Berlin. L’Allemagne passe un été difficile. Le pays a été touché ces dernières semaines par une série d’événements qui sont en train de mettre ses nerfs à l’épreuve : la sécheresse, qui a amené les agriculteurs allemands à demander de l’aide au gouvernement de l’Union ; le raidissement des politiques migratoires, sous la pression du Ministre de l’intérieur Horst Seehofer ; la lente convalescence des entreprises automobiles touchées par le Dieselgate ; le ralentissement de l’économie ; et, enfin, le débat sur l’identité nationale, déclenché par la dénonciation du racisme dans le monde du football par le footballeur d’origine turque Mezut Özil.

La question qui revêt la plus grande importance géopolitique toutefois, est tout autre : la semaine dernière, à travers un article de Christian Hacke publié dans le Welt am Sonntag (1), le débat sur la question de savoir si l’Allemagne devait se doter de la bombe atomique s’est soudainement ravivé. La question n’est pas entièrement inédite. Elle trouve pourtant un nouvel écho en raison de la situation incertaine créée par Trump parmi les membres de l’OTAN. Au dernier sommet de l’alliance atlantique, le président américain a non seulement critiqué lourdement l’Allemagne, accusée de faire cavalier seul, mais il a également soulevé des doutes sur l’article 5 du Traité, qui prévoit l’intervention inconditionnelle des puissances de l’OTAN afin de venir en aide de n’importe lequel des alliés attaqués. Selon Trump, il faudrait s’affranchir de cette règle et faire du « cas par cas » (2).

Ces mots, replacés dans le cadre plus large d’une hostilité ouverte par Trump, ont contribué à susciter à Berlin la crainte que le soutien américain à l’Europe, pilier du système global d’après-guerre, serait en train de trouver sa propre limite, obligeant par là l’Europe (et donc l’Allemagne) à « se débrouiller toute seule ». Ainsi s’explique l’apparition soudaine de l’option nucléaire. Une possibilité qui reste cependant très éloignée : après tout, la population allemande demeure majoritairement antimilitariste, et un programme actif d’armement nucléaire aboutirait à une déstabilisation de l’ordre mondial, comme le soutient Wolfgang Ischinger, ex-ambassadeur allemand à Washington et président de la Munich Security Conference : « Si l’Allemagne prenait la liberté de renier son statut de puissance non-nucléaire, qu’est-ce qui pourrait arrêter la Pologne ou la Turquie de faire de même ? » – et ce, avec des conséquences négatives pour Berlin (3).

Pourtant, malgré le peu de probabilité d’un programme nucléaire, ce débat met en lumière un changement de la perception de l’Allemagne par elle-même, surtout si l’on se souvient d’une autre proposition lancée récemment par Annegret Kramp-Karrenbauer, Secrétaire Général de la CDU et successeur désigné d’Angela Merkel : celle de réinstaurer le service militaire obligatoire, abandonné en 2011 (3). Des réflexions liées aux préoccupations que nous évoquions plus haut pour représenter un pays en crise d’identité et qui s’interroge sur son futur, comme l’analyse The Economist cette semaine (6).

Les menaces de Trump, qui ont créé d’un seul coup une crise sans précédent dans les rapports transatlantiques en politique étrangère et dans un système économique fondé sur l’export, semblent avoir accéléré cette prise de conscience. Au-delà de la bombe, on saura mieux dire dans les prochains mois si ces bouleversements signifient l’abandon par l’Allemagne de son rôle « d’hégémon réticent » en Europe pour essayer de remplacer les États-Unis, ou si elle se refermera un peu plus sur elle-même et dans sa sphère d’influences des pays limitrophes (4). Dans les deux cas, les changements les plus importants sur l’échiquier européen ces prochaines années pourraient venir de Berlin.

Sources

  1. HACKE Christian, Eine Nuklearmacht Deutschland stärkt die Sicherheit des Westens, Welt Am Sonntag, 29 juillet 2018.
  2. HERSZENHORN David M., Trump rips into Germany at NATO chief breakfast, Politico.eu, 11 juillet 2018.
  3. ISCHINGER Wolfgang, Germany’s dangerous flirtation with nuclear weapons, Global Handelsblatt, 8 août 2018.
  4. KLUTH Andreas, In, out and down in NATO, Global Handelsblatt, 12 juillet 2018.
  5. MULLER, Hansjörg, Was hinter der deutschen Debatte über eine “allgemeine Dienstpflicht” steckt, Neue Zürcher Zeitung, 6 août 2018.
  6. Cheer up, Deutschland !, The Economist, 2 août 2018.

Giovanni Collot