{"id":84674,"date":"2020-09-26T00:40:42","date_gmt":"2020-09-25T22:40:42","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=84674"},"modified":"2020-11-14T20:15:30","modified_gmt":"2020-11-14T19:15:30","slug":"veneto-texas","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2020\/09\/26\/veneto-texas\/","title":{"rendered":"Veneto, Texas"},"content":{"rendered":"\n
La V\u00e9n\u00e9tie est ma patrie. Bien qu’il existe une R\u00e9publique italienne, cette expression abstraite n’est pas ma patrie. Nous, les V\u00e9n\u00e8tes, avons parcouru le monde, mais notre patrie, celle pour laquelle, s’il y avait quelque chose \u00e0 combattre, nous nous battrions, n’est que la V\u00e9n\u00e9tie. Quand je vois \u00e9crit \u00e0 l’embouchure des ponts sur le Piave \u00ab fleuve sacr\u00e9 pour la patrie \u00bb, je suis \u00e9mu, non pas parce que je pense \u00e0 l’Italie, mais parce que je pense \u00e0 la V\u00e9n\u00e9tie.<\/em><\/span>1<\/sup><\/a><\/span><\/p>\n\n\n\n Les paroles de l’\u00e9crivain de Vicence, Goffredo Parise, en 1982 illustrent assez bien un facteur souvent sous-estim\u00e9 : la V\u00e9n\u00e9tie ne se sent pas italienne. C’est un fait qui \u00e9merge r\u00e9guli\u00e8rement sous des formes plus ou moins inqui\u00e9tantes dans des \u00e9v\u00e9nements souvent sous-estim\u00e9s comme des manifestations folkloriques de r\u00e9volte envers l’\u00c9tat central. De la mythologie du tanko<\/em> \u2013 un tracteur transform\u00e9 en char \u2013 port\u00e9 par un commando de \u00ab S\u00e9r\u00e9nissimes \u00bb \u00e0 la conqu\u00eate de la place Saint-Marc dans la parodie d’un coup d’\u00c9tat militaire<\/span>2<\/sup><\/a><\/span>, en passant par un r\u00e9f\u00e9rendum farcesque sur Internet pour l’ind\u00e9pendance en 2014<\/span>3<\/sup><\/a><\/span> et, enfin, le r\u00e9f\u00e9rendum de 2017, plus institutionnalis\u00e9 et soutenu par la r\u00e9gion, mais pas moins perturbateur, o\u00f9 le Oui \u00e0 l’autonomie l’a emport\u00e9 avec 98,1 % des voix<\/span>4<\/sup><\/a><\/span>, ces faits divers t\u00e9moignent de l’\u00e9mergence \u00e0 intervalles r\u00e9guliers du subconscient du Nord-Est de l’Italie.<\/p>\n\n\n\n Un sentiment d’alt\u00e9rit\u00e9 qui est aussi \u00e9vident pour quiconque a v\u00e9cu ou pass\u00e9 de longues p\u00e9riodes en V\u00e9n\u00e9tie qu’il est substantiellement incompris au niveau national. En la r\u00e9duisant \u00e0 une simple protestation fiscale ou \u00e0 une manifestation d’ignorance, comme le font souvent de nombreux observateurs ext\u00e9rieurs, on risque de perdre de vue le contenu profond de la question de la V\u00e9n\u00e9tie. Finissant par ne pas comprendre les ph\u00e9nom\u00e8nes \u00e9vidents et logiques, si l’on regarde l’\u00e9chelle pertinente, comme la victoire pl\u00e9biscitaire de Luca Zaia, le \u00ab doge<\/em>\u00ab , aux derni\u00e8res \u00e9lections r\u00e9gionales<\/span>5<\/sup><\/a><\/span>. <\/p>\n\n\n\n En la r\u00e9duisant \u00e0 une simple protestation fiscale ou \u00e0 une manifestation d’ignorance, comme le font souvent de nombreux observateurs ext\u00e9rieurs, on risque de perdre de vue le contenu profond de la question de la V\u00e9n\u00e9tie.<\/p>GIOVANNI COLLOT<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Un malentendu qui est favoris\u00e9 par une erreur fondamentale, aliment\u00e9e par tant de propagande, m\u00eame locale : les racines de l’autonomisme ne doivent pas \u00eatre recherch\u00e9es \u00e0 Venise. Pour bien comprendre les fant\u00f4mes qui s’agitent dans le Nord-Est, il faut faire comme Parise : tourner le dos \u00e0 la S\u00e9r\u00e9nissime et \u00e0 son ensemble de mythes, et remonter sur le continent. C’est dans ce paysage sans centre et sans banlieue, travers\u00e9 par les fleuves, o\u00f9 les hangars des usines, les petites villas, la campagne, les centres commerciaux et les ronds-points se succ\u00e8dent sans interruption ; dans cette terre enclav\u00e9e entre Padoue, Vicence, Mestre, Bassano et Tr\u00e9vise, o\u00f9 triomphe la trinit\u00e9 \u00ab schei<\/em><\/span>6<\/sup><\/a><\/span>, territoire et famille \u00bb, qu’il faut chercher le v\u00e9ritable c\u0153ur de la V\u00e9n\u00e9tie. C’est \u00e0 partir de l\u00e0 qu’il faut commencer \u00e0 comprendre le ph\u00e9nom\u00e8ne Luca Zaia<\/a> et \u00e0 r\u00e9fl\u00e9chir \u00e0 son impact au niveau national.<\/p>\n\n\n\n Le d\u00e9bat \u00e0 l’int\u00e9rieur et \u00e0 l’ext\u00e9rieur du Palazzo Ferro Fini sur le Grand Canal \u00e0 Venise, si\u00e8ge du Conseil r\u00e9gional de V\u00e9n\u00e9tie, autour du r\u00e9f\u00e9rendum pour demander l’autonomie de la R\u00e9gion, est repr\u00e9sentatif de la dystonie entre la V\u00e9n\u00e9tie et le reste de l’Italie. D’une part, l’enthousiasme palpable du c\u00f4t\u00e9 de la V\u00e9n\u00e9tie, comme en t\u00e9moignent les paroles du gouverneur de la Lega Luca Zaia : \u00ab aux V\u00e9n\u00e8tes, je dis que la maison de l’autonomie est construite \u00e0 partir des fondations \u00bb. Ou encore du repr\u00e9sentant du Mouvement 5 \u00c9toiles qui, dans une alliance encore in\u00e9dite \u00e0 l’\u00e9poque au niveau national, a jug\u00e9 que le r\u00e9f\u00e9rendum \u00e9tait \u00ab un moment fort de la d\u00e9mocratie, marquant un jalon dans l’histoire de la d\u00e9mocratie \u00bb<\/span>7<\/sup><\/a><\/span>. La V\u00e9n\u00e9tie, laboratoire politique du pays, anticipe la future alliance jaune et verte, au nom de l’autonomie<\/span>8<\/sup><\/a><\/span>. Tout cela, en passant outre le ton bureaucratique de la question \u00ab Voulez-vous que la r\u00e9gion de V\u00e9n\u00e9tie re\u00e7oive d’autres formes et conditions sp\u00e9ciales d’autonomie<\/em> \u00bb, conform\u00e9ment au texte de l’article 117 de la Constitution italienne<\/span>9<\/sup><\/a><\/span>. D’autre part, le silence substantiel sur le sujet de la part du reste du pays, habitu\u00e9 aux d\u00e9clarations vitrioliques qui viennent r\u00e9guli\u00e8rement du nord-est profond.<\/p>\n\n\n\n En fait, le r\u00e9f\u00e9rendum de 2017 n’\u00e9tait qu’une \u00e9tape dans la r\u00e9surgence des demandes d’autonomie ces derni\u00e8res ann\u00e9es, qui ont vu les instances autonomistes se traduire par une s\u00e9rie continue de d\u00e9chirements avec l’\u00c9tat central. Comme la tr\u00e8s controvers\u00e9e consultation en ligne pour l’ind\u00e9pendance de la r\u00e9gion en d\u00e9cembre 2014, organis\u00e9e par des citoyens, qui a re\u00e7u tant d’attention \u00e0 l’\u00e9tranger en raison de sa contemporan\u00e9it\u00e9 avec le r\u00e9f\u00e9rendum sur la Crim\u00e9e, et dont le r\u00e9sultat favorable s’est dissout dans une mer de controverses apr\u00e8s de multiples irr\u00e9gularit\u00e9s dans le vote<\/span>10<\/sup><\/a><\/span>. Ou l’approbation de la loi r\u00e9gionale pour la reconnaissance du \u00ab peuple v\u00e9n\u00e8te \u00bb en tant que minorit\u00e9 nationale en d\u00e9cembre 2016<\/span>11<\/sup><\/a><\/span>. Une s\u00e9rie d’actions qui ne sont, en pratique, que d\u00e9monstratives. Et qui prennent des degr\u00e9s diff\u00e9rents en fonction du moment, de la cr\u00e9ation d’un \u00c9tat autonome \u00e0 la plus prosa\u00efque autonomie fiscale<\/span>12<\/sup><\/a><\/span>. Dans une s\u00e9rie de cas que le sociologue Ilvo Diamanti d\u00e9finit comme \u00ab d’ind\u00e9pendance, donc de non-d\u00e9pendance \u00bb. En un mot, \u00ab d’autonomie \u00bb.<\/span>13<\/sup><\/a><\/span><\/p>\n\n\n\n La V\u00e9n\u00e9tie, laboratoire politique du pays, anticipe la future alliance jaune et verte, au nom de l’autonomie.<\/p>GIOVANNI COLLOT<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Le gouverneur Luca Zaia lui-m\u00eame, qui, gr\u00e2ce \u00e0 une intuition peu commune, est toujours capable de trouver le centre de gravit\u00e9 de son \u00e9lectorat, est devenu le principal porte-parole du d\u00e9sir d’une plus grande autonomie, laisse habituellement les portes ouvertes : \u00ab Ind\u00e9pendance, autonomie. Nous prenons ce qu’ils nous donnent. Nous devons cesser de consid\u00e9rer les fronti\u00e8res r\u00e9gionales, qui datent du XIXe si\u00e8cle, comme immuables : la V\u00e9n\u00e9tie est pr\u00eate pour un nouvel ordre, plus conforme \u00e0 nos attentes \u00bb. D’autre part, dans un style tout \u00e0 fait populiste, c’est lui qui a voulu le r\u00e9f\u00e9rendum, bas\u00e9 sur une question bureaucratique li\u00e9e au rapport entre l’\u00c9tat et la r\u00e9gion, en lui donnant un sens politique, une d\u00e9monstration de force : \u00ab Les V\u00e9n\u00e8tes ont vot\u00e9 en grande majorit\u00e9 pour le oui, pas pour moi, mais pour la V\u00e9n\u00e9tie. Afin de faire comprendre \u00e0 Rome qu’il y a des besoins qui ne peuvent plus \u00eatre ignor\u00e9s. \u00bb<\/span>14<\/sup><\/a><\/span> <\/p>\n\n\n\n Si les demandes d’autonomie ont toujours paru g\u00e9n\u00e9riques, ambigu\u00ebs, c’est parce que l’ambigu\u00eft\u00e9 est un th\u00e8me fondamental du v\u00e9n\u00e9tisme, \u00ab la tension de la V\u00e9n\u00e9tie et des V\u00e9n\u00e8tes vers la reconnaissance de leur propre identit\u00e9 et de leur autonomie. \u00bb<\/span>15<\/sup><\/a><\/span> Un ph\u00e9nom\u00e8ne \u00e0 la fois relativement r\u00e9cent et tr\u00e8s ancien. Plut\u00f4t r\u00e9cente dans ses manifestations ext\u00e9rieures : les positions exprim\u00e9es par Zaia trouvent une r\u00e9f\u00e9rence directe dans la Liga Veneta. La \u00ab m\u00e8re de toutes les ligues \u00bb \u2013 dans la formule de son fondateur et lider maximo<\/em>, le padouan Franco Rocchetta \u2013 n’est officiellement n\u00e9e qu’en 1980, dans la premi\u00e8re r\u00e9gurgitation r\u00e9gionaliste de la politique italienne, et a obtenu ses premiers triomphes \u00e9lectoraux en 1983, dans lesquels, avec un v\u00e9ritable exploit, elle a \u00e9lu un d\u00e9put\u00e9 et un s\u00e9nateur. Un r\u00e9sultat qui s’inspirait fortement de la rh\u00e9torique anti-nationale et anti-m\u00e9ridionale, avec des slogans comme \u00ab Italiens pour un peu plus de cent ans, V\u00e9nitiens pour 3000. \u00bb<\/span>16<\/sup><\/a><\/span>. <\/p>\n\n\n\n Une rh\u00e9torique qui sera plus tard incorpor\u00e9e, apr\u00e8s le d\u00e9clin de la Liga Veneta<\/em>, par la Ligue du Nord au sens large<\/a>, entrant dans le r\u00e9cit d’un \u00ab mal du Nord \u00bb plus ample<\/span>17<\/sup><\/a><\/span>. Mais c’est une diversit\u00e9 qui n\u2019accepte jamais totalement l\u2019homologation, et \u00e0 laquelle m\u00eame la Padanie semble trop grande : sous la fa\u00e7ade, le v\u00e9n\u00e9tisme continue de bouillir. Ce n’est pas un hasard si, en opposition \u00e0 Salvini et \u00e0 son id\u00e9e de la \u00ab Ligue nationale et nationaliste \u00bb, c’est souvent la composante v\u00e9n\u00e8te qui s’exprime le plus fort, et si Zaia lui-m\u00eame devient un symbole \u2013 silencieux \u2013 de la frange int\u00e9rieure du parti.<\/span>18<\/sup><\/a><\/span> <\/p>\n\n\n\n Car le v\u00e9n\u00e9tisme n’est pas une mode passag\u00e8re : le ressentiment de la V\u00e9n\u00e9tie \u00e0 l’\u00e9gard du reste de l’Italie ne date pas d’hier. Il s’agit plut\u00f4t d’un mouvement qui trouve ses racines dans des raisons historiques, g\u00e9ographiques et de pens\u00e9e profondes. Des raisons qui sont imp\u00e9n\u00e9trables, et \u00e9tonnamment \u00e9gales \u00e0 elles-m\u00eames, dans un territoire qui a beaucoup chang\u00e9 en relativement peu de temps. C’est une V\u00e9n\u00e9tie longue <\/em> : les cultures politiques passent, l’alt\u00e9rit\u00e9 demeure.<\/span>19<\/sup><\/a><\/span><\/p>\n\n\n\n Le ressentiment de la V\u00e9n\u00e9tie \u00e0 l’\u00e9gard du reste de l’Italie ne date pas d’hier. Il s’agit plut\u00f4t d’un mouvement qui trouve ses racines dans des raisons historiques, g\u00e9ographiques et de pens\u00e9e profondes.<\/p>GIOVANNI COLLOT<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n L’histoire d’abord. Les territoires de la V\u00e9n\u00e9tie qui ont \u00e9t\u00e9 soumis \u00e0 la R\u00e9publique S\u00e9r\u00e9nissime \u00e0 partir du XVe si\u00e8cle ont b\u00e9n\u00e9fici\u00e9 d’un syst\u00e8me social sui generis<\/em> : la S\u00e9r\u00e9nissime a laiss\u00e9 une grande marge d’autonomie aux diff\u00e9rents territoires du stato da tera<\/em>, pr\u00e9f\u00e9rant jeter un regard strat\u00e9gique sur le stato da mar<\/em><\/span>20<\/sup><\/a><\/span>. \u00c0 cela s’est superpos\u00e9 pendant des si\u00e8cles un syst\u00e8me agricole fond\u00e9 sur le m\u00e9tayage, o\u00f9 le fait que chaque agriculteur se voyait attribuer une exploitation \u00e0 usage exclusif dans laquelle il pouvait puiser 50 % du revenu total a donn\u00e9 l’impulsion, selon la vulgate, au d\u00e9veloppement d’une mentalit\u00e9 d’entrepreneur dans les familles de m\u00e9tayers. Avec l’effondrement de la S\u00e9r\u00e9nissime, la gestion de l’ordre local est pass\u00e9e de plus en plus \u00e0 un syst\u00e8me de pouvoir bas\u00e9 sur les notables locaux, l’\u00e9glise et la famille : un syst\u00e8me qui tente de s’autor\u00e9guler, laissant la politique en arri\u00e8re-plan, dans un sentiment continu d’hostilit\u00e9 et de n\u00e9gociation avec le centre. Dans les campagnes de V\u00e9n\u00e9tie, un capital social fi\u00e8rement anti-\u00e9tatique et localiste commence \u00e0 germer, o\u00f9 le respect de l’ordre \u00e9tabli et de la religion s’accompagne d’une m\u00e9fiance \u00e0 l’\u00e9gard de tout ce qui vient du pouvoir central.<\/span>21<\/sup><\/a><\/span><\/p>\n\n\n\n Sur ce syst\u00e8me social se greffe, depuis l’apr\u00e8s-guerre, le miracle \u00e9conomique, dans lequel la V\u00e9n\u00e9tie se trouve passer rapidement d’une r\u00e9gion sous-d\u00e9velopp\u00e9e \u00e0 l’une des locomotives de l’Italie entre les ann\u00e9es 50 et 70, avec une croissance annuelle moyenne du PIB de 5,5 %<\/span>22<\/sup><\/a><\/span>. Soudain, des paysages ruraux bas\u00e9s sur des traditions consolid\u00e9es et o\u00f9 le temps semblait s’\u00eatre arr\u00eat\u00e9 pendant des si\u00e8cles se retrouvent couverts d\u2019usines. La V\u00e9n\u00e9tie fait la r\u00e9volution.<\/p>\n\n\n\n Avec l’effondrement de la S\u00e9r\u00e9nissime, la gestion de l’ordre local est pass\u00e9e de plus en plus \u00e0 un syst\u00e8me de pouvoir bas\u00e9 sur les notables locaux, l’\u00e9glise et la famille : un syst\u00e8me qui tente de s’autor\u00e9guler, laissant la politique en arri\u00e8re-plan, dans un sentiment continu d’hostilit\u00e9 et de n\u00e9gociation avec le centre.<\/p>GIOVANNI COLLOT<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Mais il ne s’agit que d’une r\u00e9volution \u00e9conomique, qui fait de la V\u00e9n\u00e9tie le centre de la Troisi\u00e8me Italie<\/em>, une nouvelle alternative au triangle industriel du Nord et au Sud qui, jusqu’alors, dominait l’imaginaire national<\/span>23<\/sup><\/a><\/span>. Pour le reste, la nouvelle prosp\u00e9rit\u00e9 repose sur la m\u00eame soci\u00e9t\u00e9 qu’auparavant. Surtout, les d\u00e9mocrates-chr\u00e9tiens gouvernent dans une situation d\u2019h\u00e9g\u00e9monie, qui repose dans la r\u00e9gion sur un laissez-faire original \u00ab alla veneta<\/em>\u00ab , dans lequel la politique reste \u00e0 l’arri\u00e8re-plan, accompagnant mais ne for\u00e7ant pas. La structure sociale du r\u00e9seau, de la famille et du culte du travail est ce qui donne vie au \u00ab miracle \u00e9conomique \u00bb. Au moins, elle est maintenant amplifi\u00e9e : si elle a apport\u00e9 tant de succ\u00e8s, elle doit \u00eatre c\u00e9l\u00e9br\u00e9e. <\/p>\n\n\n\n Cependant, sous les fissures du bien-\u00eatre acquis, les m\u00eames d\u00e9fauts demeurent comme toujours : fermeture au monde ext\u00e9rieur, exceptionnalisme. Il reste surtout un sentiment d\u2019adversit\u00e9 envers le pouvoir central et la complexit\u00e9 du monde ext\u00e9rieur, m\u00eal\u00e9 \u00e0 un fort d\u00e9sir de vengeance. Il y a une repr\u00e9sentation et une conscience croissantes de soi-m\u00eame en tant que \u00ab g\u00e9ants \u00e9conomiques, nains politiques \u00bb.<\/span>24<\/sup><\/a><\/span><\/p>\n\n\n\n Le deuxi\u00e8me grand axe pour comprendre le v\u00e9n\u00e9tisme est la g\u00e9ographie. La r\u00e9gion protagoniste de la r\u00e9volution que nous venons d’\u00e9voquer est en fait le territoire de la plaine au nord de Venise et au sud des Alpes, et qui trouve son c\u0153ur dans la V\u00e9n\u00e9tie centrale, v\u00e9ritable symbole du Nord-Est. Visiter ce \u00ab centre sans centre \u00bb \u00e0 l’int\u00e9rieur du pentagone entre Venise, Tr\u00e9vise, Bassano del Grappa, Vicence et Padoue, avec quelques d\u00e9tours au-del\u00e0 du fleuve Piave, le \u00ab fleuve sacr\u00e9 de la patrie \u00bb dont Parise parle dans l’extrait d’ouverture, \u00e9quivaut \u00e0 faire un tour de l’\u00e2me v\u00e9n\u00e8te<\/span>25<\/sup><\/a><\/span>. Dans peu d’autres endroits en Italie, une correspondance aussi vivante s’est cr\u00e9\u00e9e au fil du temps entre l’organisation du territoire et l’esprit. Dans peu d’autres endroits en Italie, regarder une carte ou se promener dans les rues encombr\u00e9es de la province en dit autant sur les gens qui y vivent. Au fil du temps, le paysage de la V\u00e9n\u00e9tie centrale a pris une forme caract\u00e9ristique : les centres commerciaux et les entrep\u00f4ts des petites et moyennes entreprises sont accompagn\u00e9s de petites parcelles de terrain qui ont \u00e9chapp\u00e9 \u00e0 la ru\u00e9e urbanistique, \u00e0 c\u00f4t\u00e9 des omnipr\u00e9sentes maisons unifamiliales, toutes avec jardin. Tout cela est laiss\u00e9 \u00e0 la pleine libert\u00e9 de l’individu, en l’absence d’une intervention centrale par le biais de plans de r\u00e9gulation.<\/p>\n\n\n\n Sous les fissures du bien-\u00eatre acquis, les m\u00eames d\u00e9fauts demeurent comme toujours : fermeture au monde ext\u00e9rieur, exceptionnalisme. Il reste surtout un sentiment d\u2019adversit\u00e9 envers le pouvoir central et la complexit\u00e9 du monde ext\u00e9rieur, m\u00eal\u00e9 \u00e0 un fort d\u00e9sir de vengeance.<\/p>GIOVANNI COLLOT<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n C’est comme si la r\u00e9volution \u00e9conomique v\u00e9n\u00e8te avait lib\u00e9r\u00e9, en m\u00eame temps que l’imagination entrepreneuriale, le flair pour la construction de ses habitants, lib\u00e9r\u00e9s des contraintes de la pauvret\u00e9. En particulier, la maison devient un moyen d’exprimer son individualit\u00e9 et sa fa\u00e7on de voir le monde. Un vrai bon refuge, surtout dans une perspective existentielle, o\u00f9 l’id\u00e9al v\u00e9n\u00e8te de \u00ab chaque ma\u00eetre dans sa propre maison \u00bb est pleinement r\u00e9alis\u00e9. Le centre du monde devient le foyer domestique, qui devient un symbole du statut atteint gr\u00e2ce aux schei <\/em>gagn\u00e9s, autour desquels tourne tout ce qui est n\u00e9cessaire \u00e0 la vie : la petite usine ou l’atelier \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de la maison ou m\u00eame au rez-de-chauss\u00e9e ; le jardin o\u00f9 inviter des amis quand il fait beau ; et surtout l’omnipr\u00e9sente taverne, dans laquelle on peut passer du temps libre avec quelques amis choisis, si omnipr\u00e9sente que, selon l’acteur et r\u00e9alisateur de Belluno Marco Paolini, elle a conduit \u00e0 la naissance d’une nouvelle figure anthropologique : les tavernicoli.<\/em><\/span>26<\/sup><\/a><\/span><\/p>\n\n\n\n Il en r\u00e9sulte une succession de paradis priv\u00e9s, ferm\u00e9s sur l’ext\u00e9rieur : une immense privatopia<\/em>, triomphe du laissez-faire individualiste, o\u00f9 les fronti\u00e8res l’emportent sur le centre et o\u00f9 la consommation de terre est la plus \u00e9lev\u00e9e d’Italie<\/span>27<\/sup><\/a><\/span>. Ce n’est pas un hasard si le paysage du centre de la V\u00e9n\u00e9tie a \u00e9t\u00e9 d\u00e9fini comme un exemple de ville postmoderne, en le comparant \u00e0 Los Angeles ou aux \u00ab gated communities<\/em> \u00bb am\u00e9ricaines : une ville toute en p\u00e9riph\u00e9rie, o\u00f9 l’on se d\u00e9place mais o\u00f9 l’on semble toujours \u00eatre l\u00e0 o\u00f9 l’on est<\/span>28<\/sup><\/a><\/span>. On pourrait presque dire que la V\u00e9n\u00e9tie est devenue l’Am\u00e9rique avant de devenir l’Italie. <\/p>\n\n\n\n Dans tout cela, il y a un paradoxe remarquable. D’une part, une V\u00e9n\u00e9tie qui, malgr\u00e9 la crise \u00e9conomique, fait face au monde comme un protagoniste, gr\u00e2ce \u00e0 des petites et moyennes entreprises dynamiques et mondialis\u00e9es : la province de Vicence est aujourd’hui le troisi\u00e8me exportateur du pays, derri\u00e8re les capitales industrielles de Milan et Turin ; Tr\u00e9vise se situe juste en dessous, \u00e0 la septi\u00e8me place<\/span>29<\/sup><\/a><\/span>. Zaia lui-m\u00eame est le porte-parole de cette fiert\u00e9, revendiquant la projection mondiale du peuple v\u00e9n\u00e8te : \u00ab Les entrepreneurs de la V\u00e9n\u00e9tie sont des gens qui parlent le dialecte, l’anglais, l’allemand et seulement ensuite, peut-\u00eatre, certains d’entre eux, l’italien \u00bb<\/span>30<\/sup><\/a><\/span>.<\/p>\n\n\n\n Il r\u00e9sulte du \u00ab miracle v\u00e9n\u00e8te \u00bb une succession de paradis priv\u00e9s, ferm\u00e9s sur l’ext\u00e9rieur : une immense privatopia<\/em>, triomphe du laissez-faire individualiste, o\u00f9 les fronti\u00e8res l’emportent sur le centre et o\u00f9 la consommation de terre est la plus \u00e9lev\u00e9e d’Italie.<\/p>GIOVANNI COLLOT<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n D’autre part, un tissu social referm\u00e9 sur lui-m\u00eame, dans lequel les communaut\u00e9s sont de plus en plus effiloch\u00e9es, ferm\u00e9es aux pulsions ext\u00e9rieures et de plus en plus ins\u00e9curis\u00e9es vis-\u00e0-vis du monde. Un paysage appauvri entra\u00eene un appauvrissement social. En t\u00e9moignent les appels constants \u00e0 la s\u00e9curit\u00e9 dans les journaux locaux, qui sont recueillis par l’industrie du b\u00e2timent, avec des maisons de plus en plus s\u00fbres et des murs de plus en plus hauts, comme dans le quartier de Santa Bona, une banlieue de la tranquille Tr\u00e9vise entour\u00e9e de murs de trois m\u00e8tres<\/span>31<\/sup><\/a><\/span>. Ou la course aux armements contre les voleurs et les criminels qui transforme de simples individus en h\u00e9ros de la justice \u00ab maison \u00bb : comme en t\u00e9moigne le cas du pompiste de Vicence Graziano Stacchio, \u00e0 qui des politiciens de droite au niveau national comme Salvini et Giorgia se sont empress\u00e9s de manifester leur solidarit\u00e9<\/span>32<\/sup><\/a><\/span>. Bienvenue au Texas, en Italie.<\/p>\n\n\n\n Un sentiment de malaise qui a \u00e9t\u00e9 exacerb\u00e9, au moins en partie, par les effets de la crise \u00e9conomique mondiale sur le tissu industriel fragment\u00e9 de la V\u00e9n\u00e9tie, ainsi qu’en t\u00e9moignent le PIB r\u00e9gional, inf\u00e9rieur de 6,7 % \u00e0 celui de 2007, et les 251 entrepreneurs qui se sont suicid\u00e9s depuis 2008<\/span>33<\/sup><\/a><\/span>, dans une r\u00e9gion de petits et grands patrons, o\u00f9 le travail est une religion. Mais le malaise fait partie int\u00e9grante de l’esprit de la V\u00e9n\u00e9tie et pr\u00e9c\u00e8de la grande crise : \u00ab Je suis par\u00f2n<\/em> (ma\u00eetre) pr\u00e9cis\u00e9ment parce que je suis malheureux \u00bb, dit de fa\u00e7on \u00e9clairante l’acteur de Padoue Andrea Pennacchi.<\/span>34<\/sup><\/a><\/span><\/p>\n\n\n\n C’est dans ce milieu culturel et social que se greffent les revendications autonomistes de la galaxie v\u00e9n\u00e9tiste. Ce qui ne cr\u00e9e rien de fondamentalement nouveau, mais le place dans un nouveau contexte. Un malaise sourd et sans nom s’est install\u00e9 avec une offre politico-\u00e9lectorale qui a recueilli les cris. Mais cela reste une offre politique visc\u00e9ralement locale, anti-\u00e9tatique et contraire \u00e0 toute forme de pouvoir central, proche ou lointain : les protestations continues contre le fisc en sont un exemple, ainsi que le slogan anti-v\u00e9nitien de la Liga \u00ab Forza Laguna<\/em>\u00ab <\/span>35<\/sup><\/a><\/span>. C’est sur ce territoire que naissent continuellement des micro-partis avec divers degr\u00e9s d’autonomisme, d’ind\u00e9pendance et de localisme, rempla\u00e7ant la D\u00e9mocratie chr\u00e9tienne autrefois toute-puissante. Tout cela avec une touche de r\u00e9volte fiscale, comme le Movimento de Liberassion Nasionale del Veneto Libero<\/em>, le Projet Nord-Est du d\u00e9funt entrepreneur Giorgio Panto et la c\u00e9l\u00e8bre Razza Piave<\/em> ; des partis qui durent rarement plus longtemps qu’une comp\u00e9tition \u00e9lectorale et qui font entrer en politique la philosophie v\u00e9n\u00e8te de \u00ab chacun est ma\u00eetre chez soi \u00bb. Enfin, ce sont les terres o\u00f9 la Lega Nord est devenue substantiellement h\u00e9g\u00e9monique dans sa variante v\u00e9n\u00e8te, gr\u00e2ce \u00e0 un soutien de plus en plus fort aux instances autonomistes et \u00e0 un appel \u00e0 la diff\u00e9rence avec la section lombarde, remportant une large adh\u00e9sion, notamment dans certaines parties de la province de Tr\u00e9vise. Par exemple, \u00e0 Chiarano, o\u00f9 le maire Leghista sortant a remport\u00e9 79,9 % des voix en 2009. Des pourcentages tellement proches d\u2019un scrutin sovi\u00e9tique que les Leghisti<\/em> eux-m\u00eames ont travesti le nom de la ville en Chiaranov.<\/em><\/span>36<\/sup><\/a><\/span><\/p>\n\n\n\n \u00c0 Chiarano, le maire Leghista sortant a remport\u00e9 79,9 % des voix en 2009. Un score tellement proche d\u2019un scrutin sovi\u00e9tique que les Leghisti<\/em> eux-m\u00eames ont travesti le nom de la ville en Chiaranov<\/em>.<\/p>GIOVANNI COLLOT<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Une h\u00e9g\u00e9monie dont le principal b\u00e9n\u00e9ficiaire a \u00e9t\u00e9, ces derni\u00e8res ann\u00e9es, l’actuel pr\u00e9sident de la r\u00e9gion, Luca Zaia<\/a>, qui en est d\u00e9j\u00e0 \u00e0 son troisi\u00e8me mandat. Zaia est un v\u00e9ritable st\u00e9r\u00e9otype de la V\u00e9n\u00e9tie centrale : d’origine modeste, dipl\u00f4m\u00e9 de l\u2019\u00e9cole d’\u0153nologie de Conegliano, licenci\u00e9 en sciences de la production animale – pour payer ses \u00e9tudes, il a fait un peu de relations publiques dans une discoth\u00e8que pendant un certain temps, o\u00f9, raconte-t-il fi\u00e8rement, il faisait de la distribution de tracts politiques parmi les jeunes qui allaient danser -, enfant prodige de la politique r\u00e9gionale, Zaia incarne parfaitement l’id\u00e9e que la V\u00e9n\u00e9tie se d\u00e9brouille bien toute seule. Se pr\u00e9sentant comme un homme du peuple, qui parle souvent et volontiers en dialecte et participe \u00e0 tous les \u00e9v\u00e9nements populaires, plus maire que pr\u00e9sident de r\u00e9gion, Zaia donne l’impression presque surnaturelle de pouvoir trouver sur chaque sujet, comme une boussole, le centre exact de son \u00e9lectorat : un \u00ab centrisme radical<\/a> \u00bb pragmatique, qui ne pourrait \u00eatre plus \u00e9loign\u00e9 du Secr\u00e9taire de son parti, Matteo Salvini, c\u00e9l\u00e8bre pour ses positions incendiaires et radicales sur presque tous les sujets. Et cela explique son succ\u00e8s au sein de la Ligue comme alternative possible \u00e0 Salvini – une alternative que Zaia lui-m\u00eame, fid\u00e8le \u00e0 son style, refuse \u2013 d\u00e9clarant sa loyaut\u00e9 au leader.<\/p>\n\n\n\n C’est pr\u00e9cis\u00e9ment ce \u00ab centrisme radical \u00bb qui a conduit Zaia \u00e0 devenir un fervent d\u00e9fenseur de l’autonomie, en en faisant une position majoritaire et institutionnelle – et en vidant ainsi substantiellement l’impact des partis v\u00e9n\u00e8tes mineurs. Un choix qui a port\u00e9 ses fruits : Zaia est le pr\u00e9sident de r\u00e9gion le plus aim\u00e9 d’Italie \u00e0 ce jour, comme en t\u00e9moigne sa r\u00e9\u00e9lection record dimanche dernier avec 76,8 % des voix lors des derni\u00e8res \u00e9lections r\u00e9gionales.<\/span>37<\/sup><\/a><\/span><\/p>\n\n\n\n Se pr\u00e9sentant comme un homme du peuple, qui parle souvent et volontiers en dialecte et participe \u00e0 tous les \u00e9v\u00e9nements populaires, plus maire que pr\u00e9sident de r\u00e9gion, Zaia donne l’impression presque surnaturelle de pouvoir trouver sur chaque sujet, comme une boussole, le centre exact de son \u00e9lectorat : un \u00ab centrisme radical \u00bb<\/p>GIOVANNI COLLOT<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Au-del\u00e0 de Zaia, ce que tous les mouvements v\u00e9n\u00e9tistes ont en commun, c’est la cr\u00e9ation de coordonn\u00e9es nationales, cr\u00e9\u00e9es cependant par absence : le sentiment d’alt\u00e9rit\u00e9, d’ind\u00e9pendance et d’agacement pour tout ce qui sort de la vie priv\u00e9e est ins\u00e9r\u00e9 dans une rh\u00e9torique positive, semi-nationale. Ainsi se cr\u00e9e un n\u00e9ologisme, la nation v\u00e9n\u00e8te<\/em>, de plus en plus en opposition \u00e0 la nation italienne. Les diff\u00e9rents fils du m\u00e9contentement sont unis par un mythe national faible. La nation v\u00e9n\u00e8te se construit par la rh\u00e9torique de l’appartenance commune \u00e0 une tradition, \u00e0 un territoire, \u00e0 travers un processus \u00ab d’ethnicit\u00e9 comme connaissance \u00bb<\/span>\r\n\t<\/picture>\r\n \n <\/a>\n<\/figure>\n\n\n\n\n
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