Alger. Le 23 septembre, l’Arabie saoudite et la Russie, parmi les premiers producteurs mondiaux de pétrole et de gaz, ont une nouvelle fois ignoré les pressions de l’administration Trump pour faire baisser le prix mondial du pétrole brut (3), alors que l’ »or noir  » a atteint son plus haut niveau (81 dollars le baril en Brent) depuis novembre 2014. Cette décision a été prise après que l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) et les pays non membres du cartel de l’énergie, réunis à Alger, aient réitéré leur opposition à la demande du président américain Donald Trump. En effet, la Maison Blanche demande depuis des mois une augmentation de la production pétrolière qui fasse baisser artificiellement le prix des biens énergétiques afin de compenser l’effet des nouvelles sanctions économiques américaines imposées à l’Iran, qui entreront en vigueur le 4 novembre prochain.

La Russie, l’Arabie saoudite et les Émirats Arabes Unis – les deux derniers étant les alliés les plus loyaux des États-Unis au Moyen-Orient – ont joint les rangs contre la proposition Trump, assurant qu’ils n’ont pas l’intention de prendre des mesures à l’avance pour compenser la chute d’environ 2 millions de barils par jour résultant des nouvelles sanctions sur les exportations de pétrole iraniennes. M. Trump a réitéré cette proposition lors de son discours à l’Assemblée générale des Nations Unies (26 septembre), recevant une fois de plus la même réponse négative qui a alimenté la déception parmi les personnes directement touchées par le front arabe. À la base du rejet des membres de l’Opep – et de l’Arabie Saoudite en particulier – il y a des considérations économiques et stratégiques : ils sont convaincus qu’après quatre ans de bas prix, le coût du pétrole va commencer à croître, revenant aux quotas de sécurité, qui pour beaucoup de producteurs sont identifiés à environ 100 dollars le baril ; de plus, les Etats-Unis, également en vertu de la révolution technologique garantie par le pétrole de schiste, vont représenter à court terme un concurrent direct pour de nombreux producteurs (2), dont l’Arabie Saoudite, qui depuis 70 ans a construit une alliance politique bilatérale avec Washington sur le principe « pétrole contre sécurité » (5).

Bien que minimisé de part et d’autre, ce refus tire de nouveau la sonnette d’alarme et les lignes de la dynamique récente entre les États-Unis et l’Arabie saoudite sous l’ère Trump pourraient bouger. En effet, au-delà du discours commun contre l’Iran et des rencontres cordiales des 18 derniers mois au cours desquelles les parties ont espéré le renforcement de l’axe bilatéral tout en balayant les années de l’administration Obama (2009-2016) comme un lointain souvenir fait de malentendus, il existe un important décalage sur plusieurs questions clés, même sous le mandat de Trump, entre l’Arabie saoudite et les États-Unis, de l’évolution récente et future du conflit en Syrie à l’incapacité des États-Unis à mettre un terme à la crise du Golfe contre le Qatar, précisément à travers le facteur énergétique (4). En effet, le Congrès américain envisage l’approbation d’une loi pour favoriser un recours collectif contre les membres de l’Opep accusés de « manipulation des prix du marché ».

Ces difficultés sont confirmées par un facteur important : le manque de liquidité des finances saoudiennes, dû à la fois à la faiblesse des cours internationaux du pétrole et à la politique étrangère et militaire coûteuse menée dans tout le Moyen-Orient. La guerre au Yémen et les difficultés économiques rencontrées par Mohammed Bin Salman pour promouvoir ses propres réformes ne garantissent pas à Riyad une grande disponibilité économique et financière comme par le passé (1). Tout cela, enfin, s’oppose aux désirs électoraux de Trump qui, en vue des élections de mi-mandat à l’automne, ne veut pas se présenter à son électorat avec des données économiques négatives qui pourraient lui nuire en matière de représentation républicaine au Congrès.

Perspectives :

  • Les tensions plus ou moins flagrantes entre les Etats-Unis et l’Arabie saoudite concernent la hiérarchie des priorités de la politique étrangère au Moyen-Orient. Si pour Trump la question du prix du pétrole est un facteur déterminant pour l’endiguement de l’Iran, pour les pays de l’Opep et en particulier les membres du Conseil de coopération du Golfe, ce n’est qu’un acte hostile à leur égard et peu utile pour combattre Téhéran, accusé d’être toujours plus agressif grâce à son système de missiles prêts à toucher les artères économiques et commerciales du Golfe, à savoir le détroit de Bab al-Mandeb et Hormuz, et donc bloquer la navigation et le flux Europe-Asie du pétrole et du gaz.
  • Le nombre de malentendus politiques qui sont apparus au cours des derniers mois montre une fois de plus à quel point les distances entre les États-Unis et l’Arabie saoudite sont grandes. Bien que l’administration Trump tente de reconstruire son partenariat de longue date avec Riyad sur une base plus solide avec des règles claires et visant à circonscrire l’alliance sur un terrain d’entente (par exemple la lutte contre le terrorisme, l’endiguement iranien au Moyen-Orient, la guerre au Yémen), cette tentative risque d’être inutile car elle ne tient pas compte des profondes transformations qui ont eu lieu au Moyen-Orient depuis 2011 et les conditions mêmes du profond changement auquel fait face l’Arabie saoudite, notamment pour l’effet plus ou moins manifeste du plan Vision 2030.

Sources :

  1. DENTICE Giuseppe, Le difficoltà della visione saudita, La Lettre du Lundì, Edition 24, 16 septembre, 2018.
  2. DICRISTOPHER Tom, Oil industry needs to invest $11 trillion to meet demand through 2040, OPEC says, CNBC, September 23, 2018.
  3. EL GAMAL Rania, GHADDAR Ahmad, ASTAKHOVA Olesya, OPEC, Russia rebuff Trump’s call for immediate boost to oil output, Reuters, September 23, 2018.
  4. LYNCH Mark, The New Arab Order, Foreign Affairs, August 13, 2018.
  5. Cette alliance particulière reposait précisément sur l’hypothèse d’une “sécurité en échange du pétrole” : Washington aurait garanti un accès sûr aux ressources énergétiques saoudiennes, à un prix de marché favorable, en échange d’une protection diplomatique et militaire contre les menaces extérieures qui pourraient déstabiliser le royaume des al-Saoud. Cette non-alliance est également connue sous le nom de « Pacte de Quincy », un accord tacite conclu par le Président des États-Unis Franklin Delano Roosevelt et le Roi saoudien Abdul Aziz al-Saud le 14 février 1945 à bord de l’USS Quincy, ancré dans le canal de Suez.