Karlsruhe. Afin de mieux comprendre l’enjeu du débat, penchons-nous d’abord sur les sanctions prévues par les articles 31 et suivants du Zweites Buch Sozialgesetzbuch (SGB II). En cas de manquement à leurs obligations, les bénéficiaires du Hartz IV, allocation visant à garantir le minimum vital à des chômeurs ou des travailleurs disposant de faibles revenus, peuvent se voir appliquer des sanctions (5).
Selon l’article 31 alinéa 1 du SGB II, constituent des manquements à leurs obligations : le fait pour les bénéficiaires de ne pas se montrer suffisamment actifs dans leur recherche d’emploi, de refuser un emploi ou des mesures d’insertion dignes. Aux termes de l’article 31a du SGB II, l’allocation est réduite pour trois mois de 30 % après un premier manquement, de 60 % après un deuxième, et suspendue après un troisième manquement. S’agissant des bénéficiaires âgés de moins de 25 ans, les sanctions sont renforcées : après un deuxième manquement, l’allocation est suspendue. Ces sanctions peuvent néanmoins être adoucies : par exemple, si l’allocation d’un bénéficiaire a été minorée de plus de 30 %, il peut à certaines conditions obtenir des avantages pécuniaires ou en nature.
Avec près de 500 000 sanctions prononcées au premier semestre 2018 (3) pour 6,2 millions de bénéficiaires (1), l’enjeu pratique des articles 31 et suivants du SGB II est considérable. Malgré cela, la Cour constitutionnelle fédérale n’a été amenée que récemment à examiner la constitutionnalité de ces sanctions. Il faut dire que les conditions pour saisir la Cour sont strictes.
Une personne directement concernée par une mesure doit avoir épuisé tous les recours possibles. Elle doit démontrer que les sanctions n’étaient pas irrégulières pour des raisons de forme, et que le refus d’une offre d’emploi était fondamentalement motivé par un rejet du système Hartz IV. Si les juges peuvent aussi soumettre une requête à la Cour, cela implique de respecter scrupuleusement les conditions de forme et augmente fortement leur charge de travail. Dans ce cas précis, le tribunal social de Gotha avait déjà soumis une requête en 2015, mais elle avait été rejetée pour des raisons de forme par la Cour constitutionnelle fédérale.
À l’heure actuelle, aucune décision n’a été rendue sur la nouvelle requête du tribunal social de Gotha. Cependant, les arguments qui la soutiennent et les questions que la Cour constitutionnelle fédérale a décidé d’examiner méritent notre attention. Dans sa requête, le tribunal social de Gotha soutient d’une part que les sanctions remettent en cause la garantie d’un minimum vital, qui résulte de l’article 1 alinéa 1, combiné avec l’article 20 alinéa 1 du Grundgesetz, la Loi fondamentale allemande qui fait office de constitution. Ces deux articles affirment l’importance de la dignité humaine et de l’État social. D’autre part, le tribunal social de Gotha soutient que les sanctions portent atteinte à l’article 12 du Grundgesetz, qui garantit la liberté professionnelle. À partir de ces arguments, la Cour constitutionnelle va notamment se pencher sur la question de savoir ce qui résulte précisément de l’article 1 alinéa 1 et l’article 20 alinéa 2 du Grundgesetz, va comparer les objectifs poursuivis par les sanctions et leurs effets dans la pratique, et va effectuer un contrôle de proportionnalité (2).
Si les termes du débat restent juridiques, le retentissement politique de la décision de la Cour constitutionnelle fédérale sera très important. Cela viendra ou confirmer les dispositions du Hartz IV, telles qu’elles existent actuellement, ou remettre en cause un pan essentiel de la loi Hartz IV. Quelle que soit la décision de la Cour constitutionnelle fédérale, la question des droits fondamentaux devrait prendre une place plus importante dans le débat politique.
Les autres pays d’Europe, et en premier lieu la France qui prend l’Allemagne pour exemple, devront suivre attentivement l’affaire car, quelle qu’en soit l’issue, il est nécessaire de réfléchir aux implications juridiques d’une politique sociale. Le fait que la constitutionnalité des sanctions prévues par la loi Hartz IV soit aujourd’hui soumise à l’examen de la Cour fédérale allemande doit servir d’avertissement : une remise en cause est possible et il ne faut pas perdre de vue la nécessité de garantir les droits fondamentaux. Certes, en France, les conditions pour un contrôle de constitutionnalité sont encore plus strictes qu’en Allemagne : la remise en cause d’une loi sociale par ce biais est donc moins probable. Cependant, si la Cour fédérale allemande déclare contraires à la Constitution les sanctions prévues par la loi Hartz IV, cela enverra un signal fort : ce qui semblait exemplaire à la France ne l’était pas. En France, les sanctions ont récemment été durcies contre les chômeurs (4), et une décision de la Cour constitutionnelle fédérale déclarant contraires à la Loi fondamentale les sanctions prévues par le Hartz IV sera de nature à relancer le débat.
Perspectives :
- La future décision de la Cour constitutionnelle fédérale pourrait amener à un infléchissement des politiques sociales menées par certains pays d’Europe.
- Elle pourrait plus largement relancer le débat sur les implications des politiques sociales, lui donner une dimension juridique.
Sources :
- BLEIKER Carla, Sind Hartz-IV-Sanktionen akzeptabel ?, DW, 18/01/2019.
- Cour fédérale d’Allemagne, Communiqué de presse n°4/2019 du 10 janvier 2019, 10/01/2019.
- Bundesagentur : Zahl der Hartz-IV-Sanktionen leicht gesunken, Die Zeit, 10/10/2018.
- Durcissement des sanctions pour les chômeurs : cette mesure passée inaperçue, France Inter, 02/01/2019.
- MÜLLER-NEUHOF Jost, Hartz-IV-Sanktionen vor Gericht, 15/01/2019.
Ingrid Kis