En pleine crise des gilets jaunes, le Groupe d’études géopolitiques a rencontré l’ancien candidat à l’élection présidentielle et président du parti Génération.s Benoît Hamon. Analysant le malaise actuel des démocraties européennes, il dénonce le travestissement de la social-démocratie en social-libéralisme mâtiné d’austérité et suscitant le rejet des citoyens.

Alors qu’il s’apprête à lancer une liste européenne avec Yánis Varoufákis, « Printemps européen », il estime qu’un des principaux enjeux pour l’Union européenne est de parvenir à sortir de sa dépendance énergétique envers les pétromonarchies et le gaz russe, qui la condamne à rester un « nain géopolitique ».

Êtes-vous allé manifester avec les gilets jaunes ?

Non, j’ai marché pour le climat. Même si on donne le sentiment d’être soumis à des vents contraires, on doit dire qu’on peut et qu’on doit marcher pour le climat et contre la vie chère en même temps. Il ne faut pas dissocier la question écologique de la question sociale, car une écologie injuste socialement n’est pas viable.

Les institutions sont-elles en mesure d’offrir une sortie à la crise ?

Ce ne sont pas les institutions en tant que telles qui empêchent la résolution de la crise. Certes, je pense qu’il faut les changer, qu’il faut instaurer la sixième République. Mais c’est la pratique de ces institutions par Emmanuel Macron et son refus de débloquer la situation qui sont en cause. Il porte l’entière responsabilité de ce qui se passe depuis trois semaines.

Le gilet jaune pourrait devenir un étendard à l’échelle européenne.

Benoît Hamon

Ce qui s’est passé samedi est d’ailleurs moins une manifestation qu’une épreuve de force voulue par le pouvoir. Emmanuel Macron est sourd aux revendications et n’a fait jusqu’ici que de fausses concessions : voilà ce qui met la démocratie en danger.

C’est sa façon d’exercer le pouvoir, les symboles qu’il représente qui sont en cause. Le problème n’est pas que nous appelions au calme : personne ne nous écoutera, c’est lui qui a les clefs. Ceux qui manifestent dans la rue sont les filles et fils d’années d’austérité, de politiques néolibérales, de recul des services publics, de fragilisation des plus pauvres, des retraités, des chômeurs.

Vous avez comparé le mouvement des gilets jaunes avec les Printemps arabes. Parti de Tunisie en 2011, ce mouvement s’était répandu dans tout le Maghreb. Pensez-vous que ce qui se passe en France peut avoir une signification à l’échelle européenne ?

Je ne vois pas pourquoi le gilet jaune ne pourrait pas devenir un étendard à l’échelle européenne. La question qu’il faut se poser est : de quoi le gilet jaune est-il le nom ? C’est d’abord celui d’une Europe qui ne propose plus aux citoyens une communauté de destin et ne sait pas redistribuer les richesses. C’est aussi le signe du sentiment partagé par les citoyens de n’avoir pas voix au chapitre, de n’avoir aucun pouvoir quand ils mettent un bulletin dans l’urne, d’assister à une sorte de désidéologisation de la vie politique. Cela les amène à constater que le pouvoir est, quoi qu’il arrive, toujours entre les mêmes mains. Le mouvement des gilets jaune est avant tout une demande de démocratie et de justice sociale.

On peut considérer que le peuple se trompe de cible quand il déverse sa colère contre les migrants, contre les « assistés ». Certains rêveraient « dissoudre le peuple », ou ce qui ne leur plaît pas en lui, pour reprendre la formule de Bertolt Brecht, mais c’est le peuple !

Nous avons deux cents ans d’histoire démocratique, là où les sociétés arabes en ont une expérience plus récente. Le point de départ est néanmoins le même : les gens subissent une situation insupportable et on ne les écoute pas. Pourquoi Mohamed Bouazizi est-il devenu un symbole ? (NDLR : ce marchand ambulant auquel on avait confisqué son chariot s’était immolé par le feu le 4 janvier 2011, suscitant une colère populaire à l’origine de la révolution tunisienne). Parce que le couvercle a sauté et que la situation n’était plus tenable. En France, les mouvements sociaux classiques n’ont obtenu aucune victoire depuis le CPE. Le mouvement des gilets jaunes est parti de l’augmentation du prix des carburants, mais aurait pu partir d’une grève de la faim dans les hôpitaux ou du geste fou d’un salarié exploité.

On peut considérer que le peuple se trompe de cible quand il déverse sa colère contre les migrants et les « assistés ». Certains rêveraient de « dissoudre le peuple » ou ce qui ne leur plaît pas en lui, mais c’est le peuple !

Benoît Hamon

Comment jugez-vous votre bilan de député européen (entre 2004 et 2009) ?

Au Parlement comme au Conseil européen, la droite et la gauche ont fait l’erreur de s’inscrire dans une logique de gestion des intérêts européens et cela a contribué à créer une forme d’indifférenciation idéologique entre la gauche et la droite au niveau européen. Je me souviens de batailles homériques dans le groupe socialiste européen pour essayer de l’arracher à cette alliance quasi systématique avec la droite. Ou ne serait-ce que pour faire passer quelques textes ou amendements, autres que ceux frappés du sceau du consensus et donc de l’inoffensivité politique. Quand j’avais fait un rapport sur la lutte contre l’évasion fiscale, nous étions parvenu à améliorer la législation sur ces questions, mais je me souviens avoir fait face à une immense suspicion de la Commission.

J’ai effectivement fini par me dire, en faisant le bilan de mon mandat : si je dois passer une heure à expliquer pourquoi ce que j’ai fait est utile, c’est que cela n’était pas intelligible, et donc que l’on n’a pas gouverné à l’échelle humaine.

Qu’est-ce qui vous fait croire aujourd’hui que vous pourriez infléchir la situation en Europe ?

La question n’est pas celle de l’échelle nationale ou celle de l’échelle européenne mais celle de l’échelle humaine : la décision prise par les responsables politiques intègre-t-elle les points de vue des citoyens ? C’est d’ailleurs la seule source possible de leur légitimité car, comme le disait Habermas, “la légitimité démocratique d’une décision, est interrogée quand le cercle de ceux qui prennent une décision ne recouvre plus celui de ceux qui subissent les décisions ». Cette nécessité d’un gouvernement à l’échelle humaine, je la pense à la fois au niveau national et au niveau européen.

Il faut supprimer les groupes politiques européens tels qu’ils existent car aujourd’hui en Europe, la gauche ne sert à rien. A quoi servent les écologiques ? A quoi sert une gauche radicale divisée entre populistes et ceux qui ne le sont pas ? Quant à la sociale-démocratie, elle est divisée entre ceux qui sont déjà vendus à la droite et ceux dont on se demande s’ils ne vont pas se vendre un jour.

Tout ceci ne sert à rien. Or il y a des gens dans chacun de ces groupes qui ont envie de faire bouger les choses et qui travaillent à la création d’un nouveau groupe parlementaire européen. Ce sera la première étape et elle est décisive car elle donnera au Parlement une représentation à ceux qui aspirent à une gauche européenne, progressiste et écologique.

Il faut s’inscrire en Europe dans une double temporalité : avancer avec les traités tels qu’ils existent tout en gardant un horizon qui est de la renégocier. On peut d’ores et déjà faire bouger les lignes en construisant des majorités avec les écologistes, les socialistes et la gauche radicale.
La nécessité de renégocier les traités doit-elle nous pousser à laisser faire croire aux citoyens qu’on pourrait sortir de l’Europe ? Je m’y refuse.

On ne peut pas parler de la menace du réchauffement climatique tout en envisageant cette aberration qui consisterait à se priver, pour lutter contre, de la force d’un continent.

Benoît Hamon

Vous parlez d’alliances au niveau européen mais il faudrait peut-être parvenir à en nouer au plan national… Envisagez-vous une alliance avec le PCF de Ian Brossat ou Place publique de Raphaël Glucksmann ?

Oui, tout à fait. On discute ensemble actuellement.

Et avec Mélenchon ?

Non. D’abord, parce qu’il ne le veut pas. Ensuite, nous sommes certes d’accord sur le but à atteindre mais nous avons des différends stratégiques sur les moyens pour y parvenir : je ne considère pas l’hypothèse du plan B qui amènerait la France à menacer de quitter l’Europe comme acceptable. On ne peut pas parler de la menace du réchauffement climatique tout en envisageant cette aberration qui consisterait à se priver, pour lutter contre, de la force d’un continent.

Nous n’avons pas non plus la même approche de la question du travail et du financement de la protection sociale.

Je pense que la transformation du monde du travail qui s’annonce est irréversible et qu’il faut en conséquence changer notre appréhension de la place du travail et des sources de revenus dans notre société – d’où ma proposition sur le revenu universel.

Où est le vrai problème aujourd’hui ? C’est Mélenchon qui répète que c’est ma faute s’il n’a pas été au second tour de l’élection présidentielle … Mais a-t-il pris une seule initiative pour rassembler la gauche ? Non – d’ailleurs est-il encore de gauche ? Il se dit populiste. Soit. Puis on voit qu’il a récemment changé de stratégie, qu’il a fait venir Emmanuel Maurel, répète sa joie de retrouver les anciens amis du PS… Incroyable, il retombe amoureux des vieux socialistes !

Et puis, sa candidate en Essonne (NDLR : Farida Amrani – législatives partielles) a appliqué cette nouvelle stratégie et nous a invité à nous rassemblés – ce qu’on a fait – avant qu’il nous accuse à nouveau d’avoir fait perdre sa candidate. Quand je ne le soutiens pas et que la France Insoumise perd, c’est ma faute. Quand je le soutiens et qu’ils perdent encore, c’est aussi ma faute.

Mélenchon fait comme François Hollande qui pense que c’est ma faute s’il n’a pas pu se représenter. A ces deux bons vieux socialistes, l’un radicalisé, l’autre très modéré, je réponds : arrêtez de penser que c’est toujours la faute de Benoît Hamon. C’est pour cela que c’est compliqué aujourd’hui de parler à quelqu’un qui n’arrive même plus à parler à ses propres amis. Allez donc demander à Clémentine Autain, ou à François Ruffin, s’il est facile de travailler avec Jean-Luc Mélenchon !

Une partie des gilets jaunes a fait du refus à l’ « assistanat » un leitmotiv de leurs revendications. Dès lors, votre promesse de revenu universel peut-il les convaincre ?

Ma proposition de revenu universel a été perçue comme l’apothéose de l’assistanat alors qu’il s’agit exactement du contraire. Elle ne s’adresse d’ailleurs pas seulement aux gens qui n’ont pas d’argent mais s’ajoute au salaire – personne n’a vu ou n’a voulu voir cela.

Les expériences les plus sérieuses menées sur le sujet comme l’expérience de Dauphin au Canada 1 montrent qu’une fraction infime des bénéficiaires du revenu universel arrêterait de travailler (3 % des femmes et 1 % des hommes).

Le revenu universel doit s’accompagner d’instruments en matière de réduction du temps de travail qui doit permettre aux bénéficiaires de libérer du temps pour leur famille ou simplement de faire retomber la pression.

Nous voyons le nombre d’heures de travail diminuer en Europe et le revenu universel doit nous permettre de réduire le nombre d’heures travaillées individuellement pour partager cette ressource cruciale qu’est le travail.

Vous reprenez à votre compte à la fois le terme de souveraineté et de fédéralisme. Comment articulez-vous les deux ?

Il est illusoire d’imaginer à court terme une Europe homogène sur le plan stratégique.

Tant que nous ne faisons pas un important travail de définition sur ce qu’elle doit être, l’Europe ne peut pas être autre chose qu’un nain géopolitique.

Benoît Hamon

Il faudrait, pour commencer, que les Etats membres (ou une partie des pays dans le cadre de ce qui pourrait préfigurer des coopérations renforcées) affirment leurs préférences collectives : voulons-nous par exemple d’une économie décarbonée, le maintien des services publics, un haut niveau de protection sociale ? La mise au point de véritables objectifs communs et partagés par les Européens est un préalable à une politique de souveraineté européenne.

Nous avons un objectif d’économie décarbonée : donnons pour commencer un prix au carbone au frontière de l’Europe. Il y a un intérêt commun à construire en Europe un modèle de transition énergétique. Je crois qu’il faut revenir à l’intuition des pères fondateurs de l’Europe : construisons un vrai traité de l’énergie sur le modèle de la CECA (NDLR : la Communauté européenne du charbon et de l’acier fut le point de départ de la construction européenne avec un organe supranational).

Le travail des Européens est éminemment politique : comment construire une communauté de destin là où on n’a plus qu’un seul mot d’ordre, tragiquement pauvre, le marché ? Tant que nous ne faisons pas un important travail de définition sur ce qu’elle doit être, et cela me désole de le dire car j’aurais aimé vous dire que nous disposons des instruments pour résister aux sanctions américaines contre l’Iran, l’Europe ne peut pas être autre chose qu’un nain géopolitique.

Autant dire que le projet d’armée européenne proposé par Macron vous semble chimérique…

Non ! Il faut l’engager mais on sait que cela n’accouchera que d’éléments embryonnaires d’une vraie défense européenne et avec des capacités opérationnelles très faibles.

Aujourd’hui l’armée européenne, c’est essentiellement l’armée française et l’armée allemande, soutenues sur le plan logistiques par d’autres pays. Mais la France est le seul pays à pouvoir projeter seule des forces à l’étranger.

Je propose que nous sortions les dépenses engagées contre le terrorisme, comme au Sahel, du calcul des déficits publics, de la même manière que je souhaite qu’il y ait une exception climatique qui permette d’exclure du déficit les investissements publics dans la transition énergétique.

L’Europe n’a donc rien à dire à la Russie lorsqu’elle arraisonne des navires ukrainiens en mer d’Azov ?

Ils font ce qu’ils veulent ! Et cela durera tant que nous serons dépendants du gaz russe dans un certain nombre de pays européens… C’est pour cela que le traité sur l’énergie est décisif : il pose la question de la souveraineté énergétique de l’Europe. Tant que nous serons dépendants des pétromonarchies et du gaz russe, on se retrouvera dans une situation où la construction d’une parole politique commune sera altérée par les dépendances nationales à un géant ou un rival extérieur à l’Union européenne. La montée en puissance des investissements dans les énergies renouvelables ne visent pas seulement à créer de l’emploi ou à faire évoluer notre mix énergétique. Elles visent à nous rendre souverains énergétiquement et à nous donner ainsi une autonomie politique. L’Europe peut le faire si elle s’en donne les moyens et rien ne l’empêche aujourd’hui de le faire si ce n’est les intérêts économiques de certains et le travail des lobbies.

De qui parlez vous exactement ?

J’ai cité BNP Paribas hier lors de mon meeting. La vérité c’est que je n’ai pas envie de les taquiner mais de les mettre, comme le Crédit Agricole ou la Société Générale, devant leurs responsabilités. Ce sont des banques sales, qui investissent des milliards d’euros dans les énergies fossiles, quatre fois plus que dans les énergies renouvelables. Et elles osent ensuite se parer de slogans écolos et positifs …

A partir du moment où la banque centrale est européenne et qu’elle ne peut pas financer directement les Etats, qui doivent recourir aux marchés, nous sommes considérablement amputés de notre capacité à agir.

Benoît Hamon

Taxons les profits réalisés avec ces investissements – ou interdisons-les, plus simplement ! J’ai fait cette proposition au Premier ministre mais le gouvernement n’est absolument pas prêt à bouger. Edouard Philippe est intelligent et j’ai vu des gens brillants à Bercy au cours des deux ans pendant lesquels j’étais ministre. Mais j’ai constaté avec fascination que ces gens étaient prisonniers d’une vision du monde économique extrêmement dogmatique. Parlez-leur de régulation et ils vous répondront perte d’attractivité et fuite des cerveaux… C’est affligeant d’être ainsi gouvernés par Bercy et l’Inspection des Finances – par ailleurs remarquables lorsqu’il s’agit de traiter d’autres sujets liés au financement de l’économie.

Portez-vous à ce propos des propositions de financement de l’Etat alternatifs au financement par les marchés ?

A partir du moment où la banque centrale est européenne et qu’elle ne peut pas financer directement les Etats, qui doivent recourir aux marchés, nous sommes considérablement amputés de notre capacité à agir. J’ai voté contre le traité constitutionnel européen de 2005 en partie pour cette raison là.
C’est incontestablement un handicap qui a été partiellement levé par une politique avantageuse sur les taux d’intérêt et de quantitative easing même si cela ne change rien à notre dépendance vis-à-vis des marchés financiers. Je suis d’ailleurs, et je l’avais dit pendant la campagne, très favorable au quantitative easing for people 2.

Souhaitez-vous mettre un terme aux accords de Dublin 3 ?

Absolument ! Ce n’est pas la géographie qui doit décider de la politique ! Il faut renégocier Dublin et mettre fin à cette hypocrisie. Il faut poser le principe d’un visa humanitaire pour que ces personnes n’aient pas à traverser la Méditerranée pour pouvoir déposer un dossier d’asile et les autoriser à travailler trois mois après avoir déposé leur demande d’asile pour faciliter leur intégration.

Il faut renégocier Dublin : ce n’est pas la géographie qui doit décider de la politique !

Benoît Hamon

Plus fondamentalement, il faut rediscuter des conditions dans lesquelles on se répartit les populations de demandeurs d’asile : poser la question des migrations selon la réalité du phénomène et non des fantasmes… Je suis conscient de la difficulté dans la mesure où les Hongrois et les Scandinaves ne veulent pas nous suivre là-dessus.

Ne s’agit-il pas d’une position plus morale que politique ?

On tire sur les migrants en Méditerranée ? On passe un accord avec les pays de départ pour ériger des murs ? Non. On fait de l’accueil et on traite dignement ceux qui arrivent. il faut en finir avec le fantasme de l’appel d’air. Cela ne changerait rien, sauf pour ces personnes qui seraient traitées comme des êtres humains. Un visa humanitaire donnerait le droit à avoir accès à une traversée, à des bateaux, payés par Frontex ou par les Etats pour pouvoir traverser quand on est candidat à l’asile, et reprendre le bateaux si on est refusé. Les consulats peuvent faire ce travail. Et ceux qui ne sont pas éligibles à l’asile devront être reconduits, dignement, humainement.

Que peut faire un responsable politique pour le faire accepter aux Français ?

Je le dis et je perds des voix en le disant. Le consensus entre une partie de la gauche et la droite est qu’on ne veut pas des migrants. Et l’hypocrisie d’une partie de la gauche est de dire qu’on veut faire du co-développement pour traiter les causes des migrations. Sauf que le co-développement aura pour conséquence d’accélérer les migrations en même temps que le niveau de vie, qui multiplie les opportunités d’immigration. L’immigration existe : il faut l’accepter et en faire une chance pour eux et nous.

Aujourd’hui être social-démocrate, c’est être social-libéral, et le social-libéralisme, c’est la trahison.

Benoît Hamon

Dans un récent entretien au Grand Continent, Pierre Moscovici a abordé le malaise de la sociale-démocratie. Vous définissez-vous encore comme social-démocrate ?

Franchement Moscovici … Je le connais Pierre et je l’écoutais la dernière fois à la radio en me disant : descend et arrête… J’ai franchement du mal à rentrer dans le débat sur la social-démocratie. Ce mot est tellement associé aujourd’hui à ce qu’il n’a pas été dans le passé que je ne peux plus le reprendre. Il renvoie aujourd’hui à la trahison de l’idée du progrès social et de l’émancipation par la démocratie. Je connais bien l’histoire de la sociale-démocratie, j’ai lu les débats passionnants entre Kautsky et Bernstein 4 en Allemagne au début du siècle passé, je suis attaché à cette culture… Mais aujourd’hui être social-démocrate, c’est être social-libéral, et le social-libéralisme, c’est la trahison. Quand j’entends que Stéphane Le Foll ou François Hollande se disent social-démocratie, je me dis : si la social-démocratie c’est ça, moi je suis tout sauf ça !

Sources
  1. Benoit Hamon fait référence à l’expérimentation du revenu universel entre 1974 et 1979 dans la petite ville de Dauphin au Canada.
  2. L’assouplissement quantitatif (quantitative easing) est une forme non conventionnelle de politique monétaire à laquelle les banques centrales ont eu recours après la crise de 2008, lorsqu’elles ne pouvaient plus abaisser les taux d’intérêt, ceux-ci étant déjà au niveau zéro. La banque centrale rachète ainsi des montants massifs d’actifs financiers et de titres de dettes à des acteurs de l’économie, ce qui accroît la monnaie en circulation, qui irrigue l’économie et limite donc le risque d’une spirale de déflation. En 2015, le futur chef du Parti travailliste britannique Jeremy Corbyn a quant à lui proposé de mettre en œuvre un assouplissement quantitatif pour le peuple (people’s quantitatif easing) en vertu duquel la banque centrale (dans son cas, la Banque d’Angleterre), dans ses rachats, au lieu de cibler des actifs financiers, émettrait des titres permettant au gouvernement (à travers la création d’une Banque Nationale d’Investissement) d’investir dans des secteurs durables (logement, énergie, transport, digital en particulier). La mesure a été fortement critiquée par de nombreux économistes, qui y voient une remise en cause importante de l’indépendance de la banque centrale.
  3. « Dublin III » est un règlement européen datant de 2013 qui délègue la responsabilité de l’examen de la demande d’asile d’un réfugié au premier pays qui l’a accueilli. Ainsi, si un réfugié entré sur le territoire européen par l’Italie enregistre sa demande en préfecture française, il sera « dubliné », c’est-à-dire renvoyé dans le pays d’entrée, en l’occurrence l’Italie, afin qu’elle traite sa demande d’asile. Cette procédure est très contestée aussi bien pour le traitement qu’elle inflige aux migrants que pour les inégalités qu’elle induit entre membres de l’Union face à la crise migratoire.
  4. Théoricien du socialisme allemand et membre du SPD à la fin du dix-neuvième siècle, Eduard Bernstein remit en cause plusieurs thèses du marxisme. Partant du constat qu’au lieu de s’acheminer vers un effondrement inéluctable comme le pensait Marx, le capitalisme survit à ses propres crises, il considère que la social-démocratie ne doit pas se limiter au prolétariat mais doit englober aussi les classes moyennes et privilégier un réformisme graduel à l’idéal révolutionnaire. Ses thèses furent durement combattues par le plus orthodoxe
    Karl Kautsky, théoricien marxiste. La controverse Bernstein-Kautsky est considérée comme annonçant le débat entre réformisme parlementaire et lutte des classes qui divisa les partis sociaux-démocrates tout au long du vingtième siècle.