{"id":86093,"date":"2020-10-08T10:52:14","date_gmt":"2020-10-08T08:52:14","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=86093"},"modified":"2020-11-15T14:24:49","modified_gmt":"2020-11-15T13:24:49","slug":"la-russie-dans-lotan","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2020\/10\/08\/la-russie-dans-lotan\/","title":{"rendered":"La Russie dans l’OTAN ?"},"content":{"rendered":"\n
Le 12 d\u00e9cembre 1993, la Russie organise des \u00e9lections parlementaires, les premi\u00e8res depuis la r\u00e9pression brutale du pr\u00e9sident Boris Eltsine contre le Parlement, en octobre de la m\u00eame ann\u00e9e. Il s’agit de l’une des \u00e9lections russes les plus d\u00e9mocratiques \u2013\u202f peut-\u00eatre la seule \u00e9lection libre et \u00e9quitable \u00e0 ce jour. Pourtant, \u00e0 la sortie des urnes, les r\u00e9sultats terrifient les observateurs occidentaux : les forces politiques ouvertement pro-d\u00e9mocratiques souffrent un coup dur de la part des communistes et des nationalistes renaissants, les \u00ab rouges \u00bb et les \u00ab bruns \u00bb.<\/p>\n\n\n\n
Ce vote, consid\u00e9r\u00e9 comme d\u00e9sastreux, alerte l’administration Clinton. Strobe Talbott, conseiller sur les affaires russes et ancien colocataire de Clinton \u00e0 l\u2019universit\u00e9, fait part de son appr\u00e9hension aux Britanniques lorsque John Major se rend \u00e0 Washington \u00e0 la fin du mois de f\u00e9vrier 1994. Talbott met en place un exercice au sein du D\u00e9partement d’\u00c9tat \u2013 \u202ftout en veillant \u00e0 maintenir cela secret \u202f\u2013 pour s\u2019assurer que la politique am\u00e9ricaine envers la Russie soit bien \u00ab r\u00e9vis\u00e9e \u00bb, note Roderic Lyne, le secr\u00e9taire particulier de Major. \u00ab Au sein de l’administration, certains ont fait valoir que c’\u00e9tait \u00e0 pr\u00e9sent une erreur d\u2019envisager quelque partenariat que ce soit avec la Russie… \u00bb \u00e9crit Lyne.<\/p>\n\n\n\n
Antony Lake, conseiller \u00e0 la s\u00e9curit\u00e9 nationale de Clinton, se montre quelque peu amer envers la Russie. \u00ab Il [Lake] est enclin \u00e0 adopter une ligne assez dure \u00bb, \u00e9crit Lyne. \u00ab Il estime que le pays va d\u00e9j\u00e0 mal, et que nous ne devrions pas encourager les Russes \u00e0 penser qu’ils peuvent s’immiscer dans diverses questions de mani\u00e8re n\u00e9gative parce que nous leur avons donn\u00e9 le statut de \u201cpartenaire\u201d \u00bb.<\/p>\n\n\n\n
\u00c0 tort ou \u00e0 raison, cette vision de la Russie a in\u00e9vitablement nuanc\u00e9 l’un des d\u00e9bats de politique \u00e9trang\u00e8re les plus importants des ann\u00e9es Clinton : l’\u00e9largissement de l’OTAN. Maintenant que les archives am\u00e9ricaines, britanniques et m\u00eame russes sont d\u00e9classifi\u00e9es, les historiens commencent \u00e0 se poser une question difficile : dans quelle mesure l’\u00e9quipe de Clinton a-t-elle bien g\u00e9r\u00e9 cette t\u00e2che ? Clinton a-t-il \u00ab perdu \u00bb la Russie dans ce processus ?<\/p>\n\n\n\n Cette vision de la Russie a in\u00e9vitablement nuanc\u00e9 l’un des d\u00e9bats de politique \u00e9trang\u00e8re les plus importants des ann\u00e9es Clinton : l’\u00e9largissement de l’OTAN.<\/p>Sergey Radchenko<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Chaque fois que des questions de ce type sont pos\u00e9es, on retrouve toujours une m\u00eame id\u00e9e en r\u00e9ponse : les \u00c9tats-Unis n’ont jamais perdu la Russie. Pourquoi bl\u00e2mer les \u00c9tats-Unis pour des probl\u00e8mes internes propres \u00e0 la Russie ? Pour ses aspirations injustifi\u00e9es \u00e0 la grandeur, pour ses ins\u00e9curit\u00e9s persistantes, pour ses r\u00e9cits politiques empoisonn\u00e9s ? C’est un refrain int\u00e9ressant mais qui sous-estime le r\u00f4le de Washington dans l\u2019\u00e9criture du r\u00e9cit russe, par son action ou inaction.<\/p>\n\n\n\n \u00c0 peine Bill Clinton a-t-il pris ses fonctions qu’il d\u00e9couvre que des pays d’Europe centrale et orientale frappent \u00e0 la porte de l’OTAN, demandant \u00e0 \u00eatre admis. Les raisons de leur anxi\u00e9t\u00e9 sont diverses. Certains \u2013 \u202fcomme le pr\u00e9sident tch\u00e8que Vaclav Havel \u202f\u2013 ont insist\u00e9 sur le th\u00e8me de la civilisation, affirmant \u00e0 Clinton que leur pays voulait rejoindre l’OTAN et l’Union europ\u00e9enne parce qu’ils \u00e9taient \u00ab des Europ\u00e9ens qui embrassent les valeurs europ\u00e9ennes \u00bb. D’autres \u2013 \u202fcomme le pr\u00e9sident polonais Lech Walesa<\/a> \u202f\u2013 ont \u00e9t\u00e9 plus directs sur la menace russe : \u00ab la Pologne ne peut pas \u00eatre laiss\u00e9e sans d\u00e9fense ; nous devons avoir la protection des muscles am\u00e9ricains \u00bb.<\/p>\n\n\n\n Clinton est sensible \u00e0 ce genre d’arguments. \u00c9tant donn\u00e9 la trajectoire incertaine de Moscou, l’\u00e9largissement de l’OTAN semble \u00eatre une bonne couverture strat\u00e9gique au cas o\u00f9 la Russie d\u00e9raillerait. Mais le discours sur l’\u00e9largissement suscite \u00e0 juste titre des appr\u00e9hensions \u00e0 Moscou : ne signifie-t-il pas que de nouvelles lignes de d\u00e9marcation seront cr\u00e9\u00e9es en Europe, que les murs abattus \u00e0 Berlin seront reconstruits plus \u00e0 l’Est ?<\/p>\n\n\n\n Il ne faut pas sous-estimer le r\u00f4le de Washington dans l\u2019\u00e9criture du r\u00e9cit russe, par son action ou inaction.<\/p>SERGEY RADCHENKO<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Pourtant, il serait faux de pr\u00e9tendre que Eltsine et son ministre lib\u00e9ral des Affaires \u00e9trang\u00e8res Andre\u00ef Kozyrev sont en principe oppos\u00e9s \u00e0 l’\u00e9largissement de l’OTAN \u2013 \u202floin de l\u00e0 ! Un des aspects les plus remarquables du discours politique russe dans les ann\u00e9es 1990 a \u00e9t\u00e9 le consensus autour de l’importance de l’adh\u00e9sion de Moscou aux principales organisations internationales, dont l’OTAN. Eltsine lui-m\u00eame a sond\u00e9 cette possibilit\u00e9 \u00e0 plusieurs reprises. Comme il le dit \u00e0 Clinton en janvier 1994, \u00ab la Russie doit \u00eatre le premier pays \u00e0 rejoindre l’OTAN. Ensuite, les autres pays d’Europe centrale et orientale pourront entrer. Il devrait y avoir une sorte de cartel entre les \u00c9tats-Unis, la Russie et les Europ\u00e9ens pour aider \u00e0 assurer et \u00e0 am\u00e9liorer la s\u00e9curit\u00e9 mondiale \u00bb.<\/p>\n\n\n\n Cette mention d’un \u00ab cartel \u00bb est tr\u00e8s \u00e9clairante, car elle montre exactement ce que Eltsine a essay\u00e9 d’accomplir, et pourquoi la perspective d’un \u00e9largissement de l’OTAN sans la Russie est devenue probl\u00e9matique dans les relations entre la Russie et l’Occident. Le \u00ab cartel \u00bb est une version du concert des grandes puissances du XIXe<\/sup> si\u00e8cle que le tsar Alexandre Ier<\/sup> de Russie avait atteint au Congr\u00e8s de Vienne, et peu diff\u00e9rente de ce que Joseph Staline pensait avoir accompli \u00e0 Yalta en f\u00e9vrier 1945. Elle n’est pas non plus tr\u00e8s diff\u00e9rente de ce que Leonid Brejnev avait \u00e0 l’esprit lorsqu’en 1973, il aurait dit \u00e0 Henry Kissinger : \u00ab \u00c9coutez, je veux vous parler en priv\u00e9 \u2013\u202f personne d’autre, pas de notes… \u00c9coutez, vous serez nos partenaires, vous et nous allons diriger le monde \u00bb.<\/p>\n\n\n\n Un des aspects les plus remarquables du discours politique russe dans les ann\u00e9es 1990 a \u00e9t\u00e9 le consensus autour de l’importance de l’adh\u00e9sion de Moscou aux principales organisations internationales, dont l’OTAN.<\/p>SERGEY RADCHENKO<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Le cartel d’Eltsine implique la reconnaissance par l’Am\u00e9rique du statut de la Russie en tant que puissance indispensable dont les vues doivent \u00eatre prises en compte dans la r\u00e9solution des grands probl\u00e8mes internationaux de l’\u00e9poque. Le probl\u00e8me est que, contrairement \u00e0 la Russie d’Alexandre Ier<\/sup> et \u00e0 l’Union sovi\u00e9tique de Staline et Brejnev, la Russie d’Eltsine est une grande puissance seulement sur le papier ; en r\u00e9alit\u00e9, c’est un cas d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9, au bord de l’insolvabilit\u00e9 et ayant toujours besoin de l’aide de l’Occident. Comment les ambitions d’Eltsine peuvent-elles \u00eatre \u00e0 la hauteur de cette r\u00e9alit\u00e9 peu attrayante ?<\/p>\n\n\n\n Le ministre des affaires \u00e9trang\u00e8res Kozyrev pensait avoir la r\u00e9ponse. Kozyrev est depuis longtemps devenu la b\u00eate noire des nationalistes russes en raison de ses pr\u00e9tendues tendances pro-occidentales. En fait, sa position pro-occidentale est une cons\u00e9quence directe de la mentalit\u00e9 de cartel dont Eltsine a parl\u00e9 avec Clinton. \u00ab La chose la plus importante \u00bb, d\u00e9clare-t-il lors d’une r\u00e9union interne du minist\u00e8re des Affaires \u00e9trang\u00e8res au d\u00e9but de 1993, \u00ab est le partenariat avec les \u00c9tats-Unis. En outre, il faut \u00eatre le partenaire principal [des \u00c9tats-Unis], sinon il ne restera rien de notre statut de grande puissance \u00bb.<\/p>\n\n\n\n Contrairement \u00e0 la Russie d’Alexandre Ier<\/sup> et \u00e0 l’Union sovi\u00e9tique de Staline et Brejnev, la Russie d’Eltsine est une grande puissance seulement sur le papier ; en r\u00e9alit\u00e9, c’est un cas d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9, au bord de l’insolvabilit\u00e9 et ayant toujours besoin de l’aide de l’Occident.<\/p>SERGEY RADCHENKO<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n