{"id":88616,"date":"2020-10-23T16:06:43","date_gmt":"2020-10-23T14:06:43","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=88616"},"modified":"2020-10-23T16:11:45","modified_gmt":"2020-10-23T14:11:45","slug":"chine-etats-unis-une-histoire-sous-la-contrainte-ou-les-rivalites-du-temps-present","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2020\/10\/23\/chine-etats-unis-une-histoire-sous-la-contrainte-ou-les-rivalites-du-temps-present\/","title":{"rendered":"Chine-\u00c9tats-Unis : une histoire sous la contrainte ou les rivalit\u00e9s du temps pr\u00e9sent"},"content":{"rendered":"\n
Un seul lit pour deux r\u00eaves<\/em> : en cette veill\u00e9e d\u2019\u00e9lections pr\u00e9sidentielles am\u00e9ricaines, les tensions avec la Chine n\u2019ont jamais \u00e9t\u00e9 aussi fortes et saillantes. La Covid-19 a \u00e9t\u00e9 un choc aussi profond que Pearl Harbour<\/a>pour l\u2019opinion am\u00e9ricaine. Soudain, le virus propag\u00e9 depuis la Chine s\u2019est invit\u00e9 dans chaque foyer am\u00e9ricain, provoquant une catastrophe d\u2019une ampleur qui d\u00e9passe largement le domaine \u00e9conomique. La Chine et les \u00c9tats-Unis n\u2019ont pourtant pas toujours \u00e9t\u00e9 rivaux. Cette histoire reste, sur la longue dur\u00e9e, m\u00e9connue en Europe. Or, elle est d\u2019autant plus importante que c\u2019est de cet h\u00e9ritage dont notre avenir d\u00e9pend. Vue d\u2019Europe, la nature m\u00eame de ces relations prend un tout autre relief que celle, univoque, se restreignant aux \u00e9changes bilat\u00e9raux. Tout est question de regard. Au reste, l\u2019Europe comme la Chine sont s\u00e9par\u00e9s du continent am\u00e9ricain par un oc\u00e9an. Que l\u2019on vienne de l\u2019Atlantique ou du Pacifique, l\u2019Am\u00e9rique est une \u00eele. A cette repr\u00e9sentation est associ\u00e9e un statut d\u2019exceptionnalit\u00e9 que lui conf\u00e8re depuis le XIX\u00b0 si\u00e8cle la doctrine Monroe<\/a>. Isolationnisme et sanctuarisation du territoire am\u00e9ricain ont \u00e9t\u00e9 des r\u00e9flexes r\u00e9currents pour Washington. La pr\u00e9sidence de Donald Trump en aura rappel\u00e9 toute l\u2019actualit\u00e9 et non sans ambigu\u00eft\u00e9. Car ce repli – somme toute relatif – s\u2019est accompagn\u00e9, depuis ces quatre derni\u00e8res ann\u00e9es, d\u2019une offensive sans pr\u00e9c\u00e9dent dans le ton comme dans les actes, des \u00c9tats-Unis contre la Chine. La relation que P\u00e9kin entretient avec Washington structure incontestablement sa politique \u00e9trang\u00e8re et s\u00e9curitaire<\/a>. La r\u00e9orientation de la politique commerciale am\u00e9ricaine est structur\u00e9e autour de la concurrence strat\u00e9gique avec la Chine. Alors que l\u2019administration Obama \u00e9tait marqu\u00e9e par la recherche d\u2019une \u00ab bonne distance \u00bb avec le r\u00e9gime de P\u00e9kin, l\u2019administration Trump a consid\u00e9rablement acc\u00e9l\u00e9r\u00e9 la cristallisation du rapport de force dans les secteurs du commerce, des technologies, du militaire et du s\u00e9curitaire<\/a>. Les relations entre les deux grandes puissances mondiales sont complexes et marqu\u00e9es une forte interd\u00e9pendance<\/a>, d\u00e9clin\u00e9e selon quatre domaines essentiels : \u00e9conomique, militaire, technologique et culturel. L\u2019\u00e9lection de Donald Trump \u00e0 la pr\u00e9sidence des \u00c9tats-Unis confirme ces rivalit\u00e9s ; la politique \u00e9trang\u00e8re de ce dernier vient amplifier le rapport de force, alors que les \u00c9tats-Unis sont entr\u00e9s en p\u00e9riode \u00e9lectorale. C\u2019est moins un affrontement commercial que g\u00e9opolitique. Les \u00c9tats-Unis, premi\u00e8re puissance \u00e9conomique avec un PIB en 2018 de 20 000 milliards de dollars, sont depuis deux d\u00e9cennies rattrap\u00e9s par la puissance \u00e9conomique de la Chine dont le PIB \u00e9tait de 13 000 milliards de dollars la m\u00eame ann\u00e9e, pla\u00e7ant P\u00e9kin en deuxi\u00e8me position mondiale. Si la croissance chinoise se tasse autour de 5,5 % \u00e0 6 % par an, ses r\u00e9serves restent importantes (2500 \u00e0 3000 milliards de dollars) et sa diplomatie \u00e9conomique puissante. P\u00e9kin d\u00e9tient en outre pr\u00e8s de 30 % de dette am\u00e9ricaine. Les \u00e9conomies des deux g\u00e9ants sont tr\u00e8s fortement marqu\u00e9es par l\u2019interd\u00e9pendance. La relation n\u2019a jamais \u00e9t\u00e9 aussi marqu\u00e9e par la m\u00e9fiance r\u00e9ciproque et un climat de d\u00e9fiance. Alors que les \u00c9tats-Unis sont tout \u00e0 la fois un mod\u00e8le envi\u00e9 et un rival \u00e9vident pour de nombreux chinois, l\u2019affrontement sino-am\u00e9ricain est-il in\u00e9luctable ?<\/p>\n\n\n\n On ne saurait trop rappeler que la Chine s\u2019est subrepticement invit\u00e9e dans les d\u00e9bats houleux de la \u00ab Boston Tea Party <\/a> \u00bb (1773), \u00e9v\u00e9nement fondateur pr\u00e9c\u00e9dant la guerre d\u2019ind\u00e9pendance am\u00e9ricaine. Car c\u2019est contre ce produit exotique, le th\u00e9, vendu \u00e0 des prix exorbitants par la Compagnie des Indes Orientales que les colonies britanniques finiront par s\u2019insurger contre Londres. Guerre commerciale donc. Avec les cons\u00e9quences que l\u2019on sait : l\u2019affirmation des \u00c9tats-Unis dans le monde. Jusqu\u2019aux pr\u00e9mices de la Premi\u00e8re Guerre Mondiale cette jeune puissance se construit contre l\u2019Europe. Avec des retournements in\u00e9dits : alli\u00e9e contre la Grande-Bretagne sous la monarchie de Louis XVI, la France r\u00e9gicide devient de facto<\/em> l\u2019ennemi, dans une guerre non-d\u00e9clar\u00e9e (Undeclared War \u2013 Quasi-War<\/em><\/a>) <\/em>qui durera deux ans (1798-1800) d\u00e8s lors o\u00f9 l\u2019abolition de l\u2019esclavage d\u00e9cr\u00e9t\u00e9e par le gouvernement fran\u00e7ais mit en p\u00e9ril l\u2019esclavagisme d\u00e9fendu par de puissants lobbies am\u00e9ricains. Mais c\u2019est l\u2019Espagne qui sort grande perdante de cette \u00e9volution : perte de Cuba<\/a> (1898) puis des Philippines<\/a>, dans une guerre sanglante (1899-1902) qui assure \u00e0 Washington depuis Manille un poste d\u2019observation avanc\u00e9 dans une r\u00e9gion qu\u2019elle convoite, l\u2019Asie. Cet int\u00e9r\u00eat pour cette r\u00e9gion du monde a commenc\u00e9 quelques ann\u00e9es plus t\u00f4t avec l\u2019exp\u00e9dition Perry (1853) au Japon<\/a>. Un temps \u00e9pargn\u00e9 par les canonni\u00e8res occidentales, au contraire de la Chine voisine, le Japon est alors dard\u00e9 par le contre-exemple chinois<\/a> dont il prend soin de s\u2019\u00e9carter. Les r\u00e9formes de l\u2019\u00e8re Meiji sont une r\u00e9ponse \u00e0 la menace occidentale. Et d\u2019entre toutes, la menace am\u00e9ricaine. Le temps cependant travaille pour les \u00c9tats-Unis. <\/p>\n\n\n\n Paup\u00e9risation du monde rural tant en Europe qu\u2019en Asie et r\u00e9volutions industrielles voient les candidats \u00e0 l\u2019\u00e9migration de ces diff\u00e9rentes r\u00e9gions du monde s\u2019acc\u00e9l\u00e9rer en faveur des \u00c9tats-Unis. Le r\u00eave d\u2019une vie meilleure, de s\u2019installer dans un pays o\u00f9 la libert\u00e9 religieuse est d\u00e9fendue par la Constitution, avec en son c\u0153ur – comme le rappelle Tocqueville<\/a> – une m\u00e9ritocratie d\u00e9mocratique, favorisant l\u2019int\u00e9gration par l\u2019effort du plus grand nombre, jette sur le pav\u00e9 des grandes villes am\u00e9ricaines des dizaines de milliers de Japonais et de Chinois avant qu\u2019une politique de quotas impos\u00e9e \u00e0 partir de 1921<\/a> n\u2019en restreigne la venue. Le photographe Arnold Genthe<\/a> (1869-1942) en a immortalis\u00e9 plus d\u2019une sc\u00e8ne. Plusieurs g\u00e9n\u00e9rations d\u2019Asiatiques auront n\u00e9anmoins particip\u00e9 au d\u00e9veloppement des \u00c9tats-Unis, de la Californie tout particuli\u00e8rement, de ses chemins de fer et de ses villes comme San Francisco. Cette derni\u00e8re devient le lieu de rassemblement d\u2019une \u00e9lite cultiv\u00e9e et d\u2019agitateurs r\u00e9volutionnaires comme Sun Yat-sen. Cette base arri\u00e8re am\u00e9ricaine est importante pour celui qui apprend le d\u00e9clenchement de la r\u00e9volte de Wuchang (actuelle Wuhan), en 1911. Sun Yat-sen<\/a> est alors aux \u00c9tats-Unis pour rassembler des fonds destin\u00e9s \u00e0 La Ligue Jur\u00e9e (Tongmenghui<\/em>), le Parti d\u2019opposition qu\u2019il a cr\u00e9\u00e9 contre la dynastie Qing (1644-1911). Cette derni\u00e8re s\u2019effondre en quelques jours et avec elle, deux mille ans de syst\u00e8me monarchique imp\u00e9rial. La premi\u00e8re R\u00e9publique de l\u2019histoire chinoise est alors promulgu\u00e9e. Une d\u00e9mocratie parlementaire voit le jour et Sun Yat-sen se voit propuls\u00e9 \u00e0 la t\u00eate de cet Etat neuf comme Pr\u00e9sident. Sun Yat-sen est le sympt\u00f4me d\u2019une \u00e9lite chinoise issue d\u2019une diaspora, d\u00e9j\u00e0 tr\u00e8s am\u00e9ricanis\u00e9e. Converti au protestantisme, initi\u00e9 \u00e0 la m\u00e9decine occidentale \u00e0 Hawa\u00ef, il nourrit \u00e0 l\u2019\u00e9gard des \u00c9tats-Unis, et comme nombre de ses contemporains, une tr\u00e8s grande admiration. C\u2019est un pays immense et beau (traduction litt\u00e9rale de Meiguo <\/em>signifiant encore aujourd\u2019hui, et en langue chinoise, l\u2019 \u00ab Am\u00e9rique \u00bb). C\u2019est un pays de libert\u00e9 et sans histoire. La Chine, neuve par son r\u00e9gime, h\u00e9rite cependant de cinq mille ans de civilisation. Si un fort sentiment patriotique anime ses \u00e9lites, l\u2019id\u00e9e d\u2019un Etat et d\u2019une nation moderne en sont n\u00e9anmoins \u00e0 leurs balbutiements. <\/p>\n\n\n\n Le Trait\u00e9 de Versailles (1919)<\/a> bouscule les \u00e9quilibres. Trahison de la parole donn\u00e9e d\u2019un Georges Cl\u00e9menceau qui d\u00e9cide de c\u00e9der l\u2019ancienne colonie allemande du Shandong (pays natal de Confucius) non pas aux Chinois comme Paris l\u2019avait promis mais aux Japonais. Tokyo se voit ainsi confort\u00e9 dans sa position de puissance r\u00e9gionale en annexant aux confins de l\u2019Oc\u00e9anie d\u2019autres possessions coloniales allemandes. L\u2019emprise japonaise \u00e0 la fois sur le continent chinois et sur les marches du Pacifique indispose l\u2019administration am\u00e9ricaine, laquelle fait signer au Japon le trait\u00e9 de Washington (1921)<\/a> pour limiter, dans le domaine naval, ses armements. Ces obligations n\u2019entravent en rien la menace japonaise qui tr\u00e8s vite provoque aux \u00c9tats-Unis des craintes et, par voie de cons\u00e9quences, une empathie tr\u00e8s grande de l\u2019opinion am\u00e9ricaine vis-\u00e0-vis des Chinois. Celle des intellectuels tout d\u2019abord, et des milieux progressistes, tel le philosophe John Dewey<\/a> (1859-1952). Il s\u00e9journe en Chine<\/a> de longs mois, \u00e0 partir de 1921, et fait des \u00e9mules aupr\u00e8s des \u00e9lites chinoises, Hu Shi<\/a> (1891-1962) notamment, qui y voit de possibles accommodements entre le pragmatisme am\u00e9ricain et un confucianisme r\u00e9form\u00e9. A la Maison Blanche m\u00eame, Eleanor Roosevelt<\/a> (1884-1962) d\u00e9ploie beaucoup d\u2019\u00e9nergie m\u00e9diatique pour soutenir le peuple chinois dont la mis\u00e8re semble, dans un surprenant effet de miroirs, rappeler celle des Raisins de la col\u00e8re<\/em><\/a> et du prol\u00e9tariat am\u00e9ricain. L\u2019\u00e9pouse du Pr\u00e9sident ne cache d\u2019ailleurs pas sa fascination pour la culture chinoise et son Op\u00e9ra apr\u00e8s avoir vu dans sa jeunesse au Chinatown de San Francisco se produire le fameux acteur Mei Lanfang<\/a> (1894-1961). Elle n\u2019est d\u2019ailleurs pas la seule. Le dissident anti nazi Bertolt Brecht<\/a> (1898-1956) fait l\u2019apologie de cet art chinois de la sc\u00e8ne dont il dira \u00e0 son tour tous les bienfaits depuis son exil californien. Cette perception favorable de la Chine dont la culture semble plus que jamais menac\u00e9e par les bouleversements que sa soci\u00e9t\u00e9 subit trouve \u00e0 travers l\u2019engagement de l\u2019\u00e9crivaine am\u00e9ricaine Pearl S. Buck<\/a> (1892-1973) sa meilleure porte-parole.<\/p>\n\n\n\n Premi\u00e8re femme \u00e0 \u00eatre laur\u00e9ate du prix Pulitzer (1932) pour son best-seller La Terre Chinoise<\/em>, publi\u00e9 un an plus t\u00f4t, elle se verra r\u00e9compens\u00e9e \u00e0 la veille de la Seconde Guerre Mondiale du prix Nobel de litt\u00e9rature. La Chine nationaliste de Chiang Kai-shek (1887-1975) est alors aux avant-postes d\u2019une agression fascisante – celle du Japon en l\u2019occurrence – qui trouve son pendant en Espagne avec les interventions allemande et italienne aux c\u00f4t\u00e9s du g\u00e9n\u00e9ral Franco. Les massacres de Guernica et ceux de Nankin<\/a> surviennent d\u2019ailleurs la m\u00eame ann\u00e9e (1937). Ils confortent des centaines de jeunes am\u00e9ricains dans le choix d\u2019un engagement. C\u00f4t\u00e9 chinois, ils seront \u00e0 l\u2019origine d\u2019une escadrille de mercenaires et aviateurs, mieux connue sous le nom de Flying tigers<\/em><\/a>. Bas\u00e9s au Yunnan, et dirig\u00e9s par le g\u00e9n\u00e9ral Chennault<\/a>, ils escorteront, apr\u00e8s l\u2019entr\u00e9e officielle des Am\u00e9ricains en guerre (d\u00e9cembre 1941), les forteresses volantes ravitaillant depuis l\u2019Inde le front chinois. Le deuxi\u00e8me conflit mondial est un tournant dans l\u2019histoire diplomatique et militaire des \u00c9tats-Unis. Si la lib\u00e9ration de l\u2019Europe demeure une priorit\u00e9, l\u2019ouverture d\u2019un front en Chine contre l\u2019ennemi japonais n\u2019en est pas moins importante. Depuis Chongqing (la plus grande ville du monde aujourd\u2019hui avec ses 34 millions d\u2019habitants), qui surplombe le Fleuve Bleu et ses paysages du Sichuan, o\u00f9 malgr\u00e9 des bombardements intenses<\/a>, le gouvernement de Chiang Kai-shek s\u2019est repli\u00e9. Il est conseill\u00e9 par le g\u00e9n\u00e9ral Stilwell<\/a> (1883-1946).<\/p>\n\n\n\n Joe Vinagar<\/em>, tel qu\u2019on le surnomme, est un officier form\u00e9 \u00e0 Westpoint. Il a servi sur le front de la Somme deux d\u00e9cennies plus t\u00f4t et a v\u00e9cu en Chine de longues ann\u00e9es. Il parle le chinois et ne dissimule pas son exasp\u00e9ration concernant le Mar\u00e9chalissime Chiang Kai-shek qu\u2019il tient pour un rat\u00e9, une nullit\u00e9 sur le plan militaire, de surcro\u00eet corrompu car d\u00e9tournant l\u2019argent du contribuable am\u00e9ricain \u00e0 son profit et celui de sa famille. Tr\u00e8s vite, Joseph Stilwell bouscule les usages diplomatiques<\/a> en pr\u00f4nant un rapprochement avec les communistes chinois. S\u2019associer avec eux permettrait de couper l\u2019herbe sous le pied \u00e0 Staline. Joseph Stilwell aura eu raison. Mais trop t\u00f4t. D\u2019ailleurs, tout l\u2019oppose \u00e0 son interlocuteur Chiang Kai-shek<\/a>. Joseph Stilwell est un homme sec, originaire de la Floride. Il s\u2019est taill\u00e9 une r\u00e9putation de lion en organisant un repli strat\u00e9gique de ses hommes fuyant l\u2019invasion japonaise en Birmanie. Marche forc\u00e9e de plus de 60 kilom\u00e8tres par jour \u00e0 travers la jungle pour se r\u00e9fugier contre toute esp\u00e9rance dans l\u2019Assam. Cette exp\u00e9dition, v\u00e9ritable Anabase des temps modernes, et injustement oubli\u00e9e aujourd\u2019hui, lui vaudra la reconnaissance de ses hommes et un solide sentiment de revanche contre les Japonais. Joseph Stilwell finira par les bouter hors de Birmanie et percera une route (elle porte encore le nom de Stilwell Road<\/em><\/a>) avec l\u2019aide des Chinois, qui relie d\u00e9sormais Rangoon \u00e0 Kunming. Elle est en tous points comparable au mythique chemin des Dames et a jou\u00e9 un r\u00f4le essentiel dans les op\u00e9rations strat\u00e9giques men\u00e9es contre les forces japonaises durant les derniers mois de la guerre. <\/p>\n\n\n\n Le Mar\u00e9chalissime s\u2019est, lui, rachet\u00e9 une virginit\u00e9 en \u00e9pousant la carri\u00e8re des armes mais aussi, et en deuxi\u00e8me noce, la d\u00e9nomm\u00e9e Soong Meiling (s\u0153ur de Soong Qingling<\/a>, connue pour avoir elle-m\u00eame \u00e9pous\u00e9 Sun Yat-sen, de plusieurs d\u00e9cennies son a\u00een\u00e9). Mariage politique bien s\u00fbr qui a valeur d\u2019adoubement m\u00eame si les services secrets am\u00e9ricains suivent depuis tr\u00e8s longtemps Chiang Kai-shek. Ils savent son pass\u00e9 tr\u00e8s violent de malfrat, ainsi que le culte qu\u2019il voue \u00e0 Mussolini. Ils savent aussi qu\u2019il a plus d\u2019une fois servi de nervis pour la mafia de Shanghai ; mafia que contr\u00f4le le redoutable Du Yuesheng<\/a> (1888-1951). Autant Chiang Kai-shek <\/em>alias Mr Peanuts<\/em> – sobriquet que lui donna Joseph Stilwell avec la d\u00e9licatesse l\u00e9gendaire qui seyait \u00e0 sa personne – est abhorr\u00e9, autant son \u00e9pouse Soong Meiling a les faveurs du Chef de guerre am\u00e9ricain. El\u00e9gante, cultiv\u00e9e, chr\u00e9tienne fervente et parfaite anglophone, on sait avec le recul qu\u2019elle a jou\u00e9 un r\u00f4le essentiel dans la diplomatie de son pays. Discours au Congr\u00e8s, personnalit\u00e9 m\u00e9diatique faisant la une des plus grands journaux am\u00e9ricains Soong Meiling b\u00e9n\u00e9ficie d\u2019une opinion tr\u00e8s favorable de la classe politique am\u00e9ricaine. Ses efforts se voient r\u00e9compenser lorsque les Alli\u00e9s d\u00e9cident \u00e0 la conf\u00e9rence du Caire<\/a> (1943) d\u2019int\u00e9grer la Chine comme membre permanent au sein du Conseil de s\u00e9curit\u00e9 de l\u2019ONU dont les jalons sont d\u2019ores et d\u00e9j\u00e0 pos\u00e9s. Les relations sont au beau fixe entre Chinois et Am\u00e9ricains. Cette p\u00e9riode constitue m\u00eame un \u00e2ge d\u2019or. Emergeront de grandes figures de l\u2019intelligentsia des deux pays, \u00e9prouv\u00e9e par la guerre. Et l\u2019on pense au grand sinologue John K. Fairbank<\/a> (1907-1991), agent de l\u2019OSS (anc\u00eatre de la CIA) et futur Professeur d\u2019histoire chinoise \u00e0 Harvard<\/a>, dont l\u2019influence aupr\u00e8s de plusieurs sp\u00e9cialistes de la Chine contemporaine aura \u00e9t\u00e9 pr\u00e9pond\u00e9rante. On pense encore \u00e0 Liang Sicheng<\/a> (1901-1972), architecte renomm\u00e9, grand am\u00e9ricanophile form\u00e9 \u00e0 Princeton, lequel convaincra l\u2019\u00e9tat-major d\u2019\u00e9pargner de ses bombardements les villes anciennes de l\u2019archipel que sont Nara et Kyoto.<\/p>\n\n\n\n Chiang Kai-shek n\u2019aura gu\u00e8re eu le temps de savourer la fin de la guerre aux c\u00f4t\u00e9s des vainqueurs, exception faite que de compliquer le retour du g\u00e9n\u00e9ral Leclerc<\/a> et des troupes fran\u00e7aises au nord de leur colonie, le Vietnam. R\u00eave irr\u00e9dentiste chinois s\u00e9culaire de reprendre la main en Asie du Sud-Est et complicit\u00e9 affich\u00e9e aupr\u00e8s des Am\u00e9ricains pour se d\u00e9barrasser de tous les pouvoirs coloniaux dans la r\u00e9gion ne r\u00e9sistent pas aux nouveaux enjeux de la Guerre Froide. Cette derni\u00e8re rebat les cartes. Refoul\u00e9 par les communistes, Chiang Kai-shek s\u2019exile d\u00e9finitivement \u00e0 Ta\u00efwan. La R\u00e9publique de Chine restera encore quelques ann\u00e9es la seule Chine l\u00e9gale reconnue par le camp occidental. L\u2019endiguement du communisme est \u00e0 ce prix. La terreur blanche qui s\u00e9vit avec la dictature nationaliste chinoise soutenue par Washington \u00e0 Ta\u00efwan ent\u00e9rine la fracture d\u2019un monde chinois plus que jamais divis\u00e9. Tandis que du c\u00f4t\u00e9 de la Chine populaire, Mao consid\u00e8re les \u00c9tats-Unis et leur r\u00e9gime comme leur principal ennemi. Ils seront de nouveau rapproch\u00e9s apr\u00e8s 1971-1972, apr\u00e8s plusieurs ann\u00e9es d\u2019\u00e9loignement de P\u00e9kin avec Moscou, en pleine guerre froide<\/a>.<\/p>\n\n\n\n Il y a ces confettis d\u2019empires (Macao pour le Portugal, Hong Kong pour la Grande Bretagne) d\u2019une part, Ta\u00efwan – situ\u00e9e aux avant-postes d\u2019une guerre men\u00e9e plus au nord par les Am\u00e9ricains et leurs alli\u00e9s en Cor\u00e9e autant que relais des diasporas chinoises vivant aux \u00c9tats-Unis, d\u2019autre part. Et enfin, la Chine continentale pass\u00e9e sous le contr\u00f4le des communistes o\u00f9 s\u2019exerce l\u2019ordre mao\u00efste. Le tout voit se jouer un quatre-bandes durant lequel les \u00c9tats-Unis vont isoler la Chine communiste en privil\u00e9giant sa p\u00e9riph\u00e9rie la plus proche, pendant pr\u00e8s de quarante ans. C\u2019est d\u2019ailleurs sur ces marges que l\u2019\u00e9lite chinoise verra fructifier ses \u00e9changes intellectuels avec Ta\u00efwan, Hong Kong et les \u00c9tats-Unis. On pense aux fondateurs du New Asia College<\/a> tels que Zhang Junmai<\/a> (1887-1969), Xu Fuguan<\/a> (1902-1982), Mou Zongsan<\/a> (1909-1995), et Tang Junyi<\/a> (1909-1978). Ils seront \u00e0 l\u2019origine d\u2019un profond renouvellement des \u00e9tudes confuc\u00e9ennes et tao\u00efstes tant dans leur interpr\u00e9tation philosophique que dans leurs applications manag\u00e9riales ou \u00e9thiques. Sur le territoire am\u00e9ricain m\u00eame verront appara\u00eetre les n\u00e9o-confuc\u00e9ens de Boston, courant incarn\u00e9 par l\u2019intellectuel Tu Weiming<\/a>, grand m\u00e9diateur entre chacune des deux rives du Pacifique. Les ann\u00e9es cinquante voient aussi s\u2019affirmer dans le domaine des arts un courant de l\u2019art abstrait. Oppos\u00e9 \u00e0 l\u2019art figuratif r\u00e9aliste-socialiste des pays communistes, il sera activement promu comme toutes autres activit\u00e9s intellectuelles par les \u00c9tats-Unis et leurs services sp\u00e9ciaux<\/a> \u00e0 travers le monde. Dans cette guerre id\u00e9ologique bipolaire, les artistes de la diaspora chinoise sont sollicit\u00e9s. Et l\u2019on pense \u00e0 Liu Guosong<\/a> (1932), Li Zhong-Sheng<\/a> <\/strong>(1912-1984) ou le tr\u00e8s grand Zhang Daqian<\/a> (1899-1983) qui b\u00e9n\u00e9ficient alors des sollicitudes du \u00ab monde libre \u00bb.<\/p>\n\n\n\n On pr\u00eate aussi \u00e0 des artistes am\u00e9ricains des influences stylistiques chinoises. Et l\u2019on pense \u00e0 Willem de Kooning<\/a> (1904-1997), Jackson Pollock<\/a> (1912-1956), Franz Kline<\/a> (1910-1962), Brion Gysin<\/a> (1916-1986) ou d\u2019une mani\u00e8re plus av\u00e9r\u00e9e, Mark Tobey<\/a> (1890-1976). L\u2019\u00e9poque est \u00e0 l\u2019exp\u00e9rimentation, celle que porteront vers les plus hauts sommets de la culture libertaire de la Beat Generation<\/em><\/a> et des grands noms de la contestation sociale. Que ce soit Kenneth Rexroth<\/a> (1905-1982), Bob Kaufman<\/a> (1925-1986), Gregory Corso<\/a> (1930), John Ferren<\/a>, (1905\u20131970), Dorr Bothwell<\/a> (1902-2000) et surtout Allen Ginsberg<\/a> (1926-1997), William Burroughs<\/a> (1914-1997) ou Jack Kerrouac<\/a> (1922-1969), tous se nourrissent de spiritualit\u00e9 bouddhiste zen ou tao\u00efste chinoise. Paradoxe s\u2019il en est : alors que la Chine est conjoncturellement, et pour le plus grand nombre inaccessible, la r\u00e9ception de sa culture va donner lieu \u00e0 ses plus riches transformations. Autre fertilit\u00e9 quant au d\u00e9calage qu\u2019il est bon de rappeler : de jeunes artistes tels qu\u2019Ai Weiwei<\/a> (1957), Gu Wenda<\/a> (1955) ou Xu Bing<\/a> (1955), dans le contexte des ann\u00e9es quatre-vingt, auront le sentiment d\u2019accomplir un p\u00e8lerinage aux sources de leur propre culture en s\u00e9journant plusieurs ann\u00e9es \u00e0 New York. Une culture mais aussi une tradition dont ils auront \u00e9t\u00e9 sevr\u00e9s durant les \u00e9preuves de la R\u00e9volution culturelle<\/a> (1966-1976). A l\u2019inverse, un artiste tel que Robert Rauschenberg (1925-2008) \u00e0 la faveur d\u2019une ouverture relative de la Chine en 1985 s\u2019y rendra comme on va s\u2019abreuver \u00e0 la fontaine de Jouvence. Comme pour beaucoup d\u2019Am\u00e9ricains de sa g\u00e9n\u00e9ration, la Chine est le ferment d\u2019une inspiration y compris de nature politique dans les milieux afros o\u00f9 la tentation de l\u2019islam radical comme celle d\u2019un mao\u00efsme militant, propre aux Black Panthers<\/a>, fera de nombreux \u00e9mules. Mais l\u2019acc\u00e9l\u00e9rateur de cet int\u00e9r\u00eat prot\u00e9iforme pour la Chine survient dans le dernier quart de la Guerre Froide. Politiquement, il est associ\u00e9 \u00e0 une inflexion majeure des choix de la politique am\u00e9ricaine voulue par Richard Nixon<\/a> (1913-1994).<\/p>\n\n\n\n Le trente-sixi\u00e8me Pr\u00e9sident des \u00c9tats-Unis est un R\u00e9publicain. Il d\u00e9teste les communistes et c\u2019est un euph\u00e9misme. A l\u2019instar d\u2019Henry Kissinger<\/a> (1923), son Secr\u00e9taire d\u2019Etat aux Affaires \u00e9trang\u00e8res, il sait toutefois que la guerre au Vietnam mine la d\u00e9mocratie de son pays. Il faut mettre un terme \u00e0 ce conflit. La m\u00e9diation chinoise s\u2019av\u00e8re incontournable. Utiliser P\u00e9kin contre Moscou comme l\u2019avait pr\u00f4n\u00e9 Stilwell mais aussi De Gaulle, lequel – au grand dam de Washington – a reconnu aux d\u00e9pens de Chiang Ka\u00ef-shek et son r\u00e9gime la R\u00e9publique populaire de Chine, en 1964 – est la strat\u00e9gie d\u00e9sormais retenue. Mao Zedong (1893-1976) et son Ministre des Affaires \u00e9trang\u00e8res, Zhou Enlai<\/a> (1898-1976), ne demandent pas mieux. Sortir d\u2019un dangereux isolement diplomatique auquel les ont accul\u00e9s le schisme avec Moscou, en 1960, est pour P\u00e9kin et ses dirigeants une priorit\u00e9. Mais il faut donner \u00e0 la diplomatie am\u00e9ricaine des gages : l\u2019\u00e9limination de la branche la plus radicale du r\u00e9gime qu\u2019incarne Lin Biao<\/a> (1907-1971) et qui, craignant pour sa vie, tentera de se r\u00e9fugier en Union Sovi\u00e9tique. Son avion se crashera en Mongolie. En contrepartie de cette liquidation politique, P\u00e9kin obtiendra le consentement de la Maison Blanche concernant l\u2019\u00e9viction, en 1971, de Ta\u00efwan du Conseil de S\u00e9curit\u00e9 de l\u2019ONU. Si le soutien des pays africains n\u2019y est pas non plus \u00e9tranger, ce New Deal diplomatique pr\u00e9cipite en tout cas la visite, d\u00e8s 1972, du Pr\u00e9sident am\u00e9ricain \u00e0 P\u00e9kin. Chine et \u00c9tats-Unis n\u2019ont pourtant aucune relation diplomatique. De cette rencontre quelque peu surr\u00e9aliste entre Nixon et Mao s\u2019est inspir\u00e9 le compositeur John Adams<\/a> qui en fait l\u2019un des plus grands op\u00e9ras, Nixon in China<\/em><\/a> (1987).<\/p>\n\n\n\n Ta\u00efwan ne continuera pas moins d\u2019\u00eatre strat\u00e9giquement soutenu par les \u00c9tats-Unis. Le Ta\u00efwan Relations Act<\/a> (1979) y r\u00e9pond comme parapluie s\u00e9curitaire et assistance strat\u00e9gico-militaire. Toujours en vigueur, Donald Trump<\/a> l\u2019a encore r\u00e9cemment honor\u00e9 en faisant le choix d\u2019une coop\u00e9ration militaire tr\u00e8s active vis-\u00e0-vis de l\u2019\u00eele. La relation bilat\u00e9rale Chine-\u00c9tats-Unis n\u2019en est pas moins \u00e9tablie. L\u2019acc\u00e8s au r\u00eave am\u00e9ricain devient alors le moteur d\u2019une part croissante de jeunes chinois. L\u2019Europe est associ\u00e9e au marxisme et ne convainc d\u00e9j\u00e0 plus ces filles et fils de cadres dirigeants venus se former sur les campus des plus grandes universit\u00e9s am\u00e9ricaines. Si l\u2019on devait r\u00e9sumer la pr\u00e9sidence Nixon, celle-ci est marqu\u00e9e par ce tournant diplomatique majeur qu\u2019avaliseront ses successeurs mais aussi par l\u2019indexation de l\u2019\u00e9conomie mondiale et ses \u00e9changes non plus \u00e0 partir de l\u2019\u00e9talon or mais bien du dollar. D\u00e9sormais les d\u00e9ficits budg\u00e9taires de l\u2019Am\u00e9rique seront financ\u00e9s par la communaut\u00e9 internationale puis la financiarisation du capitalisme \u00e0 partir des ann\u00e9es Reagan offrira au consommateur am\u00e9ricain l\u2019illusion d\u2019un pouvoir d\u2019achat quasi illimit\u00e9 gr\u00e2ce \u00e0 des march\u00e9s de production d\u00e9localis\u00e9s, et aux co\u00fbts extr\u00eamement bas. Le march\u00e9 principal vis\u00e9 est \u00e9videmment la Chine. Le prol\u00e9tariat y est docile et travailleur : une aubaine pour le monde des industriels. Il faudra attendre le choc de la Covid-19 pour que Donald Trump pointe de l\u2019index les m\u00e9faits de cette politique qui, bon an mal an, aura cependant permis tant aux \u00c9tats-Unis qu\u2019en Chine d\u2019acheter, pendant plus de quarante ans, la paix sociale. Sur le terrain strat\u00e9gique, ce partenariat engag\u00e9 entre la Chine et les \u00c9tats-Unis permettra de tenir en respect l\u2019Union Sovi\u00e9tique sur deux th\u00e9\u00e2tres d\u2019op\u00e9ration au moins. Le premier a lieu en Asie du Sud-Est. N\u2019ayant toujours pas dig\u00e9r\u00e9 leur d\u00e9faite au Vietnam, les Am\u00e9ricains ne s\u2019opposent pas au soutien qu\u2019apporte la Chine \u00e0 leurs alli\u00e9s Khmers Rouges. Apr\u00e8s \u00eatre rest\u00e9s quatre ans au pouvoir et d\u00e9cim\u00e9 la moiti\u00e9 de la population khm\u00e8re<\/a>, ces derniers sont repouss\u00e9s jusqu\u2019\u00e0 la fronti\u00e8re tha\u00eflandaise par les communistes vietnamiens, aid\u00e9s par Moscou, en 1979. Les derniers maquis Khmers Rouges du Battambang (ouest du Cambodge) ne se rendront qu\u2019en 1991. R\u00e9trospectivement, l\u2019ann\u00e9e 1979 appara\u00eet comme une ann\u00e9e charni\u00e8re dans l\u2019histoire des relations internationales. Elle est marqu\u00e9e par le lancement des r\u00e9formes \u00e9conomiques initi\u00e9es par Deng Xiaoping<\/a> (1904-1997), lequel se d\u00e9barrasse des g\u00e9rontes de l\u2019arm\u00e9e en leur faisant porter la d\u00e9faite d\u2019un court affrontement militaire contre le Vietnam. Une rupture par rapport \u00e0 la rigidit\u00e9 stalinienne de son pr\u00e9d\u00e9cesseur qui vaudra \u00e0 son pays la reconduite initi\u00e9e par les \u00c9tats-Unis, et chaque ann\u00e9e, de la clause de la nation la plus favoris\u00e9e. 1979 est aussi doublement marqu\u00e9e par l\u2019invasion sovi\u00e9tique de l\u2019Afghanistan et la r\u00e9volution islamique d\u2019Iran. La Chine apporte un soutien discret aux maquisards afghans<\/a> que finance par ailleurs la CIA. Sit\u00f4t consomm\u00e9e, la Chine profite aussi de la chute du Shah et du d\u00e9part brusque des Am\u00e9ricains pour se positionner en Iran. Washington perd alors un \u00ab pays du front \u00bb (front country<\/em>) face \u00e0 l\u2019URSS. Autre pays du front qualifi\u00e9 comme tel par les experts am\u00e9ricains : le Pakistan. <\/p>\n\n\n\n La disparition de l\u2019URSS s\u2019accompagne d\u2019un d\u00e9sint\u00e9r\u00eat quasi-imm\u00e9diat des Am\u00e9ricains pour ce pays pauvre. La nature ayant horreur du vide, les Chinois s\u2019en rapprocheront chaque ann\u00e9e davantage. Le Pakistan est aujourd\u2019hui un maillon essentiel mis en place par P\u00e9kin dans le d\u00e9ploiement des Nouvelles Routes de la soie. Mais pour l\u2019heure, et en cette fin de XX\u00b0 si\u00e8cle, la priorit\u00e9 des \u00c9tats-Unis est ailleurs. L\u2019effondrement sovi\u00e9tique, la guerre au Kowe\u00eft pour y d\u00e9loger les troupes irakiennes de Saddam Hussein (1991) et la d\u00e9monstration de force dont ont fait preuve les \u00c9tats-Unis conforte la Maison Blanche dans la supr\u00e9matie de son mod\u00e8le. La Chine, pense-t-on, y souscrira \u00e0 son tour. L\u2019Am\u00e9rique et son \u00e9lite sont convaincues que les r\u00e9pressions de Tiananmen (1989) n\u2019auront \u00e9t\u00e9 qu\u2019un accident de l\u2019histoire. A tort bien s\u00fbr car la dictature chinoise fait preuve d\u2019une belle r\u00e9silience. Elle n\u2019h\u00e9site d\u2019ailleurs plus \u00e0 montrer ses muscles lorsqu\u2019en 1996 l\u2019Arm\u00e9e Populaire de Lib\u00e9ration proc\u00e8de \u00e0 des tirs d\u2019exercice au large de Ta\u00efwan. Cette agressivit\u00e9 de P\u00e9kin s\u2019ajoute \u00e0 de sombres affaires d\u2019espionnage par la r\u00e9v\u00e9lation, en 1998, du rapport Chris Cox<\/a>. C\u2019est l\u2019une des toutes premi\u00e8res fois o\u00f9 la Chine va s\u2019inviter comme puissance dangereuse dans les d\u00e9bats am\u00e9ricains. Bill Clinton – qui a alors entam\u00e9 son second mandat pr\u00e9sidentiel – se voit alors vertement critiqu\u00e9 pour sa permissivit\u00e9 vis-\u00e0-vis de P\u00e9kin, laquelle aura permis \u00e0 la Chine d\u2019am\u00e9liorer ses missiles balistiques intercontinentaux. Les relations sino-am\u00e9ricaines s\u2019enveniment davantage, lorsqu\u2019un plus tard, alors que l\u2019OTAN neutralise les foyers nationalistes serbes de l\u2019ex-Yougoslavie un bombardement atteint l\u2019ambassade de Chine \u00e0 Belgrade.<\/a> Ce dommage collat\u00e9ral (collateral damage<\/em>) comme s\u2019en excuse le Pentagone d\u00e9clenche partout en Chine des manifestations nationalistes, et d\u2019une hostilit\u00e9 in\u00e9dite \u00e0 l\u2019encontre des Am\u00e9ricains. La d\u00e9cennie 1990 a vu les relations sino-am\u00e9ricaines se d\u00e9t\u00e9rior\u00e9es notamment en lien avec le dossier de Ta\u00efwan et la crise dans le D\u00e9troit.<\/a> Pour autant, les sujets comme les droits de l\u2019Homme ou le Tibet ne polarise gu\u00e8re la politique am\u00e9ricaine. Au lendemain des repressions de P\u00e9kin contre le mouvement du Falungong<\/em> (1999), Bill Clinton axera sa visite d\u2019Etat non pas sur d\u2019\u00e9ventuelles sanctions ou oppositions au r\u00e9gime, mais \u00e0 un rapprochement en vue du d\u00e9ploiement industriel<\/a> de d\u00e9localisation avec en arri\u00e8re-pens\u00e9e l\u2019immense march\u00e9 chinois, lui-m\u00eame objet strat\u00e9gique du Parti-Etat, comme mirage pour les industriels du monde entier contre transferts de technologies et accumulation de l\u2019\u00e9pargne. Dans le m\u00eame temps, le r\u00e9gime op\u00e8re \u00e0 une mue de son appareil diplomatique, revoit des priorit\u00e9s strat\u00e9giques et la modernisation de son outil militaire. <\/p>\n\n\n\n Ce n\u2019est que le d\u00e9but d\u2019une radicalisation qui n\u2019a jamais cess\u00e9 de se confirmer. En avril 2001, elle donne lieu \u00e0 des invectives tr\u00e8s fortes entre les deux pays, s\u2019exprimant pour la premi\u00e8re fois via les r\u00e9seaux sociaux, au sujet d\u2019un avion de patrouille maritime EP-3 intercept\u00e9 par la chasse chinoise<\/a>. L\u2019\u00e9quipage am\u00e9ricain, penaud, est plac\u00e9 plusieurs semaines en r\u00e9sidence surveill\u00e9e et l\u2019appareil d\u2019une technologie avanc\u00e9e, \u00e9pi\u00e9 (d\u00e9mont\u00e9) dans ses moindres d\u00e9tails, est exhib\u00e9 par les t\u00e9l\u00e9visions chinoises tel un troph\u00e9e pris \u00e0 l\u2019ennemi. Cette humiliation pour le Pentagone d\u00e9montre la capacit\u00e9 strat\u00e9gique de la Chine \u00e0 d\u00e9jouer d\u00e9sormais toute vell\u00e9it\u00e9 de surveillance allant \u00e0 l\u2019encontre de ses int\u00e9r\u00eats. Le repentir am\u00e9ricain p\u00e8sera lourd dans les n\u00e9gociations qui se jouent en faveur de l\u2019int\u00e9gration chinoise au sein de l\u2019OMC<\/a>. Sur ce plan, P\u00e9kin l\u2019emporte haut la main. Nous sommes en d\u00e9cembre 2001, et la Chine va profiter d\u2019une conjoncture n\u00e9olib\u00e9rale qui lui sera, durant les deux d\u00e9cennies suivantes, profitable. 2001 est aussi l\u2019ann\u00e9e des attentats du 11 septembre, bien s\u00fbr. Jiang Zemin comme Vladimir Poutine s\u2019empressent de soutenir la puissance am\u00e9ricaine alors traumatis\u00e9e. Russes et Chinois veulent ainsi obtenir de George W. Bush un blanc-seing pour r\u00e9primer les populations respectivement du Caucase et du Xinjiang, soup\u00e7onn\u00e9es de collusion avec le terrorisme djihadiste international. Ils l\u2019obtiennent mais P\u00e9kin n\u2019en reste pas moins ambigu. Non pas tant vis-\u00e0-vis de la minorit\u00e9 ouigour contre laquelle la r\u00e9pression s\u2019intensifie d\u00e8s cette p\u00e9riode mais bien vis-\u00e0-vis des Talibans qu\u2019ils soutiendront jusqu\u2019\u00e0 l\u2019effondrement de leur r\u00e9gime \u00e0 Kaboul. Cette relation n\u00e9e durant la guerre les opposant aux Sovi\u00e9tiques a permis en retour de renforcer les liens patiemment tiss\u00e9s avec les services pakistanais, leur principal soutien. Au total, si l\u2019administration Clinton laissa entrer la Chine \u00e0 l\u2019OMC en 2001, les sujets de tensions autour de Ta\u00efwan, du Kosovo, de la modernisation de l\u2019outil militaire chinois et diverses affaires importantes d\u2019espionnage aux \u00c9tats-Unis (\u00e0 l\u2019instar de Glenn Duffie Shriver<\/a>, \u00e9tudiant am\u00e9ricain sur le campus de l\u2019Universit\u00e9 Normale de la Chine de l\u2019Est, recrut\u00e9 par les services sp\u00e9ciaux chinois ou de diverses affaires d\u2019espionnage industriel, dans le secteur de l\u2019\u00e9nergie, a\u00e9ronautique et des administrations d\u2019Etat) alimentent le processus d\u2019une \u00ab menace chinoise <\/a> \u00bb, tr\u00e8s vive dans les milieux s\u00e9curitaires et militaires. C\u2019est en particulier au Pentagone<\/a>, institution majeure, s\u2019il en est, de la puissance am\u00e9ricaine, que se dessine l\u2019id\u00e9e d\u2019une menace chinoise<\/a>. Cette id\u00e9e sera raviv\u00e9e tout au long des ann\u00e9es 2000 et 2010, nourrissant la plupart des analyses du d\u00e9veloppement militaire, \u00e9conomique et diplomatique de la Chine d\u2019abord en Asie et son expansion sur l\u2019ensemble des continents.<\/p>\n\n\n\n Ind\u00e9niablement, l\u2019arriv\u00e9e au pouvoir de Xi Jinping a acc\u00e9l\u00e9r\u00e9 le syndrome de la menace chinoise c\u00f4t\u00e9 \u00c9tats-Unis d\u2019une part, et un discours, autant qu\u2019une posture beaucoup plus affirm\u00e9e de P\u00e9kin d\u2019autre part. En sommes, la d\u00e9cennie 2010 voit se cristalliser les points majeurs de tensions de la relation sino-\u00e9tasunienne (Taiwan, p\u00e9ninsule cor\u00e9enne, mer de Chine, espionnage etc.) autant qu\u2019une polarisation sur la rivalit\u00e9 strat\u00e9gico-militaire, les technologies de ruptures et l\u2019interd\u00e9pendance \u00e9conomique et commerciale. Peu apr\u00e8s son accession au pouvoir, Xi Jinping appelait les deux pays \u00e0 \u00e9tablir \u00ab un nouveau type de relations entre grandes puissances \u00bb, renvoyant au vocable initi\u00e9 par l\u2019administration Bush en 2001 de concurrence strat\u00e9gique.<\/a> Progressivement, la contestation de la pr\u00e9sence am\u00e9ricaine en Asie-Pacifique va s\u2019intensifier tout au long des premi\u00e8res ann\u00e9es du pouvoir de Xi Jinping, alors m\u00eame que l\u2019influence et le mod\u00e8le am\u00e9ricain fait l\u2019objet d\u2019une contestation \u00e9largie. Plusieurs sp\u00e9cialistes chinois des relations internationales (Yan Xuetong, Shi Yinhong, Jin Canrong ou encore Wang Jisi et le militaire Gu Dexin)<\/a> vont faire des \u00c9tats-Unis l\u2019objet essentiel de leurs travaux nourrissant la politique \u00e9trang\u00e8re de P\u00e9kin. Ces derniers observent avec attention les \u00e9volutions de la politique \u00e9trang\u00e8re \u00e9tasunienne, en particulier depuis la chute du mur de Berlin et l\u2019effondrement de l\u2019URSS. Si la Guerre du Golfe donnait les caract\u00e9ristiques de la guerre moderne, qui inspirera les mutations de l\u2019APL, les acad\u00e9miques chinois voient dans les efforts colossaux des \u00c9tats-Unis au sein du syst\u00e8me international (aides, d\u00e9veloppement, interventionnisme etc.) une forme de dispersion qui pourrait servir les int\u00e9r\u00eats d\u2019expansion de la Chine, tout en suivant de pr\u00e8s la mont\u00e9e en puissance de la contestation du mod\u00e8le am\u00e9ricain. En ce sens, la puissance am\u00e9ricaine et sa politique \u00e9trang\u00e8re sont tr\u00e8s polaris\u00e9es apr\u00e8s le 11 septembre par la guerre et l\u2019engagement militaire au Moyen-Orient, alors que P\u00e9kin, certes en pleine phase d\u2019ascension tous azimuts, reste beaucoup moins expos\u00e9e dans le syst\u00e8me international. Ce processus strat\u00e9gique permettra \u00e0 la Chine d\u2019augmenter son influence et sa puissance, face aux \u00c9tats-Unis d\u2019abord en Asie, puis sur tous les continents. A P\u00e9kin, des semblants de factions acad\u00e9miques et strat\u00e9giques se dessinent, sans pour autant influencer en profondeur l\u2019appareil du Parti-Etat dans sa relation avec le grand rival am\u00e9ricain. D\u2019un c\u00f4t\u00e9, les \u00ab factions dites pro-am\u00e9ricaine \u00bb (qin meipai<\/em>) s\u2019opposerait aux \u00ab factions anti-am\u00e9ricaines \u00bb (fan<\/em> meipai<\/em>).<\/a> L\u2019essentiel des d\u00e9bats repose sur une confrontation ouverte avec Washington. Ta\u00efwan et la mer de Chine repr\u00e9sentant les deux principaux dossiers donnant lieu \u00e0 divers sc\u00e9narios de guerre entre les deux puissances. Dans les faits, ces factions puisent dans l\u2019hypermn\u00e9sie de la p\u00e9riode mao\u00efste o\u00f9 la confrontation avec les \u00c9tats-Unis serait in\u00e9luctable. Chef de fil de analystes des relations sino-am\u00e9ricaines, l\u2019universitaire Wang Jisi d\u00e9clare au milieu des ann\u00e9es 2000 que les \u00c9tats-Unis ne sont \u00ab ni un ami ni un ennemi \u00bb. L\u2019approche se veut pragmatique, tenant compte de l\u2019interd\u00e9pendance \u00e9conomique croissante, de la superpuissance am\u00e9ricaine, de son affaiblissement relatif et des divisions internes. Mais d\u00e9j\u00e0 en 2005, des sp\u00e9cialistes des relations entre la Chine et les \u00c9tats-Unis de l\u2019Institut de strat\u00e9gie internationale de l\u2019Ecole du PC renvoyaient la balle \u00e0 Robert Zoellick, secr\u00e9taire d\u2019Etat adjoint<\/a> qui d\u00e9clarait alors : \u00ab La Chine peut-elle devenir un acteur responsable du syst\u00e8me international ? \u00bb en disant : \u00ab Les \u00c9tats-Unis sont-ils v\u00e9ritablement en position de professer \u00e0 ce sujet ? \u00bb.<\/p>\n\n\n\n Dans la forme, le discours diplomatique chinois reste prudent. Il s\u2019agit de ne pas s\u2019ali\u00e9ner les \u00c9tats-Unis dont les investissements et les transferts de technologie sont des plus pr\u00e9cieux. Pour autant, P\u00e9kin a nou\u00e9 un partenariat strat\u00e9gique avec Moscou<\/a> lui permettant une coop\u00e9ration intense tant sur le plan militaire que diplomatique. Les dirigeants chinois savent aussi pratiquer un subtil jeu de bascule vis-\u00e0-vis des Europ\u00e9ens et surtout des Fran\u00e7ais pour mieux les opposer aux \u00c9tats-Unis. C\u2019est l\u2019\u00e9poque o\u00f9 \u00e0 la suite d\u2019Ievgueni Primakov, alors Ministre des Affaires \u00e9trang\u00e8res de la jeune F\u00e9d\u00e9ration de Russie, Jacques Chirac vante aupr\u00e8s de ses homologues chinois les charmes de la multipolarit\u00e9 et de la diversit\u00e9 des cultures. C\u2019est alors l\u2019illusion port\u00e9e par la globalisation que de partager la m\u00eame langue et de s\u2019opposer \u00e0 toute forme d\u2019h\u00e9g\u00e9monie. Jacques Chirac n\u2019en sera pas \u00e0 sa derni\u00e8re contradiction lorsqu\u2019il d\u00e9fendra l\u2019exceptionnalit\u00e9 de la Chine dans son interpr\u00e9tation des droits de l\u2019homme. Une l\u00e9zarde de plus divisant les d\u00e9mocraties occidentales face \u00e0 des puissances n\u00e9o-imp\u00e9riales promptes par ailleurs \u00e0 s\u2019\u00e9pauler sur la question des litiges frontaliers au m\u00e9pris des r\u00e8gles internationales, ou encore sur le dossier concernant le nucl\u00e9aire iranien comme sur les printemps arabes. D\u00e9ni d\u2019acc\u00e8s – comme en mer de Chine ou \u00e0 travers l\u2019annexion de la Crim\u00e9e – intimidation contre les dissidents et distillation de fake news<\/em> pour neutraliser l\u2019adversaire font partie de cette panoplie de moyens qu\u2019utilisent aussi bien les Russes que les Chinois. Le Sharp power<\/em><\/a> <\/em>qui d\u00e9signe leurs modalit\u00e9s profondes associe puissance militaire de coercition et propagande par le relais d\u2019opinions subversives qui sont celles acquises au populisme promu par ces r\u00e9gimes pernicieux ou, dans le cas de la Chine, en s\u2019appuyant sur ses diasporas et leurs lobbies. C\u2019est aussi le rapport du faible au fort par l\u2019usage d\u2019une strat\u00e9gie d\u2019influence qui tient \u00e0 la fois du rhizome et agit par capillarit\u00e9.<\/p>\n\n\n\n Des conflits de basse intensit\u00e9 sont tour \u00e0 tour provoqu\u00e9s par ces rapports asym\u00e9triques. Ils affaiblissent l\u2019adversaire \u00e0 moins que ce dernier ne prenne la mesure du danger en cours et r\u00e9agisse. Cette r\u00e9action \u00e9pidermique, quoi que faussement irrationnelle, correspond au moment Donald Trump. Avant m\u00eame son investiture, ce dernier a rappel\u00e9 \u00e0 ses adversaires qu\u2019il serait le ma\u00eetre des horloges. Il prit la peine de faire savoir qu\u2019il f\u00e9liciterait publiquement Tsai Yin-wen<\/a>, alors fra\u00eechement \u00e9lue \u00e0 l\u2019\u00e9lection pr\u00e9sidentielle de Ta\u00efwan. Une d\u00e9claration qui prit de court son homologue Xi Jinping. L\u2019affront \u00e9tait d\u2019autant plus fort que Tsai Yin-wen est issue du DPP, un parti ind\u00e9pendantiste. Donald Trump s\u2019entoure par ailleurs d\u2019une \u00e9quipe d\u2019experts, fins connaisseurs de la Chine, parmi lesquels Matthew Pottinger<\/a>. Ce dernier est connu pour son \u00e2pret\u00e9 dans les n\u00e9gociations commerciales qui s\u2019engagent avec la partie chinoise. En Europe m\u00eame, et dans un premier temps, on glose et non sans ironie sur les b\u00e9n\u00e9fices \u00e9lectoraux qu\u2019engrangerait en vue d\u2019un second mandat Donald Trump \u00e0 d\u00e9fendre ses agriculteurs et l\u2019industrie agro-alimentaire. C\u2019est l\u2019arbre qui cache la for\u00eat. Car tr\u00e8s vite, la question beaucoup plus lucrative de la 5 G est mis en avant. Pressions et admonestations montent d\u2019un cran. La fille du fondateur de Huawei est arr\u00eat\u00e9e, accus\u00e9e de malversations. Actions, r\u00e9actions : les Europ\u00e9ens sont pri\u00e9s de renoncer aux offres du g\u00e9ant d\u00e9fendu par P\u00e9kin tandis que Japonais et Ta\u00efwanais se retirent du march\u00e9 chinois privant la Chine de composants essentiels \u00e0 la production de semi-conducteurs. Tout le monde a lu \u00ab Le pi\u00e8ge de Thucydide – Vers la guerre <\/a> \u00bb. Selon son auteur, Graham Allison, la guerre – dans la majorit\u00e9 des cas – ne peut \u00eatre \u00e9vit\u00e9e d\u00e8s lors o\u00f9 deux puissances concurrentes mais au diff\u00e9rentiel trop grand ne leur permettent plus de s\u2019accorder. Le paradigme grec de cette analyse est s\u00e9duisant et rappelle, si l\u2019on pouvait encore en douter, que les humanit\u00e9s et l\u2019enseignement classique aux \u00c9tats-Unis m\u00eame ont encore un bel avenir devant eux. Toutefois, ce mod\u00e8le conf\u00e8re \u00e0 cette confrontation tr\u00e8s actuelle entre Washington et P\u00e9kin, un cadre \u00e0 la fois trop confortable (Harvard est une bulle\u2026), trop homog\u00e8ne (les Grecs entre eux\u2026) et trop polic\u00e9. Comme pour Mearsheimer<\/a>, dans le champ des th\u00e9ories r\u00e9alistes (offensives) des relations internationales, la guerre est \u00e0 court ou moyen terme in\u00e9vitable entre une puissance d\u00e9clinante passant le \u00ab relais \u00bb \u00e0 une puissance ascendante. Ce champ th\u00e9orique nourrit les r\u00e9flexions strat\u00e9giques de part et d\u2019autre des rives du Pacifique. La crise du coronavirus n\u2019a en rien att\u00e9nu\u00e9 les sc\u00e9narios de guerre. La d\u00e9cennie 2020 laisse entrevoir un enfermement toujours plus tenace dans le script du \u00ab Pi\u00e8ge de Thucydide \u00bb. <\/p>\n\n\n\n Les relations commerciales entre P\u00e9kin et Washington sont les signes apparents d\u2019une rivalit\u00e9 strat\u00e9gique (ou g\u00e9opolitique) plus globale entre les deux puissances. L\u2019id\u00e9e qui \u00e9mergea \u00e0 la fin des ann\u00e9es 2000 d\u2019un G2, o\u00f9 les deux puissance concurrentes et interd\u00e9pendantes cog\u00e9reraient les affaires mondiales a fait long feu. La rivalit\u00e9 strat\u00e9gique va croissant avec le temps. Rien n\u2019indique que la d\u00e9cennie \u00e0 venir laisse la place \u00e0 un retour en arri\u00e8re et un apaisement des tensions, au contraire, P\u00e9kin sp\u00e9cule toujours plus sur l\u2019affaiblissement am\u00e9ricain tant \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur (obsession du contr\u00f4le par le mod\u00e8le politique, les gestions de crise et le mod\u00e8le social) qu\u2019en politique \u00e9trang\u00e8re (institutions internationales, fragiliser les alliances occidentales et accro\u00eetre son influence aupr\u00e8s des anciens Tiers-monde pour diffuser l\u2019id\u00e9e d\u2019un monde post-occidental). De son c\u00f4t\u00e9, les \u00c9tats-Unis, fragilis\u00e9s en interne par la crise sanitaire et \u00e9conomique, autant que part les interrogations profondes sur son mod\u00e8le social r\u00e9orientent leur strat\u00e9gie de containment<\/em> de la Chine.<\/p>\n\n\n\n La relation que P\u00e9kin entretient avec Washington structure incontestablement sa politique \u00e9trang\u00e8re et s\u00e9curitaire. La r\u00e9orientation de la politique commerciale am\u00e9ricaine est structur\u00e9e autour de la concurrence strat\u00e9gique avec la Chine. Lors d\u2019un entretien avec Henry Kissinger en avril 2013, le nouveau pr\u00e9sident Xi Jinping affirma <\/a> : \u00ab l’\u00e9tablissement d’un nouveau type de relations entre les puissances que sont la Chine et les \u00c9tats-Unis n\u00e9cessite une accumulation de concessions mutuelles<\/em> \u00bb. Pour autant, un relent parano\u00efaque (congruent au syst\u00e8me politique du Parti-Etat) accompagne l\u2019arriv\u00e9e au pouvoir de Xi Jinping. L\u2019id\u00e9e d\u2019un assi\u00e8gement de la Chine et d\u2019un complot (conspiration<\/em> theory<\/em>) foment\u00e9 par les \u00c9tats-Unis pour emp\u00eacher la Chine de devenir une grande puissance alimentent les discussions, les publications et les r\u00e9flexions dans les universit\u00e9s et les Think tank chinois. Les discours et analyses (relativement) conciliantes \u00e0 l\u2019\u00e9gard de la politique \u00e9trang\u00e8re am\u00e9ricaine c\u00e8dent la place \u00e0 une doxa <\/em>anti-am\u00e9ricaine, voire anti-occidentale.<\/p>\n\n\n\n Parmi les domaines les plus forts de la relation conflictuelle entre P\u00e9kin et Washington, l\u2019\u00e9conomie et la finance sont les plus \u00e9loquentes. La balance commerciale entre la Chine et les \u00c9tats-Unis continue de se creuser malgr\u00e9 les sanctions de l\u2019administration Trump<\/a>. En 2018, l\u2019exc\u00e9dent commercial chinois s\u2019\u00e9l\u00e8ve \u00e0 plus de 300 milliards de dollars. Le volume des exportations chinoises vers les \u00c9tats-Unis en 2018 s\u2019\u00e9levait \u00e0 447 milliards de dollars contre 102 milliards vers la Chine. P\u00e9kin est aussi le plus gros cr\u00e9ancier de Washington avec environ 1200 milliards de dollars de bons du Tr\u00e9sor. Niall Ferguson montrait d\u00e8s 2008 dans son ouvrage The Ascent of Money<\/em><\/a> comment les Chinois (essentiellement les citadins) \u00e9conomisaient de l\u2019argent qu\u2019ils pr\u00eataient aux Am\u00e9ricains sous forme de bons du Tr\u00e9sor. Ces derniers \u00e9taient utilis\u00e9s pour acheter les produits fabriqu\u00e9s en Chine. Cette interd\u00e9pendance n\u2019a fait que cro\u00eetre avec le temps, y compris apr\u00e8s la crise financi\u00e8re de 2008. L\u2019interd\u00e9pendance \u00e9conomique est devenue le facteur strat\u00e9gique le plus d\u00e9terminant de la relation sino-am\u00e9ricaine. Elle s\u2019\u00e9tend progressivement \u00e0 tous les domaines industrielles et \u00e9conomiques. Par exemple, le groupe Huawei, dans le collimateur du Congr\u00e8s et des diverses agences de renseignement am\u00e9ricain travaille avec plusieurs centaines de fournisseurs de technologies am\u00e9ricains, quand ces m\u00eames am\u00e9ricains ne peuvent b\u00e9n\u00e9ficier de la pleine ouverture et accessibilit\u00e9 au territoire et march\u00e9 chinois. Les transferts syst\u00e9matiques et anciens (40 ans) de technologies des \u00c9tats-Unis vers la Chine atteignent leur limite avec les premiers mois de l\u2019Administration Trump. <\/p>\n\n\n\n Ainsi la guerre commerciale d\u00e9clench\u00e9e en janvier 2018 par les \u00c9tats-Unis vise \u00e0 r\u00e9duire la d\u00e9pendance \u00e9conomique avec la Chine et \u00e0 limiter l\u2019influence croissante de l\u2019\u00e9conomie chinoise. Apr\u00e8s une s\u00e9rie de taxes sur les produits chinois (1500 produits agricoles et industriels), Washington impose \u00e0 la Chine, mois apr\u00e8s mois, l\u2019achat de produits am\u00e9ricains pour une valeur de 1200 milliards de dollars<\/a>. Ces hausses de droits de douane mat\u00e9rialisent cette guerre commerciale. Elles s\u2019inscrivent dans le cadre plus large des mesures exceptionnelles prises par l\u2019administration am\u00e9ricaine de protection douani\u00e8re portant sur des biens interm\u00e9diaires, d\u2019\u00e9quipement et de consommation provoquant une contraction relative des exportations chinoises (en particulier en 2019).<\/p>\n\n\n\nCourt r\u00e9cit d\u2019une histoire longue<\/strong><\/h4>\n\n\n\n
La fraternit\u00e9 des armes<\/strong><\/h4>\n\n\n\n
L\u2019image d\u2019une Chine fragment\u00e9e<\/strong><\/h4>\n\n\n\n
\r\n <\/picture>\r\n \n <\/a>\n<\/figure>\n\n\n
Richard Nixon : le tournant, et apr\u00e8s ?<\/strong><\/h4>\n\n\n\n
Le XXI\u00b0 si\u00e8cle et la question chinoise : de la rivalit\u00e9 strat\u00e9gique \u00e0 la guerre des mondes<\/strong><\/h4>\n\n\n\n