Bassora. Après des années de négligence de son réseau électrique, l’Irak se retrouve une nouvelle fois confronté à une crise d’approvisionnement énergétique : un comble pour un pays doté d’immenses ressources pétrolières, deuxième producteur de l’Opep avec 4,5 millions de barils par jour. Incapable de fournir plus de 68 pour cent de l’électricité dont il a besoin, le pays est contraint de s’approvisionner chez ses voisins, en particulier l’Iran. Les compagnies iraniennes ont toutefois cessé d’approvisionner l’Irak début juillet, notamment en raison d’importants impayés, de l’ordre d’un milliard et demi de dollars. D’après les autorités irakiennes, les finances nationales ont été grevées par l’effort de guerre contre l’État islamique d’une part, et par la baisse des cours du pétrole d’autre part (6).

Officiellement, l’Irak a pourtant alloué quelques 34 milliards d’euros depuis 2003 à la modernisation de ses installations électriques. Toutefois, une grande partie de cette somme aurait été détournée par des politiciens et entrepreneurs véreux, qui auraient contracté plusieurs millions d’euros de contrats fantômes (6). D’après le classement de l’ONG Transparency International, l’Irak figure au 12ème rang des pays les plus corrompus au monde (9). Un rapport parlementaire irakien indique que quelques 194 milliards d’euros auraient disparu depuis 2003 via des sociétés écrans, soit près de trois fois le budget de l’État, et plus que le PIB du pays (5). Ce phénomène n’a rien de nouveau en Irak. Sous Saddam Hussein déjà, la corruption et le népotisme étaient ancrés dans la structure sociale du pays, formant de grands réseaux et bénéficiant à une “classe dirigeante basée sur le clan” (4). En précipitant l’effondrement de l’État et des institutions irakiennes, l’intervention anglo-américaine de 2003 a aggravé la situation, alimentant chez les irakiens un profond ressentiment à l’égard d´un establishment politique perçu comme corrompu (3).

Selon la Banque centrale irakienne, l’Irak aurait dépensé 99,5 pour cent des 600 milliards d’euros de revenus pétroliers engrangés entre 2005 et 2017. Pourtant, les irakiens ont le sentiment de ne pas bénéficier des gigantesques recettes issues de l’exploitation de l’or noir, en particulier dans la province de Bassora, épicentre de la production (70 pour cent) et de l’exportation (90 pour cent) de pétrole irakien. Par conséquent, les manifestations qui ont éclaté début juillet en réaction aux pannes d’électricité à répétition se sont rapidement muées en une violente vague de contestation contre la corruption des services publics et l’impéritie de classe politique irakienne (2). Désormais diffuse et organisée, cette mobilisation est menée par un mouvement baptisé “l’Appel 88”, en référence au nombre de fois où ce groupe aurait interpellé les autorités pour signaler des affaires de corruption ou de malversations impliquant des responsables politiques irakiens (7).

Face à la bronca populaire, qui aurait fait 21 morts et plusieurs centaines de blessés depuis début juillet, le premier ministre sortant al-Abadi, dont le mandat reposait en grande partie sur la lutte contre la corruption, a engagé plusieurs mesures. Après avoir limogé son ministre de l’électricité Qassem Al-Fahdaoui le 29 juillet dernier, il a décidé d’allouer plusieurs milliards d’euros au financement d’infrastructures, dont 3 milliards dans la province de Bassora, bastion de la contestation. Toutefois, tandis que les tractations en vue de former un nouveau gouvernement s’éternisent suite aux législatives du 12 mai dernier, les manifestants se méfient des promesses faites par un gouvernement sur le départ (2).

Perspectives :

  • Une délégation irakienne de haut niveau s’est rendue fin juillet en Arabie saoudite pour discuter les termes d’une éventuelle coopération énergétique. Une visite qui n’a pas été du goût du rival iranien, désireux de maintenir son influence en Irak. D’après le porte-parole du Premier ministre irakien, un accord aurait été conclu entre la délégation irakienne et les saoudiens. Si le gouvernement irakien n’a divulgué aucune information, l’accord consisterait vraisemblablement en une livraison d’essence pour permettre l’exploitation des centrales électriques irakiennes (1).
  • A Bassora, les protestations ont causé la mort de six nouveaux manifestants le 4 septembre dernier, journée la plus meurtrière depuis le début du mouvement de contestation. Jan Kubis, représentant de l’ONU en Irak, a appelé au calme et exhorté « les autorités à éviter de recourir à une force létale disproportionnée contre les manifestants » (8).

Sources :

  1. ARWA Ibrahim, Protests in Iraq dwindle after weeks of anger, Al-Jazeera, 3 août 2018.
  2. Journée sanglante à Bassora en Irak : six manifestants tués, Boursorama, 4 septembre 2018.
  3. Fight or Flight – The Desperate Plight of Iraq’s ‘Generation 2000’, Report nº169, International Crisis Group, 8 août 2016.
  4. ISMAEL Tareq, ISMAEL Jacqueline S., Iraq in the Twenty-First Century, Regime change and the making of a failed state, Routledge, 2015.
  5. Voici le montant faramineux que le pétrole a rapporté à l’Irak depuis 2005, La Libre, 31 juillet 2018.
  6. MAKOOI Bahar, La pénurie d’électricité au coeur des manifestations en Irak, France 24, 31 juillet 2018.
  7. Irak : la grogne sociale ne faiblit pas, RFI, 2 septembre 2018.
  8. L’ONU appelle au calme après une journée sanglante dans le sud de l’Irak, RTL, 5 septembre 2018.
  9. Corruption Perceptions Index 2017, Transparency International, février 2018.