nécessaire après le départ forcé de l’ancien secrétaire à la Défense James Mattis (5), qui a démissionné à la suite de l’annonce – faite par le président Donald Trump – du retrait du contingent américain de la Syrie.

La mission de Pompeo au Moyen-Orient s’est immédiatement ancrée dans les complexités de cette région, se positionnant notamment contre l’Iran, comme en témoignent également les visites parallèles de John Bolton, conseiller pour la sécurité nationale des États-Unis, en Israël et en Turquie, et de David Hale, sous-secrétaire d’État, au Liban. L’administration Trump a souhaité réaffirmer non seulement les priorités de Washington au Moyen-Orient, mais aussi son engagement commun avec ses alliés pour assurer la paix et la stabilité dans la région (4).

En rencontrant les plus hauts représentants des gouvernements du Moyen Orient, Pompeo a immédiatement marqué un écart évident entre l’expérience d’Obama et la nouvelle orientation prise par Trump. Une distance rendue encore plus évidente par le discours prononcé par le chef de la diplomatie américaine à l’Université américaine du Caire, dans lequel il a tracé une voie totalement différente de celle du précédent locataire de la Maison-Blanche, soulignant avant tout le besoin de sécurité dans la région et une politique étrangère américaine à l’appui des exigences des alliés, sans parler de la nécessité de promouvoir la démocratie et le respect des droits de l’Homme (3).

Bien qu’elle n’ait pas toujours été cohérente et définie, la « doctrine Trump » pour le Moyen-Orient n’a d’autre objectif que de rompre clairement avec la voie tracée par le président Obama et de prendre définitivement ses distances par rapport au moment de la « honte [politique] auto-infligée » de l’ancien locataire de la Maison Blanche pour embrasser « le rôle revigoré [en tant que force du Bien] des États-Unis au Moyen-Orient ». En effet, dans son célèbre discours à l’Université du Caire, en juin 2009, Obama avait tenté d’inaugurer une nouvelle phase dans les relations entre l’Occident et le monde arabo-islamique après George W. Bush, s’ouvrant à l’Iran et relançant l’espoir d’un accord de paix en Palestine, afin de garantir la stabilité des principales puissances régionales. Dix ans plus tard, la musique a changé et la nouvelle administration est décidée à mettre de côté ces projets, visant plutôt à renforcer certains axes diplomatiques historiques (Israël, Arabie Saoudite et Egypte) et refusant la signature de l’Accord de Vienne sur le nucléaire iranien. Essentiellement, dans les 24 mois qui ont suivi le début du mandat présidentiel, le nouveau « manifeste » de la politique étrangère américaine vise à présenter l’expérience d’Obama comme un « échec stratégique » et à affirmer plutôt la nécessité d’un « rôle traditionnel fort des États-Unis au Moyen-Orient ».

Une perspective rendue encore plus difficile par le fait que Trump ne peut pas se permettre de trop mécontenter ses alliés les plus importants sur des sujets brûlants, ce qui pourrait donner lieu, en absence d’une solution à moyen et long terme, à de nouvelles frictions. Il s’agit de situations bien connues, telles que la distance de plus en plus marquée entre la ligne dure et la ligne douce vers l’Iran, la difficile reconstruction intra-arabe marquée par la crise entre le Quartet arabe (Arabie saoudite, Émirats arabes unis, Égypte et Bahreïn) et le Qatar, ainsi que le blocage tactique des principales crises politiques et militaires régionales (2).

Cependant, les réunions de Pompeo ont confirmé, d’un point de vue stratégique et tactique, plus de doutes que de certitudes. En effet, dans cette vision renouvelée d’un désengagement « partiel » au Moyen-Orient, une vision systémique du quadrant régional émerge à Washington, basée sur une « vieille » idée de relations diplomatiques bilatérales et multilatérales antérieures au printemps arabe (par exemple, les concepts de « confinement » et d’« isolement » de l’Iran ou « l’Amérique est de retour ») qui, à leur manière, ont profondément changé les pays concernés de l’intérieur ainsi que les rapports de force entre Washington et les Alliés arabo-sunnites. Une vue d’ensemble qui ne tient pas compte de la réalité du terrain (1).

Perspectives :

  • Bien qu’elle ait fait l’objet d’une grande couverture médiatique, la mission a été jugée globalement négative dans l’ensemble. Le voyage au Moyen-Orient et la déclaration d’un renouveau des relations entre les États-Unis et leurs alliés régionaux soulèvent en effet de nombreux doutes quant à la véritable vision stratégique de l’administration. Au-delà des annonces et de la rhétorique anti-Obama, la stratégie de Trump reste liée à la tradition et risque continuer de placer les États-Unis dans une situation de « boots on the ground » au Moyen-Orient pendant plusieurs décennies.
  • Même si le secrétaire d’État a mis l’accent sur l’Iran et la lutte contre le terrorisme, il n’a mentionné aucun engagement de la part de l’administration pour atteindre cet objectif. Les prochaines étapes vers la mise en place de l’Alliance stratégique pour le Moyen-Orient, le pacte politico-militaire également connu sous le nom d’« OTAN arabe », seront donc très importantes à cet égard.
  • Enfin, deux questions centrales sont absentes du discours de Pompeo : le rôle du gaz de schistes et donc les futures politiques énergétiques à l’égard des pays alliés producteurs de pétrole et de gaz, et la manière dont Washington songe à résoudre la crise entre l’Arabie saoudite et le Qatar. Là encore, l’incapacité de résoudre le différend pourrait remettre en question toute architecture de coopération régionale.

— Cet article a été publié en italien, en version modifiée, sur le site d’ISPI – Istituto per gli studi di politica internazionale—

Sources :

  1. DEPETRIS Daniel R., Americans are Tired of Middle East Mayhem, The National Interest, 17 janvier 2019 ; LYNCH Mark, The New Arab Order, Foreign Affairs, 13 août 2018.
  2. DUNNE Michelle, MILLER Andrew, Has Pompeo Explained What Trump Wants in the Middle East ?, Carnegie Endowment for International Peace, 11 janvier 2019.
  3. POMPEO Mike, Discours prononcé à l’Université américaine du Caire, 10 janvier 2019.
  4. WROUGHTON Wesley, MASRI Lena, IIn Cairo, Pompeo blasts Obama’s Middle East policies, Reuters, 10 janvier 2019.
  5. YOUSSEF Nancy A., LUBOLD Gordon, Mattis, Blindsided by Trump’s Syria Decision, Resigned Days Later, Wall Street Journal, 21 décembre 2018.

Giuseppe Dentice