Le printemps yéménite, un soulèvement populaire initié en 2011 par la jeunesse révolutionnaire, a poussé le président au long cours Ali Abdallah Saleh (1978-2011) à céder sa place à son vice-président Abderabuh Mansur Hadi, chargé de mener une transition politique (3). Fin 2014, ce dernier fut à son tour contraint de démissionner face à la pression politique du mouvement houthiste, une rébellion de confession zaïdite, branche minoritaire de l’islam chiite représentant 42 % de la population yéménite. Renonçant finalement à la démission, le président Hadi, réfugié entre-temps à Aden, cherche depuis lors à reconquérir le pouvoir. Ces tensions firent éclater une guerre civile opposant les forces gouvernementales pro-Hadi à une improbable alliance entre houthistes et partisans de Saleh, pourtant ennemis d’hier. Le conflit qui ravage actuellement le pays s’explique en grande partie par cette fragmentation de la structure politique interne au Yémen (4).

Toutefois, si l’impasse politique constitue un des facteurs explicatifs de ce conflit, la crise yéménite s’inscrit également dans un contexte régional tendu. Conscients de l’ampleur que prend la rébellion houthiste, par ailleurs soupçonnée de bénéficier du soutien du grand rival iranien, l’Arabie Saoudite et les Emirats arabes unis ont formé en 2015 une coalition régionale réunissant dix pays arabes sunnites. Les offensives aériennes et les opérations menées par voie terrestre et maritime visent non seulement à replacer Hadi à la tête du pays, mais également à affirmer le statut de puissance régionale de Riyad. Si cette lecture régionale est nécessaire pour appréhender correctement le conflit yéménite, elle s’avère toutefois insuffisante pour l’expliquer pertinemment. En effet, malgré l’implication indéniable de certains acteurs régionaux, ce sont essentiellement “les rivalités entre les élites yéménites qui expliquent la guerre“ (3).

Si l’origine de la crise yéménite s’explique principalement à l’échelle locale, son enlisement peut quant à lui être imputé, du moins en partie, aux pays occidentaux. Tout d’abord passifs dans la gestion du conflit, ces derniers sont aujourd’hui impuissants à le résoudre. En effet, ne parvenant pas à déterminer dans quel camp réside la légitimité politique au Yémen, les occidentaux ont, depuis le début du conflit, laissé les clés du dossier yéménite à l’Arabie Saoudite. Ces derniers ne peuvent aujourd’hui que constater le désastre politique découlant de l’option “tout militaire“ choisie par Riyad (2). Faisant par ailleurs fi de la gestion humaine de la crise yéménite, l’intervention de la coalition a précipité “la plus grave crise humanitaire de la planète”, selon le Coordonnateur des secours d’urgence des Nations Unies (6). Face à ce constat alarmant, l’Union Européenne a rappelé qu’“il ne saurait y avoir de solution militaire au conflit“ (5). L’UE soutient par ailleurs l’initiative de l’envoyé spécial des Nations Unies, Martin Griffiths, visant à trouver une solution politique inclusive à cette crise multiforme.

Perspectives :

  • Les estimations a minima font état de plus de 10.000 morts liés à la guerre en 3 ans. La crise humanitaire et sanitaire se poursuit également : 22 millions de personnes ont besoin d’une aide humanitaire vitale (1).
  • Le 27 juin dernier, Paris a organisé une conférence humanitaire sur le Yémen. Plusieurs ONG ont dénoncé l’ambiguïté de la position française dans ce conflit, en raison des liens qui unissent Paris à Riyad (7). En l’absence de ministres étrangers et d’ONG, la conférence s’est limitée à l’intervention de certains experts. La crédibilité et l’utilité de cette conférence ont donc été interrogées.
  • L’offensive militaire d’Hodeidah, lancée le 13 juin, a par ailleurs bousculé l’agenda de cette conférence. La ville d’Hodeidah représente un nouvel enjeu stratégique, tant d’un point de vue militaire que diplomatique et humanitaire. C’est en effet par cette ville portuaire, point d’entrée de l’essentiel des importations yéménites, que transite l’aide humanitaire. Le 1er juillet, Anwar Gargash, ministre des Affaires étrangères des Émirats arabes unis, a officialisé un arrêt provisoire des opérations dans cette ville contrôlée par les Houthis, afin de laisser la possibilité à Martin Griffiths de négocier le contrôle d’Hodeidah. Cependant, la perspective d’une solution négociée reste encore floue.

Sources :

  1. ولد الشيخ : الحالة الإنسانية في اليمن مروعة, Al Jazeera, 12 juillet 2017.
  2. ARAROU Chakib, Entretien avec François Burgat – Quelle situation au Yémen à la veille de la conférence humanitaire co-organisée par le France et l’Arabie Saoudite à Paris ?, Les Clés du Moyen-Orient, 26 juin 2018.
  3. BONNEFOY Laurent, Pourquoi la guerre au Yémen ?, Orient XXI, 10 avril 2017.
  4. BURGAT François, De l’Arabie heureuse au Yémen en transition, Le Monde Diplomatique, septembre 2014.
  5. Conseil de l’Union Européenne, Communiqué de presse 10369/18, Conclusions du Conseil sur le Yémen, 25 juin 2018.
  6. Réunion du Conseil de Sécurité des Nations Unies, CS/12748, 10 mars 2017.
  7. Yémen : Paris organise une conférence humanitaire a minima, France 24, 27 juin 2017.

Pour aller plus loin :

  1. BONNEFOY Laurent, Le Yémen. De l’Arabie heureuse à la guerre, Fayard, 2017