{"id":99757,"date":"2021-02-12T19:47:53","date_gmt":"2021-02-12T18:47:53","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=99757"},"modified":"2021-02-12T20:04:14","modified_gmt":"2021-02-12T19:04:14","slug":"la-vocation-politique-de-mario-draghi","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2021\/02\/12\/la-vocation-politique-de-mario-draghi\/","title":{"rendered":"La vocation politique de Mario Draghi"},"content":{"rendered":"\n
On continue \u00e0 comprendre la nomination de Mario Draghi<\/a> dans une perspective purement technique. C\u2019est une erreur. L’insistance sur le solutionnisme technocratique<\/a>, par certains c\u00f4t\u00e9s probl\u00e9matique, qui pr\u00e9side \u00e0 cette nomination susceptible de court-circuiter l’inad\u00e9quation de la classe politique italienne contemporaine, risque de n\u00e9gliger la dimension hautement politique, profond\u00e9ment constitutionnelle, du gouvernement naissant.<\/p>\n\n\n\n On ne s’en est sans doute pas rendu compte \u00e0 cause de la duret\u00e9 du contexte dans lequel nous vivons depuis pr\u00e8s d’un an, mais la nomination de Mario Draghi intervient dans un moment exceptionnel, d\u2019urgence aigu\u00eb. Dans la prise de parole du pr\u00e9sident Mattarella, qui confie \u00e0 l’ancien pr\u00e9sident de la BCE<\/a> la mission de former un gouvernement – comme dans celui de Mario Draghi – le mot \u00ab urgence \u00bb assume un r\u00f4le crucial. Draghi attribue sa propre nomination \u00e0 un argument qu’il attribue explicitement \u00e0 Mattarella : \u00ab la conscience de l’urgence exige des r\u00e9ponses \u00e0 la hauteur de la situation \u00bb <\/span>1<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\n L’urgence qui motive la nomination de Draghi ne doit pas \u00eatre rattach\u00e9e uniquement \u00e0 la pand\u00e9mie. La crise profonde du syst\u00e8me politique italien est ant\u00e9rieure et durable, bien qu\u2019elle ait \u00e9t\u00e9 fortement embras\u00e9e par le Covid-19<\/a>. Dans la convulsion de la crise sanitaire, \u00e9conomique, politique et institutionnelle que traverse la R\u00e9publique italienne, personne ne peut d\u00e9sormais douter qu\u2019il existe un risque r\u00e9el qu’une force d’extr\u00eame droite avec un ascendant fasciste puisse d\u00e9terminer dans un futur assez proche le gouvernement du pays, en sortant la vie politique italienne de la forme r\u00e9publicaine et du processus d’int\u00e9gration europ\u00e9en.<\/p>\n\n\n\n Le r\u00f4le que le Pr\u00e9sident de la R\u00e9publique a con\u00e7u pour Mario Draghi devrait donc \u00eatre lu \u00e0 partir de ses pr\u00e9rogatives constitutionnelles vis-\u00e0-vis de cette urgence. \u00c0 cet \u00e9gard, il convient de rappeler que la Constitution italienne proclam\u00e9e en 1948 et qui reste en vigueur encore aujourd\u2019hui a \u00e9t\u00e9 fortement orient\u00e9e contre la retour \u00e9ventuel de toute force fasciste au pouvoir. L’esprit de la Constitution ne contemple donc pas simplement le risque existentiel que traverse la R\u00e9publique, elle exige une r\u00e9ponse.<\/p>\n\n\n\n L’action du Pr\u00e9sident de la R\u00e9publique peut donc se situer dans cet \u00e9tat d’urgence o\u00f9 Mario Draghi devient l\u2019option principale pour emp\u00eacher l’av\u00e8nement du sc\u00e9nario limite contre lequel la m\u00eame Constitution a \u00e9t\u00e9 con\u00e7ue.<\/p>\n\n\n\n D’o\u00f9 la n\u00e9cessit\u00e9 d’un gouvernement non pas tant d’unit\u00e9, ou de salut national, mais dot\u00e9 d\u2019une autre ambition bien plus difficile \u00e0 atteindre : la reconstitution d\u2019un espace institutionnel capable de conduire, dans un contexte de volatilit\u00e9 parlementaire absolue et de liqu\u00e9faction des partis, le jeu des forces politiques vers un centre de gravit\u00e9 r\u00e9publicain en leur proposant de participer, en se transformant, \u00e0 la reconfiguration de l\u2019espace politique.<\/p>\n\n\n\n La r\u00e9action des partis montre que ce processus reconstituant est en acte. \u00c0 la seule exception des Fratelli d’Italia<\/em>, un parti qui s’est plac\u00e9 \u00e0 plusieurs reprises dans une relation ambigu\u00eb avec l’histoire du Parti fasciste italien, toutes les forces politiques parlementaires ont accept\u00e9 ce nouveau d\u00e9part, en \u00e9tant par l\u00e0 amen\u00e9es \u00e0 s\u00e9lectionner des personnalit\u00e9s pour participer \u00e0 l’initiative gouvernementale et \u00e0\u00a0marginaliser les positions les plus extr\u00eames. L’impact politique de cette transition ne doit pas \u00eatre sous-estim\u00e9 : la Ligue<\/a> et le Mouvement des 5 \u00e9toiles<\/a>, qui ont encore r\u00e9cemment milit\u00e9 pour la sortie de l’euro, soutiennent d\u00e9sormais en tant que Pr\u00e9sident du Conseil, l’homme du \u00ab quoi qu’il en co\u00fbte<\/a> \u00bb. Leur inclusion conduit ainsi \u00e0 une transformation consensuelle et d\u00e9mocratique.<\/p>\n\n\n\n Pour consolider cette dynamique, Mario Draghi a explicitement d\u00e9crit l’orientation fondamentale qu’il entend imprimer \u00e0 son initiative ex\u00e9cutive : son gouvernement sera appel\u00e9 \u00e0 utiliser les \u00ab ressources extraordinaires de l’UE<\/a> \u00bb pour saisir \u00ab l’occasion de faire beaucoup pour le pays en pensant \u00e0 l’avenir des jeunes g\u00e9n\u00e9rations et au r\u00e9tablissement de la coh\u00e9sion sociale \u00bb. Draghi m\u00e8nera sans doute de mani\u00e8re pragmatique des politiques \u00e9conomiques de protection, de soutien et de relance, en essayant de r\u00e9cup\u00e9rer, par exemple, le vote de des petits entrepreneurs du nord-est repr\u00e9sent\u00e9es dans la Ligue par le courant \u00ab romanis\u00e9 \u00bb de Giorgetti (nomm\u00e9 puissant ministre du D\u00e9veloppement \u00e9conomique) ou de celui des ch\u00f4meurs plus ou moins jeunes du sud qui ont vu dans le \u00ab revenu de citoyennet\u00e9 \u00bb une bou\u00e9e de sauvetage.<\/p>\n\n\n\n En ce sens, et d’une mani\u00e8re analogue \u00e0 ce qu’a fait le gouvernement Ciampi en 1993, qui avait sanctionn\u00e9 la naissance de celle qu\u2019on appelle \u00ab la deuxi\u00e8me r\u00e9publique \u00bb, ce gouvernement pourrait \u00eatre destin\u00e9 \u00e0 promouvoir un programme d’urgence dans le cadre d\u2019un agenda europ\u00e9en \u00e9largi qui permettra aux diff\u00e9rents partis et \u00e0 leurs dirigeants de repenser leurs responsabilit\u00e9s, leurs m\u00e9thodes et leurs priorit\u00e9s.<\/p>\n\n\n\n