En fait, bien que la pand\u00e9mie ne permette toujours pas de faire certaines pr\u00e9visions, il semble peu probable qu’elle puisse \u00e0 elle seule entra\u00eener un renversement radical de la tendance dans l’avenir des villes. En ce qui concerne l’aspect \u00e9conomique, en effet, les discussions sur la crise actuelle montrent que les difficult\u00e9s actuelles restent tr\u00e8s peu li\u00e9es aux dynamiques structurelles ainsi qu’\u00e0 la conjoncture d’\u00e9norme incertitude<\/span>5<\/sup><\/a><\/span>. Apr\u00e8s cela, m\u00eame si tout ne redeviendra pas exactement comme avant<\/span>6<\/sup><\/a><\/span>, les diff\u00e9rences seront tr\u00e8s probablement marginales. En ce qui concerne l’aspect d\u00e9mographico-culturel, c’est l’histoire elle-m\u00eame qui nous apprend comment des \u00e9pisodes de pand\u00e9mie similaires ont conduit \u00e0 de v\u00e9ritables effondrements d\u00e9mographiques \u2013 concentr\u00e9s surtout dans les centres urbains \u2013 avec une reprise progressive et constante des activit\u00e9s.<\/p>\n\n\n\n Cette pr\u00e9misse n\u00e9cessaire \u00e9tant faite, nous pouvons maintenant nous concentrer sur les cons\u00e9quences politiques de cette croissance de l’influence des villes. En effet, l’augmentation de leur importance \u00e9conomique, d\u00e9mographique et culturelle co\u00efncide avec une relative expansion des fonctions sp\u00e9cifiques exerc\u00e9es. On peut penser, par exemple, au r\u00f4le jou\u00e9 par les diff\u00e9rentes administrations municipales dans la lutte contre le changement climatique par le biais des politiques de transport urbain et de la promotion de la mobilit\u00e9 durable ou au r\u00f4le jou\u00e9 par le C40 dans l’accord de Paris de 2015 et les \u00ab Maires du climat \u00bb. Ou bien au r\u00f4le central que jouent les diff\u00e9rentes administrations par rapport aux ph\u00e9nom\u00e8nes migratoires, qui doivent faire face \u00e0 la pratique quotidienne d\u2019une aide aux migrants \u00e0 exercer leur droit d’asile international et \u00e0 int\u00e9grer d’une mani\u00e8re ou d’une autre dans leurs communaut\u00e9s ceux qui ne jouissent pas de ce droit mais qui choisissent \u00e9galement de s’installer sur leur territoire.<\/p>\n\n\n\n Par cons\u00e9quent, si les villes acqui\u00e8rent le pouvoir, la question naturelle est de savoir qui y renonce. La r\u00e9ponse imm\u00e9diate \u00e0 cette question \u2013\u202fc\u2019est l’\u00c9tat \u2013 pourrait cependant \u00eatre trompeuse, en ce qu\u2019elle sugg\u00e8re une sorte de conflit entre municipalit\u00e9 et \u00c9tat ; conflit qui devrait g\u00e9n\u00e9rer, par cons\u00e9quent, un gagnant et un perdant. Il est donc prioritaire de souligner que le probl\u00e8me ne se pose pas en ces termes.<\/p>\n\n\n\n La crise de l’\u00c9tat-nation est un ph\u00e9nom\u00e8ne qui dure depuis longtemps, et sur lequel une vaste litt\u00e9rature scientifique et un d\u00e9bat anim\u00e9 ont fleuri. De cette crise \u2013 qui touche \u00e9galement les organisations intergouvernementales et supranationales (FMI, ONU, OMS, l’UE elle-m\u00eame)\u202f\u2013 \u00e9mergent de nouveaux mod\u00e8les de gouvernance qui impliquent les gouvernements locaux (municipalit\u00e9s et r\u00e9gions). Nous pouvons constater une pouss\u00e9e dans cette direction dans les campagnes d’autonomisation et d’ind\u00e9pendance toujours plus nombreuses et bruyantes, au moins en Europe (Catalogne, Corse, \u00c9cosse, V\u00e9n\u00e9tie, Lombardie) et dans la sph\u00e8re commerciale elle-m\u00eame, o\u00f9 la tendance \u00e0 la \u00ab glocalisation \u00bb est de plus en plus accentu\u00e9e.<\/p>\n\n\n\n D’autre part, l’\u00c9tat appara\u00eet aujourd’hui de plus en plus irrempla\u00e7able dans la gestion de certaines fonctions. La crise \u00e9conomique de 2008, avec les multiples et ruineuses faillites d’\u00e9tablissements bancaires priv\u00e9s en Europe et aux \u00c9tats-Unis, l’a clairement d\u00e9montr\u00e9. Pour donner un exemple : les \u00c9tats membres de l’Union europ\u00e9enne, entre 2008 et 2016, ont investi directement 1\u202f400 milliards d’euros (10 % du PIB continental) pour sauver les institutions en faillite.<\/span>7<\/sup><\/a><\/span><\/p>\n\n\n\n La pand\u00e9mie de Covid-19 elle-m\u00eame a \u00e9galement montr\u00e9 \u00e0 quel point le r\u00f4le des entit\u00e9s \u00e9tatiques individuelles dans le monde est encore central. Ce sont pr\u00e9cis\u00e9ment les seuls \u00c9tats nationaux qui en ont assum\u00e9 la principale charge : soutenir les \u00e9conomies de leur propre territoire, gravement endommag\u00e9es par les mesures sanitaires impos\u00e9es pour le n\u00e9cessaire confinement, ainsi que les limites au commerce qui en d\u00e9coulent.<\/p>\n\n\n\n Face \u00e0 ces sc\u00e9narios probl\u00e9matiques, le r\u00f4le de l’\u00c9tat a clairement \u00e9t\u00e9 renforc\u00e9, \u00e0 tel point que, comme l’ont soulign\u00e9 certains universitaires, le r\u00f4le de l’\u00c9tat lui-m\u00eame en tant que r\u00e9gulateur de l’\u00e9conomie est d\u00e9sormais reconnu m\u00eame par les plus ardents d\u00e9fenseurs du libre march\u00e9. Voil\u00e0 qui nous am\u00e8ne au point central : \u00e9tudier les possibilit\u00e9s et les orientations possibles li\u00e9es \u00e0 un r\u00f4le plus important des villes et des r\u00e9gions dans les relations internationales.<\/p>\n\n\n\n Tout d’abord, il faut dire qu’un tel ph\u00e9nom\u00e8ne existe d\u00e9j\u00e0 depuis un certain temps et qu’il est classifi\u00e9 de mani\u00e8re conventionnelle sous le nom de \u00ab City Diplomacy<\/em> \u00bb. Les exemples abondent, surtout au niveau de ce qu’on appelle \u00ab m\u00e9gapoles \u00bb, ces villes qui comptent au moins 10 millions d’habitants et qui, de ce fait et en raison de leur poids \u00e9conomique souvent important (le PIB de la zone m\u00e9tropolitaine de New York \u00e9tait par exemple sup\u00e9rieur \u00e0 celui de l’ensemble de l’Espagne au dernier trimestre 2019), poursuivent des int\u00e9r\u00eats mondiaux et non pas seulement r\u00e9gionaux, comme les \u00c9tats. Los Angeles a ainsi r\u00e9cemment sign\u00e9 des accords bilat\u00e9raux avec le Mexique.<\/span>8<\/sup><\/a><\/span><\/p>\n\n\n\n Si le contexte statocentrique des relations internationales a, en outre, g\u00e9n\u00e9r\u00e9 des conflits historiques entre les diff\u00e9rents pays \u2013\u202fsurtout en Europe\u202f\u2013 un paradigme plus marqu\u00e9 par les relations entre les diff\u00e9rentes municipalit\u00e9s et r\u00e9gions \u2013\u202fcertainement sous la direction sup\u00e9rieure de l’\u00c9tat central\u202f\u2013 semblerait capable de garantir une plus grande coop\u00e9ration, dont il r\u00e9sulterait une plus grande efficacit\u00e9<\/p>\n\n\n\n Le fait fondamental est que, contrairement aux \u00c9tats \u2013\u202fcomme le maire de Milan, Giuseppe Sala, l’a clairement exprim\u00e9\u202f\u2013 les centres urbains \u00ab ne sont que relativement concurrents \u00bb les uns par rapport aux autres, engag\u00e9s \u00e0 attirer les rares investissements sur leur propre territoire, mais concentrant la comparaison sur l’innovation technologique et \u00e9conomique, la durabilit\u00e9 sociale et environnementale, la capacit\u00e9 \u00e0 cr\u00e9er un environnement favorable au d\u00e9veloppement, et sur d’autres externalit\u00e9s positives qui favorisent le progr\u00e8s, plut\u00f4t que de le freiner.<\/p>\n\n\n\n On peut trouver une explication \u00e0 ce ph\u00e9nom\u00e8ne dans le contexte actuel, de sorte que le pouvoir des villes est encore dans une phase d’expansion \u2013\u202fle processus qui les am\u00e8ne \u00e0 jouer un r\u00f4le toujours plus important au niveau mondial en est donc encore \u00e0 ses d\u00e9buts\u202f\u2013 et que les marges de collaboration sont donc plus larges aujourd’hui qu’elles le seront in\u00e9vitablement \u00e0 l’avenir.<\/p>\n\n\n\n Comme l’affirment Curtis et Acuto : \u00ab Les villes d’aujourd’hui sont sur la corde raide entre collaboration et conflit. Tout comme la th\u00e9orie fonctionnaliste (qui concentrait initialement l’int\u00e9gration sur le plan \u00e9conomique, en \u00e9vitant le niveau politique plus conflictuel) s’\u00e9tait r\u00e9v\u00e9l\u00e9e efficace pour le processus d’int\u00e9gration europ\u00e9enne, il semble qu’elle le soit \u00e9galement pour les villes.\u202f<\/em> \u00bb<\/span>9<\/sup><\/a><\/span><\/p>\n\n\n\n En tout cas, quelle que soit la cause de ce processus, la capacit\u00e9 des centres urbains \u00e0 collaborer entre eux et \u00e0 cr\u00e9er des synergies positives semble aujourd’hui \u00e9vidente, surtout si on la compare au conflit des \u00c9tats, qui a d\u00e9j\u00e0 \u00e9t\u00e9 mentionn\u00e9 plus haut.<\/p>\n\n\n\n Pour donner un exemple concret : l’Italie et la France sont aujourd’hui clairement en concurrence l’une avec l’autre \u2013\u202fbien plus qu’elles n’ont int\u00e9r\u00eat \u00e0 coop\u00e9rer, du moins (l’affaire libyenne et l’affaire Fincantieri, pour ne citer que deux exemples, le d\u00e9montrent amplement). G\u00eanes et Marseille (ports voisins et potentiellement rivaux) ont en revanche sign\u00e9 en septembre 2017 un accord de coop\u00e9ration \u00e9conomique, touristique et culturelle \u00e9troite. \u00c0 ce propos, le maire de G\u00eanes, Marco Bucci, a d\u00e9clar\u00e9\u202f<\/span>10<\/sup><\/a><\/span> :<\/p>\n\n\n\n \u00ab G\u00eanes et Marseille sont deux villes importantes qui connaissent des dynamiques et des processus similaires, leur collaboration est donc naturelle. La premi\u00e8re chose que nous avons en commun est la mer, et avec elle l’\u00e9conomie de la mer. Sur cette question, les deux villes ne doivent pas \u00eatre en concurrence, mais alli\u00e9es : ensemble, nous devons contribuer \u00e0 d\u00e9placer le trafic maritime du nord vers le sud de l’Europe, selon un processus favoris\u00e9 par le r\u00e9cent doublement du canal de Suez, qui fait de la M\u00e9diterran\u00e9e le principal lien entre Extr\u00eame-Orient et Europe \u00bb.<\/p><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Et il ne s’agit pas seulement de G\u00eanes et de Marseille, mais potentiellement de toutes les grandes villes portuaires m\u00e9diterran\u00e9ennes, de Naples \u00e0 Barcelone, de Tunis \u00e0 Beyrouth, du Pir\u00e9e \u00e0 La Valette, de Trieste \u00e0 Izmir.<\/p>\n\n\n\n![](\"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/wp-content\/uploads\/sites\/2\/2019\/11\/GEG-nationalismes-europe-125x89.png\")
\r\n\t<\/picture>\r\n \n <\/a>\n<\/figure>\n\n\n\n\n
Comme on l’a dit, la question fondamentale n’est donc pas de savoir s’il faut ou non surmonter les \u00c9tats-nations, mais quelle forme prendra leur n\u00e9cessaire \u00e9volution face aux d\u00e9fis impos\u00e9s par le pr\u00e9sent.<\/p>\n\n\n\n