{"id":88543,"date":"2020-10-23T11:48:15","date_gmt":"2020-10-23T09:48:15","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=88543"},"modified":"2020-11-20T12:57:03","modified_gmt":"2020-11-20T11:57:03","slug":"la-doctrine-trump-1","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2020\/10\/23\/la-doctrine-trump-1\/","title":{"rendered":"La doctrine Trump"},"content":{"rendered":"\n
Trump n\u2019est qu\u2019un sympt\u00f4me de tendances plus profondes<\/em> est sans doute la phrase qu\u2019on entend le plus souvent sur ce pr\u00e9sident hors-normes. Elle est juste, si l\u2019on comprend aussi qu\u2019il est le sympt\u00f4me<\/a> d\u2019un stade avanc\u00e9 \u2013 mais de quoi ? Ce n\u2019est pas un pr\u00e9sident \u00ab normal \u00bb, au-del\u00e0 m\u00eame du personnage et de ses outrances, au sens de l\u2019arriv\u00e9e \u00e0 travers lui de la droite extr\u00eame \u00e0 la Maison Blanche. Mais il repr\u00e9sente en effet l\u2019aboutissement logique<\/a> de deux \u00e9volutions am\u00e9ricaines : celle du mariage de la politique et du \u00ab spectacle \u00bb m\u00e9diatique, et celle du parti r\u00e9publicain depuis 40 ans, produit d\u2019une strat\u00e9gie th\u00e9oris\u00e9e notamment par Newt Gingrich pour reprendre le Congr\u00e8s dans les ann\u00e9es 1980, et dont les marqueurs sont un discours \u00ab anti-syst\u00e8me et anti-\u00e9lite \u00bb de plus en plus d\u00e9complex\u00e9.<\/p>\n\n\n\n La pr\u00e9sidence Trump repr\u00e9sente aussi un moment sp\u00e9cifique pour la politique \u00e9trang\u00e8re am\u00e9ricaine, dont elle cristallise une double crise : crise interne, car la politique \u00e9trang\u00e8re n\u2019est plus soutenue par le peuple am\u00e9ricain, et en particulier les classes moyennes et populaires ; crise externe, qui est \u00e0 la fois une crise de moyens, de cr\u00e9dibilit\u00e9 et de l\u00e9gitimit\u00e9 de la politique \u00e9trang\u00e8re, li\u00e9e au d\u00e9clin relatif de la puissance et de la capacit\u00e9 d\u2019influence des \u00c9tats-Unis. Cette crise est en germes depuis la fin de la guerre froide, et il faut ici rappeler que le slogan America First<\/em>, qui date de la fin des ann\u00e9es 1930, \u00e9tait d\u00e9j\u00e0 r\u00e9apparu en 1992 avec la candidature de Pat Buchanan, consid\u00e9r\u00e9 comme le p\u00e8re spirituel du trumpisme<\/a>. Mais Trump, arrivant apr\u00e8s Bush et Obama, porte en quelque sorte le processus \u00e0 maturation. Et la premi\u00e8re chose qu\u2019il faut lui reconna\u00eetre est bien d\u2019avoir provoqu\u00e9 aux \u00c9tats-Unis le plus large d\u00e9bat sur les objectifs, les moyens et la finalit\u00e9 de la politique \u00e9trang\u00e8re depuis des d\u00e9cennies \u2013 l\u00e0 o\u00f9 Obama, dont c\u2019\u00e9tait \u00e9galement l\u2019ambition, n\u2019y \u00e9tait pas parvenu. On se demandait<\/a> en 2016 si la \u00ab retenue strat\u00e9gique \u00bb d\u2019Obama, sa volont\u00e9 de d\u00e9sengagement et de renouvellement du leadership am\u00e9ricain marquait une exception, un simple r\u00e9\u00e9quilibrage apr\u00e8s la surexpansion des ann\u00e9es Bush, ou une nouvelle tendance de la politique \u00e9trang\u00e8re am\u00e9ricaine : avec Trump venant apr\u00e8s Obama, on a la confirmation qu\u2019il y a une tendance lourde \u00e0 l\u2019\u0153uvre. <\/p>\n\n\n\n La premi\u00e8re chose qu\u2019il faut reconna\u00eetre \u00e0 Trump est bien d\u2019avoir provoqu\u00e9 aux \u00c9tats-Unis le plus large d\u00e9bat sur les objectifs, les moyens et la finalit\u00e9 de la politique \u00e9trang\u00e8re depuis des d\u00e9cennies \u2013 l\u00e0 o\u00f9 Obama, dont c\u2019\u00e9tait \u00e9galement l\u2019ambition, n\u2019y \u00e9tait pas parvenu.<\/p>MAYA KANDEL<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Cela pose la question de la nature et de l\u2019ampleur de la rupture Trump en politique \u00e9trang\u00e8re, et notamment de son point de r\u00e9f\u00e9rence : fin de la p\u00e9riode ouverte par la fin de la guerre froide, remise en cause des bases de la Pax Americana<\/em> de l\u2019apr\u00e8s-1945, voire retour \u00e0 la politique du XIXe<\/sup> si\u00e8cle\u2026 Le d\u00e9bat n\u2019est pas encore tranch\u00e9, et tout au long de son mandat, les grandes orientations ont fait l\u2019objet de luttes intenses, au sein de l\u2019administration comme entre la Maison Blanche et le Congr\u00e8s. L\u2019analyse du processus de d\u00e9cision<\/a> \u00e9claire cette lutte constante entre le pr\u00e9sident populiste et le \u00ab syst\u00e8me \u00bb, d\u00e9fini comme l\u2019ensemble constitu\u00e9 de la haute fonction publique et des nominations politiques (plus de 8 000), et plus largement de l\u2019ensemble de la bureaucratie ainsi que des autres institutions participant \u00e0 la politique \u00e9trang\u00e8re, au premier chef le Congr\u00e8s. Il faut garder en t\u00eate que la machine de la politique \u00e9trang\u00e8re am\u00e9ricaine est un \u00e9norme paquebot, et qu\u2019un changement de direction prend du temps. Au-del\u00e0, il convient aussi de s\u2019int\u00e9resser \u00e0 la bataille des id\u00e9es, car si Trump n\u2019est pas un intellectuel, il est entour\u00e9 d\u2019id\u00e9ologues qui ont th\u00e9oris\u00e9 pour lui et particip\u00e9 \u00e0 d\u00e9finir une nouvelle vision du monde, encore en gestation.<\/p>\n\n\n\n Cette question est cruciale aussi parce que la red\u00e9finition du rapport am\u00e9ricain au monde \u00e9tait au c\u0153ur de la campagne de Trump en 2016, et demeure centrale dans les pr\u00e9occupations de son socle \u00e9lectoral, qu\u2019il s\u2019agisse de l\u2019ouverture des fronti\u00e8res \u00e0 l\u2019immigration et au commerce, de la question des alliances, ou des modalit\u00e9s de l\u2019action internationale du pays. Avec l\u2019id\u00e9e que la politique \u00e9trang\u00e8re n\u2019\u00e9tait plus au service des Am\u00e9ricains, qu\u2019alli\u00e9s comme adversaires \u00ab profitaient \u00bb de l\u2019Am\u00e9rique, avec un rejet extr\u00eamement fort de l\u2019establishment de politique \u00e9trang\u00e8re, d\u00e9mocrate comme r\u00e9publicain et en particulier des n\u00e9oconservateurs, consid\u00e9r\u00e9s coupables des guerres co\u00fbteuses et \u00ab sans fin \u00bb (et sans succ\u00e8s). <\/p>\n\n\n\n La red\u00e9finition du rapport am\u00e9ricain au monde \u00e9tait au c\u0153ur de la campagne de Trump en 2016, et demeure centrale dans les pr\u00e9occupations de son socle \u00e9lectoral, qu\u2019il s\u2019agisse de l\u2019ouverture des fronti\u00e8res \u00e0 l\u2019immigration et au commerce, de la question des alliances, ou des modalit\u00e9s de l\u2019action internationale du pays.<\/p>MAYA KANDEL<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n L\u2019id\u00e9e de red\u00e9finir une politique \u00e9trang\u00e8re v\u00e9ritablement au service des Am\u00e9ricains, notamment des classes moyennes et populaires, de r\u00e9concilier politique \u00e9trang\u00e8re et int\u00e9rieure, est d\u2019ailleurs pr\u00e9sente des deux c\u00f4t\u00e9s du spectre politique am\u00e9ricain, et tout particuli\u00e8rement sur ses extr\u00eames, socle trumpiste comme base progressiste des d\u00e9mocrates. L\u2019\u00e9volution du contexte international sous le double effet de la mondialisation et des r\u00e9seaux sociaux fait que la distinction entre sujets ext\u00e9rieurs et int\u00e9rieurs para\u00eet de plus en plus artificielle : les grandes questions internationales sont largement pr\u00e9sentes dans le d\u00e9bat public, et les sujets sont de plus en plus imbriqu\u00e9s. On lit souvent, comme en 2016, que la politique \u00e9trang\u00e8re ne compte pas dans les \u00e9lections : mais m\u00eame abord\u00e9s sous l\u2019angle de la politique int\u00e9rieure, les questions comme la Chine, la Russie, le commerce ou le climat demeurent des sujets internationaux, objets de la politique \u00e9trang\u00e8re. Enfin, la polarisation a gagn\u00e9 la politique \u00e9trang\u00e8re, y compris les dossiers r\u00e9gionaux, rendant d\u00e9finitivement caduc l\u2019adage am\u00e9ricain classique selon lequel \u00ab la politique s\u2019arr\u00eate au bord de l\u2019eau \u00bb (politics stop at the water\u2019s edge<\/em>), dicton r\u00e9v\u00e9lateur \u00e9nonc\u00e9 par le s\u00e9nateur Vandenberg \u00e0 l\u2019aube de la guerre froide : c\u2019est bien cela aussi qui est remis en question aujourd\u2019hui, et la polarisation de la politique \u00e9trang\u00e8re en t\u00e9moigne.<\/p>\n\n\n\n Le plus frappant au terme du premier mandat Trump, lorsque l\u2019on regarde l\u2019opinion am\u00e9ricaine, c\u2019est non seulement la polarisation extr\u00eame, mais aussi l\u2019extr\u00eame stabilit\u00e9 de son soutien : quoi qu\u2019il fasse ou dise, Trump conserve un socle de 40 % d\u2019opinion favorables ; sa popularit\u00e9 au sein de l\u2019\u00e9lectorat r\u00e9publicain a atteint jusqu\u2019\u00e0 90 %, m\u00eame si elle p\u00e2tit en 2020 de sa gestion de la pand\u00e9mie. Ce socle \u00e9lectoral du trumpisme ne dispara\u00eetra pas, m\u00eame s\u2019il perd l\u2019\u00e9lection. Il impose de s\u2019interroger sur ce qu\u2019il dit du trumpisme, de sa vision du monde en particulier, et de son poids dans les red\u00e9finitions \u00e0 venir du parti r\u00e9publicain.<\/p>\n\n\n\n L\u2019\u00e9volution du contexte international sous le double effet de la mondialisation et des r\u00e9seaux sociaux fait que la distinction entre sujets ext\u00e9rieurs et int\u00e9rieurs para\u00eet de plus en plus artificielle : les grandes questions internationales sont largement pr\u00e9sentes dans le d\u00e9bat public, et les sujets sont de plus en plus imbriqu\u00e9s.<\/p>MAYA KANDEL<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n La pr\u00e9sidence de Donald Trump marque la fin de l\u2019apr\u00e8s-guerre froide. La politique \u00e9trang\u00e8re am\u00e9ricaine de cette p\u00e9riode pouvait \u00eatre r\u00e9sum\u00e9e par un double paradigme. Le premier est celui de la mondialisation, caract\u00e9risant une \u00e9volution mondiale mais d\u00e9signant aussi la ligne directrice de la doctrine Clinton d\u2019\u00ab extension des d\u00e9mocraties de march\u00e9 \u00bb, et plus largement la mondialisation <\/em>de l\u2019ordre international cr\u00e9\u00e9 et soutenu par les \u00c9tats-Unis au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, dont les institutions, normes et principes semblent alors pouvoir \u00eatre \u00e9tendus \u00e0 l\u2019ensemble du globe avec la chute de l\u2019Union Sovi\u00e9tique et du bloc du m\u00eame nom. Le second, \u00e0 partir du 11 septembre 2001<\/a>, est celui de la \u00ab guerre mondiale contre le terrorisme \u00bb de Bush, poursuivie bien qu\u2019avec des moyens plus discrets par Obama. <\/p>\n\n\n\n Trump a voulu r\u00e9volutionner la politique \u00e9trang\u00e8re am\u00e9ricaine, et cette volont\u00e9 de red\u00e9finition du rapport am\u00e9ricain au monde \u00e9tait au c\u0153ur de ses promesses de campagne. Quatre ans plus tard, il semble que le changement de paradigme ait bien eu lieu : la comp\u00e9tition strat\u00e9gique et plus pr\u00e9cis\u00e9ment la rivalit\u00e9 \u00ab syst\u00e9mique \u00bb avec la Chine<\/a> a remplac\u00e9 la lutte contre le terrorisme comme finalit\u00e9 premi\u00e8re de la politique \u00e9trang\u00e8re ; la page de l\u2019extension des d\u00e9mocraties de march\u00e9 est tourn\u00e9e. Sa pr\u00e9sidence consacre le rejet du principe directeur de la politique \u00e9trang\u00e8re am\u00e9ricaine de l\u2019apr\u00e8s-guerre froide, selon lequel l\u2019inclusion des rivaux dans le syst\u00e8me international allait en faire des \u00ab partenaires responsables \u00bb des \u00c9tats-Unis : les documents strat\u00e9giques de l\u2019administration Trump s\u2019ouvrent sur le constat d\u2019\u00e9chec de cette politique. En remettant en question le multilat\u00e9ralisme et ses institutions, l\u2019Am\u00e9rique de Trump semble se muer elle-m\u00eame en \u00ab partenaire irresponsable \u00bb rejetant cet ordre international qu\u2019elle avait jusque-l\u00e0 garanti, et rejetant ainsi le wilsonisme qui en \u00e9tait la philosophie d\u2019origine (mise en \u0153uvre par Franklin Delano Roosevelt apr\u00e8s la fin de la Seconde Guerre mondiale).<\/p>\n\n\n\n L\u2019\u00e8re Trump consacre le rejet du principe directeur de la politique \u00e9trang\u00e8re am\u00e9ricaine de l\u2019apr\u00e8s-guerre froide, selon lequel l\u2019inclusion des rivaux dans le syst\u00e8me international allait en faire des \u00ab partenaires responsables \u00bb des Etats-Unis : les documents strat\u00e9giques de l\u2019administration Trump s\u2019ouvrent sur le constat d\u2019\u00e9chec de cette politique.<\/p>MAYA KANDEL<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Il reste pourtant difficile de d\u00e9finir le \u00ab trumpisme \u00bb<\/a> en politique \u00e9trang\u00e8re : la remise en question des principes directeurs de la politique \u00e9trang\u00e8re ne signifie pas pour autant un retour \u00e0 l\u2019isolationnisme des ann\u00e9es 1930, ou \u00e0 la politique \u00e9trang\u00e8re essentiellement commerciale du XIXe<\/sup> si\u00e8cle. La difficult\u00e9 d\u2019interpr\u00e9tation de la politique \u00e9trang\u00e8re de Trump vient des multiples contradictions de cette politique sur plusieurs dossiers, li\u00e9es au processus de d\u00e9cision chaotique, objet de luttes constantes, mais aussi \u00e0 la personnalit\u00e9 du pr\u00e9sident ; surtout, le trumpisme, caract\u00e9risant ici la mutation du parti r\u00e9publicain sous l\u2019emprise de la base \u00e9lectorale de Trump<\/a>, est encore en gestation, objet de luttes internes qui s\u2019accentueront apr\u00e8s l\u2019\u00e9lection et d\u2019un vif d\u00e9bat d\u2019id\u00e9es, que l\u2019on ne peut s\u00e9parer de l\u2019\u00e9volution d\u00e9mographique de l\u2019Am\u00e9rique. <\/p>\n\n\n\n Trump n\u2019est pas un id\u00e9ologue ni un intellectuel mais a des instincts et des obsessions, et a gouvern\u00e9 pour sa base \u00e9lectorale, ce qui \u00e9claire les motivations int\u00e9rieures de nombreuses d\u00e9cisions de politique \u00e9trang\u00e8re, en particulier au Moyen-Orient. Surtout, d\u2019autres ont th\u00e9oris\u00e9 pour lui, qu\u2019ils soient encore \u00e0 la Maison Blanche apr\u00e8s quatre ans, comme Stephen Miller, Pete Navarro ou Matt Pottinger, ou n\u2019aient \u00e9t\u00e9 qu\u2019un temps des compagnons de route, comme Steve Bannon<\/a> ou John Bolton. La long\u00e9vit\u00e9 de Miller, Navarro et Pottinger donne d\u00e9j\u00e0 des indications sur l\u2019h\u00e9ritage : nationalisme \u00ab jud\u00e9o-chr\u00e9tien \u00bb, anti-gouvernance mondiale et anti-multilat\u00e9ralisme (anti-immigration<\/a>) ; politique commerciale anti-libre-\u00e9change et anti-chinoise ; adoption d\u2019une posture dure contre la Chine. La \u00ab nouvelle guerre froide<\/a> \u00bb d\u00e9clar\u00e9e contre la Chine a \u00e9t\u00e9 ent\u00e9rin\u00e9e au plus haut niveau en octobre 2018 avec le discours du vice-pr\u00e9sident Mike Pence : mais il a fallu la pand\u00e9mie et l\u2019approche de l\u2019\u00e9lection pour que Trump s\u2019y rallie en mars 2020, ent\u00e9rinant le consensus.<\/p>\n\n\n\n Il a fallu la pand\u00e9mie et l\u2019approche de l\u2019\u00e9lection pour que Trump se rallie en mars 2020 \u00e0 la doctrine de la \u00ab nouvelle guerre froide \u00bb, ent\u00e9rinant le consensus.<\/p>MAYA KANDEL<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Le ciblage et la r\u00e9compense de groupes identifi\u00e9s a donn\u00e9 certaines d\u00e9cisions notamment sur Isra\u00ebl, en raison du pacte conclu entre Trump et les \u00e9vang\u00e9liques en 2016<\/a>, ou le climat, avec le choix de la \u00ab supr\u00e9matie \u00e9nerg\u00e9tique \u00bb affich\u00e9 en objectif strat\u00e9gique, l\u00e0 aussi d\u00e9termin\u00e9 en grande partie par un accord conclu en 2016 avec les grands groupes p\u00e9troliers. Certains choix de politique industrielle et commerciale r\u00e9pondaient aussi aux attentes des \u00e9lecteurs-cl\u00e9s qui ont fait gagner Trump, dans la Rust Belt (Michigan, Pennsylvanie), r\u00e9gion la plus durement frapp\u00e9e par les d\u00e9localisations mais aussi l\u2019abandon du charbon. L\u2019agenda anti-Obama r\u00e9pond \u00e0 une obsession personnelle de Trump, mais aussi au mouvement Tea Party (dont l\u2019\u00e9lection de Trump est aussi l\u2019expression la plus aboutie), et s\u2019est traduit par la destruction m\u00e9thodique de l\u2019h\u00e9ritage d\u2019Obama en politique \u00e9trang\u00e8re (sortie de l\u2019Accord de Paris, de l\u2019accord sur le nucl\u00e9aire iranien, de l\u2019ouverture \u00e0 Cuba, et bien s\u00fbr d\u00e9nonciation imm\u00e9diate du TPP). Si certains \u00e9l\u00e9ments auraient pu trouver leur place dans une administration r\u00e9publicaine plus classique (Iran, climat), d\u2019autres constituent une rupture et ont fait l\u2019objet d\u2019une lutte acharn\u00e9e, pas toujours tranch\u00e9e, entre la Maison Blanche et le Congr\u00e8s en particulier. C\u2019est ce qui explique la nature schizophr\u00e9nique, voire la double politique \u00e9trang\u00e8re qui a concern\u00e9 l\u2019Europe au premier chef, ou les instruments de la politique \u00e9trang\u00e8re : c\u2019est le Congr\u00e8s et notamment le S\u00e9nat r\u00e9publicain qui a d\u00e9fendu l\u2019OTAN, renforc\u00e9 les d\u00e9penses am\u00e9ricaines de dissuasion sur le flanc Est de l\u2019Europe, durci la position vis-\u00e0-vis de la Russie, et prot\u00e9g\u00e9 le budget de la diplomatie contre les assauts r\u00e9p\u00e9t\u00e9s de la Maison Blanche. <\/p>\n\n\n\n Ces contradictions illustrent la p\u00e9rennit\u00e9 de plusieurs courants de politique \u00e9trang\u00e8re au sein du parti r\u00e9publicain, m\u00eame si le parti s\u2019est rang\u00e9 derri\u00e8re Trump (ils ont les m\u00eames \u00e9lecteurs), signe de tensions persistantes au sein de la nouvelle alliance amen\u00e9e par Trump entre isolationnistes et nationalistes, au d\u00e9triment des interventionnistes assimil\u00e9s aux n\u00e9oconservateurs et rejet\u00e9s par les \u00e9lecteurs trumpistes. L\u2019un des aspects les plus comment\u00e9s chez les universitaires et experts a \u00e9t\u00e9 la \u00ab destruction de l\u2019ordre lib\u00e9ral international \u00bb : elle illustre l\u2019ascendant et la mainmise du courant souverainiste sur le parti r\u00e9publicain, symbolis\u00e9 par Bolton, \u00e9ph\u00e9m\u00e8re compagnon de route du trumpisme, qui a su utiliser Trump pour faire avancer sa croisade personnelle contre la gouvernance mondiale. Mais s\u2019il fallait caract\u00e9riser le trumpisme et la doctrine America First<\/em> en un mot ce serait le nationalisme (ou national-populisme pour \u00e9voquer les circulations transatlantiques et l\u2019importance du contexte). On retrouve ici l\u2019influence de Bannon et Miller, mais aussi du Claremont Institute, centre de r\u00e9flexion de la c\u00f4te Ouest et fournisseur officiel d\u2019id\u00e9es au trumpisme, qui s\u2019est ralli\u00e9 tr\u00e8s t\u00f4t \u00e0 la candidature Trump, avec Michael Anton, justement sur la politique \u00e9trang\u00e8re. D\u2019autres se sont ralli\u00e9s, avec des objectifs moins clairs (synth\u00e8se difficile) comme le Hudson, o\u00f9 Pence avait prononc\u00e9 le discours d\u2019ouverture des hostilit\u00e9s sur la Chine en octobre 2018 \u2013 mais il a fallu la pand\u00e9mie et une \u00e9ch\u00e9ance \u00e9lectorale soudain moins bien engag\u00e9e pour que Trump se rallie derri\u00e8re le consensus interagences de sa propre administration. Une \u00ab nouvelle guerre froide \u00bb contre la Chine permet d\u2019ailleurs de rallier les internationalistes, y compris les ex- et toujours n\u00e9oconservateurs. Pour autant, sur le plan de la politique \u00e9trang\u00e8re justement, la synth\u00e8se intellectuelle n\u2019est pas achev\u00e9e \u2013 et le d\u00e9bat n\u2019est pas tranch\u00e9 : demeure une forte tension entre tentation isolationniste, favorable \u00e0 un retranchement des \u00c9tats-Unis derri\u00e8re leurs fronti\u00e8res, et tendance h\u00e9g\u00e9monique o\u00f9 la supr\u00e9matie militaire demeure essentielle. <\/p>\n\n\n\n L\u2019un des aspects les plus comment\u00e9s chez les universitaires et experts a \u00e9t\u00e9 la \u00ab destruction de l\u2019ordre lib\u00e9ral international \u00bb : elle illustre l\u2019ascendant et la mainmise du courant souverainiste sur le parti r\u00e9publicain, symbolis\u00e9 par Bolton, \u00e9ph\u00e9m\u00e8re compagnon de route du trumpisme, qui a su utiliser Trump pour faire avancer sa croisade personnelle contre la gouvernance mondiale.<\/p>MAYA KANDEL<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Le politologue am\u00e9ricain Colin Dueck, qui s\u2019est sp\u00e9cialis\u00e9 sur l\u2019\u00e9tude de la politique \u00e9trang\u00e8re du parti r\u00e9publicain, a montr\u00e9<\/a> qu\u2019il y a trois grands courants de politique \u00e9trang\u00e8re au sein du parti r\u00e9publicain. Le premier courant, dominant dans les \u00e9lites du parti depuis 1945, est le courant internationaliste. Tous les pr\u00e9sidents r\u00e9publicains depuis Eisenhower jusqu\u2019\u00e0 Trump \u00e9taient internationalistes, favorables \u00e0 une politique \u00e9trang\u00e8re am\u00e9ricaine activiste, d\u00e9fendant l\u2019ordre international institu\u00e9 apr\u00e8s la Seconde Guerre mondiale et s\u2019appuyant avant tout sur les institutions internationales et un syst\u00e8me d\u2019alliances mettant les Etats-Unis au centre et en position de leadership. Ce courant est compos\u00e9 de r\u00e9alistes et de n\u00e9oconservateurs, ces derniers ayant pris l\u2019ascendant avec la pr\u00e9sidence Reagan.<\/p>\n\n\n\n Le deuxi\u00e8me courant peut \u00eatre caract\u00e9ris\u00e9 d\u2019isolationniste, et a domin\u00e9 le parti r\u00e9publicain dans les ann\u00e9es 1920 et 1930 notamment. Il est oppos\u00e9 en particulier aux alliances contraignantes et aux interventions militaires non d\u00e9fensives (penser \u00e0 la non-ratification du Trait\u00e9 de Versailles en 1919 par exemple, et \u00e0 la non-participation des \u00c9tats-Unis \u00e0 la SDN). D\u2019inspiration libertaire, il est ancr\u00e9 dans l\u2019ADN am\u00e9ricain depuis les origines mais a \u00e9t\u00e9 marginalis\u00e9 pendant la guerre froide en raison de l\u2019imp\u00e9ratif de lutte contre le communisme. Il a ressurgi avec force \u00e0 la fin de la guerre froide, avec une pause apr\u00e8s les attentats de 2001, et est repr\u00e9sent\u00e9 entre autres par Rand Paul (et son p\u00e8re Ron avant lui), aujourd\u2019hui l\u2019un des fervents soutiens de Trump au S\u00e9nat.<\/p>\n\n\n\n Ce courant nationaliste repr\u00e9sente bien les vues de politique \u00e9trang\u00e8re du Tea Party, favorable \u00e0 un haut niveau d\u00e9penses militaires et \u00e0 une attitude plus agressive contre le terrorisme, \u00e0 l\u2019image de Trump.<\/p>MAYA KANDEL<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Enfin, le troisi\u00e8me courant est avant tout nationaliste, et demeurait jusqu\u2019\u00e0 Trump peu repr\u00e9sent\u00e9s au niveau des \u00e9lites et dans les think tanks<\/em>, vide que le Claremont Institute est venu combler, rejoint par d\u2019autres qui se sont ralli\u00e9s au trumpisme en embrassant la lutte contre le d\u00e9fi chinois \u00e0 la supr\u00e9matie am\u00e9ricaine (Hudson). Ce courant nationaliste repr\u00e9sente bien les vues de politique \u00e9trang\u00e8re du Tea Party, favorable \u00e0 un haut niveau d\u00e9penses militaires et \u00e0 une attitude plus agressive contre le terrorisme, \u00e0 l\u2019image de Trump. Les nationalistes ne sont pas ni pacifistes ni isolationnistes, mais sont en effet hostiles aux interventions humanitaires ou de nation-building<\/em>, \u00e0 l\u2019aide \u00e9trang\u00e8re, aux institutions internationales en g\u00e9n\u00e9ral et \u00e0 l\u2019id\u00e9e de gouvernance globale<\/a> : ce sont de farouches d\u00e9fenseurs de la souverainet\u00e9 am\u00e9ricaine.<\/p>\n\n\n\n Historiquement, les nationalistes ont constitu\u00e9 le groupe pivot du parti r\u00e9publicain sur les questions internationales, un groupe dont le soutien \u00e9tait indispensable pour toute intervention militaire majeure et durable. Leur alliance avec les internationalistes a soutenu l\u2019activisme am\u00e9ricain pendant la guerre froide, de m\u00eame que dans l\u2019imm\u00e9diat apr\u00e8s-11 septembre 2001. Pendant toute cette p\u00e9riode, les internationalistes ont domin\u00e9 et les non-interventionnistes \u00e9taient marginalis\u00e9s. Or Trump a favoris\u00e9 l\u2019\u00e9mergence d\u2019une nouvelle alliance entre non-interventionnistes et nationalistes, en marginalisant cette fois les internationalistes, identifi\u00e9s aux n\u00e9oconservateurs et donc aux \u00e9lites du parti en politique \u00e9trang\u00e8re. C\u2019est cette alliance qui est sans pr\u00e9c\u00e9dent depuis les ann\u00e9es 1930. Apr\u00e8s quatre ans de pr\u00e9sidence Trump, elle semble bien avoir produit une nouvelle posture si ce n\u2019est une doctrine, articul\u00e9e autour d\u2019une politique \u00e9trang\u00e8re avant tout \u00e9conomico-juridique (sanctions), et d\u2019une nouvelle guerre froide au moins dans le domaine commercial et technologique avec la Chine. Le dernier livre de Colin Dueck s\u2019intitule d\u2019ailleurs Age of Iron : on Conservative Nationalism<\/em><\/a>.<\/em><\/p>\n\n\n\n Trump a favoris\u00e9 l\u2019\u00e9mergence d\u2019une nouvelle alliance entre non-interventionnistes et nationalistes, en marginalisant cette fois les internationalistes, identifi\u00e9s aux n\u00e9oconservateurs et donc aux \u00e9lites du parti en politique \u00e9trang\u00e8re.<\/p>MAYA KANDEL<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Nombre d\u2019observateurs insistent avec raison sur les \u00e9l\u00e9ments de continuit\u00e9 entre la politique \u00e9trang\u00e8re de Trump et celle de son pr\u00e9d\u00e9cesseur d\u00e9mocrate, Barack Obama, en particulier la double volont\u00e9 de d\u00e9sengagement du Moyen-Orient et de pivot vers l\u2019Asie. On pourrait y ajouter le refus d\u2019\u00eatre le \u00ab gendarme du monde \u00bb, c\u2019est-\u00e0-dire le garant de l\u2019ordre international, pour Obama parce que les \u00c9tats-Unis n\u2019en auraient plus les moyens, pour Trump parce que ce ne serait plus dans leur int\u00e9r\u00eat : dans les deux cas, les alli\u00e9s sont appel\u00e9s \u00e0 en faire davantage, les adversaires y trouvent des opportunit\u00e9s nouvelles. Mais ces \u00e9l\u00e9ments ne doivent pas masquer la v\u00e9ritable rupture, le rejet du principe directeur de la politique \u00e9trang\u00e8re am\u00e9ricaine de l\u2019apr\u00e8s-guerre froide, selon lequel l\u2019inclusion des rivaux au sein de l\u2019architecture internationale (institutions et r\u00e8gles) devait en faire des \u00ab partenaires responsables \u00bb pour les \u00c9tats-Unis dans la d\u00e9fense de la s\u00e9curit\u00e9 et de la prosp\u00e9rit\u00e9 globales (Chine \u00e0 l\u2019OMC, Russie au G7). Les documents<\/a> strat\u00e9giques<\/a> de l\u2019administration Trump s\u2019ouvrent sur le constat d\u2019\u00e9chec de cette approche. Son administration consid\u00e8re que cette architecture internationale n\u2019est plus adapt\u00e9e au syst\u00e8me international actuel et entend remettre \u00e0 jour ses principaux \u00e9l\u00e9ments pour les adapter au nouveau contexte, celui de la rivalit\u00e9 am\u00e9ricano-chinoise : il s\u2019agit bien de r\u00e9inventer les institutions, les alliances et certaines r\u00e8gles, notamment sur le plan commercial et technologique. <\/p>\n\n\n\n Le \u00ab trumpisme \u00bb en politique \u00e9trang\u00e8re a \u00e9t\u00e9 qualifi\u00e9 de jacksonien : dans la typologie<\/a> d\u00e9finie par l\u2019historien Walter Russell Mead, le jacksonisme, en r\u00e9f\u00e9rence \u00e0 Andrew Jackson, pr\u00e9sident populiste et nationaliste qui avait \u00e9largi le vote populaire et acc\u00e9l\u00e9r\u00e9 le \u00ab nettoyage ethnique \u00bb des Am\u00e9rindiens, qualifie une politique \u00e9trang\u00e8re fond\u00e9e sur une red\u00e9finition \u00e9troite des int\u00e9r\u00eats am\u00e9ricains, \u00e9levant au-dessus de tout l\u2019imp\u00e9ratif de souverainet\u00e9, n\u00e9cessaire \u00e0 la pr\u00e9servation de la libert\u00e9 d\u2019action am\u00e9ricaine : la politique \u00e9trang\u00e8re jacksonienne rejette toute mission universelle au profit de la seule realpolitik. Le jacksonisme de la \u00ab doctrine Trump \u00bb s\u2019est traduit par un assaut g\u00e9n\u00e9ralis\u00e9 contre le \u00ab globalisme \u00bb r\u00e9pondant avant tout aux motivations int\u00e9rieures de la base \u00e9lectorale trumpienne, repr\u00e9sent\u00e9e par les Am\u00e9ricains qui se consid\u00e8rent comme les perdants de la mondialisation au profit d\u2019une \u00ab \u00e9lite mondialis\u00e9e \u00bb consid\u00e9r\u00e9e comme l\u2019ennemi, voire comme anti-am\u00e9ricaine. Elle s\u2019est manifest\u00e9e \u00e0 travers les attaques syst\u00e9matiques contre les alliances et institutions internationales \u2013 de l\u2019OTAN \u00e0 l\u2019ONU, au G7, et \u00e0 l\u2019OMC<\/a>, dont le m\u00e9canisme de r\u00e8glement des diff\u00e9rends a \u00e9t\u00e9 rendu de facto <\/em>inop\u00e9rant par Washington, ou aujourd\u2019hui contre l\u2019OMS ; ou encore \u00e0 travers le retrait pur et simple de l\u2019UNESCO ou de la Commission des Droits de l\u2019Homme de l\u2019ONU. L\u2019ensemble traduit bien cet assaut g\u00e9n\u00e9ralis\u00e9 contre ce que Trump et sa base appellent le \u00ab globalisme \u00bb et auquel ils opposent le nationalisme de la ligne America First<\/em>. <\/p>\n\n\n\n Le jacksonisme de la \u00ab doctrine Trump \u00bb s\u2019est traduit par un assaut g\u00e9n\u00e9ralis\u00e9 contre le \u00ab globalisme \u00bb r\u00e9pondant avant tout aux motivations int\u00e9rieures de la base \u00e9lectorale trumpienne, repr\u00e9sent\u00e9e par les Am\u00e9ricains qui se consid\u00e8rent comme les perdants de la mondialisation au profit d\u2019une \u00ab \u00e9lite mondialis\u00e9e \u00bb consid\u00e9r\u00e9e comme l\u2019ennemi, voire comme anti-am\u00e9ricaine.<\/p>MAYA KANDEL<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Les Am\u00e9ricains avaient coutume de se proclamer \u00ab multilat\u00e9ralistes quand nous le pouvons, unilat\u00e9ralistes quand nous le devons \u00bb. Le rejet actuel du multilat\u00e9ralisme traduit aussi le d\u00e9clin relatif de la puissance am\u00e9ricaine, en raison de la mont\u00e9e en puissance de la Chine, tr\u00e8s visible au sein des organisations internationales justement. Les Etats-Unis \u00e9taient multilat\u00e9ralistes, soit parce qu\u2019ils \u00e9taient suffisamment puissants pour que leur volont\u00e9 s\u2019impose d\u2019elle-m\u00eame, soit parce qu\u2019ils pouvaient se permettre un r\u00e9sultat moins optimal mais justifi\u00e9 in fine<\/em> par l\u2019imp\u00e9ratif plus \u00e9lev\u00e9 de maintien de la stabilit\u00e9 h\u00e9g\u00e9monique. Ces marges de man\u0153uvre ont aujourd\u2019hui disparu et les \u00c9tats-Unis sont unilat\u00e9ralistes avant tout parce qu\u2019ils ne sont plus aussi puissants relativement<\/em>. Ils sont m\u00eame plut\u00f4t \u00ab bilat\u00e9ralistes \u00bb, pour reprendre l\u2019analyse<\/a> de David Haglund, gestion optimale d\u2019une puissance dominant encore toute relation bilat\u00e9rale.<\/p>\n\n\n\n Ce choix est ins\u00e9parable de l\u2019\u00e9volution id\u00e9ologique du parti r\u00e9publicain en parti souverainiste dont l\u2019un des mots d\u2019ordre est une opposition visc\u00e9rale \u00e0 la gouvernance mondiale au nom de l\u2019ind\u00e9pendance nationale, de la libert\u00e9 d\u2019action, et de la l\u00e9gitimit\u00e9 unique de la Constitution am\u00e9ricaine. Depuis les ann\u00e9es 1990, dans une \u00e9volution donc largement ant\u00e9rieure \u00e0 Trump, le parti r\u00e9publicain a progressivement adopt\u00e9 une opposition syst\u00e9matique \u00e0 l\u2019ONU mais aussi plus largement<\/a> \u00e0 la diplomatie, au multilat\u00e9ralisme, et \u00e0 toute forme d\u2019accord international, s\u2019opposant \u00e0 la ratification de la quasi-totalit\u00e9 des trait\u00e9s. Ainsi, m\u00eame des trait\u00e9s comme celui de l\u2019ONU sur le droit de la mer, ou encore le trait\u00e9 sur les droits des personnes handicap\u00e9es (Disability Treaty<\/em>), pourtant une initiative am\u00e9ricaine, n\u2019ont pu \u00eatre ratifi\u00e9s par le S\u00e9nat am\u00e9ricain.<\/p>\n\n\n\n Depuis les ann\u00e9es 1990, dans une \u00e9volution donc largement ant\u00e9rieure \u00e0 Trump, le parti r\u00e9publicain a progressivement adopt\u00e9 une opposition syst\u00e9matique \u00e0 l\u2019ONU mais aussi plus largement \u00e0 la diplomatie, au multilat\u00e9ralisme, et \u00e0 toute forme d\u2019accord international, s\u2019opposant \u00e0 la ratification de la quasi-totalit\u00e9 des trait\u00e9s.<\/p>MAYA KANDEL<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Il faut revenir \u00e0 un article<\/a> publi\u00e9 en 2000 par John Bolton (alors vice-pr\u00e9sident du think tank American Enterprise Institute<\/em>), qui rejetait le projet de \u00ab gouvernance mondiale \u00bb symbole de la \u00ab mondialisation heureuse \u00bb des ann\u00e9es 1990, repr\u00e9sent\u00e9e aux \u00c9tats-Unis par la doctrine Clinton d\u2019\u00e9largissement des d\u00e9mocraties de march\u00e9 et d\u2019intervention humanitaire sous l\u2019\u00e9gide de l\u2019ONU (ou au moins de l\u2019OTAN). Ce projet multilat\u00e9raliste assimil\u00e9 aux d\u00e9mocrates est d\u00e9nonc\u00e9 par le parti r\u00e9publicain post-guerre froide comme mena\u00e7ant la souverainet\u00e9 et la libert\u00e9 d\u2019action des \u00c9tats-Unis. C\u2019est bien au nom de la d\u00e9fense de l\u2019identit\u00e9 am\u00e9ricaine que la gouvernance mondiale et ce qui l\u2019accompagne \u2013 droit international, multilat\u00e9ralisme \u2013 sont ici consid\u00e9r\u00e9s comme anti-am\u00e9ricains. Ce clivage est aujourd’hui largement familier d\u2019autant qu\u2019il s\u2019est r\u00e9pandu dans le monde, opposant les nationaux-populistes aux \u00ab globalistes \u00bb, dans un combat identitaire donc sans compromis possible : la victoire de l\u2019un ne peut venir que la d\u00e9faite de l\u2019autre.<\/p>\n\n\n\n Le mouvement conservateur, armature intellectuelle du parti r\u00e9publicain, a cherch\u00e9, apr\u00e8s trois ans de pr\u00e9sidence Trump et \u00e0 l\u2019approche d\u2019une nouvelle \u00e9ch\u00e9ance \u00e9lectorale, \u00e0 \u00ab th\u00e9oriser les instincts \u00bb de ce pr\u00e9sident hors-normes, en accord avec le nouveau socle \u00e9lectoral du parti, afin de conserver ces nouveaux \u00e9lecteurs qui ont port\u00e9 Trump et le parti r\u00e9publicain au pouvoir, \u00e0 la pr\u00e9sidence comme au Congr\u00e8s. Cette \u00ab th\u00e9orisation \u00e0 rebours<\/a> \u00bb du trumpisme en \u00ab conservatisme national \u00bb \u00e9claire l\u2019\u00e9volution de ce national-populisme \u00e0 l\u2019am\u00e9ricaine dont les r\u00e9sonnances sont nombreuses avec les populismes europ\u00e9ens et en particulier avec la th\u00e9orisation orbanienne de la d\u00e9mocratie \u00ab illib\u00e9rale \u00bb chr\u00e9tienne<\/a>. Mais ce renouveau nationaliste am\u00e9ricain a \u00e9galement ses sp\u00e9cificit\u00e9s, li\u00e9es \u00e0 l\u2019histoire des \u00c9tats-Unis, \u00e0 la construction de son identit\u00e9 et de son rapport au monde. Le rejet de la politique \u00e9trang\u00e8re am\u00e9ricaine r\u00e9cente y occupe en effet une place centrale : mais la question du r\u00f4le des \u00c9tats-Unis dans le monde est \u00e9galement le point le plus confus de cette nouvelle mouvance, \u00e9cartel\u00e9e entre des p\u00f4les encore oppos\u00e9s \u2013 mais qui pourraient se rejoindre derri\u00e8re l\u2019affrontement avec la Chine. Surtout, ce n\u2019est qu\u2019un des mouvements d\u2019id\u00e9es qui se disputent le socle \u00e9lectoral de Trump \u2013 et l\u2019h\u00e9ritage du trumpisme.<\/p>\n\n\n\n La question du r\u00f4le des \u00c9tats-Unis dans le monde est \u00e9galement le point le plus confus de cette nouvelle mouvance, \u00e9cartel\u00e9e entre des p\u00f4les encore oppos\u00e9s \u2013 mais qui pourraient se rejoindre derri\u00e8re l\u2019affrontement avec la Chine.<\/p>MAYA KANDEL<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Chez les nationaux-conservateurs, on retrouve une vision du monde qui m\u00eale la lecture civilisationniste de Samuel Huntington<\/a>, le prisme \u00ab nationalistes contre globalistes \u00bb repris par Trump dans les textes r\u00e9dig\u00e9s par Stephen Miller, mais aussi l\u2019obsession souverainiste de longue date de certains secteurs r\u00e9publicains et d\u2019intellectuels comme ceux du Claremont Institute<\/a>, dont le principe fondateur, rappelons-le, est qu\u2019il faut \u00ab restaurer les principes de la fondation du pays \u00bb : la Constitution am\u00e9ricaine est consid\u00e9r\u00e9e comme la seule source de l\u00e9gitimit\u00e9 et de droit, ce qui explique aussi pourquoi l\u2019Union Europ\u00e9enne figure \u00e0 tel point comme h\u00e9r\u00e9sie, ennemi \u00e0 abattre. La politique \u00e9trang\u00e8re de Mike Pompeo, proche du Claremont, doit ainsi souvent \u00eatre comprise dans ses deux dimensions, int\u00e9rieure et ext\u00e9rieure, dans le cadre d\u2019un double affrontement \u00e0 la fois interne et mondial : contre une \u00e9lite internationaliste favorables \u00e0 la gouvernance mondiale et au multilat\u00e9ralisme (\u00ab globaliste \u00bb), mais aussi au multiculturalisme \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur (\u00ab cosmopolite \u00bb) ; et contre ceux qui veulent la fin de l\u2019Occident (la Chine et l\u2019Islam politique). Mais l\u00e0 o\u00f9 Pompeo (comme Yoram Hazony<\/a>, auteur de La vertu du nationalisme<\/em>) parle de red\u00e9finir les alliances en accord avec ces principes, et d\u2019encourager les nationalistes de tous les pays, d\u2019autres, comme Tucker Carlson, proche de Trump et animateur vedette de Fox News<\/a>, dont l\u2019\u00e9mission est la deuxi\u00e8me plus regard\u00e9e au niveau national, d\u00e9fendent un authentique isolationnisme qui envisage la politique \u00e9trang\u00e8re comme la d\u00e9fense de l\u2019int\u00e9r\u00eat am\u00e9ricain red\u00e9fini a minima <\/em> : s\u00e9curit\u00e9 du territoire, protection des fronti\u00e8res, d\u00e9fense des entreprises am\u00e9ricaines contre la concurrence chinoise ; dans cette optique, il faut non seulement quitter le Moyen-Orient mais aussi la Cor\u00e9e du Sud et l\u2019Europe, l\u2019id\u00e9e de faire la guerre pour d\u00e9fendre Taiwan n\u2019est pas prise au s\u00e9rieux, et l\u2019OTAN est obsol\u00e8te (et \u00ab pourquoi ne serait-on pas amis avec la Russie \u00bb). Dans un \u00e9change avec le pr\u00e9sident Trump, Tucker Carlson s\u2019\u00e9tait demand\u00e9 pourquoi il devrait envoyer son fils mourir pour le Montenegro, \u00e0 l\u2019occasion de l\u2019entr\u00e9e de ce pays dans l\u2019OTAN ; r\u00e9ponse r\u00e9v\u00e9latrice de Trump : \u00ab je me pose la m\u00eame question \u00bb.<\/p>\n\n\n\n Dans un \u00e9change avec le pr\u00e9sident Trump, Tucker Carlson s\u2019\u00e9tait demand\u00e9 pourquoi il devrait envoyer son fils mourir pour le Montenegro, \u00e0 l\u2019occasion de l\u2019entr\u00e9e de ce pays dans l\u2019OTAN ; r\u00e9ponse r\u00e9v\u00e9latrice de Trump : \u00ab je me pose la m\u00eame question \u00bb.<\/p>MAYA KANDEL<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Une \u00e9t<\/a>u<\/a>de de 2019<\/a> du think tank de gauche Center for American Progress <\/em>sur l\u2019\u00e9volution de l\u2019opinion am\u00e9ricaine sur la politique \u00e9trang\u00e8re pointait l\u2019existence d\u2019un \u00ab bloc nationaliste \u00bb au sein de l\u2019opinion : un tiers des \u00e9lecteurs, soit le plus gros groupe identifi\u00e9 par l\u2019\u00e9tude, pouvait \u00eatre d\u00e9crit comme un bloc nationaliste, d\u00e9fini par une volont\u00e9 de retrait du monde et l\u2019adh\u00e9sion aux positions de Trump sur l\u2019immigration et le commerce. L\u2019un des marqueurs les plus importants \u00e9tait la dimension g\u00e9n\u00e9rationnelle, \u00e9galement soulign\u00e9e par d\u2019autres \u00e9tudes<\/a>, montrant que les plus internationalistes sont dans la population vieillissante, tandis que la majorit\u00e9 des moins de 40 ans pense que les \u00c9tats-Unis devraient \u00ab rester \u00e0 l\u2019\u00e9cart des affaires du monde \u00bb. Sans les justifier, des \u00e9volutions d\u00e9mographiques \u00e9clairent ces positionnements marqu\u00e9s par la crainte. Selon une \u00e9tude<\/a> du centre de recherche Pew en 2017, la population des \u00c9tats-Unis n\u00e9e \u00e0 l\u2019\u00e9tranger atteignait 44,4 millions d\u2019habitants ; le pourcentage d\u2019immigrants vivant aux \u00c9tats-Unis repr\u00e9sentait 13,6 % de la population, juste en dessous du record de 1890 \u00e0 14,8 %. De 1990 \u00e0 2007, la population d\u2019immigrants ill\u00e9gaux a \u00e9t\u00e9 multipli\u00e9e par trois, pour atteindre 12,2 millions en 2007. Elle est aujourd\u2019hui estim\u00e9e \u00e0 10,5 millions. Ces chiffres sont proches du plus haut niveau historique de 1890 et 1910, deux moments pr\u00e9ludes \u00e0 des fi\u00e8vres de nationalisme, au vote de lois des quotas (1923 et 1924), et \u00e0 la p\u00e9riode la plus isolationniste de la politique \u00e9trang\u00e8re am\u00e9ricaine (ann\u00e9es 1920 et 1930). <\/p>\n\n\n\n Il y a des fondamentaux qui ne changeront pas avec ou sans Trump : le constat d\u2019un ordre international qui ne sert plus les int\u00e9r\u00eats am\u00e9ricains et qu\u2019il convient de r\u00e9former (dynamiter, selon Trump) ; la n\u00e9cessit\u00e9 de renouer le lien avec la politique int\u00e9rieure ; le rejet des interventions militaires sauf si l\u2019int\u00e9r\u00eat national est directement menac\u00e9 ; une r\u00e9\u00e9valuation des alliances et des alli\u00e9s. Mais la politique \u00e9trang\u00e8re est \u00e0 la fois au c\u0153ur du conservatisme national, tout en constituant la grande faiblesse de ce mouvement, en raison de la confusion qui y r\u00e8gne, et des questions existentielles que son \u00e9volution pose pour le pays. Car les \u00c9tats-Unis se sont toujours d\u00e9finis par l\u2019exceptionnalisme, la conviction d\u2019avoir un r\u00f4le unique \u00e0 jouer dans le monde : or le d\u00e9sengagement du monde suppose aussi un renoncement, celui d\u2019une posture h\u00e9g\u00e9monique \u00e0 l\u2019international. Il n\u2019est pas certain que le pays et ses \u00e9lites y soient pr\u00eats : car en rejetant l\u2019exceptionnalisme, les \u00c9tats-Unis deviendraient un pays comme les autres, une \u00ab puissance normale \u00bb. Ce point interroge profond\u00e9ment l\u2019identit\u00e9 am\u00e9ricaine \u2013 dont la crise est li\u00e9e<\/a> \u00e0 celle de la politique \u00e9trang\u00e8re et \u00e9claire le moment actuel aux \u00c9tats-Unis. <\/p>\n\n\n\n Les \u00c9tats-Unis se sont toujours d\u00e9finis par l\u2019exceptionnalisme, la conviction d\u2019avoir un r\u00f4le unique \u00e0 jouer dans le monde : or le d\u00e9sengagement du monde suppose aussi un renoncement, celui d\u2019une posture h\u00e9g\u00e9monique \u00e0 l\u2019international.<\/p>MAYA KANDEL<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Pour le Claremont Institute, comme pour les nationalistes et les isolationnistes qui entendent revenir aux origines du pays, il convient de renouer avec George Washington et son rejet des \u00ab alliances contraignantes \u00bb ; au-del\u00e0, il s\u2019agirait de revenir \u00e0 la politique \u00e9trang\u00e8re am\u00e9ricaine du premier si\u00e8cle, fond\u00e9e sur la n\u00e9cessit\u00e9 de la puissance \u00e9conomique et donc sur une politique commerciale agressive, dans le but de d\u00e9fendre la base manufacturi\u00e8re et l\u2019emploi am\u00e9ricains, mais aussi sur un imp\u00e9rialisme \u00e9conomique \u00e0 la McKinley qui mette la force de l\u2019\u00c9tat \u00e0 la rescousse des entreprises am\u00e9ricaines, \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur comme \u00e0 l\u2019international \u2013 cet \u00ab imp\u00e9rialisme priv\u00e9 \u00bb proprement am\u00e9ricain, symbolis\u00e9 par la politique asiatique au XIXe<\/sup> si\u00e8cle, par la United Fruit<\/em> en Am\u00e9rique latine jusqu\u2019\u00e0 la Seconde Guerre mondiale \u2013 jusqu\u2019aux sanctions extra-territoriales<\/a> aujourd\u2019hui.<\/p>\n\n\n\n
\r\n <\/picture>\r\n \n <\/a>\n<\/figure>\n\n\nTrump et la fin de la p\u00e9riode post-guerre froide<\/strong><\/h2>\n\n\n\n
\r\n <\/picture>\r\n \n <\/a>\n<\/figure>\n\n\nUne nouvelle synth\u00e8se r\u00e9publicaine : le retour des isolationnistes<\/strong><\/h2>\n\n\n\n
Une politique \u00e9trang\u00e8re \u00ab jacksonienne \u00bb : souverainisme et bilat\u00e9ralisme<\/strong><\/h2>\n\n\n\n
\r\n <\/picture>\r\n \n <\/a>\n<\/figure>\n\n\nLe trumpisme est un nationalisme <\/strong><\/h2>\n\n\n\n
Un \u00ab bloc nationaliste \u00bb, socle \u00e9lectoral du trumpisme<\/strong><\/h2>\n\n\n\n
\r\n <\/picture>\r\n \n <\/a>\n<\/figure>\n\n\nPuissance normale ou puissance h\u00e9g\u00e9monique : la question de l\u2019exceptionnalisme<\/strong><\/h2>\n\n\n\n