Le Caire. Après une longue procédure, le Parlement égyptien a approuvé le 16 juillet (à 596 voix pour et 8 contre) une norme relative à l’immunité pénale et civile pour les hauts représentants de l’armée. Comme on pouvait le prévoir, le dispositif, qui vise à protéger de manière exclusive l’appareil de gouvernement actuellement au pouvoir (5), a, sitôt approuvé, ranimé les tensions à l’intérieur du pays, laissant présager un possible retour à la situation d’avant 2011 (c’est à dire avant le Printemps Arabe).

En l’espèce, la loi accorde une large immunité aux officiers militaires pour toute action advenue aux lendemains de la destitution du président Mohammed Morsi (29 juin – 3 juillet 2013) sous l’impulsion d’un important mouvement de protestation populaire. La loi confère à l’actuel chef de l’État Abdel Fattah al-Sisi, le droit d’accorder le statut d’“aptitude” – et donc en pratique de reconnaître leur immunité contre les éventuelles poursuites – à tous les officiers gradés impliqués au cours d’une période assez longue allant de la suspension de la Constitution le 3 juillet 2013 jusqu’au 10 janvier 2016, date à laquelle le Parlement a repris ses fonctions, dans la foulée des élections législatives d’octobre-décembre 2015. De fait, les sujets qui n’auraient pas obtenu le statut nécessaire durant la période concernée par la loi, pourront être poursuivis uniquement par le Conseil suprême des forces armées. De plus, la loi ne punit pas les auteurs d’actions violentes ou tous ceux qui sont accusés d’avoir pris part indirectement ou ordonné les répressions perpétrées sur les places du Caire au cours de l’été 2013 (1), considérant en substance que les militaires ne pouvaient s’en tenir à la loi ordinaire en de telles circonstances extraordinaires. Sur la base du nouveau dispositif, les officiers nommés par al-Sisi resteront officiers de réserve à vie, et bénéficieront de vastes privilèges, parmi lesquels l’immunité diplomatique à l’étranger. Une initiative destinée à protéger ces hommes d’éventuelles accusations de crimes contre l’humanité devant les instances internationales (3).

L’approbation de cette loi, qui représente une forme sélective et arbitraire d’amnistie politique, s’inscrit dans une marche bien réglée, qui a déjà mené à l’entrée en vigueur de lois garantissant privilèges et libertés discrétionnaires aux militaires égyptiens. Sans oublier, en outre, que la nouvelle Constitution elle-même, approuvée par référendum en janvier 2014, inclut plusieurs articles fortement favorables aux membres de la police, des services militaires et du renseignement national. Ces textes (articles 203, 204 et 234) ont renforcé le rôle prééminent des forces armées, accordé aux tribunaux militaires un pouvoir judiciaire sur les civils, ainsi que les plein pouvoirs dans le contrôle du budget d’une partie de l’armée, laissant, in fine, une large autonomie au Conseil suprême des forces armées dans la nomination du ministre de la Défense, qui peut par conséquent être vu comme son émanation sur la scène politique.

Tout comme pour les précédents dispositifs jugés liberticides par les principales ONG internationales, cette loi a été amplement critiquée par les organisations de défense des droits de l’homme ; celles-ci ont régulièrement accusé l’establishment au pouvoir de violer les libertés civiles et de réprimer, y compris avec violence, les oppositions, que ce soit celle des partis ou des syndicats. Selon Human Rights Watch, entre octobre 2014 et septembre 2017, les autorités égyptiennes ont poursuivi devant les tribunaux militaires au moins 15 500 civils, parmi lesquels plus de 150 enfants (4).

Perspectives :

  • En plus d’être un instrument de cooptation, la nouvelle loi est surtout un instrument politique visant à faire taire toute forme d’opposition intérieure à l’appareil du pouvoir
  • Comme beaucoup le conjecturent en Egypte, la nouvelle loi est seulement une énième mesure de garantie pour al-Sisi en vue d’un unique objectif : l’élimination de la limite au nombre de mandats dans l’exercice de la plus haute charge de l’État. Dans le cas où il voudrait éliminer tout adversaire jugé potentiellement dangereux dans le cadre d’une future compétition électorale, le président aurait alors l’opportunité d’utiliser cette loi reconnaissant au sujet en question le statut de militaire à vie.

Sources :

  1. Au lendemain de la déposition de Mohammed Morsi ont eu lieu dans le pays de violentes répressions sur les places publiques, parmi lesquelles les plus tristement célèbres sont celles de Raba’a al-Adawiya et al-Nahda al Cairo, qui causèrent, selon les chiffres officiels, plus de 800 victimes au cours des seules journées du 14 et 15 août 2013. Les victimes étaient pour la plupart des sympathisants et des hommes liés aux Frères Musulmans, mais au cours de ces actions ont également été emprisonnées ou même tuées diverse personnes neutres, parmi lesquelles des journalistes ou des activistes des droits de l’homme.
  2. Constitution égyptienne de 2014.
  3. GALAL Rami, Sisi grants privileges, immunity to Egypt’s military brass, al-Monitor, 11 juillet 2018.
  4. Pour un panorama plus complet sur la question des droits de l’homme et de ses violations, nous conseillons la lecture du rapport de Human Rights Watch.
  5. Egypt passes law that could shield top military brass from prosecution, Reuters, 16 juillet 2018.

Giuseppe Dentice