Berlin. L’Allemagne est peut-être le pays européen le plus impliqué dans le tremblement de terre diplomatique provoqué par le président Trump, précisément en raison de la nature « spéciale » de ses relations avec les Etats-Unis, fondées sur des liens historiques réaffirmés par le rôle américain dans la réunification, sur la confiance dans la faible probabilité d’un retrait militaire américain et sur relations commerciales essentielles (9). Cependant, en ce qui concerne les relations avec la Russie, la distance entre les intentions et les objectifs géopolitiques allemands et américains, distance déjà apparue sous les présidences Bush et Obama et qui est maintenant exacerbée par la politique de Trump, met le nouveau gouvernement Merkel à l’épreuve. Le défi relevé par Heiko Maas, ministre des Affaires étrangères du quatrième gouvernement de la Chancelière, est donc double : continuer à rassurer et à soutenir les Etats-Unis sur les points forts de l’alliance avec l’Europe de l’Est (l’indépendance de l’Ukraine et des pays baltes et la limitation de l’agressivité russe) et en même temps chercher un canal de communication avec Poutine.

Une tentative soutenue certainement par l’opinion publique allemande, de plus en plus anti-américaine (6), mais qui pour l’instant ne représente pas une déchirure (2) par rapport à la méfiance mutuelle qui, depuis de 2014 environ, caractérise les relations entre les deux pays. La preuve en est la réaction allemande à l’affaire Skripal (1) et la méfiance qui a également marquée la dernière rencontre entre Poutine et Merkel (10), à la recherche d’un moyen pour sauver l’accord avec l’Iran. Cette recherche d’un dialogue avec les Russes montre que la politique étrangère du gouvernement allemand suit un chemin étroit, résultat de l’ambiguïté du texte de l’accord avec le SPD (7) et de l’absence d’une vraie confrontation sur le sujet entre les factions, très polarisées et présentes dans les deux partis de la Grosse Koalition (4).

La conséquence de cette ambiguïté est une stratégie « énergétique » peu claire. Cette stratégie se partage entre les promesses faites à l’Ukraine, il y a un mois et demi, et la tentation, soutenue par les groupes industriels allemands (5), de ne pas compromettre la construction du nouveau gazoduc Nord Stream 2 (3) ainsi que les relations avec les pays baltes, visités en avril par Maas (8) (immédiatement après avoir rencontré le ministre russe Lavrov), pays à la recherche d’une confirmation, encore incertaine, de leur sécurité. Dans l’attente de comprendre quelles seront les caractéristiques de la « doctrine Maas », l’ambivalence allemande sera critiquée à la fois de l’extérieur et de l’intérieur.

Perspectives :

  • La construction du gazoduc Nord Stream 2 débutera en juillet prochain, après les travaux préparatoires de ce mois-ci. Gazprom envisage de donner le feu vert à la fourniture de gaz d’ici fin 2019.
  • Le gouvernement allemand a soutenu vendredi dans une déclaration la position des Pays-Bas et de l’Australie, en demandant justice pour l’abattage du vol 17 de Malaysia Airlines le 17 juillet 2014, qui a provoqué la mort de 298 personnes, dont 4 Allemands. Le groupe d’enquêteurs internationaux a conclu que le missile qui a abattu l’avion provenait très probablement d’une base militaire russe. Le porte-parole Martina Fietz a déclaré qu’une décision serait prise dès que possible concernant la présence de membres du gouvernement allemand à la Coupe du monde en Russie le mois prochain.

Sources :

  1. BARK, Tobias, German foreign minister Heiko Maas makes waves, Financial Times, 29 mars 2018.
  2. DONAHUE, Patrick, ARKHIPOV, Ilya, Rapprochement With Russia Is Now a Core Policy Objective for Germany, Bloomberg, 18 mai 2018 : selon Bloomberg, une déchirure déjà en cours.
  3. Germany and the US disagree over Russia’s new Nord stream 2 pipeline, Euronews, 18 mai 2018.
  4. Dans le SPD, la position de l’ancien ministre Sigmar Gabriel, qui a appelé en décembre dernier à une « nouvelle Ostpolitik européenne », est très forte : GABRIEL, Sigmar, Europe in a less comfortable world (de : Europa in einer unbequemeren Welt), discours, Körber Foundation Forum Aussenpolitik, Berlin, 5 décembre 2017.
  5. Russisches Gas ist Teil eines diversifizierten europäischen Energiemixes, German Committee on Eastern European Economic Relations, 10 avril 2018.
  6. Einmischen oder zurückhalten ? Körber Foundation, Berlino, 2017 : cette enquête réalisée en décembre par la Fondation Körber montre que, en matière de défense et de politique étrangère, 88 % des personnes interrogées est d’accord pour favoriser les partenaires européens plutôt que les États-Unis. Große Mehrheit : USA kein verlässlicher Partner, ZDF Politbarometer, 18 mai 2018 : cette autre enquête publiée la semaine dernière a révélé que seulement 14 % des Allemands interrogés considèrent les Etats-Unis comme un « partenaire fiable » ; en revanche 36 % et 43 % considèrent comme un « partenaire fiable » respectivement la Russie et la Chine.
  7. Un point très bien éclairé par l’expert John Lough, dans sa dernière intervention pour Chatham House. : LOUGH, John, Germany’s Russia Policy Shows No Signs of Softening, Chatham House, 4 avril 2018.
  8. SAUERBREY, Anna, Germany’s New Face in Foreign Affairs, New York Times, 22 mai 2018.
  9. US relations with Germany, Bureau of European and Eurasian Affairs, US Department of State, fact sheet, 21 décembre 2016. Les États-Unis constituent le marché le plus important pour les exportations allemandes ; l’Allemagne est, en Europe, le principal partenaire commercial des États-Unis.
  10. VON DER MARK, Fabian, Six stumbling blocks in German-Russian relations, Deutsche Welle, 17 mai 2018 ; Germany’s Angela Merkel meets Russia’s Vladimir Putin, Deutsche Welle, 18 mai 2018.