{"id":93233,"date":"2020-12-02T18:05:27","date_gmt":"2020-12-02T17:05:27","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=93233"},"modified":"2020-12-02T18:05:35","modified_gmt":"2020-12-02T17:05:35","slug":"les-enseignements-operationnels-de-la-guerre-du-haut-karabakh","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2020\/12\/02\/les-enseignements-operationnels-de-la-guerre-du-haut-karabakh\/","title":{"rendered":"Les enseignements op\u00e9rationnels de la guerre du Haut-Karabakh"},"content":{"rendered":"\n
Le 10 novembre 2020, l\u2019Azerba\u00efdjan et l\u2019Arm\u00e9nie signaient sous l\u2019\u00e9gide de la Russie un accord mettant fin aux hostilit\u00e9s dans le Haut (ou Nagorno) \u2014 Karabakh. Apr\u00e8s six semaines de guerre, l\u2019Azerba\u00efdjan reprenait le contr\u00f4le des sept districts peupl\u00e9s d\u2019Az\u00e9ris et de Kurdes qui \u00e9taient occup\u00e9s par les Arm\u00e9niens depuis 1994. Elle recevait \u00e9galement le droit de maintenir ses forces arm\u00e9es dans les territoires conquis, dont le district de Chouchi qui commande le corridor \u00e9troit de Lachine entre l\u2019Artsakh, selon l\u2019appellation arm\u00e9nienne du Nagorno-Karabakh, et l\u2019Arm\u00e9nie. Elle obtenait enfin un acc\u00e8s libre \u00e0 travers le territoire de l\u2019Arm\u00e9nie jusqu\u2019au Nakhitchevan, son enclave jouxtant la fronti\u00e8re avec l\u2019Iran. La Russie s\u2019engageait de son c\u00f4t\u00e9 \u00e0 d\u00e9ployer 2\u2009000 soldats sur place dans une mission d\u2019interposition et de maintien de la paix. Si l\u2019Artsakh survivait comme entit\u00e9 politique au statut des plus flous, son existence \u00e9tait largement menac\u00e9e \u00e0 terme. Il s\u2019agissait l\u00e0 de gains consid\u00e9rables pour l\u2019Azerba\u00efdjan, 26 ans apr\u00e8s le d\u00e9sastre de la guerre perdue contre l\u2019Arm\u00e9nie.<\/p>\n\n\n\n
Cette victoire nette de l\u2019Azerba\u00efdjan a pu surprendre ceux qui \u00e9taient rest\u00e9s sur les d\u00e9faites humiliantes des arm\u00e9es 1990 face \u00e0 des troupes arm\u00e9niennes incontestablement sup\u00e9rieures, plus motiv\u00e9es et mieux command\u00e9es. Elle ne doit pourtant rien au hasard.<\/p>\n\n\n\n
Le gouvernement azerba\u00efdjanais a d\u2019abord d\u00e9clench\u00e9 cette guerre, car il n\u2019a pas \u00e9t\u00e9 dissuad\u00e9 de le faire. Il n\u2019a pas \u00e9t\u00e9 retenu par l\u2019ordre international et la peur de sanctions et de r\u00e9torsions diverses pour avoir employ\u00e9 la force. Il est vrai que la communaut\u00e9 internationale, ni m\u00eame d\u2019ailleurs l\u2019Arm\u00e9nie, n\u2019a jamais reconnu la R\u00e9publique du Haut-Karabagh, et plut\u00f4t soutenu la position de l\u2019Azerba\u00efdjan en particulier sur les districts occup\u00e9s autour de l\u2019Artsakh. En 2007, l\u2019Organisation pour la s\u00e9curit\u00e9 et la coop\u00e9ration en Europe (OSCE) qui tente de normaliser la situation dans la r\u00e9gion a \u00e9tabli leur restitution \u00e0 l\u2019Azerba\u00efdjan comme un pr\u00e9alable n\u00e9cessaire \u00e0 la paix. En face, l\u2019Artsakh et son protecteur arm\u00e9nien ont toujours fait preuve d\u2019intransigeance, arguant de la n\u00e9cessaire s\u00e9curit\u00e9 de ce glacis, et persuad\u00e9s de toute mani\u00e8re de leur sup\u00e9riorit\u00e9 militaire <\/span>1<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\n Et c\u2019est bien l\u00e0, le deuxi\u00e8me \u00e9l\u00e9ment. L\u2019Azerba\u00efdjan a effectivement longtemps \u00e9t\u00e9 dissuad\u00e9 par la r\u00e9elle sup\u00e9riorit\u00e9 arm\u00e9nienne. Elle s\u2019est efforc\u00e9e patiemment de la surmonter. Les Az\u00e9ris ont consacr\u00e9 plus 24\u00a0milliards de dollars de 2009 \u00e0 2018 \u00e0 leur D\u00e9fense <\/span>2<\/sup><\/a><\/span><\/span>.\u00a0L\u2019Azerba\u00efdjan est le 9e<\/sup>\u00a0pays au monde en termes d\u2019effort de d\u00e9fense rapport\u00e9 au PIB. Tout le monde a remarqu\u00e9 l\u2019investissement dans les drones achet\u00e9s \u00e0 Isra\u00ebl et \u00e0 la Turquie, mais les achats plus classiques d\u2019engins blind\u00e9s modernes ont au moins \u00e9t\u00e9 aussi importants. L\u2019essentiel est cependant ailleurs. Il ne suffit pas d\u2019accumuler des \u00e9quipements modernes pour \u00eatre une bonne arm\u00e9e, il faut surtout savoir bien les utiliser. L\u2019arm\u00e9e azerba\u00efdjanaise a beaucoup travaill\u00e9 avec l\u2019aide des Turcs. Par une formation soutenue et de nombreux exercices, elle a consid\u00e9rablement augment\u00e9 son capital de comp\u00e9tences depuis les savoir-faire de base des combattants jusqu\u2019\u00e0 l\u2019organisation d\u2019op\u00e9rations interarmes et interarm\u00e9es complexes. Elle a aussi innov\u00e9 en adoptant en adoptant un certain de proc\u00e9d\u00e9s nouveaux turcs et russes employ\u00e9s en Syrie ou dans le Donbass.<\/p>\n\n\n\n En face, l\u2019Arm\u00e9nie n\u2019a que peu boug\u00e9. Son effort de d\u00e9fense est certes cons\u00e9quent puisqu\u2019elle se trouve au 10e<\/sup> rang mondial, mais avec un PIB tr\u00e8s inf\u00e9rieur \u00e0 celui de l\u2019Azerba\u00efdjan. L\u00e0 o\u00f9 cette derni\u00e8re investissait 24 milliards de dollars, l\u2019Arm\u00e9nie n\u2019en d\u00e9pensait que 4. Cela n\u2019inqui\u00e9tait visiblement pas beaucoup les autorit\u00e9s arm\u00e9niennes dont beaucoup avaient connu la guerre pr\u00e9c\u00e9dente et restaient toujours persuad\u00e9es de la sup\u00e9riorit\u00e9 qualitative de leurs forces et de celles de l\u2019Artsakh. Non seulement les Arm\u00e9niens n\u2019ont pas assez investi mat\u00e9riellement, mais ils ont peu innov\u00e9, laissant ce champ \u00e0 leurs adversaires, une erreur fatale quand on a moins de ressources. Avec des budgets comparables, il aurait \u00e9t\u00e9 possible de construire un syst\u00e8me d\u00e9fensif mieux organis\u00e9, en profondeur, enterr\u00e9, camoufl\u00e9 et associ\u00e9 \u00e0 une force d\u00e9centralis\u00e9e de technogu\u00e9rilla, pour reprendre l\u2019expression de Joseph Henrotin. Pour le prix de l\u2019escadrille de chasseurs multir\u00f4les Su-30 SM, dont pas un ne d\u00e9collera pendant la guerre, il aurait possible de se constituer une flotte de drones de combat sup\u00e9rieure \u00e0 celle de l\u2019Azerba\u00efdjan. On se trouve l\u00e0 dans un cas d\u2019inertie consciente o\u00f9 m\u00eame apr\u00e8s les accrochages violents de 2016 on voit venir la guerre, mais on ne fait pas grand-chose de s\u00e9rieux pour y faire face.<\/p>\n\n\n\n Il est vrai que l\u2019Arm\u00e9nie comptait aussi beaucoup sur son alliance militaire avec la Russie, tr\u00e8s pr\u00e9sente sur son sol avec la grande base de Gyumin. Le probl\u00e8me est que lorsque l\u2019on d\u00e9pend d\u2019un unique et puissant protecteur, il ne faut pas le f\u00e2cher. Or, la Russie n\u2019appr\u00e9cie pas le nouveau r\u00e9gime arm\u00e9nien issu de la r\u00e9volution de 2018. Elle a donc saisi l\u2019occasion de cette nouvelle crise pour lui rappeler son statut d\u2019alli\u00e9 captif, en laissant clairement entendre qu\u2019elle d\u00e9fendrait le territoire de l\u2019Arm\u00e9nie si celui-ci \u00e9tait agress\u00e9, mais qu\u2019elle ne combattrait pas pour l\u2019Artsakh. La Russie se permettait d\u2019affaiblir son image construite d\u2019alli\u00e9 fiable, mais au profit de celle de protecteur indispensable lorsque la situation sera devenue critique. Cette posture a \u00e9t\u00e9 le \u00ab feu vert \u00bb pour l\u2019Azerba\u00efdjan, mais c\u2019est aussi la Russie qui a \u00e9t\u00e9 le seul interlocuteur \u00e0 pouvoir n\u00e9gocier la paix. Il est m\u00eame possible selon certains que la Russie ait m\u00eame impos\u00e9 la paix \u00e0 l\u2019Azerba\u00efdjan en mena\u00e7ant d’intervenir. Elle est en tout cas devenue le nouveau protecteur de ce qui reste de l\u2019Artsakh.<\/p>\n\n\n\n \u00c0 noter enfin que si la Russie se posait comme protecteur ultime de l\u2019Arm\u00e9nie, la Turquie faisait de m\u00eame avec l\u2019Azerba\u00efdjan en d\u00e9ployant quatre avions F-16 sur la base de Ganja, en maintenant une posture de vigilance \u00e0 la fronti\u00e8re turco-arm\u00e9nienne, en soutenant mat\u00e9riellement les forces az\u00e9ries et m\u00eame en engageant sans le revendiquer une force de mercenaires syriens dans ses rangs. On a l\u00e0 un bon exemple, proche de ce qu\u2019a pu faire la France dans plusieurs conflits africains, d\u2019implication sous le seuil de la guerre ouverte.<\/p>\n\n\n\n En r\u00e9sum\u00e9, si l\u2019Arm\u00e9nie a \u00e9t\u00e9 battue, c\u2019est parce qu\u2019elle \u00e9tait devenue battable et que tous les freins diplomatiques \u00e0 l\u2019engagement az\u00e9ri ont \u00e9t\u00e9 lev\u00e9s.<\/p>\n\n\n\n La zone des combats est de 250 km de large sur 300 de long, l\u2019\u00e9quivalent d\u2019un d\u00e9partement fran\u00e7ais, correspond au Haut-Karabagh lui-m\u00eame et aux districts az\u00e9ris conquis \u00e0 la fin de la guerre de 1994 et occup\u00e9s depuis par la milice arm\u00e9nienne.<\/p>\n\n\n\n La majeure partie du Haut-Karabagh est montagneux et forestier, mais le sud de la zone le long de la fronti\u00e8re iranienne est plat et plus accessible. Le syst\u00e8me de d\u00e9fense de l\u2019Artsakh y est fond\u00e9 sur un r\u00e9seau de points d\u2019appui tenus et un deuxi\u00e8me \u00e9chelon de forces de man\u0153uvre \u00e0 base de petits bataillons blind\u00e9s m\u00e9canis\u00e9s et de groupes d\u2019artillerie, avec un arsenal ex-sovi\u00e9tique ancien, mais cons\u00e9quent : environ 300\u00a0chars ou v\u00e9hicules blind\u00e9s d\u2019infanterie et 140\u00a0pi\u00e8ces d\u2019artillerie, dont il est difficile de d\u00e9terminer le taux de disponibilit\u00e9 r\u00e9el. L\u2019arm\u00e9e du Haut-Karabagh dispose aussi d\u2019une petite force a\u00e9rienne avec deux avions d\u2019attaque\u00a0Su-25, quatre h\u00e9licopt\u00e8res d\u2019attaque\u00a0Mi-24, cinq h\u00e9licopt\u00e8res de transport\u00a0Mi-8 et quatre drones de reconnaissance Krunk. L\u2019ensemble repr\u00e9sente environ 40\u2009000\u00a0combattants d\u2019active et de r\u00e9serve, un poids \u00e9norme pour une population de moins de 170\u2009000\u00a0habitants. Cette force est largement soutenue par l\u2019Arm\u00e9nie par le corridor de Lachine qui relie les deux territoires et par lequel passent la logistique, les \u00e9quipements et les combattants venus d\u2019Arm\u00e9nie <\/span>3<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\n L\u2019offensive az\u00e9rie lanc\u00e9e le 27 septembre pr\u00e9sente de nombreuses analogies avec les deux offensives russes dans le Donbass en ao\u00fbt 2014 et janvier 2015. Il s\u2019agit d\u2019abord tr\u00e8s classiquement d\u2019une op\u00e9ration s\u00e9quentielle o\u00f9 on cherche \u00e0 s\u2019emparer du terrain et non d\u2019une op\u00e9ration cumulative o\u00f9 on s\u2019efforce de faire pression sur l\u2019ennemi, par des feux a\u00e9riens le plus souvent, pour le faire c\u00e9der. On peut la suivre sur la carte et en pr\u00e9dire la fin. Elle est lanc\u00e9e sur l\u2019ensemble de la ligne de front. Le 4e<\/sup> corps d\u2019arm\u00e9e engag\u00e9 au nord et au centre, essentiellement pour des raisons politiques afin de s\u2019emparer des zones az\u00e9ries tenues par les Arm\u00e9niens, est assez rapidement et logiquement stopp\u00e9. Le terrain difficile favorise le d\u00e9fenseur et les axes peu nombreux et encaiss\u00e9s peuvent facilement \u00eatre bloqu\u00e9s. La combinaison mines-missiles antichars y a caus\u00e9 de fortes pertes pour des gains de terrain limit\u00e9s, mais jug\u00e9s suffisants et qui ont permis de fixer une partie des forces ennemies.<\/p>\n\n\n\n L\u2019effort est port\u00e9 au sud, avec trois corps d\u2019arm\u00e9e concentr\u00e9s sur la partie sud, la plus accessible. C\u2019est une zone de 50 km sur 50 o\u00f9 sont men\u00e9es une s\u00e9rie de petites avanc\u00e9es par blocs avec, comme au Donbass, mais aussi en Syrie et notamment par l\u2019arm\u00e9e turque, une phase de neutralisation par le couple artillerie\/LRM-drones de reconnaissance suivi d\u2019une phase d\u2019assaut blind\u00e9.<\/p>\n\n\n\n Les arm\u00e9es du Caucase ont h\u00e9rit\u00e9 de l\u2019Union sovi\u00e9tique une artillerie diversifi\u00e9e et pl\u00e9thorique, souvent plus volumineuse que celle de l\u2019arm\u00e9e de Terre fran\u00e7aise. L\u2019artillerie az\u00e9rie disposait ainsi d\u2019un arsenal de 600 pi\u00e8ces diverses r\u00e9parties dans les 23 brigades motoris\u00e9es, mais aussi une brigade d\u2019artillerie, qui regroupe les armes \u00e0 longue port\u00e9e, et une brigade de lance-roquettes multiples (LRM). Cette artillerie est cependant ancienne et \u00e0 la pr\u00e9cision tr\u00e8s \u00e9loign\u00e9e des standards occidentaux. La combinaison avec des drones de reconnaissance a d\u2019un seul coup donn\u00e9 un surcro\u00eet d\u2019efficacit\u00e9 \u00e0 ses pi\u00e8ces anciennes. \u00c0 la masse des feux notamment des LRM s\u2019ajoutent maintenant une plus pr\u00e9cision et une grande r\u00e9activit\u00e9, puisque la boucle de tir, de la d\u00e9tection \u00e0 l\u2019\u00e9valuation, est plus rapide.<\/p>\n\n\n\n Non seulement, l\u2019artillerie az\u00e9rie a \u00e9t\u00e9 efficace dans la neutralisation des d\u00e9fenses arm\u00e9niennes, mais elle a pu, largement \u00e9touffer l\u2019artillerie arm\u00e9nienne par sa contre-batterie gr\u00e2ce aux pi\u00e8ces lourdes, type 2S7 Pion de 203 mm, et LRM \u00e0 longue port\u00e9e, comme les BM 30 Smerch. Autre point fort, l\u2019emploi des 80 canons automoteurs de 122 mm 2S1 comme \u00ab canons d\u2019assaut \u00bb frappant en tir direct jusqu\u2019\u00e0 2\u2009000 m\u00e8tres les positions retranch\u00e9es ennemies. L\u2019artillerie az\u00e9rie dispose enfin avec les LORA de missiles balistiques suffisamment pr\u00e9cis avec un \u00e9cart circulaire probable de 10 m (une chance sur deux de frapper dans ce diam\u00e8tre) pour effectuer des missions d\u2019interdiction, en frappant par exemple le pont dans le corridor de Lachine et provoquant ainsi une s\u00e9rieuse entrave la logistique arm\u00e9nienne.<\/p>\n\n\n\n Les groupements de man\u0153uvre, ont progress\u00e9 ensuite derri\u00e8re ces feux. Au moins autant que l\u2019acquisition de drones arm\u00e9s, c\u2019\u00e9tait l\u2019acquisition ces derni\u00e8res ann\u00e9es de cent chars russes T-90, avec une option pour cent autres, qui auraient d\u00fb inqui\u00e9ter le commandement arm\u00e9nien. Ils sont venus s\u2019ajouter \u00e0 un parc d\u00e9j\u00e0 cons\u00e9quent, de 95 T-55 peu utilis\u00e9s, mais surtout de 470 T-72 dont certains modernis\u00e9s avec l\u2019aide isra\u00e9lienne. M\u00eame en ne consid\u00e9rant que les engins les plus modernes, c\u2019est un arsenal consid\u00e9rable pour un pays de cette importance.<\/p>\n\n\n\n Les trois corps d\u2019arm\u00e9e \u00e9voluant au sud de la zone d\u2019action le long de la fronti\u00e8re poss\u00e9daient un potentiel de trente \u00e0 quarante groupements tactiques interarmes chars-infanterie m\u00e9canis\u00e9e et artillerie automotrice, qui ont \u00e9volu\u00e9 et se sont relev\u00e9s au rythme des cessez-le-feu sur des fronts de 1 \u00e0 2 km en progressant de trois \u00e0 quatre kilom\u00e8tres par jour.<\/p>\n\n\n\n \u00c0 partir du moment, o\u00f9 ils \u00e9voluent dans un contexte de sup\u00e9riorit\u00e9 dans le \u00ab ciel terrestre \u00bb, c\u2019est-\u00e0-dire dans l\u2019environnement imm\u00e9diat o\u00f9 \u00e9voluent les obus, les roquettes, et les appareils de reconnaissance et d\u2019appui, et qu\u2019ils sont \u00e9videmment servis par des hommes courageux et comp\u00e9tents, rien ne peut r\u00e9sister \u00e0 l\u2019attaque de ces groupements d\u00e8s lors que la ligne de d\u00e9fense est franchie. Celle-ci a tenu deux semaines.<\/p>\n\n\n\n Le point cl\u00e9 de Fizuli est pris le 17 octobre. Cinq jours plus tard toute la zone frontali\u00e8re avec l\u2019Iran est conquise et la man\u0153uvre pivote ensuite en direction de Chouchi, le v\u00e9ritable centre de gravit\u00e9 de la r\u00e9gion, lieu historique et symbolique au c\u0153ur du Haut-Karabagh, \u00e0 15 km de la capitale Stepanakert, mais surtout sur l\u2019axe principal et vital reliant l\u2019Artsakh et l\u2019Arm\u00e9nie.<\/p>\n\n\n\n Significativement, si les pertes humaines de la guerre de 1988-1994 \u00e9taient largement en d\u00e9faveur des Az\u00e9ris (de l\u2019ordre 3 ou 4 pour un combattant arm\u00e9nien), celles de 2020 sont en leur faveur, dans une proportion qui reste \u00e0 d\u00e9finir. Le gouvernement arm\u00e9nien a annonc\u00e9 la mort de 2\u2009425 hommes, dans les forces de l\u2019Artsakh et les siennes, une proportion consid\u00e9rable des troupes engag\u00e9es, ce qui t\u00e9moigne de leur courage comme de la violence des combats. Du c\u00f4t\u00e9 az\u00e9ri, le pr\u00e9sident de l\u2019Azerba\u00efdjan a parl\u00e9 de 1\u2009500 martyrs, c\u2019est peut-\u00eatre sous-estim\u00e9, mais on est tr\u00e8s loin des 20\u2009000 morts de la premi\u00e8re guerre, certes beaucoup plus longue.<\/p>\n\n\n\n Le groupe n\u00e9erlandais Oryx a document\u00e9 pr\u00e9cis\u00e9ment les pertes en \u00e9quipements du conflit. Ces estimations \u00e9tant fond\u00e9es sur des images, elles sont forc\u00e9ment inf\u00e9rieures \u00e0 la r\u00e9alit\u00e9, mais elles montrent l\u00e0 encore la tr\u00e8s grande l\u00e9talit\u00e9 du combat moderne, en particulier pour les v\u00e9hicules. Les destructions de chars de bataille des deux camps repr\u00e9sentent \u00e0 elles seules la moiti\u00e9 du parc th\u00e9orique fran\u00e7ais. La disparit\u00e9 des pertes y est aussi frappante, alors que les Az\u00e9ris \u00e9taient en posture d\u2019attaques de positions d\u00e9fensives, leurs pertes mat\u00e9rielles prouv\u00e9es sont inf\u00e9rieures de moiti\u00e9 aux pertes arm\u00e9niennes, et parfois plus encore. Les Az\u00e9ris n\u2019ont eu par exemple que 32\u00a0chars d\u00e9truits pour 121\u00a0arm\u00e9niens. Plus de 200\u00a0pi\u00e8ces d\u2019artillerie arm\u00e9niennes de tout type ont \u00e9t\u00e9 d\u00e9truites, pour un LRM et un mortier az\u00e9ri, preuve de la supr\u00e9matie az\u00e9rie dans la contre-batterie. Un autre point significatif est le nombre d\u2019\u00e9quipements captur\u00e9s par les Az\u00e9ris, correspondants \u00e0 entre 30 % et 100 % du nombre de ceux d\u00e9truits, alors qu\u2019inversement les mat\u00e9riels captur\u00e9s par les Arm\u00e9niens sont tr\u00e8s peu nombreux <\/span>4<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Tout cela t\u00e9moigne d\u2019une sup\u00e9riorit\u00e9 quasi syst\u00e9matique sur les points de contact, sauf dans la r\u00e9gion du nord ou le terrain \u00e9quilibrait les choses, avec plusieurs niveaux tactiques d\u2019\u00e9cart, ce qui a permis \u00e0 plusieurs reprises de disloquer les dispositifs ennemis et donc d\u2019obtenir de grands d\u00e9calages de r\u00e9sultats.<\/p>\n\n\n\n L\u2019aspect le plus remarqu\u00e9 de ce conflit a \u00e9t\u00e9 l\u2019emploi massif des drones par les forces az\u00e9ries, notamment dans les premiers jours afin de briser les contre-attaques a\u00e9riennes. On a moins remarqu\u00e9 la raret\u00e9, voire l\u2019absence des avions, un ph\u00e9nom\u00e8ne d\u00e9j\u00e0 observ\u00e9 pendant la guerre dans le Donbass en 2014-2015. Non sans m\u00e9pris pour ces dr\u00f4les d\u2019engins volants, il \u00e9tait de bon ton dans les arm\u00e9es occidentales de consid\u00e9rer que les drones ne survivraient pas longtemps dans un environnement de haute intensit\u00e9, et que les avions de combat resteraient les rois du ciel. C\u2019est exactement l\u2019inverse qui s\u2019est pass\u00e9 dans les deux premiers conflits du si\u00e8cle entre \u00c9tats : les drones ont \u00e9t\u00e9 omnipr\u00e9sents et les avions rares, car jug\u00e9s trop vuln\u00e9rables ou, dans le cas russe, d\u2019une signature politique trop \u00e9lev\u00e9e.<\/p>\n\n\n\n L\u2019Azerba\u00efdjan et l\u2019Arm\u00e9nie disposent pourtant d\u2019une flotte non n\u00e9gligeable, avec une trentaine d\u2019avions de combat disponibles et une vingtaine pour l\u2019autre dont quatre Su-30 SM. C\u2019est, et surtout pour les avions les plus modernes, un investissement consid\u00e9rable pour ces petits pays. Ils sont donc assez rares, un pour 150\u2009000\/300\u2009000 habitants environ (comme pour la France) et pr\u00e9cieux. L\u2019avion de combat est d\u00e9sormais un engin de luxe qu\u2019il est difficile de se payer avec des budgets contraints et sa perte est une catastrophe. Or, l\u00e0 aussi h\u00e9ritage sovi\u00e9tique et russe, ces deux pays disposent aussi d\u2019un solide r\u00e9seau de d\u00e9fense antia\u00e9rienne, sans parler des forces russes et turques tr\u00e8s proches qui pourraient frapper \u00e0 tout moment sur la toute la zone des combats.<\/p>\n\n\n\n Comme dans le contexte ukrainien, la d\u00e9fense tend alors \u00e0 l\u2019emporter, au moins pour les avions, car les drones au contraire sont paradoxalement moins vuln\u00e9rables. En l\u2019absence de capacit\u00e9 de fusion (plot-fusion) les r\u00e9seaux de radars ont du mal \u00e0 rep\u00e9rer ces petits objets lents et volants \u00e0 basse relative altitude. L\u2019armement pr\u00e9vu pour abattre des avions n\u2019est pas non plus tr\u00e8s adapt\u00e9 \u00e0 ces cibles anormales. Les instruments de brouillage manquent \u00e9galement pour couper les liaisons entre les drones et les stations de conduite. Dans ce contexte, si quelques Su-25 ont pu \u00eatre utilis\u00e9s, dont un abattu d\u00e8s le deuxi\u00e8me jour, les Mig-29 et m\u00eame les Su-30 SM sont rest\u00e9s au sol faisant fonction de \u00ab flottes en vie \u00bb utilisables en dernier recours dans un niveau sup\u00e9rieur d\u2019escalade. Il n\u2019y aura qu\u2019un seul avion abattu, un Su-25.<\/p>\n\n\n\n Il n\u2019y aura par ailleurs que deux h\u00e9licopt\u00e8res abattus, un Mi-8 de part et d\u2019autre, ce qui tend \u00e0 prouver surtout du c\u00f4t\u00e9 az\u00e9ri, qui dispose d\u2019une flotte tr\u00e8s cons\u00e9quente d\u2019h\u00e9licopt\u00e8res d\u2019attaque avec plusieurs dizaines de Mi-24 et surtout 24 Mi-35 M que ceux-ci ont \u00e9t\u00e9 engag\u00e9s de mani\u00e8re tr\u00e8s prudente et\/ou que les d\u00e9fenses a\u00e9riennes arm\u00e9niennes ont bien \u00e9t\u00e9 neutralis\u00e9es ou d\u00e9truites. <\/p>\n\n\n\n La parole a donc \u00e9t\u00e9 donn\u00e9e aux drones et plus particuli\u00e8rement les drones de l\u2019arm\u00e9e azerba\u00efdjanaise qui a su se constituer une petite flotte capable d\u2019effectuer presque toutes les m\u00eames missions qu\u2019une aviation de combat, mais pour beaucoup moins cher et \u00e9videmment moins de pertes humaines. Les Az\u00e9ris disposaient ainsi d\u2019une flotte de vingt drones isra\u00e9liens de reconnaissance (H\u00e9ron, Hermes\u00a0450 et 900, A\u00e9rostar, Orbiter\u00a03), dix MALE arm\u00e9s turcs Bayraktar TB2, ainsi qu\u2019un certain nombre de drones-suicide isra\u00e9liens Harop,\u00a0SkyStriker\u00a0 et Orbiter\u00a01 K. Plus surprenant et preuve l\u00e0 encore d\u2019une op\u00e9ration intelligemment pr\u00e9par\u00e9e, les Az\u00e9ris ont constitu\u00e9 une flotte de vieux biplans\u00a0An-2 Colt sans pilotes et guid\u00e9s depuis le sol, qui pourraient peut-\u00eatre servir de bombes volantes avec une quantit\u00e9 \u00e9norme d\u2019explosifs ou, ce qui a \u00e9t\u00e9 le cas, afin de servir d\u2019app\u00e2ts pour les d\u00e9fenses antia\u00e9riennes arm\u00e9niennes qui se d\u00e9couvraient ainsi et \u00e9taient frapp\u00e9es imm\u00e9diatement par les TB2 ou par l\u2019artillerie <\/span>5<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\n Car et l\u00e0 c\u2019est un ph\u00e9nom\u00e8ne in\u00e9dit, jamais des drones n\u2019ont autant d\u00e9truit en une seule campagne. Le grand raid a\u00e9rien initial classique, par avions ou missiles de croisi\u00e8re, d\u00e9truisant ou neutralisations les capacit\u00e9s de d\u00e9fense antia\u00e9rienne ennemies, a \u00e9t\u00e9 remplac\u00e9 par un raid de drones TB2, dont les missiles MAM-L ont fait des ravages, et de drones-kamikaze Harop attir\u00e9s par les \u00e9missions radars. Le 4 octobre, l\u2019arm\u00e9e az\u00e9rie revendiquait la destruction de 33 syst\u00e8mes de d\u00e9fense antia\u00e9riens arm\u00e9niens, dont un S-300. Oryx de son c\u00f4t\u00e9 a document\u00e9 la destruction de 27 syst\u00e8mes et 12 radars [4].<\/p>\n\n\n\n Les drones az\u00e9ris ont \u00e9galement effectu\u00e9 des missions d\u2019interdiction, avec au moins un convoi logistique arm\u00e9nien frapp\u00e9 par des missiles TB-2. Ils ont surtout entrav\u00e9 tout mouvement d\u2019une force sur v\u00e9hicules. On sait depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale que les unit\u00e9s terrestres motoris\u00e9es sont vuln\u00e9rables aux attaques a\u00e9riennes, des avions d\u2019abord, chose dont les forces occidentales ont largement profit\u00e9 depuis 1990, des h\u00e9licopt\u00e8res ensuite, avec le b\u00e9mol de la vuln\u00e9rabilit\u00e9, et maintenant des drones arm\u00e9s dont tout indique qu\u2019ils sont en train de se \u00ab d\u00e9mocratiser \u00bb. Cela ne signifie pas la fin des unit\u00e9s motoris\u00e9es, et notamment de chars qui au contraire ont \u00e9t\u00e9 le fer de lance de l\u2019offensive az\u00e9rie, mais qu\u2019elles doivent \u00eatre accompagn\u00e9 d\u2019un syst\u00e8me de d\u00e9fense adapt\u00e9 \u00e0 courte port\u00e9e et de moyens de guerre \u00e9lectronique, sachant que la tendance est l\u00e0 encore au drone autonome. Les drones-suicide Harop par exemple, peuvent avec des r\u00e9sultats un peu d\u00e9grad\u00e9s, effectuer des frappes sans \u00eatre guid\u00e9s.<\/p>\n\n\n\n \u00c0 la mani\u00e8re mao\u00efste, l\u2019Arm\u00e9nie fondait sa capacit\u00e9 de dissuasion sur le couple d\u00e9fense populaire-missiles \u00e0 longue port\u00e9e. La d\u00e9fense populaire, on l\u2019a vu, reposait sur la mobilisation et la r\u00e9sistance acharn\u00e9e des miliciens artsakhiotes soutenues par les \u00ab volontaires \u00bb venues d\u2019Arm\u00e9nie. Cela n\u2019a pas suffi. La seconde composante reposait sur un arsenal assez cons\u00e9quent de missiles balistiques Scud-B et OTR-21 Tochka am\u00e9lior\u00e9s, capables de projeter des dizaines de charges de plusieurs centaines de kilos d\u2019explosifs sur l\u2019ensemble du territoire de l\u2019Azerba\u00efdjan depuis le Nagorno-Karabakh. On pensait alors \u00e0 Erevan que dans une strat\u00e9gie du \u00ab faible au fort \u00bb, cette capacit\u00e9 globale de destruction d\u00e9passerait les gains d\u2019une conqu\u00eate \u00e9ventuelle d\u2019un territoire de seulement 160\u2009000 habitants.<\/p>\n\n\n\n
\r\n <\/picture>\r\n \n <\/a>\n<\/figure>\n\n\nLa conqu\u00eate<\/strong><\/h4>\n\n\n\n
Le ciel du Caucase est un espace trop dangereux pour les avions<\/strong><\/h4>\n\n\n\n
De la dissuasion intra-guerre<\/strong><\/h4>\n\n\n\n