Le mercredi 16 mai, S. E. M. l’Ambassadeur du Portugal en France Jorge Torres Pereira a reçu le GEG Méditerranée, qui l’en remercie chaleureusement, dans son bureau niché au cœur de l’Ambassade rue de Noisiel. Débutant et concluant l’entretien par des considérations sur le présent et le futur de la lusophonie, il a exposé à quel point la politique étrangère du Portugal est multiscalaire puisqu’elle possède des dimensions européenne, atlantique, méditerranéenne et, surtout, globale.
Groupe d’études géopolitiques. – Le 27 avril dernier la France a officiellement présenté sa candidature à la Communauté des pays de Langue Portugaise (CPLP), pouvez-vous nous éclairer sur les liens politiques entre la France et le Portugal ?
Jorge Torres Pereira. – J’étais présent quand le Ministre de l’Europe et des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian est allé à Lisbonne pour le rassemblement annuel des Ambassadeurs portugais avec notre Premier ministre. L’orateur de cet évènement était M. Le Drian, ce qui est déjà une demi réponse puisque ce sont les partenaires pour qui on a une très grande confiance que l’on invite pour être orateur principal devant tous les ambassadeurs réunis. En janvier dernier, nous avons eu une réunion bilatérale entre les deux ministres (des Affaires étrangères) et c’est là qu’ils ont mûri cette idée de contacts plus étroits entre ces les grandes organisations linguistiques que sont l’Organisation internationale de la Francophonie et la Communauté des Pays de la Langue Portugaise.
Le Ministre a annoncé dans son intervention devant les Ambassadeurs la volonté de la France d’être observateur de la CPLP, le raisonnement étant que le Portugal fera l’effort d’être observateur de l’OIF. Je crois que le message le plus important à souligner est cette idée qu’il faut combattre un monisme linguistique et travailler pour la diversité linguistique dans l’organisation de notre système international. Ce que la France et les pays francophones font entre eux dans l’OIF conduit à des coopérations entre Etats démocratiques et à un partage de valeurs qui sont assez semblable à ce que le Portugal et les pays lusophones font entre eux dans le contexte de notre communauté linguistique. Il y a donc des points de contacts, sur ce que l’on pourrait faire en Afrique notamment, et donc je crois que c’est disons un symptôme assez clair de l’étroitesse des relations entre le Portugal et la France.
Mon président a donné une interview en affirmant que le Portugal avait les bras grands ouverts pour accueillir la France en tant qu’observateur au sein de la CPLP.
En avril dernier au Sénat au sein du groupe interparlementaire d’amitié Franco-Portugal a été notamment abordé le miracle économique portugais. Comment expliquez-vous ce miracle et quelles leçons peuvent en être tirées pour l’Europe ?
Ce qui est clair maintenant c’est que la crise de la dette souveraine que nous avons connue a représenté un moment de constat : il fallait changer de paradigme pour essayer de dépasser certaines insuffisances structurelles de l’économie portugaise. Je crois que l’un des aspects les plus marquants est le poids que les exportations occupent maintenant dans notre production nationale, c’est-à-dire que les entrepreneurs, les personnes confrontées à une situation de crise grave ont compris qu’il fallait faire un peu plus, qu’il fallait sortir de la zone de confort des marchés habituels d’exportation, qu’aucun marché n’était inintéressant. Il est très important que beaucoup d’entreprises, qu’en France on appellerait très petites entreprises (TPE), ont compris qu’il fallait être présent internationalement.
L’internationalisation de l’économie portugaise et les exportations est une des explications de ce « miracle économique ». Elles se sont combinées avec un autre atout que le Portugal possède depuis des années, celui d’être une destination touristique. Ce sont tous ces éléments qui ont donné le contraire d’une tempête parfaite : tous les facteurs se sont vertueusement conjugués. Les infrastructures sont devenues mieux adaptées à l’essor touristique. D’un point de vue de la sécurité et de la tranquillité civile, la donne est toujours la même pour nous mais ce qui est arrivé dans d’autres lieux a souligné l’importance de ce côté-là. Et puis il y a l’effet de mode ! Il y a quelques années, il y avait des touristes français au Portugal évidemment mais rienne laissait présager qu’en 2017 ils seraient plus de trois millions.
Puis d’un autre côté il y a une communauté portugaise ou lusodescendante importante dans plusieurs pays, la France étant l’exemple le plus important. Et cela a commencé à porter ses fruits lorsque ces générations deviennent des entrepreneurs et ont des réseaux de contact dans les pays d’accueil, et évidemment également au Portugal. Tout cela a contribué à l’essor de notre activité économique. Donc on a une solution politique de gouvernement au Portugal qui a très bien marché, il y a l’équilibre institutionnel qui fait qu’il y a aussi une continuité, une tranquillité, une stabilité politique pour l’application des réformes structurelles. C’est cela, en termes généraux, l’explication du fameux miracle économique.
Historiquement, le Portugal garde des liens très fort avec ses anciennes colonies, le Brésil en tête. Néanmoins aujourd’hui l’on voit apparaître des liens importants notamment économiques entre la Chine et le Portugal. Comment les expliquer et peuvent-ils représenter une menace ?
Vous savez j’ai été ambassadeur en Chine pendant presque cinq ans et je crois qu’il est surtout intéressant de relever comment les deux parties de votre question s’articulent car l’intérêt de la Chine pour le Portugal d’un point de vue économique ne peut pas se comprendre sans le fait que le Portugal est considéré comme un hub, une plateforme, pour les pays de langue portugaise. Les deux choses sont donc liées.
Le début d’un intérêt des investissement chinois importants au Portugal fin 2011 et en 2012, ont une explication connue : on était dans un processus d’aide financière internationale avec notamment le FMI qui nous conseillait de privatiser des portions de capital de l’Etat qui existaient dans de grandes entreprises et notamment dans le secteur de l’énergie. Le Portugal représentait un atout important pour les Chinois qui ont trouvé l’offre intéressante. Grâce à une proposition transparente et ouverte, ils ont gagné le concours pour une participation par exemple à Energie du Portugal et au réseau de transport d’électricité et dans le secteur de l’assurance. Mais les Chinois, tout en étant intéressés parce que l’opportunité avait surgi d’un autre côté, se sont rendu compte que ce n’était pas qu’un marché assez petit de quelques millions d’habitants. Le fait qu’on soit un pays de l’Union européenne, qu’on ait en outre des relations très importantes avec le Brésil et l’Afrique lusophone, tout cela a joué vraiment son poids. Par exemple, il y a aussi des investissements importants dans le secteur pétrolier au Brésil. LesChinois sont aussi présents du point de vue énergétique en Angola, ils s’intéressent également au gaz du Mozambique.
Tout cela faisait sens. Et nous, nous ne voyons aucune incompatibilité. Nous sommes une économie ouverte, tous les investissements se font en transparence comme cela a été le cas dans des appels internationaux. Il n’y a aucune discrimination, les règles sont connues et donc on a évidemment avec la Chine une relation qui n’est pas d’hier ou d’avant-hier. Même si on a établi assez tardivement des relations diplomatiques avec la République Populaire de Chine, puisqu’il a fallu attendre la révolution des œillets et la démocratie au Portugal, nous avons au travers de Macao des relations qui datent du XVIe siècle. Notre rapport avec la Chine n’est pas exactement le même que d’autres et tout ce qui s’est passé avec Macao a été très important pour comprendre pourquoi on a d’excellentes relations avec la Chine.
En référence aux liens historiques entre le Royaume-Uni et le Portugal, quels changements après le Brexit ?
Nous partageons avec le Royaume-Uni la même vision atlantique du monde : notre côte portugaise de plusieurs centaines de kilomètres a toujours regardé vers l’Atlantique. Notre histoire a plutôt été de ne pas trop se mêler des affaires de l’intérieur du continent. En plus, pour arriver à l’Europe qui est au-delà des Pyrénées, il fallait rencontrer notre voisin, l’Espagne, qui nous a beaucoup occupé dans notre histoire. A un moment donné, nous avons fait le choix de l’outre-mer, ce qui explique notre expansion et notre empire colonial. Le retour à l’Europe avec la démocratie et l’intégration dans l’Union européenne était d’une certaine façon un recentrage de ce qui était notre position, notre curiosité du point de vue des relations extérieures. Mais dans ce recentrage, on ne pourra jamais perdre le fait que nous étions très proche des Anglais dans la vision de l’importance de la dimension atlantique. Ce que notre gouvernement souligne, c’est notre espoir qu’en dépit du Brexit, nous aurons toujours un rapport très étroit et que le partage de cette vision ne cessera pas. Et ce qu’on voit se dessiner dans le futur pour ce qui est des rapports, en termes par exemple de sécurité et de défense, entre le Royaume-Uni et l’UE, découlera à mon avis du fait que l’on est allié dans le cadre de l’OTAN. On est sûr que l’on arrivera, cette situation sera prise en compte avec l’importance qu’on lui attribue.
Vous avez parlé de la façade Atlantique, la transition est parfaite car le Portugal n’a pas de façade méditerranéenne mais il fait partie de l’Union pour la Méditerranée et du 5+5. Quelle est la nature du lien qui unit le Portugal et la Méditerranée ?
En effet, comme la Méditerranée commence avec les Colonnes d’Hercules, la côte sud de l’Algarve n’en fait pas partie mais si vous avez une analyse plus scientifique, le climat, la nature de la végétation, les cultures qui se sont succédées pendant des siècles, on peut dire évidemment que le sud du Portugal comme le sud de l’Espagne avant les colonnes d’Hercules représentent aussi une partie de la grande civilisation méditerranéenne. Du fait de l’histoire, nous avons également des relations très anciennes avec les pays du bassin sud de la Méditerranée qui expliquent notre présence dans le format 5+5. Nous avons une dimension atlantique et simultanément méditerranéenne. D’ailleurs, il en va de même pour la France : vous avez des côtes méditerranéennes pas réellement de la même nature que les côtes des Flandres jusqu’au Pays basque, des paysages et des topologies différentes. On a des rapports politiques importants avec ces cinq Etats de la partie sud de la méditerranée et je crois qu’on donne un apport assez intéressant dans ces discussions parce qu’on n’a pas eu une véritable présence coloniale récente. D’un autre côté on a aussi une dimension qui est plus facile de gérer quand on a des rapports avec d’autres pays.
Le Portugal est un pays européen tourné à la fois vers l’Amérique du Sud et la Méditerranée. Pour le Ministère des Affaires étrangères portugais, où sont les grands enjeux géopolitiques ?
Je dois dire que d’un côté il y a une préoccupation là où la diaspora est présente, cela est assez prioritaire. Les pays de langue portugaise sont aussi une très grande priorité pour les gouvernements de tous temps car cela représente la défense d’un atout absolument stratégique pour nous qui est la langue portugaise. C’est la langue la plus parlée de l’hémisphère sud, c’est la troisième langue d’internet. C’est de plus en plus une langue qui a une forte valeur économique et donc c’est pour nous un enjeu stratégique de faire comprendre l’importance que la langue portugaise a déjà et aura encore plus dans le futur. Les projections démographiques de la croissance de population en Afrique nous parlent, à la fin du siècle, de 500 millions de lusophone. Et d’un autre côté, on a notre axe atlantique avec nos relations dans le contexte de l’OTAN et avec les Etats-Unis notamment. Et on est un pays qui a je crois, cela peut paraître un peu vaniteux d’un pays aussi petit que le Portugal, une approche globale. C’est pour ça que vous trouvez un secrétaire général des Nations Unies qui est portugais par exemple, parce qu’on a toujours eu cette présence, cette curiosité dans tous les sens. Des ponts qui s’établissent facilement, non seulement en Afrique et en Amérique latine mais aussi en Asie et dans l’espace austral. Cette approche globale signifie qu’on ne peut pas dire qu’on ne s’intéresse qu’à certaines zones particulières. Evidemment, le plus important, mais c’est déjà de la politique presque interne au Portugal, c’est notre participation à la construction européenne.
La journée de la langue portugaise de la CPLP a été fêtée à l’Ambassade du Brésil cette année 2018. Le Brésil supplante-t-il aujourd’hui le Portugal dans la perception du portugais ?
Le fait que la journée de la lusophonie se tenait à l’ambassade du Brésil a une explication très simple : le Brésil occupe en ce moment la présidence de la Communauté des Pays de Langue Portugaise. Tout simplement cela. Il y a eu deux ans c’était le Mozambique, donc quand il y a des évènements dans le contexte des évènements de la CPLP le pays qui occupe la présidence de l’organisation a une responsabilité propre d’organisation des évènements dans le contexte de leur présidence.
D’ailleurs c’est aussi un bon exemple de fraternité lusobrésilienne de voir comment on entretient des rapports très spéciaux. L’ambassadeur du Brésil a dû voyager pendant l’évènement et m’a demandé d’être le maître de cérémonie pour cet évènement : ce n’est pas très banal de faire cela ! Et je crois qu’envers la langue portugaise on n’a pas de notion disons exclusive ou de tentation de se resserrer dans sa propre sphère d’action. Il y a quelques années, il y avait peut-être des rivalités et des centres culturels qui s’excluaient un peu mais maintenant ce qui nous intéresse est de mettre en réseau, en commun tous nos efforts pour souligner l’importance de la langue, pour avoir des cours de portugais. Nous ne sommes pas du tout en concurrence avec le Brésil.
Pour répondre directement à votre question, le Portugal fait encore un effort financier international en ce qui concerne l’enseignement de la langue portugaise dans le monde plus important que le Brésil. Nous aimerions que le Brésil dépense plus. Moi qui viens de Chine, je constate qu’il y a 10 ans, il y avait quatre universités qui y enseignaient le portugais, et désormais 36. Et donc les étudiants font 2 ans en Chine et font toujours une troisième année dans un pays de langue maternelle portugaise avant de retourner en Chine et ce pays peut être le Portugal, le Brésil comme dans le futur cela sera également le Mozambique et l’Angola. Nous nous y mettons tous pour augmenter l’offre et pour la voir correspondre avec l’augmentation de la demande d’apprentissage de la langue portugaise
Propos recueillis par Antoine Rodrigues